Frontera Capital (Order) French Text [2022] EUECJ C-722/21_CO (19 May 2022)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2022/C72221_CO.html
Cite as: EU:C:2022:412, [2022] EUECJ C-722/21_CO, ECLI:EU:C:2022:412

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ORDONNANCE DE LA COUR (huitième chambre)

19 mai 2022 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour – Article 267 TFUE – Notaire – Notion de “juridiction” – Critères – Absence de litige devant l’organisme de renvoi – Irrecevabilité manifeste »

Dans l’affaire C‑722/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par un notario del Ilustre Colegio Notarial de Andalucía (notaire appartenant à la chambre des notaires d’Andalousie, Espagne), par décision du 25 novembre 2021, parvenue à la Cour le même jour, dans le prolongement de la procédure engagée par

Frontera Capital Sàrl

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Jääskinen, président de chambre, MM. M. Safjan et M. Gavalec (rapporteur), juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) no 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d’injonction de payer (JO 2006, L 399, p. 1).

2        Cette demande a été présentée par Mme Esther Vallejo Vega, notario del Ilustre Colegio Notarial de Andalucía (notaire appartenant à la chambre des notaires d’Andalousie, Espagne) (ci-après la « notaire concernée »), à la suite de l’adoption, par la Dirección General de los Registros y del Notariado de España (direction générale des registres et du notariat, Espagne), d’une sanction à son égard pour avoir délivré, en violation de la réglementation espagnole applicable, des injonctions de payer européennes à l’encontre de plusieurs débiteurs ayant leur résidence habituelle sur le territoire espagnol.

 Le contexte factuel et les questions préjudicielles

3        À la demande de Frontera Capital Sàrl, société de droit luxembourgeois, la notaire concernée a délivré, au cours du mois de novembre de 2015, des injonctions de payer européennes à l’égard de différents débiteurs ayant leur résidence habituelle en Espagne.

4        À la suite de la délivrance de ces injonctions de payer européennes, la direction générale des registres et du notariat, organe administratif dont relèvent les notaires en Espagne, a engagé une procédure à l’encontre de la notaire concernée et a infligé à cette dernière une sanction pour violation de la Ley del Notariado (loi sur le notariat), du 28 mai 1862.

5        Dans ce contexte, estimant que le règlement no 1896/2006 l’habilite à délivrer des injonctions de payer européennes dans des affaires transfrontalières, la notaire concernée a décidé de saisir la Cour à titre préjudiciel.

6        S’agissant de la recevabilité de la demande de décision préjudicielle et, en particulier, de sa qualification de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, la notaire concernée soutient, en substance, que la procédure de renvoi préjudiciel a été conçue à l’intention, non seulement, de juridictions, mais également des professionnels du droit exerçant des fonctions juridictionnelles. Faisant valoir que les notaires espagnols devraient être considérés comme exerçant une activité juridictionnelle en matière de recouvrement de créances pécuniaires, la notaire concernée s’estime habilitée à saisir la Cour au titre de l’article 267 TFUE dans ce domaine.

7        Dans ces conditions, la notaire concernée a posé à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La réglementation [de l’Union] en matière de procédure d’injonctions de payer européennes est-elle d’applicabilité directe, pour autant, bien entendu, que soient réunies les conditions relatives à l’exigibilité des créances et au caractère transfrontalier du litige ?

2)      Était-il correct de faire primer et d’appliquer directement en l’occurrence le droit [de l’Union] ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

8        En vertu de l’article 53, paragraphe 2, de son règlement de procédure, lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

9        Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

10      Selon la jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher. La justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige. Ainsi qu’il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle est saisie (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, points 44 et 45, ainsi qu’ordonnance du 8 juin 2021, Centraal Justitieel Incassobureau, C‑699/20, non publiée, EU:C:2021:465, point 14).

11      Pour être habilité à saisir la Cour dans le cadre de la procédure préjudicielle, l’organisme de renvoi doit pouvoir être qualifié de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, ce qu’il appartient à la Cour de vérifier sur la base de la demande de décision préjudicielle (ordonnances du 25 avril 2018, Secretaria Regional de Saúde dos Açores, C‑102/17, EU:C:2018:294, point 24, et du 13 décembre 2018, Holunga, C‑370/18, non publiée, EU:C:2018:1011, point 13).

12      Afin d’apprécier si un organisme de renvoi peut être qualifié de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, question qui relève uniquement du droit de l’Union, la Cour tient compte d’un ensemble d’éléments, tels que l’origine légale de cet organisme, sa permanence, le caractère obligatoire de sa juridiction, la nature contradictoire de sa procédure, l’application, par ledit organisme, des règles de droit ainsi que son indépendance [arrêt du 21 janvier 2020, Banco de Santander, C‑274/14, EU:C:2020:17, point 51, ainsi qu’ordonnances du 1er septembre 2021, OKR (Renvoi préjudiciel d’un clerc de notaire), C‑387/20, EU:C:2021:751, point 22, et du 4 octobre 2021, Comune di Camerota, C‑161/21, non publiée, EU:C:2021:833, point 30].

13      En outre, il est nécessaire d’examiner la nature spécifique des fonctions, juridictionnelles ou administratives, qu’il exerce dans le contexte normatif particulier dans lequel il a saisi la Cour, en vue de vérifier si un litige est pendant devant un tel organisme et si ce dernier est appelé à statuer dans le cadre d’une procédure destinée à aboutir à une décision de caractère juridictionnel (voir, en ce sens, arrêt du 16 février 2017, Margarit Panicello, C‑503/15, EU:C:2017:126, point 28 et jurisprudence citée).

14      En l’occurrence, il y a lieu de relever que le contexte factuel et réglementaire de l’affaire au principal, tel qu’il est exposé dans la demande de décision préjudicielle, ne permet pas d’identifier l’existence d’un litige pendant devant la notaire concernée, dans le cadre duquel cette dernière serait appelée à rendre une décision de caractère juridictionnel.

15      En effet, il ressort uniquement de la demande de décision préjudicielle que, à la suite d’une demande formulée par une société de droit luxembourgeois, la notaire concernée a été sanctionnée par la direction générale des registres et du notariat pour avoir, en violation de la réglementation nationale applicable, délivré des injonctions de payer européennes à l’encontre de plusieurs débiteurs ayant leur résidence habituelle sur le territoire espagnol et que, s’estimant directement habilitée par le règlement no 1896/2006 à délivrer des injonctions de payer européennes dans des affaires transfrontalières, la notaire concernée a décidé d’interroger la Cour à titre préjudiciel au sujet de l’effet direct de ce règlement ainsi que de la primauté du droit de l’Union.

16      Dans ces conditions, il convient de considérer que, en l’absence d’éléments permettant de constater que, dans le contexte particulier dans lequel elle a saisi la Cour, la notaire concernée peut être considérée comme exerçant une fonction juridictionnelle et être ainsi habilitée à adresser, au titre de l’article 267 TFUE, des questions préjudicielles à la Cour concernant l’interprétation du droit de l’Union, cette notaire ne saurait être qualifiée de « juridiction », au sens de l’article 267 TFUE, et cela sans qu’il y ait lieu d’examiner si ladite notaire remplit les autres critères, énumérés au point 12 de la présente ordonnance, permettant d’apprécier un tel caractère.

17      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, la demande de décision préjudicielle introduite par la notaire concernée est, en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, manifestement irrecevable.

 Sur les dépens

18      La procédure revêtant le caractère d’un incident soulevé devant l’organisme de renvoi, il appartient à celui-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) ordonne :

La demande de décision préjudicielle introduite par un notario del Ilustre Colegio Notarial de Andalucía (notaire appartenant à la chambre des notaires d’Andalousie, Espagne), par décision du 25 novembre 2021, est manifestement irrecevable.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.

© European Union
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