Service federal des Pensions (Coordination of social security systems - Overlapping of benefits of a different nature - Opinion) French Text [2023] EUECJ C-45/22_O (27 April 2023)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2023/C4522_O.html
Cite as: [2023] EUECJ C-45/22_O, ECLI:EU:C:2023:358, EU:C:2023:358

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CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 27 avril 2023 (1)

Affaire C45/22

HK

contre

Service fédéral des Pensions (SFP)

[demande de décision préjudicielle formée par le tribunal du travail francophone de Bruxelles (Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Coordination des systèmes de sécurité sociale – Règlement (CE) no 883/2004 – Article 55, paragraphe 1, sous a) – Cumul de prestations de nature différente – Division des montants de la prestation ou des prestations ou des autres revenus, tels qu’ils ont été pris en compte, par le nombre de prestations – Notion de “montants tels qu’ils ont été pris en compte” – Respect des caractéristiques propres aux législations nationales de sécurité sociale – Personne bénéficiant de plusieurs pensions de retraite et de survie versées par différents États membres – Application des règles nationales anticumul – Modalités de calcul du montant d’une pension de survie »






I.      Introduction

1.        Le règlement (CE) no 883/2004 (2), ainsi qu’il ressort de ses considérants 1 et 45, a pour objectif d’assurer une coordination entre les systèmes nationaux de sécurité sociale des États membres afin de garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes et, partant, de contribuer à l’amélioration du niveau de vie et des conditions d’emploi des personnes qui se déplacent au sein de l’Union.

2.        Dans ce cadre, ce règlement vise, notamment, à limiter la portée des règles nationales anticumul en matière de pensions de retraite et de survie qui ont pour effet de réduire la prestation à laquelle un assuré peut prétendre dans un État membre du fait qu’il bénéficie d’une prestation dans un autre État membre (3). Ainsi, l’article 55, paragraphe 1, sous a), dudit règlement énonce que si le bénéfice de prestations de nature différente ou d’autres revenus implique l’application des règles anticumul prévues par la législation des États membres concernés pour ce qui est de deux ou plusieurs prestations autonomes, les institutions compétentes divisent les montants de la prestation ou des prestations ou des autres revenus, tels qu’ils ont été pris en compte, par le nombre de prestations soumises à ces règles.

3.        Comment interpréter les termes « montants tels qu’ils ont été pris en compte » au sens de cette disposition ? Plus précisément, convient-il de diviser le montant total des prestations concernées ou plutôt le montant des revenus excédant un plafond de cumul des différentes prestations considérées ? Telle est, en substance, la question posée par le tribunal du travail francophone de Bruxelles (Belgique), laquelle revêt un caractère inédit, la Cour n’ayant encore jamais interprété l’article 55 du règlement no 883/2004.

4.        La demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant HK, titulaire de plusieurs pensions de retraite et de survie versées par différents États membres, au Service fédéral des Pensions (Belgique, ci-après le « SFP ») au sujet des modalités de calcul du montant de la pension de survie belge dont il bénéficie à la suite du décès de sa conjointe.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

1.      Le règlement (CEE) no 1408/71

5.        L’article 46 quater du règlement (CEE) no 1408/71 (4), introduit dans ce dernier par le règlement (CEE) no 1248/92 (5), intitulé « Dispositions particulières applicables en cas de cumul d’une prestation ou de plusieurs prestations visées à l’article 46 bis[,] paragraphe 1[,] avec une ou plusieurs prestations de nature différente ou avec d’autres revenus, lorsque deux ou plusieurs États membres sont concernés », énonce, à son paragraphe 1 :

« Si le bénéfice de prestations de nature différente ou d’autres revenus entraîne à la fois la réduction, la suspension ou la suppression de deux ou plusieurs prestations visées à l’article 46[,] paragraphe 1[,] point a)[,] i), les montants qui ne seraient pas payés en cas d’application stricte des clauses de réduction, de suspension ou de suppression prévues par la législation des États membres concernés, sont divisés par le nombre de prestations sujettes à réduction, suspension ou suppression. »

6.        Le règlement no 1408/71 a été abrogé et remplacé, à compter du 1er mai 2010, par le règlement no 883/2004.

2.      Le règlement no 883/2004

7.        Aux termes des considérants 1, 4, 28 à 31 et 45 du règlement no 883/2004 :

« (1)      Les règles de coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale s’inscrivent dans le cadre de la libre circulation des personnes et devraient contribuer à l’amélioration de leur niveau de vie et des conditions de leur emploi.

[...]

(4)      Il convient de respecter les caractéristiques propres aux législations nationales de sécurité sociale et d’élaborer uniquement un système de coordination.

[...]

(28)      Il y a lieu de prévoir un montant de pension calculé selon la méthode de totalisation et de proratisation et garanti par le droit communautaire lorsque l’application de la législation nationale, y compris ses clauses de réduction, de suspension ou de suppression, se révèle moins favorable que celle de ladite méthode.

(29)      Pour protéger les travailleurs migrants et leurs survivants contre une application trop rigoureuse des clauses nationales de réduction, de suspension ou de suppression, il est nécessaire d’insérer des dispositions conditionnant strictement l’application de ces clauses.

(30)      Comme l’a constamment réaffirmé la Cour de justice, le Conseil n’est pas réputé compétent pour mettre en œuvre des règles limitant le cumul de deux ou plusieurs pensions dont le droit a été acquis dans des États membres différents en réduisant le montant d’une pension acquise uniquement au titre de la législation nationale.

(31)      Selon la Cour de justice, c’est au législateur national qu’il appartient de les mettre en œuvre, étant entendu que c’est au législateur communautaire qu’il incombe de déterminer les limites dans lesquelles peuvent s’appliquer les dispositions du droit national en matière de diminution, de suspension ou de suppression d’une pension.

[...]

(45)      Étant donné que l’objectif de l’action envisagée, à savoir l’adoption de mesures de coordination visant à garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes, ne peut pas être réalisé de manière suffisante par les États membres et peut donc, en raison des dimensions et des effets de cette action, être mieux réalisé au niveau communautaire, la Communauté peut prendre des mesures conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 du traité. Conformément au principe de proportionnalité tel qu’énoncé audit article, le présent règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif. »

8.        L’article 2 de ce règlement, intitulé « Champ d’application personnel », énonce :

« 1.      Le présent règlement s’applique aux ressortissants de l’un des États membres, aux apatrides et aux réfugiés résidant dans un État membre qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres, ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants.

2.      En outre, le présent règlement s’applique aux survivants des personnes qui ont été soumises à la législation d’un ou de plusieurs États membres, quelle que soit la nationalité de ces personnes, lorsque leurs survivants sont des ressortissants de l’un des États membres ou bien des apatrides ou des réfugiés résidant dans l’un des États membres. »

9.        L’article 3 dudit règlement, intitulé « Champ d’application matériel », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Le présent règlement s’applique à toutes les législations relatives aux branches de sécurité sociale qui concernent :

[...]

d)      les prestations de vieillesse ;

e)      les prestations de survivant ;

[...] »

10.      Le chapitre 5 du titre III du même règlement, intitulé « Pensions de vieillesse et de survivant », comporte notamment les articles 52 à 55 de celui-ci.

11.      L’article 52 du règlement no 883/2004, intitulé « Liquidation des prestations », dispose, à ses paragraphes 1 à 3 :

« 1.      L’institution compétente calcule le montant de la prestation due :

a)      en vertu de la législation qu’elle applique, uniquement lorsque les conditions requises pour le droit aux prestations sont remplies en vertu du seul droit national (prestation indépendante) ;

b)      en calculant un montant théorique et ensuite un montant effectif (prestation au prorata), de la manière suivante :

i)      le montant théorique de la prestation est égal à la prestation à laquelle l’intéressé pourrait prétendre si toutes les périodes d’assurance et/ou de résidence accomplies sous les législations des autres États membres avaient été accomplies sous la législation qu’elle applique à la date de la liquidation de la prestation. Si, selon cette législation, le montant de la prestation est indépendant de la durée des périodes accomplies, ce montant est considéré comme le montant théorique ;

ii)      l’institution compétente établit ensuite le montant effectif de la prestation sur la base du montant théorique, au prorata de la durée des périodes accomplies avant la réalisation du risque sous la législation qu’elle applique, par rapport à la durée totale des périodes accomplies avant la réalisation du risque sous les législations de tous les États membres concernés.

2.      Au montant calculé conformément au paragraphe 1, points a) et b) ci-dessus, l’institution compétente applique, le cas échéant, l’ensemble des clauses de réduction, de suspension ou de suppression, prévues par la législation qu’elle applique, dans les limites prévues par les articles 53 à 55.

3.      L’intéressé a droit, de la part de l’institution compétente de chaque État membre concerné, aux montants les plus élevés calculés conformément au paragraphe 1, points a) et b). »

12.      L’article 53 de ce règlement, intitulé « Règles anticumul », est libellé comme suit, à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.      Par cumul de prestations de même nature, il y a lieu d’entendre tous les cumuls de prestations d’invalidité, de vieillesse et de survivant calculées ou servies sur la base des périodes d’assurance et/ou de résidence accomplies par une même personne.

2.      Les cumuls de prestations qui ne peuvent pas être considérés de même nature au sens du paragraphe 1 sont considérés comme des cumuls de prestations de nature différente. »

13.      Aux termes de l’article 54 dudit règlement, intitulé « Cumul de prestations de même nature » :

« 1.      Lorsque des prestations de même nature dues en vertu de la législation de deux ou plusieurs États membres se cumulent, les clauses anticumul prévues par la législation d’un État membre ne sont pas applicables à une prestation au prorata.

2.      Les clauses anticumul s’appliquent à une prestation autonome uniquement à la condition qu’il s’agisse :

a)      d’une prestation dont le montant est indépendant de la durée des périodes d’assurance ou de résidence,

ou

b)      d’une prestation dont le montant est déterminé en fonction d’une période fictive censée être accomplie entre la date de réalisation du risque et une date ultérieure, lorsqu’il y a cumul d’une telle prestation :

i)      soit avec une prestation du même type, sauf si un accord a été conclu entre deux ou plusieurs États membres pour éviter de prendre en considération la même période fictive plus d’une fois ;

ii)      soit avec une prestation du type visé au point a).

Les prestations et accords visés aux points a) et b) sont énumérés à l’annexe IX. »

14.      L’article 55 du même règlement, intitulé « Cumul de prestations de nature différente », énonce, à son paragraphe 1, sous a) :

« Si le bénéfice de prestations de nature différente ou d’autres revenus implique l’application des règles anticumul prévues par la législation des États membres concernés pour ce qui est de :

a)      deux ou plusieurs prestations autonomes, les institutions compétentes divisent les montants de la prestation ou des prestations ou des autres revenus, tels qu’ils ont été pris en compte, par le nombre de prestations soumises auxdites règles.

L’application du présent point ne peut toutefois avoir pour effet de priver l’intéressé de son statut de pensionné aux fins de l’application des autres chapitres du présent titre selon les modalités et procédures définies dans le règlement d’application. »

B.      Le droit belge

15.      Aux termes de l’article 20, premier et quatrième alinéas, de l’arrêté royal no 50 du 24 octobre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés (6), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« arrêté royal no 50 ») :

« La pension de survie ne peut être cumulée avec une pension de retraite ou avec tout autre avantage tenant lieu de pension de retraite que jusqu’à concurrence du montant déterminé par le Roi.

[...]

Le Roi détermine dans quelle mesure la pension de survie peut être réduite lorsque le conjoint survivant bénéficie d’une pension de survie ou de tout autre avantage en tenant lieu accordé en vertu d’un régime de pension de retraite et de survie d’un pays étranger ou en vertu d’un régime applicable au personnel d’une institution de droit international public. »

16.      L’article 52, paragraphe 1, de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime de pension de retraite et de survie des travailleurs salariés (7), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« arrêté royal du 21 décembre 1967 »), énonce :

« Lorsque le conjoint survivant peut prétendre, d’une part à une pension de survie en vertu du régime de pension des travailleurs salariés et, d’autre part à une ou plusieurs pensions de retraite ou à tout autre avantage en tenant lieu en vertu du régime de pension des travailleurs salariés ou d’un ou plusieurs autres régimes de pension, la pension de survie ne peut être cumulée avec lesdites pensions de retraite qu’à concurrence d’une somme égale à 110 % du montant de la pension de survie qui aurait été accordée au conjoint survivant pour une carrière complète.

[...]

Lorsque le conjoint visé à l’alinéa 1er peut également prétendre à une ou plusieurs pensions de survie ou à des avantages en tenant lieu au sens de l’article 10bis de l’[arrêté royal no 50], la pension de survie ne peut être supérieure à la différence entre, d’une part 110 % du montant de la pension de survie pour une carrière complète, et, d’autre part la somme des montants des pensions de retraite ou des avantages en tenant lieu visés à l’alinéa 1er, et d’un montant égal à la pension de survie de travailleur salarié pour une carrière complète, multiplié par la fraction ou la somme des fractions qui expriment l’importance des pensions de survie dans les autres régimes de pension à l’exclusion du régime des travailleurs indépendants. Ces fractions sont celles qui ont ou auraient été retenues pour l’application de l’article 10bis précité.

[...] »

17.      L’article 52bis de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 prévoit :

« Pour l’application de l’article 20, alinéas 3 et 4, de l’arrêté royal no 50 le montant de la pension de survie du conjoint survivant, octroyé en vertu de l’arrêté royal no 50 ou de la loi du 20 juillet 1990 (ou l’arrêté royal du 23 décembre 1996), est diminué du montant de la pension de survie ou de l’avantage en tenant lieu, octroyé en vertu d’un régime d’un pays étranger ou en vertu d’un régime applicable au personnel d’une institution de droit international public, à laquelle il ne peut pas être renoncé. »

18.      L’article 7, paragraphe 1, premier alinéa, de l’arrêté royal du 23 décembre 1996 portant exécution des articles 15, 16 et 17 de la loi du 26 juillet 1996 portant modernisation de la sécurité sociale et assurant la viabilité des régimes légaux des pensions (8), dans sa version applicable au litige au principal, dispose :

« Lorsque le conjoint est décédé avant la prise de cours de sa pension de retraite, la pension de survie est égale à 80 p. c. du montant de la pension de retraite, calculé au taux prévu à l’article 5, § 1er, alinéa 1er, a), du présent arrêté qui aurait été accordée au conjoint en application de cet arrêté. »

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

19.      La conjointe de HK est décédée le 29 novembre 2016.

20.      À la date du 1er décembre 2016, HK bénéficiait, à titre personnel, d’une pension de retraite belge d’un montant annuel de 11 962,55 euros et d’une pension de retraite espagnole d’un montant annuel de 8 276,28 euros. La conjointe de HK ayant travaillé et cotisé dans plusieurs États membres, à savoir en Belgique, en Espagne et en Finlande, HK percevait également, à la suite du décès de celle-ci, une pension de survie espagnole d’un montant annuel de 5 123,88 euros et une pension de survie finlandaise d’un montant annuel de 1 281,24 euros.

21.      S’agissant de la Belgique, le SFP a informé HK, par lettre du 3 janvier 2017, qu’il examinait son droit éventuel à une pension de survie belge. Le 22 décembre 2017, le SFP a indiqué à HK qu’il n’avait pas droit à une telle pension de survie au motif que le montant de ses pensions de retraite était trop élevé. Le 26 décembre 2017, HK a introduit auprès du SFP une réclamation contre cette décision de refus. Par la suite, HK et le SFP ont échangé des courriers relatifs aux modalités de prise en compte des différentes prestations de pension dont bénéficiait HK aux fins de déterminer si et dans quelle mesure il avait droit à une pension de survie belge.

22.      Par décision du 18 septembre 2019, le SFP a informé HK que, après avoir réexaminé sa situation, il avait droit à une pension de survie belge d’un montant annuel brut de 1 929,03 euros à partir du 1er décembre 2016. Le SFP a indiqué que les droits de HK à une pension de survie belge avaient été examinés d’office au motif que la République de Finlande appliquait des règles nationales anticumul. Le SFP a ajouté que, lors de la fixation de ce montant brut, il a été tenu compte du plafond de cumul dès lors que HK bénéficiait également d’une pension de retraite belge.

23.      Le 14 avril 2020, HK a introduit un recours devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles, la juridiction de renvoi, contre la décision du SFP du 18 septembre 2019, en faisant valoir que, en application de l’article 55 du règlement no 883/2004, il avait droit à une pension de survie belge d’un montant annuel brut de 6 339,01 euros.

24.      La juridiction de renvoi relève que la réglementation belge autorise, tout en le limitant, le cumul d’une pension de retraite et d’une pension de survie, sur le fondement de l’article 20, premier alinéa, de l’arrêté royal no 50, mis en application par l’article 52, paragraphe 1, premier alinéa, de l’arrêté royal du 21 décembre 1967. Par ailleurs, il résulterait de l’article 20, quatrième alinéa, de l’arrêté royal no 50, lu en combinaison avec l’article 52bis de l’arrêté royal du 21 décembre 1967, qu’un cumul entre une pension de survie de travailleur salarié belge et une ou plusieurs pensions de survie octroyées en vertu d’une législation étrangère n’est pas autorisé. En effet, selon cet article 52bis, le montant de la pension de survie de travailleur belge est diminué du montant de la ou des pensions de survie octroyées en vertu d’un régime étranger.

25.      Cependant, conformément à l’article 54 du règlement no 883/2004, en cas de cumul de prestations de même nature de plusieurs États membres, les clauses anticumul prévues par la réglementation nationale ne pourraient s’appliquer qu’à certaines prestations, lesquelles sont énumérées à l’annexe IX de ce règlement. Or, la pension de survie de travailleur salarié ne figurerait pas dans la liste des prestations mentionnées à cette annexe par le Royaume de Belgique. Partant, l’article 52bis de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 ne serait pas applicable dans l’affaire au principal. Sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, premier alinéa, de cet arrêté royal, le SFP aurait donc pris en considération les pensions de retraite belge et espagnole dont HK bénéficie personnellement.

26.      Selon la juridiction de renvoi, en l’occurrence, le cumul d’une pension de survie de travailleur salarié et de pensions de retraite, à savoir belge et étrangères, doit être considéré comme étant un cumul de prestations de nature différente, au sens de l’article 55 du règlement no 883/2004, dès lors que des prestations calculées sur la base des carrières professionnelles de deux personnes différentes ne sauraient être considérées comme étant des prestations de même nature.

27.      Cette juridiction ajoute que l’article 52 du règlement no 883/2004 distingue la « prestation indépendante » de la « prestation au prorata » et que l’intéressé a droit, de la part de l’institution compétente de chaque État membre concerné, aux montants les plus élevés calculés conformément au paragraphe 1, sous a) et b), de cet article. En l’occurrence, le SFP aurait calculé que, tant pour la pension de retraite que pour la pension de survie belges, la prestation indépendante était plus avantageuse pour HK que celle au prorata. Ladite juridiction indique que, selon son examen, HK n’aurait pas droit à une pension de survie dans le cadre du calcul de la prestation au prorata, au sens de l’article 52, paragraphe 1, sous b), de ce règlement.

28.      Selon la même juridiction, s’agissant du calcul de la prestation indépendante, HK a droit à une pension de survie uniquement par l’effet de l’application de l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004. En effet, un autre travailleur disposant d’une pension de retraite belge de travailleur salarié d’un montant équivalant à celui perçu par HK, soit un montant de 20 238,83 euros, n’aurait quant à lui perçu aucune pension de survie en Belgique. HK se trouverait donc dans une situation plus avantageuse en raison de l’application du droit de l’Union.

29.      Il ressort de la décision de renvoi que, quant à la pension de survie belge en cause, HK et le SFP aboutissent au même résultat en ce qui concerne les éléments suivants :

–        la pension de survie de HK s’élève à 7 638,46 euros, à savoir 80 % de la pension de retraite de travailleur salarié de la conjointe de HK, calculée sur la base d’un taux ménage ;

–        le plafond de cumul de cette pension est de 16 458,42 euros, à savoir 110 % de 14 962,20 euros (9), en application de l’article 52, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004, relatif à la prestation indépendante ;

–        le total des pensions de retraite à prendre en considération pour l’application de l’article 52 de l’arrêté royal du 21 décembre 1967, à savoir les pensions annuelles de retraite belge (11 962,55 euros) et espagnole (8 276,28 euros), s’élève à 20 238,83 euros.

30.      Il découle également de la décision de renvoi que les interprétations de HK et du SFP divergent quant au calcul du dépassement du plafond de cumul. Selon le SFP, pour déterminer ce dépassement, il convient d’additionner le montant de la pension de survie (7 638,46 euros) et le total des pensions de retraite (20 238,83 euros) puis de soustraire le plafond de cumul (16 458,42 euros), ce qui aboutit à la somme de 11 418,87 euros. La pension de survie diminuée se calculerait ainsi : le montant de la pension de survie (7 638,46 euros) moins le dépassement du plafond de cumul (11 418,87 euros), celui-ci étant divisé par deux (nombre de pensions de survie affectées par les règles anticumul, à savoir les pensions de survie belge et finlandaise, la pension de survie espagnole n’étant pas réduite), soit 5 709,43 euros, avec pour résultat que cette pension de survie s’élèverait annuellement à 7 638,46 euros moins 5 709,43 euros, soit 1 929,03 euros.

31.      HK procède à un calcul différent selon lequel, pour le calcul du dépassement du plafond de cumul, il y a lieu d’ajouter le montant de la pension de survie (7 638,46 euros) au total des pensions de retraite (20 238,83 euros), celui-ci étant divisé par deux, soit 10 119,41 euros, et de soustraire le plafond de cumul (16 458,42 euros), ce qui correspond à la somme de 1 299,45 euros. La pension de survie diminuée serait alors de 7 638,46 euros moins 1 299,45 euros, soit un montant annuel de 6 399,01 euros.

32.      La juridiction de renvoi relève que, selon le SFP, les institutions compétentes finlandaises auraient procédé au même calcul que lui en ce qui concerne la pension de survie finlandaise qui a été notifiée à HK le 10 novembre 2017. Cette juridiction indique que HK, quant à lui, se réfère aux indications figurant sur le site Internet de la Caisse nationale d’assurance vieillesse (France), organisme français de sécurité sociale qui gère la retraite de base des salariés du secteur privé, des travailleurs indépendants, des contractuels de droit public et des artistes-auteurs, et, en particulier, à la circulaire no 2010/54 du 21 mai 2010 (note technique no 3 : Pension de réversion) (10).

33.      La juridiction de renvoi ajoute que la règle prévue à l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004 ne figurait pas, en tant que telle, à l’article 46 quater du règlement no 1408/71, qui résulte du règlement no 1248/92, et que cet article 55, paragraphe 1, sous a), semble avoir procédé à une modification en ne visant plus les « montants qui ne seraient pas payés en cas d’application stricte des clauses de réduction, de suspension ou de suppression prévues par la législation des États membres concernés ».

34.      Dans ces conditions, le tribunal du travail francophone de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La règle prévue à l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement [no 883/2004], selon laquelle les institutions compétentes divisent les montants de la prestation ou des prestations ou des autres revenus, tels qu’ils ont été pris en compte, par le nombre de prestations soumises [aux règles anticumul], doit-elle être interprétée en ce sens qu’elle impose de diviser les revenus en tant que tels pris en compte pour l’application de la règle de non-cumul par le nombre de pensions de survie impactées par des règles anticumul ?

2)      La règle prévue à l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement [no 883/2004], selon laquelle les institutions compétentes divisent les montants de la prestation ou des prestations ou des autres revenus, tels qu’ils ont été pris en compte, par le nombre de prestations soumises [aux règles anticumul], doit-elle au contraire être interprétée en ce sens qu’elle impose de diviser, non pas les revenus en tant que tels pris en compte pour l’application de la règle de non-cumul, mais plutôt la part des revenus excédant un plafond de cumul, tel qu’il est par exemple prévu par la règle nationale en cause, par le nombre de pensions de survie impactées par des règles anticumul ? »

35.      Des observations écrites ont été présentées à la Cour par HK, les gouvernements belge et finlandais, ainsi que par la Commission européenne.

IV.    Analyse

36.      Par ses questions préjudicielles, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que, si le bénéfice de prestations de nature différente implique l’application de règles nationales anticumul en ce qui concerne des prestations autonomes, il s’oppose à une réglementation nationale selon laquelle les institutions compétentes, en vue de calculer le montant d’une pension de survie, divisent le montant des revenus excédant un plafond de cumul des différentes pensions considérées par le nombre des pensions de survie soumises à ces règles.

37.      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que HK perçoit des pensions de retraite belge et espagnole ainsi que, à la suite du décès de sa conjointe, des pensions de survie espagnole et finlandaise.

38.      S’agissant de l’attribution d’une pension de survie belge, la juridiction de renvoi indique que le Royaume de Belgique a instauré des règles anticumul. Selon la jurisprudence de la Cour, les clauses anticumul prévues par la législation d’un État membre sont, à moins qu’il n’en soit disposé autrement, opposables aux personnes bénéficiant d’une prestation à charge de cet État membre lorsqu’elles peuvent bénéficier d’autres prestations de sécurité sociale, et ce alors même que ces prestations sont acquises au titre de la législation d’un autre État membre (11). Ainsi, conformément à l’article 52, paragraphe 2, du règlement no 883/2004, l’institution nationale compétente applique, le cas échéant, l’ensemble des clauses de réduction, de suspension ou de suppression, prévues par la législation qu’elle applique, dans les limites prévues par les articles 53 à 55 de ce règlement.

39.      Comme le relève la juridiction de renvoi, la réglementation belge n’autorise pas le cumul d’une pension de survie de travailleur salarié belge avec une ou plusieurs pensions de survie octroyées en vertu d’une législation étrangère (12). Cependant, selon cette juridiction, conformément à l’article 54 du règlement no 883/2004, relatif au cumul de prestations de même nature, cette réglementation anticumul n’est pas applicable en l’espèce (13). Dans ces conditions, la présente affaire se rapporte aux modalités de calcul du montant de la pension de survie belge dont HK bénéficie.

40.      À cet égard, il résulte de la décision de renvoi que, dans le cadre de l’application des articles 53 à 55 du règlement no 883/2004, HK et le SFP procèdent à la même analyse quant au montant de la pension de survie belge de HK, au plafond de cumul de cette pension et au total des pensions de retraite à prendre en considération (14). En revanche, les interprétations de HK et du SFP diffèrent quant à l’étape suivante du calcul du montant de la pension de survie belge soumise aux règles nationales anticumul. Selon le SFP, il convient de diviser par deux (à savoir le nombre des pensions de survie concernées) le montant des revenus excédant un plafond de cumul des différentes pensions considérées tandis que HK soutient qu’il y a lieu de diviser par deux le total des pensions de retraite visées, ce qui aboutit à une pension de survie belge d’un montant plus élevé (15). Comme le relèvent HK et la Commission, l’interprétation suggérée par celui-ci est plus favorable non seulement dans son cas personnel mais également, de façon générale, pour tous les travailleurs ayant exercé leur droit à la libre circulation.

41.      La présente affaire soulève ainsi la question de l’interprétation de l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004. Aux termes de cette disposition, que la Cour n’a encore jamais examinée (16), « [s]i le bénéfice de prestations de nature différente ou d’autres revenus implique l’application des règles anticumul prévues par la législation des États membres concernés pour ce qui est de deux ou plusieurs prestations autonomes, les institutions compétentes divisent les montants de la prestation ou des prestations ou des autres revenus, tels qu’ils ont été pris en compte, par le nombre de prestations soumises auxdites règles ». Cette disposition prévoit ainsi un assouplissement des règles nationales anticumul (17).

42.      En l’occurrence, la pension de survie belge de HK est soumise à l’application de règles nationales anticumul, à savoir l’article 52 de l’arrêté royal du 21 décembre 1967.

43.      En outre, il n’est pas contesté que les pensions de retraite de HK, d’une part, et sa pension de survie belge, d’autre part, doivent être qualifiées de « prestations de nature différente », au sens de l’article 55 du règlement no 883/2004. En effet, conformément à l’article 53, paragraphe 1, de ce règlement, par cumul de « prestations de même nature », il y a lieu d’entendre tous les cumuls de prestations d’invalidité, de vieillesse et de survivant calculées ou servies sur la base des périodes d’assurance et/ou de résidence accomplies par « une même personne ». Dès lors, des prestations calculées ou servies sur la base des carrières de deux personnes différentes, à savoir ici HK et sa conjointe, ne sauraient être considérées comme étant des « prestations de même nature » (18). Or, en application du paragraphe 2 de cet article 53, les cumuls de prestations qui ne sont pas « de même nature » sont considérés comme des cumuls de « prestations de nature différente ».

44.      Par ailleurs, l’affaire au principal est relative à des « prestations autonomes », au sens de l’article 55 du règlement no 883/2004, dans la mesure où, en application de l’article 52 de ce règlement, le SFP a considéré que, tant pour la pension de retraite que pour la pension de survie belges de HK, la « prestation indépendante » (appelée également « prestation autonome ») était plus avantageuse pour lui que la prestation au prorata (19). En outre, l’article 52 de l’arrêté royal du 21 décembre 1967 prévoit l’application de règles anticumul pour ce qui est de deux ou plusieurs prestations autonomes.

45.      Partant, la présente affaire concerne, plus précisément, le sens à donner aux termes « les montants de la prestation ou des prestations ou des autres revenus tels qu’ils ont été pris en compte » (20), au sens de l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004. Ces termes sont équivalents dans différentes versions linguistiques de cette disposition, notamment en langues espagnole (« las cuantías de la prestación o prestaciones u otros ingresos, tal y como hayan sido computados »), allemande (« die Beträge der Leistung oder Leistungen oder sonstigen Einkünfte, die berücksichtigt worden sind »), grecque (« την ή τις παροχές ή τα άλλα εισοδήματα, όπως αυτές έχουν ληφθεί υπόψη »), anglaise (« the amounts of the benefit or benefits or other income, as they have been taken into account »), italienne (« gli importi della o delle prestazioni o di altri redditi, di cui si è tenuto conto »), polonaise (« kwoty świadczenia lub świadczeń lub innych dochodów, które zostały uwzględnione ») et suédoise (« förmånen eller förmånerna eller den andra inkomsten så som de har beaktatset ») (mise en italique par mes soins).

46.      Selon une jurisprudence constante, l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union requiert de tenir compte non seulement de ses termes, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que des objectifs et de la finalité que poursuit l’acte dont elle fait partie. La genèse d’une disposition du droit de l’Union peut également révéler des éléments pertinents pour son interprétation (21).

47.      En premier lieu, s’agissant du libellé de l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004, cette disposition se réfère à l’application des règles anticumul prévues par la « législation des États membres concernés » et aux « institutions compétentes ». Ainsi, ladite disposition, par l’incise « tels qu’ils ont été pris en compte », laisse aux États membres le pouvoir de déterminer comment « prendre en compte » les montants de la prestation ou des prestations ou des autres revenus à diviser. En d’autres termes, selon moi, la même disposition confère une marge d’appréciation aux États membres pour fixer les montants des revenus à considérer dans le cadre de l’application de leurs règles anticumul.

48.      À cet égard, HK fait valoir que la proposition subordonnée « tels qu’ils ont été pris en compte » renvoie à la proposition principale « les montants de la prestation ou des prestations ou des autres revenus », qui ont été déterminés par l’application des règles nationales anticumul et que, en l’occurrence, la prise en compte des montants par les institutions belges compétentes correspond à la sélection d’une ou de plusieurs pensions de retraite. En outre, l’absence, à l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004, de la mention explicite de la prise en compte du montant excédant un plafond de cumul des différentes pensions considérées signifierait que ce montant ne saurait être retenu et que, en outre, à la différence de cette disposition, le paragraphe 1, sous b), de cet article mentionne « tous les éléments prévus pour l’application des clauses anticumul » (22).

49.      Ces arguments ne me paraissent pas convaincants. En effet, d’une part, à mon sens, eu égard au libellé dudit article 55, paragraphe 1, sous a), la prise en compte des montants visés peut intervenir non pas seulement au stade de la sélection des pensions concernées mais également lors de l’établissement des modalités de calcul des montants retenus en vue de la division à opérer. D’autre part, cette disposition n’énonce pas non plus explicitement qu’il y a lieu de diviser le montant total des prestations concernées. Considérer que les termes « les montants tels qu’ils ont été pris en compte » impliquent nécessairement de se référer au montant total des prestations concernées reviendrait à priver de sens ou de raison d’être ces termes et supprimerait la marge d’appréciation que le législateur de l’Union a entendu conférer aux États membres.

50.      Dès lors, selon moi, le libellé de l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004 indique que les États membres disposent de la faculté, en application de leurs règles anticumul, de diviser le montant des revenus excédant un plafond de cumul des différentes pensions considérées. Ces États membres pourraient également, selon leur choix, décider que la division à opérer doit plutôt porter sur le montant total des prestations concernées.

51.      Cette interprétation est corroborée, en deuxième lieu, par le contexte dans lequel s’insère l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004.

52.      En effet, aux termes du considérant 29 de ce règlement, il convient de protéger les travailleurs migrants et leurs survivants contre une « application trop rigoureuse » des clauses nationales de réduction, de suspension ou de suppression. Par conséquent, ledit règlement a pour vocation non pas de supprimer les règles nationales anticumul mais uniquement d’en limiter les effets lorsque leur application est particulièrement défavorable aux travailleurs ayant exercé leur droit à la libre circulation. Or, à mon sens, il n’apparaît pas que la prise en compte, par un État membre, du montant excédant un plafond de cumul des différentes pensions considérées soit particulièrement défavorable pour les travailleurs concernés (23).

53.      Par ailleurs, le considérant 4 du même règlement énonce qu’il convient de respecter les caractéristiques propres aux législations nationales de sécurité sociale et d’élaborer uniquement un système de coordination. Il résulte également des considérants 30 et 31 du règlement no 883/2004 qu’il appartient au législateur national de mettre en œuvre des règles limitant le cumul de deux ou plusieurs pensions dont le droit a été acquis dans des États membres différents, le législateur de l’Union devant quant à lui déterminer uniquement les limites dans lesquelles peuvent s’appliquer ces règles.

54.      À la lumière de ces considérants, je partage la position du gouvernement finlandais selon laquelle l’article 55, paragraphe 1, sous a), de ce règlement ne procède pas à une harmonisation d’un mode particulier de calcul des pensions de survie ou de leur montant. Il revient aux autorités nationales compétentes de déterminer ces modalités dans le cadre de l’application de cette disposition. Un État membre peut ainsi choisir d’opérer une division du montant excédant un plafond de cumul des différentes pensions considérées. Autrement dit, le contexte de ladite disposition n’implique pas que les États membres doivent nécessairement retenir l’interprétation la plus favorable à la personne concernée quant au montant à diviser.

55.      Plus généralement, selon la jurisprudence de la Cour, le traité FUE ne garantit pas à un travailleur que l’extension de ses activités dans plus d’un État membre ou leur transfert dans un autre État membre soient neutres en matière de sécurité sociale. Compte tenu des disparités entre les législations de sécurité sociale des États membres, une telle extension ou un tel transfert peuvent, selon les cas, être plus ou moins avantageux ou désavantageux pour le travailleur sur le plan de la protection sociale. Il en découle que, même dans le cas où son application est ainsi moins favorable, une telle législation demeure conforme aux articles 45 et 48 TFUE si elle ne désavantage pas le travailleur concerné par rapport à ceux qui exercent la totalité de leurs activités dans l’État membre où elle s’applique ou par rapport à ceux qui y étaient déjà précédemment assujettis et si elle ne le conduit pas purement et simplement à verser des cotisations sociales à fonds perdus (24).

56.      En l’occurrence, s’agissant de l’affaire au principal, la juridiction de renvoi a relevé que HK a droit à une pension de survie belge uniquement en raison de l’application de l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004 (25). Dans ces conditions, le droit de l’Union, en tout état de cause, même dans le cas où cette disposition est appliquée en divisant le montant excédant un plafond de cumul des différentes pensions considérées, avantage le travailleur migrant (26).

57.      En troisième lieu, l’interprétation selon laquelle un État membre peut choisir de diviser le montant des revenus excédant un plafond de cumul des différentes pensions considérées est confortée par les objectifs poursuivis par le règlement no 883/2004. En effet, il résulte de la jurisprudence de la Cour que celui-ci vise, ainsi qu’il ressort de ses considérants 1 et 45 ainsi que de l’article 42 CE, devenu article 48 TFUE, à assurer la libre circulation des travailleurs dans l’Union européenne, tout en respectant les caractéristiques propres aux législations nationales de sécurité sociale, et à coordonner les systèmes nationaux de sécurité sociale des États membres afin de garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes et, ainsi, de contribuer à l’amélioration du niveau de vie et des conditions d’emploi des personnes qui se déplacent au sein de l’Union (27).

58.      À cet égard, toujours selon la jurisprudence de la Cour, le règlement no 883/2004 n’instaure pas un régime commun de sécurité sociale, mais laisse subsister des régimes nationaux distincts. Les États membres conservent leur compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale et, en l’absence d’une harmonisation au niveau de l’Union, il appartient à chaque État membre de déterminer dans sa législation, notamment, les conditions qui donnent droit à des prestations sociales, dans le respect du droit de l’Union (28). En outre, l’absence de régime commun de sécurité sociale implique qu’il faille, tout en ne pénalisant pas les travailleurs exerçant leur droit à la libre circulation, préserver l’intégrité financière des régimes de sécurité sociale des États membres (29). L’objectif des règles anticumul est ainsi d’éviter les cumuls non justifiés de prestations sociales (30).

59.      Partant, il résulte des objectifs du règlement no 883/2004 que les États membres sont compétents pour déterminer comment ils entendent prendre en compte les montants de la prestation ou des prestations ou des autres revenus dans le cadre de l’application de l’article 55, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, notamment en vue de préserver l’intégrité financière de leur régime de sécurité sociale. En ce sens, les États membres sont en droit de prendre des mesures visant à assurer à long terme l’équilibre de leur régime, afin de continuer à protéger l’ensemble des assurés sociaux.

60.      En l’occurrence, le gouvernement belge fait valoir que, selon la réglementation nationale sur les pensions des travailleurs applicable, à savoir l’article 52, paragraphe 1, de l’arrêté royal du 21 décembre 1967, en cas de cumul de pensions de retraite et de pensions de survie, les règles anticumul ne s’appliquent qu’au droit dérivé (la pension de survie) et non au droit personnel (la pension de retraite), caractéristique qui explique les modalités de calcul du montant d’une pension de survie qui ont été retenues. Selon moi, une telle approche relève de la compétence des États membres et il n’appartient pas au législateur de l’Union ni à la Cour d’imposer des modalités précises de calcul des montants à prendre en compte et qui s’appliqueraient à l’ensemble de ces États.

61.      En quatrième lieu, une telle interprétation est également étayée par la genèse de l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004. Comme la Cour l’a relevé, ce règlement a procédé à la modernisation et à la simplification des règles contenues dans le règlement no 1408/71, tout en conservant le même objectif que ce dernier (31). Or, en l’occurrence, l’article 46 quater du règlement no 1408/71, qui a précédé l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004, énonçait que si le bénéfice de prestations de nature différente ou d’autres revenus entraîne à la fois la réduction, la suspension ou la suppression de deux ou plusieurs prestations, les montants qui ne seraient pas payés en cas d’application stricte des clauses de réduction, de suspension ou de suppression prévues par la législation des États membres concernés sont divisés par le nombre de prestations sujettes à réduction, suspension ou suppression (32). Par conséquent, si le législateur de l’Union a choisi une autre rédaction de cet article 55, paragraphe 1, sous a), que celle proposée par la Commission (33), l’article 46 quater du règlement no 1408/71, sur le même principe, se référait également à des montants déterminés non pas par le législateur de l’Union mais par les États membres (34).

62.      Enfin, la juridiction de renvoi indique que, selon le SFP, les institutions compétentes finlandaises ont procédé exactement comme lui au sujet des modalités de calcul de la pension de survie finlandaise de HK (35). Ce dernier, de son côté, se réfère à une circulaire de la Caisse nationale d’assurance vieillesse française, qui suivrait la même interprétation que celle qu’il préconise (36). Cependant, je ne vois aucune contradiction dans cette différence d’approche. En effet, comme je l’ai précédemment indiqué, les États membres disposent du droit de déterminer les modalités de calcul du montant d’une pension de survie, pour autant qu’ils respectent le droit de l’Union. Or, en l’occurrence, l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004 permet de diviser soit le montant total des prestations concernées, soit le montant des revenus excédant un plafond de cumul des différentes pensions considérées. Les institutions compétentes des différents États membres peuvent ainsi à bon droit ne pas retenir les mêmes modalités de calcul.

63.      Eu égard à tout ce qui a été exposé dans les présentes conclusions, j’estime que l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004 doit être interprété en ce sens que, si le bénéfice de prestations de nature différente implique l’application de règles nationales anticumul en ce qui concerne des prestations autonomes, il ne s’oppose pas à une réglementation nationale selon laquelle les institutions compétentes, en vue de calculer le montant d’une pension de survie, divisent le montant des revenus excédant un plafond de cumul des différentes pensions considérées par le nombre des pensions de survie soumises à ces règles.

V.      Conclusion

64.      Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le tribunal du travail francophone de Bruxelles (Belgique) de la manière suivante :

L’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale,

doit être interprété en ce sens que :

si le bénéfice de prestations de nature différente implique l’application de règles nationales anticumul en ce qui concerne des prestations autonomes, il ne s’oppose pas à une réglementation nationale selon laquelle les institutions compétentes, en vue de calculer le montant d’une pension de survie, divisent le montant des revenus excédant un plafond de cumul des différentes pensions considérées par le nombre des pensions de survie soumises à ces règles.


1      Langue originale : le français.


2      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1).


3      Voir conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Commission/Malte (C‑12/14, EU:C:2015:755, point 1).


4      Règlement du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (JO 1971, L 149, p. 2).


5      Règlement du Conseil du 30 avril 1992 modifiant le règlement no 1408/71 (JO 1992, L 136, p. 7).


6      Moniteur belge du 27 octobre 1976, p. 11246.


7      Moniteur belge du 16 janvier 1968, p. 441.


8      Moniteur belge du 17 janvier 1997, p. 904.


9      La juridiction de renvoi indique que ce montant, qui concerne la pension de survie complète alternative, est obtenu en multipliant la somme de 7 481,10 euros (somme des montants de pension pour les années d’occupation habituelle et en ordre principal) par 44/22 (fraction de carrière inversée des années d’occupation habituelle et en ordre principal uniquement).


10      Ce document est consultable (en langue française) à l’adresse suivante : https://www.legislation.cnav.fr/Pages/texte.aspx?Nom=circulaire_cnav_2010_54_21052010_note3.


11      Voir, par analogie, arrêt du 15 mars 2018, Blanco Marqués (C‑431/16, EU:C:2018:189, point 63 et jurisprudence citée).


12      Voir point 25 des présentes conclusions.


13      Voir point 26 des présentes conclusions.


14      Voir point 29 des présentes conclusions.


15      Voir points 30 et 31 des présentes conclusions.


16      Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 mars 2018, Blanco Marqués (C‑431/16, EU:C:2018:189), la juridiction de renvoi a fait référence, dans ses première et sixième questions préjudicielles, à l’article 55 du règlement no 883/2004. Cependant, la Cour ne s’est pas prononcée sur le fond s’agissant de cet article.


17      Comme l’a relevé un auteur mentionné par la juridiction de renvoi, « [c]ette disposition vise à remédier aux conséquences négatives pour le bénéficiaire d’une application conjointe des règles anticumul prévues par la législation de deux ou plusieurs États membres. Ainsi, si plusieurs prestations autonomes doivent être simultanément réduites par application de telles règles, le montant sur lequel porte la réduction, la suspension ou la suppression doit être divisé par le nombre de prestations sujettes à réduction, suspension ou suppression ». Voir Robert, F., « Le régime juridique des pensions de retraite après une carrière dans plusieurs États membres », Journal de droit européen, no 223, 2015, p. 354 à 360, en particulier p. 359.


18      Voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2013, van den Booren (C‑127/11, EU:C:2013:140, points 32 et 33).


19      Voir point 28 des présentes conclusions.


20      Mise en italique par mes soins.


21      Arrêt du 16 mars 2023, Towercast (C‑449/21, EU:C:2023:207, point 31 et jurisprudence citée).


22      Aux termes de l’article 55, paragraphe 1, sous b), du règlement no 883/2004, « [s]i le bénéfice de prestations de nature différente ou d’autres revenus implique l’application des règles anticumul prévues par la législation des États membres concernés pour ce qui est [d’une] ou plusieurs prestations au prorata, les institutions compétentes prennent en compte la prestation ou les prestations ou les autres revenus et tous les éléments prévus pour l’application des clauses anticumul en fonction du rapport entre les périodes d’assurance et/ou de résidence, établi pour le calcul visé à l’article 52, paragraphe 1, point b) ii) ».


23      Ainsi, au regard de l’article 55, paragraphe 1, sous a), second alinéa, du règlement no 883/2004, l’intéressé n’est pas privé de son statut de pensionné aux fins de l’application des autres dispositions pertinentes de ce règlement.


24      Voir arrêt du 25 novembre 2021, Finanzamt Österreich (Allocations familiales pour coopérant) (C‑372/20, EU:C:2021:962, point 80 et jurisprudence citée).


25      Voir point 28 des présentes conclusions.


26      À cet égard, la Cour a relevé, d’une part, que si l’application de la réglementation de l’Union a pour résultat d’avantager le travailleur migrant par rapport à celui qui ne l’est pas, elle ne présente pas, pour autant, un caractère discriminatoire, car les travailleurs migrants ne sont pas dans une situation comparable à celle des travailleurs qui n’ont jamais quitté leur pays et, d’autre part, que les éventuelles divergences existant au bénéfice des travailleurs migrants sont le fait, non de l’interprétation du droit de l’Union, mais du manque d’un régime commun de sécurité sociale, ou du défaut d’harmonisation des régimes nationaux existants, que ne peut pallier la simple coordination actuellement en vigueur (voir arrêt du 22 avril 1993, Levatino, C‑65/92, EU:C:1993:149, point 49 et jurisprudence citée).


27      Arrêt du 3 juin 2021, TEAM POWER EUROPE (C‑784/19, EU:C:2021:427, point 58 et jurisprudence citée).


28      Voir, en ce sens, arrêt du 15 septembre 2022, Rechtsanwaltskammer Wien (C‑58/21, EU:C:2022:691, point 61 et jurisprudence citée).


29      Voir, en ce sens, arrêt du 21 octobre 2021, Zakład Ubezpieczeń Społecznych I Oddział w Warszawie (C‑866/19, EU:C:2021:865, point 41 et jurisprudence citée).


30      Voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2014, Wiering (C‑347/12, EU:C:2014:300, point 55 et jurisprudence citée).


31      Voir arrêt du 30 septembre 2021, Raad van bestuur van het Uitvoeringsinstituut werknemersverzekeringen (Uwv) (C‑285/20, EU:C:2021:785, point 42 et jurisprudence citée).


32      Comme l’a souligné un auteur cité par la juridiction de renvoi, s’agissant des pensions de vieillesse et de survie, la seule modification de fond entre les règlements nos 1408/71 et 883/2004 porte sur une des règles de limitation de la portée des règles nationales anticumul, à savoir que ce n’est plus le montant de prestation qui ne serait pas servi qui est divisé, mais les prestations ou les revenus pris en compte pour l’application de la règle de non-cumul. Voir Morsa, M., « La coordination des systèmes de sécurité sociale : règlements (CE) 883/2004 et 987/2009 versus règlements no 1408/71 et 574/72 : ce qui a changé au 1er mai 2010 », Journal des tribunaux du travail, no 1096, 2011, p. 181 à 192, en particulier p. 191.


33      Voir proposition de règlement (CE) du Conseil modifiant le règlement (CEE) no 1408/71 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté et le règlement (CEE) no 574/72 fixant les modalités d’application du règlement (CEE) no 1408/71 [COM(98) 547 final] (JO 1998, C 325, p. 12). Dans ses observations écrites, la Commission souligne que l’article 37 de sa proposition de règlement était libellé d’une façon analogue à l’article 46 quater du règlement no 1408/71 et que la rédaction de l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004 est le résultat des négociations pendant la procédure législative.


34      Je note que certains auteurs suivent, en substance, une autre interprétation selon laquelle, dans le cadre de l’application de l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004, ce sont désormais les montants des pensions à agréger, et non plus les sommes réduites, qui sont divisés. Voir, notamment, Verschueren, H., « Regulation 883/2004 and Invalidity and Old-Age Pensions », European Journal of Social Security, vol. 11, 2009, nos 1 et 2, p. 143 à 162, en particulier p. 159 ; Schuler, R., dans Fuchs, M., et Cornelissen, R., EU Social Security Law, A Commentary on EU Regulations 883/2004 and 987/2009, Beck, C.H. – Hart Publishing – Nomos, 2015, p. 359 à 362, en particulier p. 361, ainsi que Lhernould, J.-P., « Protection sociale et droit de l’Union européenne – Prestations servies dans le cadre des règlements de coordination (CE) no 883/2004 et (CE) no 987/2009 », JurisClasseur Europe, fasc. 618, 2023, point 53.


35      Dans ses observations écrites, HK conteste cette affirmation du SFP en soulignant que les autorités finlandaises n’ont pas appliqué l’article 55, paragraphe 1, sous a), du règlement no 883/2004 lorsqu’elles lui ont octroyé une pension de survie.


36      Voir point 32 des présentes conclusions.

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