RegioJet (Competition - Abuse of a dominant position - Rules governing actions for damages under national law for infringements of the competition law provisions of the Member States and of the European Union - Judgment) French Text [2023] EUECJ C-57/21 (12 January 2023)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2023/C5721.html
Cite as: [2023] EUECJ C-57/21, EU:C:2023:6, ECLI:EU:C:2023:6

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ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

12 janvier 2023 (*)

« Renvoi préjudiciel – Concurrence – Abus de position dominante – Règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne – Directive 2014/104/UE – Articles 5 et 6 – Production de preuves – Preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence – Procédure pendante devant la Commission européenne relative à une infraction aux règles de concurrence – Procédure nationale relative à une action en réparation visant la même infraction – Conditions relatives à la production des preuves »

Dans l’affaire C‑57/21,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque), par décision du 16 décembre 2020, parvenue à la Cour le 1er février 2021, dans la procédure

RegioJet a.s.

contre

České dráhy a.s.,

en présence de :

Česká republika, Ministerstvo dopravy,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, Mme M. L. Arastey Sahún, MM. F. Biltgen, N. Wahl (rapporteur) et J. Passer, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme M. Ferreira, administratrice principale,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 3 février 2022,

considérant les observations présentées :

–        pour RegioJet a.s., par Me O. Doležal, advokát,

–        pour České dráhy a.s., par Mes J. Kindl, S. Mikeš et K. Muzikář, advokáti,

–        pour le gouvernement hellénique, par M. K. Boskovits, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Me F. Sclafani, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par Mmes B. Ernst, P. Němečková et C. Zois, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 5 mai 2022,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5, paragraphes 1 et 4, de l’article 6, paragraphe 5, sous a), ainsi que de l’article 6, paragraphes 7 et 9, de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne (JO 2014, L 349, p. 1).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant RegioJet a.s. à České dráhy a.s. au sujet de la demande de production de preuves introduite par RegioJet dans le contexte d’une action en réparation du préjudice prétendument subi par cette société du fait des agissements anticoncurrentiels de České dráhy.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 Le règlement (CE) no 1/2003

3        Aux termes des considérants 7 et 21 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1) :

« (7)      Les juridictions nationales remplissent une fonction essentielle dans l’application des règles [de l’Union] de concurrence. Elles préservent les droits subjectifs prévus par le droit [de l’Union] lorsqu’elles statuent sur des litiges entre particuliers, notamment en octroyant des dommages et intérêts aux victimes des infractions. Le rôle des juridictions nationales est, à cet égard, complémentaire de celui des autorités de concurrence des États membres. Il convient dès lors de leur permettre d’appliquer pleinement les articles [101] et [102 TFUE].

[...]

(21)      L’application cohérente des règles de concurrence requiert également la mise en place de mécanismes de coopération entre les juridictions des États membres et la Commission [européenne]. Cela vaut pour toutes les juridictions des États membres qui appliquent les articles [101] et [102 TFUE], qu’elles le fassent dans le cadre de litiges entre particuliers, en tant qu’autorités agissant dans l’intérêt public ou comme instances de recours. En particulier, les juridictions nationales doivent pouvoir s’adresser à la Commission pour obtenir des informations ou des avis au sujet de l’application du droit [de l’Union] de la concurrence. [...] »

4        L’article 2 de ce règlement, intitulé « Charge de la preuve », dispose :

« Dans toutes les procédures nationales et [de l’Union] d’application des articles [101 et 102 TFUE], la charge de la preuve d’une violation de l’article [101], paragraphe 1, ou de l’article [102 TFUE] incombe à la partie ou à l’autorité qui l’allègue. [...] »

5        L’article 5 dudit règlement est ainsi libellé :

« Les autorités de concurrence des États membres sont compétentes pour appliquer les articles [101 et 102 TFUE] dans des cas individuels. À cette fin, elles peuvent, agissant d’office ou saisies d’une plainte, adopter les décisions suivantes :

–        ordonner la cessation d’une infraction,

–        ordonner des mesures provisoires,

–        accepter des engagements,

–        infliger des amendes, astreintes ou toute autre sanction prévue par leur droit national.

Lorsqu’elles considèrent, sur la base des informations dont elles disposent, que les conditions d’une interdiction ne sont pas réunies, elles peuvent également décider qu’il n’y a pas lieu pour elles d’intervenir. »

6        Le chapitre III du même règlement concerne les décisions que la Commission adopte en application des articles 101 et 102 TFUE. Ces décisions peuvent consister en la constatation et la cessation d’une infraction (article 7), en l’adoption de mesures provisoires (article 8), en des décisions rendant des engagements obligatoires (article 9) et, enfin, en la constatation d’inapplication des articles 101 et 102 TFUE (article 10).

7        L’article 11 du règlement no 1/2003, intitulé « Coopération entre la Commission et les autorités de concurrence des États membres », prévoit, à ses paragraphes 1 et 6 :

« 1.      La Commission et les autorités de concurrence des États membres appliquent les règles [de l’Union] de concurrence en étroite collaboration.

[...]

6.      L’ouverture par la Commission d’une procédure en vue de l’adoption d’une décision en application du chapitre III dessaisit les autorités de concurrence des États membres de leur compétence pour appliquer les articles [101] et [102 TFUE]. Si une autorité de concurrence d’un État membre traite déjà une affaire, la Commission n’intente la procédure qu’après avoir consulté cette autorité nationale de concurrence. »

8        L’article 16 de ce règlement, intitulé « Application uniforme du droit [de l’Union] de la concurrence », dispose :

« 1.      Lorsque les juridictions nationales statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article [101] ou [102 TFUE] qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission. Elles doivent également éviter de prendre des décisions qui iraient à l’encontre de la décision envisagée dans une procédure intentée par la Commission. À cette fin, la juridiction nationale peut évaluer s’il est nécessaire de suspendre sa procédure. Cette obligation est sans préjudice des droits et obligations découlant de l’article [267 TFUE].

2.      Lorsque les autorités de concurrence des États membres statuent sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant de l’article [101] ou [102 TFUE] qui font déjà l’objet d’une décision de la Commission, elles ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission. »

 Le règlement (CE) no 773/2004

9        L’article 2, paragraphe 1, du règlement (CE) no 773/2004  de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), tel que modifié par le règlement (CE) no 622/2008 de la Commission, du 30 juin 2008 (JO 2008, L 171, p. 3), prévoit :

« La Commission peut décider d’ouvrir la procédure en vue d’adopter une décision en application du chapitre III du règlement (CE) n1/2003 à tout moment, mais au plus tard à la date à laquelle elle rend une évaluation préliminaire au sens de l’article 9, paragraphe 1, dudit règlement, émet une communication des griefs ou adresse aux parties une demande de manifestation d’intérêt à prendre part à des discussions en vue de parvenir à une transaction, ou bien à la date de publication d’une communication en application de l’article 27, paragraphe 4, dudit règlement, selon celle de ces dates qui vient en premier. »

 La directive 2014/104

10      Aux termes des considérants 6, 15, 21, 23 et 25 à 28 de la directive 2014/104 :

« (6)      Pour garantir des actions de mise en œuvre effective sur l’initiative de la sphère privée en vertu du droit civil et une mise en œuvre effective par la sphère publique à travers les autorités de concurrence, il est nécessaire que ces deux outils interagissent afin d’assurer une efficacité maximale des règles de concurrence. Il est nécessaire de régler la coordination de ces deux formes de mise en œuvre de façon cohérente, par exemple en ce qui concerne les modalités d’accès aux documents en possession des autorités de concurrence. [...]

[...]

(15)      Les preuves constituent un élément important lorsqu’il s’agit d’engager une action en dommages et intérêts pour infraction au droit national de la concurrence ou à celui de l’Union. Cependant, les litiges ayant trait au droit de la concurrence se caractérisant par une asymétrie de l’information, il y a lieu de veiller à ce que les demandeurs disposent du droit d’obtenir la production des preuves qui se rapportent à leur demande, sans avoir à désigner des éléments de preuve précis. Afin de garantir l’égalité des armes entre les parties à une action en dommages et intérêts, ces moyens devraient aussi être accessibles aux défendeurs dans les actions en dommages et intérêts, de sorte qu’ils puissent demander aux demandeurs de produire des preuves. Les juridictions nationales devraient également pouvoir ordonner la production d’éléments de preuve par des tiers, y compris des autorités publiques. Lorsqu’une juridiction nationale souhaite enjoindre à la Commission de produire des preuves, le principe, figurant à l’article 4, paragraphe 3, du traité [UE], de coopération loyale entre l’Union et les États membres et l’article 15, paragraphe 1, du règlement [...] no 1/2003 en ce qui concerne les demandes d’informations s’appliquent. Lorsque les juridictions nationales ordonnent aux autorités publiques de produire des preuves, les principes de la coopération juridique et administrative en vertu du droit de l’Union ou du droit national s’appliquent.

[...]

(21)      L’application effective et cohérente des articles 101 et 102 [TFUE] par la Commission et les autorités nationales de concurrence nécessite une approche commune au sein de l’Union en ce qui concerne la production de preuves contenues dans le dossier d’une autorité de concurrence. La production des preuves ne devrait pas entraver indûment la mise en œuvre effective du droit de la concurrence par une autorité de concurrence. [...]

[...]

(23)      L’exigence de proportionnalité devrait faire l’objet d’une évaluation attentive lorsque la production de documents risque de mettre à mal la stratégie d’enquête d’une autorité de concurrence en révélant les documents qui font partie de son dossier ou risque de nuire à la manière dont les entreprises coopèrent avec les autorités de concurrence. Il convient de veiller en particulier à prévenir la “pêche aux informations”, c’est-à-dire les demandes non spécifiques ou trop vastes d’informations qui sont peu susceptibles d’être pertinentes pour les parties à la procédure. Les demandes de production de documents ne devraient dès lors pas être considérées comme proportionnées lorsqu’elles font référence à une production générale des documents figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence concernant une affaire donnée, ou à une production générale des documents soumis par une partie dans le cadre d’une affaire donnée. De telles demandes visant à obtenir une production aussi large ne seraient pas compatibles avec l’obligation faite à la partie demanderesse de mentionner les éléments de preuve ou les catégories de preuves de manière aussi précise et étroite que possible.

[...]

(25)      Il convient de prévoir une dérogation en ce qui concerne toute production de documents qui, si elle était accordée, aurait pour effet d’empiéter indûment sur une enquête en cours menée par une autorité de concurrence au sujet d’une infraction au droit de la concurrence de l’Union ou au droit national de la concurrence. En conséquence, les informations préparées par une autorité de concurrence au cours de la procédure engagée en vue de l’application du droit de la concurrence de l’Union ou du droit national de la concurrence et adressées aux parties à cette procédure (par exemple, une “communication des griefs”) ou préparées par une partie à celle-ci (par exemple, une réponse à une demande d’informations de l’autorité de concurrence ou des déclarations de témoins) ne devraient pouvoir être divulguées dans le cadre d’une action en dommages et intérêts qu’une fois que l’autorité de concurrence a clos sa procédure, en adoptant par exemple une décision au titre de l’article 5 ou du chapitre III du règlement [...] no 1/2003, à l’exception des décisions portant sur des mesures provisoires.

(26)      Les programmes de clémence et les procédures de transaction sont des outils importants pour la mise en œuvre du droit de la concurrence de l’Union par la sphère publique, étant donné qu’ils permettent de détecter les infractions les plus graves au droit de la concurrence, de les poursuivre efficacement et de les sanctionner. [...] Afin que les entreprises continuent d’être disposées à présenter spontanément aux autorités de concurrence des déclarations en vue d’obtenir la clémence ou des propositions de transaction, ces documents devraient être exemptés de la production des preuves. [...]

(27)      Les règles de la présente directive relatives à la production de documents autres que les déclarations effectuées en vue d’obtenir la clémence et les propositions de transaction garantissent que les parties lésées disposent de suffisamment d’alternatives pour avoir accès aux preuves pertinentes nécessaires pour préparer leurs actions en dommages et intérêts. Les juridictions nationales devraient pouvoir, sur requête d’un demandeur, avoir elles-mêmes accès à des documents à l’égard desquels l’exemption est invoquée afin de vérifier si le contenu de ceux-ci sort du cadre des définitions des déclarations effectuées en vue d’obtenir la clémence et des propositions de transaction établies par la présente directive. Tout contenu sortant du cadre de ces définitions devrait pouvoir être divulgué dans le respect des conditions pertinentes.

(28)      Les juridictions nationales devraient pouvoir ordonner à tout moment, dans le cadre d’une action en dommages et intérêts, la production des preuves existant indépendamment de la procédure engagée par une autorité de concurrence (ci-après dénommées “informations préexistantes”). »

11      Selon l’article 2, point 17, de la directive 2014/104, on entend par « informations préexistantes », toute preuve qui existe indépendamment de la procédure engagée par une autorité de concurrence, qu’elle figure ou non dans le dossier d’une autorité de concurrence.

12      L’article 5, intitulé « Production de preuves », de cette directive dispose :

« 1.      Les États membres veillent à ce que, dans les procédures relatives aux actions en dommages et intérêts intentées dans l’Union à la requête d’un demandeur qui a présenté une justification motivée contenant des données factuelles et des preuves raisonnablement disponibles suffisantes pour étayer la plausibilité de sa demande de dommages et intérêts, les juridictions nationales soient en mesure d’enjoindre au défendeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes qui se trouvent en leur possession, sous réserve des conditions énoncées au présent chapitre. Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales puissent, à la demande du défendeur, enjoindre au demandeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes.

[...]

2.      Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales puissent ordonner la production de certains éléments de preuves ou de catégories pertinentes de preuves, circonscrites de manière aussi précise et étroite que possible, sur la base de données factuelles raisonnablement disponibles dans la justification motivée.

3.      Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales limitent la production des preuves à ce qui est proportionné. Lorsqu’elles déterminent si une demande de production de preuves soumise par une partie est proportionnée, les juridictions nationales tiennent compte des intérêts légitimes de l’ensemble des parties et tiers concernés. En particulier, elles prennent en considération :

a)      la mesure dans laquelle la demande ou la défense sont étayées par des données factuelles et des preuves disponibles justifiant la demande de production de preuves ;

b)      l’étendue et le coût de la production de preuves, en particulier pour les éventuels tiers concernés, y compris afin d’éviter toute recherche non spécifique d’informations dont il est peu probable qu’elles soient pertinentes pour les parties à la procédure ;

c)      la possibilité que les preuves dont on demande la production contiennent des informations confidentielles, en particulier concernant d’éventuels tiers, et les modalités existantes de protection de ces informations confidentielles.

4.      Les États membres veillent à ce que les juridictions nationales soient habilitées à ordonner la production de preuves contenant des informations confidentielles lorsqu’elles le jugent utile dans le cadre de l’action en dommages et intérêts. Lorsque la production de telles informations est ordonnée, les États membres veillent à ce que les juridictions nationales disposent de mesures efficaces de protection de ces informations.

5.      L’intérêt qu’ont les entreprises à éviter des actions en dommages et intérêts à la suite d’infractions au droit de la concurrence n’est pas de nature à justifier une protection.

[...] 

8.      Sans préjudice des paragraphes 4 et 7 et de l’article 6, le présent article ne fait pas obstacle au maintien ni à l’introduction, par les États membres, de règles qui conduiraient à une production plus large de preuves. »

13      L’article 6 de ladite directive, intitulé « Production de preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence », énonce :

« 1.      Les États membres veillent à ce que, pour les besoins d’une action en dommages et intérêts, lorsque les juridictions nationales ordonnent la production de preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence, le présent article s’applique en sus de l’article 5.

[...]

4.      Lorsqu’elles évaluent, conformément à l’article 5, paragraphe 3, la proportionnalité d’une injonction de production d’informations, les juridictions nationales tiennent, en outre, compte des éléments suivants :

a)      la question de savoir si la demande a été formulée de façon spécifique quant à la nature, à l’objet ou au contenu des documents soumis à une autorité de concurrence ou détenus dans le dossier de celle-ci, ou s’il s’agit d’une demande non spécifique concernant des documents soumis à une autorité de concurrence ;

b)      la question de savoir si la partie qui demande la production d’informations le fait dans le cadre d’une action en dommages et intérêts introduite devant une juridiction nationale ; et

c)      pour ce qui concerne les paragraphes 5 et 10, ou à la demande d’une autorité de concurrence en application du paragraphe 11, la nécessité de préserver l’efficacité de la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère publique.

5.      Les juridictions nationales ne peuvent ordonner la production de preuves relevant des catégories suivantes qu’une fois qu’une autorité de concurrence a, en adoptant une décision ou d’une autre manière, clos sa procédure :

a)      les informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence ;

b)      les informations établies par l’autorité de concurrence et envoyées aux parties au cours de sa procédure ; et

c)      les propositions de transaction qui ont été retirées.

6.      Les États membres veillent à ce que, pour les besoins d’une action en dommages et intérêts, les juridictions nationales ne puissent à aucun moment enjoindre à une partie ou à un tiers de produire les preuves relevant des catégories suivantes :

a)      les déclarations effectuées en vue d’obtenir la clémence ; et

b)      les propositions de transaction.

7.      Un demandeur peut présenter une demande motivée visant à ce qu’une juridiction nationale accède aux éléments de preuve visés au paragraphe 6, [sous] a) ou b), aux seules fins de s’assurer que leur contenu correspond aux définitions données à l’article 2, points 16) et 18). Lors de cette évaluation, les juridictions nationales ne peuvent demander l’aide que de l’autorité de concurrence compétente. Les auteurs des éléments de preuve en question peuvent également être entendus. La juridiction nationale ne peut en aucun cas autoriser l’accès à ces éléments de preuve à d’autres parties ou à des tiers.

8.      Si seules des parties de preuves demandées sont couvertes par le paragraphe 6, les autres parties de celles-ci sont, en fonction de la catégorie dont elles relèvent, produites conformément aux paragraphes pertinents du présent article.

9.      La production de preuves provenant du dossier d’une autorité de concurrence, qui ne relèvent d’aucune des catégories énumérées au présent article, peut être ordonnée à tout moment dans le cadre d’une action en dommages et intérêts, sans préjudice du présent article.

[...]

11.      Dans la mesure où une autorité de concurrence souhaite donner son avis sur la proportionnalité de demandes de production de preuves, elle peut, de sa propre initiative, présenter ses observations à la juridiction nationale devant laquelle la production de preuves est demandée. »

14      L’article 22 de la directive 2014/104, intitulé « Application temporelle », dispose :

« 1.      Les États membres veillent à ce que les dispositions nationales adoptées en application de l’article 21 afin de se conformer aux dispositions substantielles de la présente directive ne s’appliquent pas rétroactivement.

2.      Les États membres veillent à ce qu’aucune disposition nationale adoptée en application de l’article 21, autre que celles visées au paragraphe 1, ne s’applique aux actions en dommages et intérêts dont une juridiction nationale a été saisie avant le 26 décembre 2014. »

 Le droit tchèque

 La loi no 143/2001

15      Le zákon č. 143/2001 Sb. o ochraně hospodářské soutěže (loi no 143/2001 relative à la protection de la concurrence), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi no 143/2001), prévoit, à son article 1er, paragraphe 1, qu’il « organise la protection de la concurrence sur le marché des produits et des services [...] contre toute pratique empêchant, restreignant, faussant ou menaçant la concurrence ».

16      L’article 21ca, paragraphe 2, de la loi no 143/2001 dispose, en substance, que les documents et les informations préparés et déposés aux fins d’une procédure administrative pendante devant l’autorité nationale de concurrence ne peuvent être produits aux autorités publiques qu’après la clôture de l’enquête ou après la décision définitive de l’autorité nationale de concurrence sur la clôture de la procédure administrative.

 La loi no 262/2017

17      Le zákon č. 262/2017  Sb. o náhradě škody v oblasti hospodářské soutěže (loi no 262/2017 relative aux dommages et intérêts dans le domaine de la concurrence, ci-après la « loi no 262/2017 »), vise à transposer la directive 2014/104 dans l’ordre juridique tchèque.

18      L’article 2, paragraphe 2, sous c), de cette loi énonce que constituent des informations confidentielles protégées par une obligation de confidentialité, notamment, « les documents justificatifs et les informations qui ont été fournis expressément aux fins de la procédure administrative ou de l’exercice de la surveillance par l’autorité [nationale] de concurrence ».

19      Il ressort, en substance, de l’article 10, paragraphe 1, de ladite loi que, avant l’ouverture d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts pour un dommage causé par une restriction de concurrence, le président de la chambre enjoint, à la demande de la partie ayant introduit cette action, qui atteste, avec une certitude correspondant aux éléments de fait disponibles, la plausibilité de son droit à la réparation du dommage causé par la restriction de concurrence, lorsque cela s’avère nécessaire et proportionné à l’exercice du droit à la réparation du dommage du demandeur, la production de certains documents permettant d’enquêter sur la situation, aux personnes les ayant en leur possession.

20      L’article 15, paragraphe 4, de la même loi dispose qu’« [i]l ne peut être imposé l’obligation de produire des informations confidentielles visées à l’article 2, paragraphe 2, sous c), au plus tôt qu’après que soit devenue définitive la décision de l’autorité de concurrence concernant la clôture de la procédure administrative ».

21      L’article 16, paragraphe 1, sous c), de la loi no 262/2017 prévoit, en substance, que, en cas de demande d’accès aux documents contenant des informations confidentielles et figurant dans le dossier de l’autorité nationale de concurrence, le président de la chambre examine si leur production ne compromettrait pas l’application efficace de la réglementation en matière de concurrence. Il ressort du paragraphe 3 de cet article que les documents contenant des informations confidentielles ne peuvent être produits qu’après la clôture de l’enquête ou après la décision définitive de l’autorité nationale de concurrence sur la clôture de la procédure administrative.

22      En vertu de l’article 18, paragraphe 1, de cette loi, le président de la chambre peut, dans les conditions prévues aux articles 10 et 16 de ladite loi, enjoindre la production des preuves également après l’ouverture de la procédure au fond.

23      L’article 27, paragraphe 1, de la même loi prévoit que, dans le cadre d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts, le juge est lié par la décision d’une autre juridiction, de l’Úřad pro ochranu hospodářské soutěže (bureau de protection de la concurrence, ci-après l’« ÚOHS »), et de la Commission relative à l’existence d’une restriction de concurrence et à l’identité de son auteur.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

24      Le 25 janvier 2012, l’ÚOHS a ouvert d’office une procédure administrative portant sur un possible abus de position dominante commis par České dráhy, transporteur ferroviaire national détenu par l’État tchèque.

25      Au cours de l’année 2015, RegioJet, entreprise qui offre, notamment, des services de transport ferroviaire de personnes sur la liaison Prague‑Ostrava (République tchèque), a introduit une action en dommages et intérêts contre České dráhy devant le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague, République tchèque), tendant à la réparation d’un dommage qui trouverait son origine dans les agissements de cette société prétendus contraires aux règles de la concurrence.

26      Le 10 novembre 2016, la Commission a décidé d’ouvrir une procédure d’enquête formelle, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 773/2004, afin d’apprécier l’existence de prix prédateurs prétendument pratiqués par České dráhy à l’occasion de la prestation de services de transport ferroviaire de personnes en République tchèque et, en particulier, sur la ligne Prague-Ostrava (affaire no AT.40156 – Czech Rail).

27      Le 14 novembre 2016, l’ÚOHS a suspendu la procédure administrative, sans toutefois la clore formellement, au motif que la Commission avait elle-même ouvert une procédure qui, du point de vue matériel, visait les mêmes agissements que ceux faisant l’objet de la procédure administrative.

28      Le 11 octobre 2017, RegioJet a, dans le cadre de son action en dommages et intérêts, déposé une demande de production de documents en vertu des dispositions de la loi no 262/2017. RegioJet a, notamment, demandé la production de documents dont elle supposait qu’ils étaient en possession de České dráhy, en particulier des relevés ventilés par postes et des relevés sur le transport public ferroviaire ainsi que la comptabilité du segment commercial de cette dernière société.

29      En se fondant sur l’article 21ca, paragraphe 2, de la loi no 143/2001, l’ÚOHS a indiqué que les documents demandés dont il disposait dans le cadre de la procédure administrative ne pouvaient être produits, et ce jusqu’à la clôture définitive de cette procédure administrative. Il a, en outre, indiqué que les autres documents demandés relevaient de la catégorie des documents constituant un ensemble cohérent de documents et a refusé leur production, au motif que cela pourrait diminuer l’efficacité de la politique de poursuite des infractions au droit de la concurrence.

30      Le 26 février 2018, en réponse à une demande formulée par le Městský soud v Praze (cour municipale de Prague), le 12 janvier 2018, la Commission a souligné que, lorsqu’il se prononcerait sur la production des moyens de preuve, le juge devrait, dans l’intérêt de la protection des intérêts légitimes de toutes les parties à la procédure et de ceux des tiers, appliquer, notamment, le principe de proportionnalité et adopter des mesures visant à protéger de telles informations. Elle indiquait, en outre, que, en vertu de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, les juridictions nationales ne pouvaient, lorsqu’elles sont amenées à statuer sur des questions relevant des articles 101 et 102 TFUE, prendre de décisions qui iraient à l’encontre de celles adoptées par la Commission. Les juridictions nationales devraient également éviter de prendre des décisions qui iraient à l’encontre de celle envisagée dans une procédure intentée par cette institution. À cette fin, la juridiction nationale était invitée à évaluer s’il était nécessaire de suspendre sa procédure.

31      Le 14 mars 2018, ladite juridiction nationale a ordonné à České dráhy de produire, en les versant au dossier, un ensemble de documents. Ces documents contenaient, d’une part, des informations expressément préparées par cette société aux fins d’une procédure devant l’ÚOHS et, d’autre part, des informations obligatoirement préparées et conservées en dehors du cadre de cette procédure, telles que des relevés des lignes de trains, des relevés trimestriels sur le transport public ferroviaire ainsi que la liste des lignes exploitées par České dráhy. En revanche, cette juridiction a rejeté les demandes de RegioJet visant à obtenir, d’une part, la production de la comptabilité du segment commercial de České dráhy, y compris les codes de correspondance par ligne et type de train et, d’autre part, la production des procès-verbaux des réunions du conseil d’administration de České dráhy, pour les mois de septembre et d’octobre 2011.

32      Par ordonnance du 19 décembre 2018, cette même juridiction a, en vertu de l’article 27, paragraphe 1, de la loi no 262/2017, décidé de suspendre la procédure au fond relative à l’action en dommages et intérêts jusqu’à la clôture de la procédure visée au point 26 du présent arrêt.

33      RegioJet et České dráhy ont, pour leur part, toutes deux fait appel de l’ordonnance du 14 mars 2018 devant le Vrchní soud v Praze (Cour supérieure de Prague, République tchèque). Cette dernière juridiction a confirmé, par ordonnance du 29 novembre 2019, l’ordonnance du 14 mars 2018 et adopté, afin d’assurer la protection des moyens de preuve produits, des mesures consistant à mettre ceux-ci sous séquestre et à ne les produire qu’aux parties, à leurs représentants et aux experts, et ce, dans chaque cas, toujours sur la base d’une demande écrite motivée et après accord préalable du juge saisi de l’affaire en fonction de la répartition du travail.

34      České dráhy a formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance du 29 novembre 2019 devant la juridiction de renvoi, le Nejvyšší soud (Cour suprême, République tchèque).

35      C’est dans ces circonstances que le Nejvyšší soud (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une procédure est-elle conforme à l’interprétation de l’article 5, paragraphe 1, de la [directive 2014/104] si elle prévoit qu’une juridiction se prononce sur l’imposition d’une obligation de produire des preuves, bien qu’une procédure soit en même temps menée par la Commission en vue de l’adoption d’une décision en application du chapitre III du [règlement no 1/2003] et que, dès lors, la procédure relative à l’action en dommages et intérêts pour le dommage causé par l’infraction au droit de la concurrence est suspendue, pour ce motif, par le juge ?

2)      L’interprétation de l’article 6, paragraphe 5, sous a), et de l’article 6, paragraphe 9, de la directive 2014/104 fait-elle obstacle à une réglementation nationale qui limite la production de toutes les informations qui ont été soumises dans le cadre d’une procédure à la demande de l’autorité de concurrence, et ce également lorsqu’il s’agit d’informations qu’une partie à la procédure a l’obligation de préparer et de conserver (ou prépare et conserve) sur la base d’une autre réglementation et indépendamment de la procédure d’infraction au droit de la concurrence ?

3)      Peut-on considérer comme une clôture de la procédure “d’une autre manière” au sens de l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104 également le fait qu’une autorité nationale de concurrence ait suspendu la procédure dès qu’a été ouverte par la Commission une procédure en vue de l’adoption d’une décision en application du chapitre III du règlement no 1/2003 ?

4)      Une procédure est-elle conforme à l’article 5, paragraphe 1, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104, compte tenu des finalités et des objectifs de cette directive, lorsqu’il s’agit d’une procédure d’une juridiction nationale par laquelle celle-ci applique, par analogie, la réglementation nationale de mise en œuvre de l’article 6, paragraphe 7, de ladite directive à des catégories d’informations telles que les informations visées à l’article 6, paragraphe 5, de [la] même directive et se prononce donc sur la production des preuves, étant entendu qu’elle n’examinera la question de savoir si les moyens de preuve contiennent des informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence (au sens de l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104) qu’après la production des preuves à la juridiction ?

5)      En cas de réponse affirmative à la question précédente, y a-t-il lieu d’interpréter l’article 5, paragraphe 4, de la directive 2014/104 en ce sens que des mesures efficaces de protection des informations confidentielles adoptées par une juridiction peuvent, avant que la juridiction ne se prononce définitivement sur la question de savoir si les preuves produites ou certaines d’entre elles relèvent de la catégorie de preuves visée à l’article 6, paragraphe 5, sous a), de cette directive, exclure l’accès de la partie requérante ou d’autres parties à la procédure ainsi que de leurs représentants aux preuves produites ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur l’applicabilité ratione temporis des articles 5 et 6 de la directive 2014/104

36      Il convient d’emblée de rappeler, s’agissant de l’application ratione temporis de la directive 2014/104, que cette dernière contient une disposition particulière, qui détermine expressément les conditions d’application dans le temps des dispositions substantielles et non substantielles de celle-ci (arrêt du 10 novembre 2022, PACCAR e.a., C‑163/21, EU:C:2022:863, point 27 ainsi que jurisprudence citée).

37      En effet, d’une part, en vertu de l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2014/104, les États membres doivent veiller à ce que les dispositions nationales adoptées en application de l’article 21 de celle-ci afin de se conformer aux dispositions substantielles de cette directive ne s’appliquent pas rétroactivement.

38      D’autre part, en vertu de l’article 22, paragraphe 2, de la directive 2014/104, les États membres doivent veiller à ce qu’aucune disposition nationale autre que celles visées à l’article 22, paragraphe 1, de cette directive ne s’applique aux actions en dommages et intérêts dont une juridiction nationale avait été saisie avant le 26 décembre 2014.

39      Dès lors, afin de déterminer l’applicabilité temporelle des dispositions de la directive 2014/104, en premier lieu, il convient d’établir si la disposition concernée constitue une disposition substantielle ou non, étant précisé que cette question doit être appréciée, en l’absence de renvoi au droit national à l’article 22 de cette directive, au regard du droit de l’Union et non pas au regard du droit national applicable (arrêt du 10 novembre 2022, PACCAR e.a., C‑163/21, EU:C:2022:863, point 30 ainsi que jurisprudence citée).

40      À cet égard, premièrement, il importe de relever que les articles 5 et 6 de ladite directive visent à conférer aux juridictions nationales la possibilité d’enjoindre à la partie défenderesse ou à une tierce partie, à certaines conditions, de produire des preuves pertinentes qui se trouvent en leur possession et, partant, déterminent le déroulement de la procédure afférente à une action en dommages et intérêts.

41      En ce qu’elles obligent les États membres à doter ces juridictions de pouvoirs particuliers dans le cadre de l’examen des litiges portant sur les actions en dommages et intérêts tendant à l’indemnisation du préjudice subi en raison des infractions au droit de la concurrence, ces dispositions visent à remédier à l’asymétrie de l’information qui caractérise, en principe, ces litiges au détriment de la personne lésée, ainsi que cela est rappelé au considérant 15 de la directive 2014/104, et qui rend plus difficile pour cette personne l’obtention des informations indispensables pour intenter une action en dommages et intérêts (voir, en ce sens, arrêt du 10 novembre 2022, PACCAR e.a., C‑163/21, EU:C:2022:863, point 32 ainsi que jurisprudence citée).

42      Deuxièmement, puisque les articles 5 et 6 de la directive 2014/104 ont précisément pour objectif de permettre à la partie demanderesse à de tels litiges de compenser le déficit d’information qui est le sien, ils conduisent, certes, à mettre à la disposition de cette partie, lorsqu’elle s’adresse à cette fin au juge national, des atouts qu’elle ne possédait pas. Il n’en demeure pas moins que l’objet de ces articles ne porte que sur les mesures procédurales applicables devant les juridictions nationales, conférant à celles-ci des pouvoirs particuliers en vue d’établir les faits dont se prévalent les parties dans le cadre des litiges portant sur les recours en dommages et intérêts pour de telles infractions et n’affecte donc pas directement la situation juridique de ces parties, en ce que ces dispositions ne portent pas sur les éléments constitutifs de la responsabilité civile extracontractuelle.

43      En particulier, il n’apparaît pas que les articles 5 et 6 de la directive 2014/104 établissent de nouvelles obligations de fond pesant sur l’une ou l’autre des parties à ce type de litiges, ce qui permettrait de considérer ces dispositions comme étant substantielles, au sens de l’article 22, paragraphe 1, de cette directive (voir, par analogie, arrêt du 10 novembre 2022, PACCAR e.a., C‑163/21, EU:C:2022:863, point 34 ainsi que jurisprudence citée).

44      Il convient, dès lors, de conclure que les articles 5 et 6 de la directive 2014/104 ne figurent pas au nombre des dispositions substantielles de cette directive, au sens de l’article 22, paragraphe 1, de celle-ci, et qu’ils font partie, par conséquent, des autres dispositions visées à l’article 22, paragraphe 2, de ladite directive, étant, en l’occurrence, des dispositions procédurales, ainsi que M. l’avocat général l’a, en substance, relevé aux points 29 et 34 de ses conclusions.

45      En second lieu, il ressort de l’article 22, paragraphe 2, de la directive 2014/104 que les États membres disposaient d’un pouvoir discrétionnaire pour décider, lors de la transposition de cette directive, si les règles nationales visant à transposer les dispositions procédurales de ladite directive s’appliqueraient aux actions en dommages et intérêts intentées après le 26 décembre 2014, mais avant la date de transposition de la même directive ou bien à celles intentées, au plus tard avant l’expiration du délai de transposition de celle-ci, à savoir avant le 27 décembre 2016 (arrêt du 28 mars 2019, Cogeco Communications, C‑637/17, EU:C:2019:263, point 28).

46      En l’occurrence, il ressort de la loi no 262/2017 que le législateur tchèque a décidé que les dispositions nationales visant à transposer les dispositions procédurales de la directive 2014/104 s’appliquent, de manière directe et inconditionnelle, également aux actions introduites avant cette date de transposition, mais après le 26 décembre 2014. Or, l’action en dommages et intérêts aux fins de laquelle a été présentée la demande de production de documents a été introduite le 25 novembre 2015.

47      Il résulte des considérations qui précèdent que les articles 5 et 6 sont applicables ratione temporis dans l’affaire au principal et qu’il y a donc lieu de répondre aux questions préjudicielles portant sur ces dispositions.

 Sur le fond

 Observations liminaires

48      Il importe de rappeler que participe de la pleine efficacité des règles de concurrence prévues aux articles 101 et 102 TFUE, et, en particulier, de l’effet utile des interdictions que ces dispositions énoncent, la possibilité pour toute personne de demander réparation du dommage qui lui a été causé par un contrat ou un comportement susceptible de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence, au sens de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, ou bien le comportement abusif d’une entreprise en position dominante, au sens de l’article 102 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2001, Courage et Crehan, C‑453/99, EU:C:2001:465, point 26, ainsi que du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, point 33).

49      Ainsi que l’énonce le considérant 7 du règlement no 1/2003, les juridictions nationales remplissent une fonction essentielle dans l’application des règles de concurrence. Elles préservent les droits subjectifs prévus par le droit de l’Union lorsqu’elles statuent sur des litiges entre particuliers, notamment en octroyant des dommages et intérêts aux victimes des infractions. Le rôle des juridictions nationales est, à cet égard, complémentaire de celui des autorités de concurrence des États membres.

50      Si, lorsqu’elles se prononcent sur des actions en dommages et intérêts, dans un contexte où il n’existe pas une décision définitive émanant d’une autorité de concurrence portant sur les mêmes faits (actions dite « stand-alone »), ces juridictions doivent, de manière incidente, en principe, se prononcer sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence, à savoir sur la présence d’accords, de décisions ou de pratiques, au sens de l’article 101, paragraphe 1, et de l’article 102 TFUE, les actions civiles ne peuvent se substituer aux procédures nationales et de l’Union de mise en œuvre des articles 101 et 102 TFUE qui sont menées dans la sphère publique et dans le cadre notamment desquelles il est prévu, ainsi que l’énonce l’article 2 du règlement no 1/2003, que la charge de la preuve d’une violation de l’article 101, paragraphe 1, ou de l’article 102 TFUE incombe à la partie ou à l’autorité qui l’allègue.

51      Dès lors, l’interprétation des dispositions de la directive 2014/104 relatives à la production de preuves ne peut aboutir à contourner les principes régissant la charge de la preuve de l’existence de comportements anticoncurrentiels lorsqu’il apparaît que l’objet de l’action en cause n’est pas strictement indemnitaire.

52      En adoptant la directive 2014/104, le législateur de l’Union est, en effet, précisément parti du constat, dont il est fait état au considérant 6 de cette directive, qu’il était nécessaire que les deux outils destinés à assurer une application effective des règles de concurrence, que sont respectivement la mise en œuvre des règles de concurrence de l’Union par les autorités publiques (public enforcement) et les actions en dommages et intérêts pour violation de ces règles menées dans la sphère privée (private enforcement), interagissent de manière cohérente, notamment en ce qui concerne les modalités d’accès aux documents en possession des autorités de concurrence.

53      S’agissant des actions en dommages et intérêts pour violation des règles de concurrence menées dans la sphère privée, les dispositions applicables à la production de documents énoncées au chapitre II (articles 5 à 8) de la directive 2014/104 reflètent une mise en balance entre, d’une part, l’efficacité des actions menées par les autorités en charge de la concurrence et, d’autre part, l’effectivité des recours indemnitaires introduits par les personnes qui s’estiment lésées par des pratiques anticoncurrentielles.

54      Partant, si, compte tenu de l’asymétrie de l’information qui caractérise souvent les litiges portant sur les actions en dommages et intérêts tendant à la réparation du préjudice subi en raison des infractions au droit de la concurrence, la directive 2014/104 tend à améliorer l’accès aux preuves des victimes de comportements anticoncurrentiels, dont ils ont nécessairement besoin pour démontrer le bien-fondé́ de leurs demandes indemnitaires, elle vient également l’encadrer strictement.

55      En premier lieu, l’article 5 de la directive 2014/104  énonce un certain nombre de règles à caractère général en matière de production de preuves dans les procédures relatives aux actions en dommages et intérêts pour les infractions au droit de la concurrence.

56      En deuxième lieu, l’article 6 de cette directive prévoit des règles spécifiques à la production de preuves contenues dans le dossier d’une autorité de concurrence, qui témoignent, notamment, d’un niveau de protection différencié en fonction des informations sollicitées et de la nécessité de préserver l’efficacité des procédures menées dans la sphère publique. Cette disposition opère, en effet, une distinction entre plusieurs catégories de preuves.

57      S’agissant, tout d’abord, des preuves ayant trait aux déclarations effectuées en vue d’obtenir la clémence et aux propositions de transaction (ci-après les « preuves relevant de la liste noire »), l’article 6, paragraphe 6, de la directive 2014/104 dispose que les États membres veillent à ce que les juridictions nationales ne puissent à aucun moment ordonner à une partie ou à un tiers la production de ces preuves.

58      Ensuite, s’agissant des informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure administrative ouverte par une autorité de concurrence, les informations établies par cette dernière et envoyées aux parties au cours de cette procédure ainsi que des propositions de transaction qui ont été retirées, l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104 prévoit que les juridictions nationales ne peuvent ordonner la production de preuves relevant de ces catégories (ci-après les « preuves relevant de la liste grise ») qu’une fois qu’une autorité de concurrence a, en adoptant une décision ou d’une autre manière, clos sa procédure.

59      Enfin, conformément à l’article 6, paragraphe 9, de la directive 2014/104, la production de preuves provenant du dossier d’une autorité de concurrence, qui ne relèvent d’aucune des catégories précédemment mentionnées (ci-après les « preuves relevant de la liste blanche »), peut être ordonnée à tout moment dans le cadre d’une action en dommages et intérêts, sans préjudice de cet article.

60      En troisième lieu, il importe de relever que, ainsi que cela ressort de son article 5, paragraphe 3, et de son article 6, paragraphe 4, la directive 2014/104 prévoit ainsi un régime spécifique applicable aux demandes de production de preuves dans le cadre duquel il n’est pas automatiquement fait droit à ces demandes, mais où celles-ci sont appréciées sous l’angle du principe de proportionnalité et compte tenu des circonstances et des intérêts légitimes en présence. La juridiction nationale saisie est donc appelée à mettre en œuvre un contrôle de proportionnalité rigoureux, tout en tenant compte, le cas échéant, de l’avis que l’autorité de concurrence concernée peut, conformément à l’article 6, paragraphe 11, de la directive 2014/104, présenter à cette juridiction.

61      C’est à la lumière de ces précisions liminaires qu’il y a lieu de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi.

 Sur la première question

62      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une juridiction nationale ordonne la production de preuves aux fins d’une procédure nationale engagée devant cette juridiction et relative à une action en dommages et intérêts portant sur une infraction au droit de la concurrence, bien qu’une procédure concernant la même infraction soit pendante devant la Commission, aux fins de l’adoption d’une décision en application du chapitre III du règlement no 1/2003, ayant conduit la juridiction nationale à suspendre la procédure engagée devant elle.

63      D’emblée, il importe de relever que, en vertu de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, l’ouverture d’une procédure par la Commission dessaisit les autorités de concurrence des États membres de leur compétence pour appliquer les articles 101 et 102 TFUE en ce qui concerne les mêmes infractions.

64      En revanche, conformément à l’article 16, paragraphe 1, de ce règlement, une juridiction nationale saisie d’une action en dommages et intérêts n’est pas automatiquement dessaisie, du fait de l’ouverture de la procédure par la Commission, de sa compétence pour appliquer les articles 101 et 102 TFUE et pour statuer sur les infractions examinées par cette institution. Selon cette disposition, les juridictions nationales doivent, en effet, uniquement, d’une part, s’abstenir de prendre des décisions qui iraient à l’encontre d’une décision adoptée par la Commission et, d’autre part, éviter de prendre des décisions qui iraient à l’encontre de la décision envisagée dans une procédure intentée par la Commission et, à cette dernière fin, évaluer s’il est nécessaire de suspendre la procédure.

65      Il résulte, en outre, d’une lecture d’ensemble des dispositions de la directive 2014/104 que celle-ci n’impose pas davantage aux juridictions nationales des États membres de suspendre leurs procédures relatives à des actions en dommages et intérêts pour infractions aux règles de concurrence dont elles sont saisies en raison de l’ouverture d’une procédure devant la Commission visant les mêmes infractions.

66      Si, ainsi que cela a été relevé au point 52 du présent arrêt, d’une part, la mise en œuvre des règles de concurrence de l’Union par les autorités publiques (public enforcement) et, d’autre part, les actions en dommages et intérêts pour violation de ces règles menées dans la sphère privée (private enforcement) doivent interagir de manière cohérente, notamment en ce qui concerne les modalités d’accès aux documents en possession des autorités de concurrence, il n’en reste pas moins qu’elles revêtent un caractère complémentaire et qu’elles peuvent, en principe, être menées de manière concomitante.

67      À cet égard, les dispositions de l’article 6, paragraphes 5 et 9, de la directive 2014/104 attestent qu’une procédure relative à une action en dommages et intérêts peut se poursuivre nonobstant l’existence d’une procédure pendante devant une autorité de concurrence. En effet, tandis que les juridictions nationales ne peuvent ordonner la production des preuves relevant de la liste grise qu’une fois qu’une telle autorité a clos sa procédure (article 6, paragraphe 5, de cette directive), la production de preuves relevant de la liste blanche peut être ordonnée « à tout moment dans le cadre d’une action en dommages et intérêts » (article 6, paragraphe 9, de ladite directive).

68      Dans ce contexte, se pose ainsi la question de savoir si la directive 2014/104 s’oppose à ce qu’une juridiction nationale ordonne la production de preuves en vertu des dispositions nationales qui visent à transposer les articles 5 et 6 de cette directive en dépit de la suspension, motivée par l’existence d’une procédure ouverte devant la Commission, de la procédure nationale engagée dans le cadre d’une action en dommages et intérêts.

69      À cet égard, force est de constater que ladite directive ne fait pas automatiquement obstacle à ce qu’une juridiction nationale ordonne la production de preuves dans le cadre d’une action en dommages et intérêts pour une infraction prétendue aux règles de concurrence en cours, alors qu’une procédure visant la même infraction est en même temps menée par la Commission et que le juge national a suspendu la procédure afférente à l’action en dommages et intérêts en attendant la fin de la procédure de la Commission.

70      En effet, lorsqu’une juridiction nationale décide d’ordonner la production de preuves aux fins d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts ayant été suspendue en raison de l’ouverture d’une procédure par la Commission, elle ne prend pas, en principe, une décision qui est susceptible d’aller à l’encontre de la décision envisagée par la Commission dans cette procédure, au sens de l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1/2003.

71      Cela étant, si les juridictions nationales sont en mesure d’enjoindre au défendeur ou à un tiers de produire des preuves pertinentes qui se trouvent en leur possession, elles doivent le faire sous réserve du respect des exigences découlant de la directive 2014/104.

72      Ainsi, les juridictions nationales saisies, qui sont tenues de limiter la production de preuves à ce qui est strictement pertinent, proportionné et nécessaire, doivent faire en sorte qu’une décision relative à la production de preuves n’empiète pas indûment sur une enquête en cours menée par une autorité de concurrence pour infraction au droit de la concurrence. Ces juridictions sont, dès lors, appelées à effectuer un examen exigeant de la demande dont elles sont saisies, en ce qui concerne la pertinence des preuves demandées, le lien entre ces preuves et la demande indemnitaire présentée, le caractère suffisant du degré de précision desdites preuves et la proportionnalité de celles-ci.

73      Ainsi que l’indique le considérant 23 de cette directive, l’exigence de proportionnalité devrait faire l’objet d’une évaluation attentive lorsque la production de documents risque de mettre à mal la stratégie d’enquête d’une autorité de concurrence en révélant les documents qui font partie de son dossier ou risque de nuire à la manière dont les entreprises coopèrent avec les autorités de concurrence. Il convient de veiller en particulier à prévenir la « pêche aux informations », à savoir les demandes non spécifiques ou trop vastes d’informations qui sont peu susceptibles d’être pertinentes pour les parties à la procédure.

74      À cet égard, l’article 6, paragraphe 4, sous b), de la directive 2014/104 précise que, lorsque les juridictions nationales examinent la proportionnalité d’une injonction de production d’informations, elles tiennent également compte de la question de savoir si « la partie qui demande la production d’informations le fait dans le cadre d’une action en dommages et intérêts introduite devant une juridiction nationale ».

75      Il peut en être déduit que, dans le cadre de l’examen de la proportionnalité d’une injonction de production de preuves, examen qui doit être effectué de manière attentive, surtout lorsqu’il s’agit des preuves figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence, une juridiction nationale doit également prendre en compte la circonstance que la procédure relative à l’action en dommages et intérêts a été suspendue.

76      En effet, bien qu’une injonction de production de preuves aux fins d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts ne relève pas, a priori, des « décisions » visées à l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, tant, d’une part, le principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE que, d’autre part, l’objectif d’une application efficace et uniforme du droit de la concurrence de l’Union exigent d’une juridiction nationale qu’elle tienne compte de la procédure pendante devant la Commission lors de l’adoption de toute décision ou de mesure au cours d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts, surtout lorsque cette décision ou cette mesure a trait à la constatation de l’existence d’une infraction au droit de la concurrence identique ou semblable.

77      Partant, lorsqu’une juridiction ordonne aux parties ou aux tiers la production de preuves dans le cadre d’une action en dommages et intérêts ayant été suspendue en raison de l’ouverture d’une procédure d’enquête par la Commission, elle doit s’assurer que cette production, qui doit faire suite à une demande suffisamment circonscrite et étayée, est nécessaire et proportionnée aux fins de la poursuite de cette action.

78      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction nationale ordonne la production de preuves aux fins d’une procédure nationale engagée devant cette juridiction et relative à une action en dommages et intérêts portant sur une infraction au droit de la concurrence, bien qu’une procédure concernant cette infraction soit pendante devant la Commission, aux fins de l’adoption d’une décision en application du chapitre III du règlement no 1/2003, ayant conduit la juridiction nationale à suspendre la procédure pendante devant elle. Il appartient, toutefois, à la juridiction nationale de s’assurer que la production des preuves sollicitée à ce stade de la procédure, qui doit remplir les conditions énoncées aux articles 5 et 6 de la directive 2014/104, ne dépasse pas ce qui est nécessaire au regard de la demande indemnitaire dont elle est saisie.

 Sur la troisième question

79      Par sa troisième question, qu’il convient d’examiner avant la deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens que la suspension par une autorité nationale de concurrence de la procédure administrative engagée par celle-ci, au motif que la Commission a ouvert une procédure en vertu du chapitre III du règlement no 1/2003, peut être assimilée à une clôture de cette procédure administrative par cette autorité « en adoptant une décision ou d’une autre manière », au sens de cette disposition.

80      À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 6, paragraphe 5, de cette directive, les juridictions nationales ne peuvent ordonner la production de preuves relevant de la liste grise « qu’une fois qu’une autorité de concurrence a, en adoptant une décision ou d’une autre manière, clos sa procédure ».

81      L’interprétation littérale de cette disposition, le contexte dans lequel elle s’insère et les objectifs qu’elle poursuit indiquent qu’une suspension de la procédure relative à l’action en dommages et intérêts, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, ne saurait être assimilée à une clôture de la procédure.

82      Tout d’abord, au sens littéral, la « suspension » désigne un arrêt provisoire de l’instance. La procédure n’est donc pas clôturée dès lors qu’elle reprend une fois que la cause de la suspension disparaît.

83      Ceci est confirmé par le considérant 25 de la directive 2014/104, qui fournit des exemples de décisions portant clôture de procédure, par référence, notamment, aux décisions qui peuvent être adoptées par la Commission conformément au chapitre III du règlement no 1/2003. Ce considérant précise ainsi que la clôture de la procédure résulte de l’adoption, par exemple, d’une décision au titre de l’article 5 du règlement no 1/2003, « à l’exception des décisions portant sur des mesures provisoires ».

84      En outre, lorsque la directive 2014/104 se réfère au fait de clore la procédure en adoptant une décision ou « d’une autre manière », il s’agit des mesures qui, en ce qui concerne leur substance et leur finalité, sont adoptées lorsqu’une autorité nationale de concurrence décide que, compte tenu des informations recueillies au cours de la procédure, il est possible ou même nécessaire de statuer et de clore celle-ci.

85      Dès lors, le fait qu’une autorité nationale de concurrence suspende sa procédure administrative, quand bien même une telle suspension aurait été motivée par l’ouverture d’une procédure par la Commission, ne saurait être assimilé à une clôture de cette procédure administrative par cette autorité « d’une autre manière ».

86      Ensuite, la suspension de la procédure administrative décidée par une autorité de concurrence nationale, en vertu de l’article 11, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, doit être appréhendée dans le contexte des règles régissant les compétences parallèles de la Commission, d’une part, et des autorités nationales de concurrence, d’autre part.

87      Ainsi que la Cour l’a dit pour droit, l’ouverture d’une procédure par la Commission ne dessaisit pas, de façon permanente et définitive, les autorités nationales de concurrence de leur compétence pour appliquer la législation nationale en matière de concurrence, la compétence des autorités nationales de concurrence étant restaurée dès que la procédure engagée par la Commission est achevée (arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2012:72, points 79 et 80).

88      Par ailleurs, en vertu de l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 1/2003, les autorités de concurrence des États membres conservent leur pouvoir d’agir, dans le cadre tant du droit de l’Union que du droit national de la concurrence, même si la Commission a elle-même déjà pris une décision, à condition qu’elles ne prennent pas de décisions qui iraient à l’encontre de la décision adoptée par la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2012:72, points 84 à 86).

89      Une suspension de la procédure administrative jusqu’à ce que la Commission ait clos l’enquête dans l’affaire concernée ne constitue donc pas une clôture de cette procédure en ce sens qu’il y a eu adoption d’un acte final concernant l’infraction en question, mais doit être considérée comme étant une mesure provisoire. Ainsi, si la Commission décide de clore sa procédure sans rendre de décision relative à l’infraction, l’autorité nationale de concurrence concernée peut, en principe, décider de rouvrir sa procédure.

90      Enfin, s’agissant des objectifs poursuivis par l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort du considérant 25 de cette directive, la protection applicable aux preuves relevant de la liste grise vise à garantir qu’une production de documents n’empiète pas indûment sur une enquête en cours menée par une autorité de concurrence nationale au sujet d’une infraction au droit de la concurrence de l’Union ou au droit national de la concurrence. Permettre la production de preuves relevant de la liste grise après une suspension de la procédure ordonnée par une autorité nationale de concurrence, mais pendant une enquête en cours de la Commission, pourrait compromettre, et ce même de manière sérieuse, l’efficacité de cette enquête de la Commission et, partant, les objectifs de ladite directive.

91      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question que l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens que la suspension par une autorité nationale de concurrence de la procédure administrative engagée par celle-ci, au motif que la Commission a ouvert une procédure en vertu du chapitre III du règlement no 1/2003, ne saurait être assimilée à une clôture de cette procédure administrative par cette autorité « en adoptant une décision ou d’une autre manière », au sens de cette disposition.

 Sur la deuxième question

92      À titre liminaire, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour, instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour non seulement de reformuler les questions qui lui sont soumises, mais aussi de prendre en considération des normes du droit de l’Union auxquelles le juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (arrêt du 13 octobre 2022, Herios, C‑593/21, EU:C:2022:784, point 19 et jurisprudence citée).

93      À cet égard, si la deuxième question préjudicielle, telle que formulée par la juridiction de renvoi, ne vise explicitement que l’interprétation de l’article 6, paragraphes 5 et 9, de la directive 2014/104, cette juridiction cherche à savoir, ainsi que cela ressort des termes de sa demande de décision préjudicielle, si cette directive fait obstacle à l’adoption d’une réglementation nationale qui élargit le périmètre des informations dont la production est exclue pendant la durée de la procédure devant l’autorité de concurrence. Or, dans la mesure où la marge de manœuvre dont disposent les États membres en ce qui concerne la transposition des articles 5 et 6 de ladite directive est circonscrite par les dispositions de l’article 5, paragraphe 8, de la même directive, il convient de reformuler la deuxième question préjudicielle et d’en étendre sa portée à cette dernière disposition.

94      Partant, il convient de considérer que, par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 8, l’article 6, paragraphe 5, sous a), et l’article 6, paragraphe 9, de la directive 2014/104 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui limite temporairement, au titre de l’article 6, paragraphe 5, de cette directive, non seulement la production des informations « préparées » expressément aux fins de la procédure engagée par l’autorité de concurrence, mais également celle de toutes les informations « soumises » à ces fins.

95      À cet égard, il y a lieu, premièrement, de se prononcer sur la recevabilité de cette deuxième question mise en cause par České dráhy, celle-ci faisant valoir que cette question est prématurée et hypothétique dans la mesure où, à ce jour, les juridictions nationales tchèques ne se seraient pas encore prononcées sur le point de savoir si les documents dont la production par České dráhy a été demandée au titre de preuves avaient été expressément préparés aux fins de la procédure ouverte par l’ÚOHS ou de celle menée par la Commission.

96      À cet égard, il suffit de rappeler que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 6 octobre 2021, Sumal, C‑882/19, EU:C:2021:800, points 27 et 28).

97      Tel n’est pas le cas en l’occurrence. La réponse à la deuxième question posée par la juridiction de renvoi vise à lui faciliter à identifier les éléments de preuve qui relèvent non pas de la liste grise, mais de la liste blanche et qui, le cas échéant, peuvent, nonobstant la circonstance que l’autorité de concurrence n’a pas clos sa procédure, faire l’objet d’une demande de production de documents en vertu des dispositions nationales transposant la directive 2014/104.

98      Il s’ensuit que la deuxième question est recevable.

99      Deuxièmement, sur le fond, la juridiction de renvoi invite la Cour à se prononcer sur l’étendue des informations qui bénéficient de la protection temporaire prévue à l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104 en ce qui concerne les preuves relevant de la liste grise.

100    La juridiction de renvoi fait observer, dans ce contexte, qu’il ressort du libellé de l’article 16, paragraphe 3, de la loi no 262/2017, lu en combinaison avec l’article 2, paragraphe 2, sous c), de celle-ci, que la limitation temporelle applicable à la production de preuves pendant la période où se déroule une procédure menée par une autorité de concurrence s’applique à toutes les informations soumises à l’autorité de concurrence aux fins de cette procédure, et non uniquement aux informations « préparées expressément » aux fins de ladite procédure.

101    À cet égard, il ressort sans ambiguïté du libellé de l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104, lu à la lumière du considérant 25 de cette directive, que la protection temporaire conférée en vertu de cette disposition concerne non pas toute information ayant été soumise expressément, de manière spontanée ou sur demande de l’autorité de concurrence, aux fins d’une telle procédure, mais seulement les informations ayant été spécifiquement préparées aux fins d’une procédure engagée par cette autorité.

102    Cette conclusion est confirmée par une interprétation systémique de la disposition en cause.

103    À cet égard, il convient de se référer, en premier lieu, à l’article 6, paragraphe 9, de la directive 2014/104, qui concerne les preuves relevant de la liste blanche, en vertu duquel la production de preuves provenant du dossier d’une autorité de concurrence qui ne relèvent pas des listes grise et noire peut être ordonnée à tout moment dans le cadre d’une action en dommages et intérêts. Le considérant 28 de cette directive éclaire la portée de cette disposition en ce qu’il emploie les termes « preuves existant indépendamment de la procédure engagée par une autorité de concurrence (ci-après dénommées “informations préexistantes”) » pour illustrer les preuves dont la production n’est pas automatiquement interdite par ladite directive, du fait de leur appartenance aux listes grise ou noire.

104    En deuxième lieu, il convient également de relever que l’article 2, point 17, de la même directive définit la notion d’« informations préexistantes » comme « toute preuve qui existe indépendamment de la procédure engagée par une autorité de concurrence, qu’elle figure ou non dans le dossier d’une autorité de concurrence ».

105    Il résulte de cette définition que les preuves figurant dans un tel dossier sont elles aussi susceptibles de relever de la liste blanche. En particulier, les informations qu’une partie à la procédure a l’obligation de préparer et de conserver (ou prépare et conserve) sur le fondement d’une autre réglementation, et indépendamment de la procédure d’infraction au droit de la concurrence, constituent des informations préexistantes, dont les juridictions nationales peuvent, en principe, ordonner la production à tout moment dès lors qu’il s’agit de preuves relevant de la liste blanche.

106    En troisième lieu, en reflétant l’idée selon laquelle il convient, d’une part, de limiter la protection conférée aux preuves relevant des listes grise et noire aux cas où cette protection serait effectivement nécessaire et, de ce fait, appropriée du point de vue des objectifs poursuivis par la directive 2014/104, et, d’autre part, d’autoriser un accès raisonnablement large aux preuves, l’article 6, paragraphe 8, de cette directive prévoit que si seules certaines parties des preuves demandées relèvent de la liste noire, les autres parties sont, en fonction de la catégorie dont elles relèvent, produites conformément aux paragraphes pertinents de l’article 6 de ladite directive.

107    En quatrième lieu, il ressort de l’article 5, paragraphe 8, de la directive 2014/104, qui autorise les États membres à adopter les règles qui conduiraient à une production plus large de preuves, sans préjudice des paragraphes 4 et 7 de cet article, et de l’article 6 de cette directive, que les États membres ne sont pas autorisés à nuancer, lors de la transposition de la directive 2014/104, les conditions selon lesquelles les preuves sont classifiées en tant que celles relevant des listes grise, noire ou blanche.

108    En particulier, autoriser les États membres à élargir le périmètre des informations relevant de la liste grise conduirait à une production plus limitée de preuves, en contradiction avec la logique de l’article 5, paragraphe 8, de cette directive. L’objectif d’harmonisation de ladite directive serait ainsi compromis si les États membres avaient, en matière de production de preuves, la possibilité d’introduire des règles plus restrictives que celles énoncées aux articles 5 et 6 de la même directive.

109    Partant, une législation nationale limitant temporairement la production de toutes les informations soumises au cours d’une procédure à la demande d’une autorité de concurrence ou de manière spontanée, y compris les informations préexistantes, n’est pas conforme à l’article 6, paragraphe 5, sous a), et à l’article 6, paragraphe 9, de la directive 2014/104.

110    Cette conclusion n’implique pas que le juge, saisi d’une demande de production de preuves dans le cadre d’une procédure relative à une action en dommages et intérêts pour violation des règles de la concurrence, soit nécessairement tenu d’ordonner la production de tous les documents qui n’ont pas été expressément préparés aux fins de la procédure pendante devant l’autorité de concurrence.

111    En effet, il appartient dans tous les cas à la juridiction nationale, et encore plus lorsque la procédure a été suspendue dans l’attente de la clôture d’une procédure administrative ouverte par une autorité de concurrence, de s’assurer que la production des preuves sollicitée à ce stade de la procédure, qui doit remplir les conditions énoncées aux articles 5 et 6 de la directive 2014/104, ne dépasse pas ce qui est nécessaire au regard de la demande indemnitaire dont elle est saisie.

112    Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la deuxième question que l’article 5, paragraphe 8, l’article 6, paragraphe 5, sous a), et l’article 6, paragraphe 9, de la directive 2014/104 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui limite temporairement, au titre de l’article 6, paragraphe 5, de cette directive, non seulement la production des informations « préparées » expressément aux fins de la procédure engagée par l’autorité de concurrence, mais également celle de toutes les informations « soumises » à ces fins.

 Sur la quatrième question

113    Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 5, sous a), de celle-ci, doit être interprété en ce sens que ces dispositions ne s’opposent pas à ce qu’une juridiction nationale se prononce sur une demande de production de preuves et ordonne de mettre celles-ci sous séquestre, en reportant l’examen de la question de savoir si ces preuves relèvent de la liste grise en ce qu’elles contiennent des « informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence », au sens de cette dernière disposition, au moment où cette juridiction aura accès à ces preuves.

114    En effet, nonobstant la référence faite à l’article 6, paragraphe 7, de la directive 2014/104, la juridiction de renvoi cherche, en définitive, à savoir si une juridiction peut ordonner la production de preuves, régie à l’article 5, paragraphe 1, de cette directive, afin d’apprécier si ces preuves contiennent des « informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence », au sens de l’article 6, paragraphe 5, sous a), de ladite directive.

115    À cet égard, il y a lieu de rappeler que le législateur a prévu, à l’article 6, paragraphe 7, de la directive 2014/104, s’agissant des preuves relevant de la liste noire, un mécanisme de vérification préalable visant à ce qu’une juridiction nationale accède à de telles preuves, aux seules fins que celle-ci s’assure que leur contenu correspond bien à une « déclaration effectuée en vue d’obtenir la clémence » ou à une « proposition de transaction » telles que définies à l’article 2, points 16 et 18, de ladite directive et qu’il s’agit donc effectivement de preuves relevant de la liste noire.

116    Un tel mécanisme de vérification n’est, toutefois, pas prévu s’agissant des preuves relevant de la liste grise qui entrent dans le champ d’application de l’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104. La raison en est que, à la différence des preuves relevant de la liste noire, la protection dont bénéficient celles relevant de la liste grise n’est que temporaire.

117    En l’occurrence, se pose la question de savoir si la directive 2014/104 s’oppose à ce qu’une juridiction nationale puisse, sur le fondement d’une possibilité offerte en vertu du droit procédural national applicable, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, prendre des mesures dans le but d’apprécier si les preuves dont la production est sollicitée à l’appui d’une action en dommages et intérêts pour violation des règles de concurrence, et alors même que la procédure menée par l’autorité de concurrence est toujours pendante, relèvent bien de la liste grise.

118    Dans l’affaire au principal, il apparaît que la juridiction d’appel a ordonné la production de preuves en prévoyant, de sa propre initiative, un examen de la question de savoir si, parmi ces preuves, se trouvaient des preuves relevant de la liste grise après la production des preuves au juge, mais avant leur production au demandeur à la suite d’une demande motivée présentée par ce dernier.

119    À cet égard, il convient de souligner que, ainsi qu’il ressort également du considérant 21 de la directive 2014/104, le régime prévu à l’article 6, paragraphe 5, de cette directive, en matière de preuves relevant de la liste grise, a pour objet d’éviter qu’une décision relative à la production de preuves n’empiète indûment sur une enquête en cours menée par une autorité de concurrence pour infraction au droit de la concurrence de l’Union ou au droit national de la concurrence.

120    Il s’ensuit que l’harmonisation exhaustive prévue à cette disposition a été réalisée par le législateur de l’Union principalement au bénéfice de l’intérêt de la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère publique.

121    La poursuite d’un tel objectif induit que l’accès aux preuves relevant de la liste grise ne soit pas accordé aux demandeurs ni à d’autres tiers avant que l’autorité de concurrence n’ait clos sa procédure.

122    En revanche, cet objectif ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction nationale, en appliquant un instrument procédural national, ordonne la production de preuves, qui pourraient relever de la liste grise, dans la seule perspective  de placer sous séquestre les documents visés et de ne les produire au demandeur, sur demande, qu’une fois que la juridiction aura vérifié si ces documents contenaient bien des preuves relevant de cette liste.

123    En effet, compte tenu de la nécessité de remédier à l’asymétrie de l’information et d’assurer l’efficacité de la mise en œuvre du droit de la concurrence par la sphère privée, nécessité qui sous-tend l’adoption de la directive 2014/104, cette directive permet, en principe, à une juridiction nationale de faire usage, en vertu du droit procédural national applicable, d’un tel instrument national afin, notamment, de prévenir le recours excessif à l’exemption prévue à l’article 6, paragraphe 5, de ladite directive.

124    Cet instrument procédural est de nature à contribuer à l’effectivité des demandes indemnitaires dans la sphère privée, tout en préservant la protection dont doivent bénéficier les preuves relevant de la liste grise tant que l’autorité de concurrence n’a pas, d’une manière ou d’une autre, clos sa procédure.

125    Cela étant, le recours à un tel instrument doit respecter les exigences découlant du principe de proportionnalité, telles qu’elles sont précisées à l’article 5, paragraphe 3, et à l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2014/104.

126    Il y a, notamment, lieu de tenir compte de l’étendue et du coût de la production de preuves, de la pertinence des preuves dont la production a été sollicitée afin d’étayer le bien-fondé de la demande indemnitaire ou encore de la question de savoir si la demande de production de preuves figurant dans le dossier de l’autorité de concurrence a été formulée de manière spécifique s’agissant de la nature, de l’objet ou du contenu des documents visés.

127    Ainsi que le rappelle le considérant 23 de la directive 2014/104, il convient d’éviter de faire droit à des demandes non spécifiques ou trop vastes d’informations qui sont peu susceptibles d’être pertinentes pour les parties à la procédure. Doivent ainsi faire l’objet d’une attention particulière et ne devraient, dès lors, pas être considérées comme étant proportionnées des demandes tendant à une production générale des documents figurant dans le dossier d’une autorité de concurrence concernant une affaire donnée, ou à une production générale des documents soumis par une partie dans le cadre d’une affaire donnée.

128    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la quatrième question que l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 5, sous a), de celle-ci, doit être interprété en ce sens que ces dispositions ne s’opposent pas à ce qu’une juridiction nationale, en application d’un instrument procédural de droit national, se prononce sur la production de preuves et ordonne de mettre celles-ci sous séquestre, en reportant l’examen de la question de savoir si ces preuves contiennent des « informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence », au sens de cette dernière disposition, au moment où cette juridiction aura accès à ces preuves. Le recours à un tel instrument doit, toutefois, respecter les exigences découlant du principe de proportionnalité, telles qu’elles sont précisées à l’article 5, paragraphe 3, et à l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2014/104.

 Sur la cinquième question

129    Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 6, paragraphe 5, sous a), de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une juridiction nationale reporte l’examen de la question de savoir si les preuves dont la production est demandée contiennent des « informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence », cette juridiction peut refuser au demandeur ou à d’autres parties à la procédure ainsi qu’à leurs représentants l’accès à ces preuves, et ce conformément à l’article 5, paragraphe 4, de cette directive.

130    À cet égard, il suffit de rappeler que, en vertu de l’article 6, paragraphe 5, sous a), de la directive 2014/104, les juridictions nationales ont non seulement le droit, mais également l’obligation de veiller à ce qu’une autre partie à la procédure n’ait pas accès, au cours d’une procédure engagée par une autorité de concurrence, aux informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins de cette procédure.

131    Partant, si une juridiction nationale, en application d’un instrument procédural de droit national, ordonne la production de preuves susceptibles de relever de la liste grise afin de vérifier si tel est le cas, cette juridiction doit veiller, et ce indépendamment du point de savoir si les documents visés comportent ou non des informations confidentielles, à ce qu’une autre partie à la procédure n’ait pas accès à ces preuves, lorsque celles-ci relèvent de la liste blanche, avant qu’elle ne complète cette vérification ou, lorsque lesdites preuves relèvent de la liste grise, avant que l’autorité de concurrence compétente n’ait clos sa procédure.

132    Dès lors, il convient de répondre à la cinquième question que l’article 6, paragraphe 5, sous a), de la directive 2014/104 doit être interprété en ce sens que, lorsqu’une juridiction nationale, en application d’un instrument procédural de droit national, reporte l’examen de la question de savoir si les preuves dont la production est demandée contiennent des « informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence », cette juridiction doit veiller à ce que le demandeur ou d’autres parties à la procédure ainsi que leurs représentants n’aient pas accès à ces preuves, lorsque celles-ci relèvent de la liste blanche, avant qu’elle n’ait complété cette vérification ou, lorsque lesdites preuves relèvent de la liste grise, avant que l’autorité de concurrence compétente n’ait clos sa procédure.

 Sur les dépens

133    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 novembre 2014, relative à certaines règles régissant les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l’Union européenne,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à ce qu’une juridiction nationale ordonne la production de preuves aux fins d’une procédure nationale engagée devant cette juridiction et relative à une action en dommages et intérêts portant sur une infraction au droit de la concurrence, bien qu’une procédure concernant cette infraction soit pendante devant la Commission européenne, aux fins de l’adoption d’une décision en application du chapitre III du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE], ayant conduit la juridiction nationale à suspendre la procédure pendante devant elle. Il appartient, toutefois, à la juridiction nationale de s’assurer que la production des preuves sollicitée à ce stade de la procédure, qui doit remplir les conditions énoncées aux articles 5 et 6 de la directive 2014/104, ne dépasse pas ce qui est nécessaire au regard de la demande indemnitaire dont elle est saisie.

2)      L’article 6, paragraphe 5, de la directive 2014/104

doit être interprété en ce sens que :

la suspension par une autorité nationale de concurrence de la procédure administrative engagée par celle-ci, au motif que la Commission européenne a ouvert une procédure en vertu du chapitre III du règlement no 1/2003, ne saurait être assimilée à une clôture de cette procédure administrative par cette autorité « en adoptant une décision ou d’une autre manière », au sens de cette disposition.

3)      L’article 5, paragraphe 8, l’article 6, paragraphe 5, sous a), et l’article 6, paragraphe 9, de la directive 2014/104

doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à une réglementation nationale qui limite temporairement, au titre de l’article 6, paragraphe 5, de cette directive, non seulement la production des informations « préparées » expressément aux fins de la procédure engagée par l’autorité de concurrence, mais également celle de toutes les informations « soumises » à ces fins.

4)      L’article 5, paragraphe 1, de la directive 2014/104, lu en combinaison avec l’article 6, paragraphe 5, sous a), de celle-ci,

doit être interprété en ce sens que :

ces dispositions ne s’opposent pas à ce qu’une juridiction nationale, en application d’un instrument procédural de droit national, se prononce sur la production de preuves et ordonne de mettre celles-ci sous séquestre, en reportant l’examen de la question de savoir si ces preuves contiennent des « informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence », au sens de cette dernière disposition, au moment où cette juridiction aura accès à ces preuves. Le recours à un tel instrument doit toutefois respecter les exigences découlant du principe de proportionnalité, telles qu’elles sont précisées à l’article 5, paragraphe 3, et à l’article 6, paragraphe 4, de la directive 2014/104.

5)      L’article 6, paragraphe 5, sous a), de la directive 2014/104

doit être interprété en ce sens que :

lorsqu’une juridiction nationale, en application d’un instrument procédural de droit national, reporte l’examen de la question de savoir si les preuves dont la production est demandée contiennent des « informations préparées par une personne physique ou morale expressément aux fins d’une procédure engagée par une autorité de concurrence », cette juridiction doit veiller à ce que le demandeur ou d’autres parties à la procédure ainsi que leurs représentants n’aient pas accès à ces preuves, lorsque celles-ci relèvent de la liste blanche, avant qu’elle n’ait complété cette vérification ou, lorsque lesdites preuves relèvent de la liste grise, avant que l’autorité de concurrence compétente n’ait clos sa procédure.

Signatures


*      Langue de procédure : le tchèque.

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