Associazione "Terra Mia Amici No Tap" v EIB (Environment - Financing of the Trans-Adriatic Gas Pipeline - Judgment) French Text [2023] EUECJ T-86/22 (13 September 2023)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2023/T8622.html
Cite as: ECLI:EU:T:2023:540, [2023] EUECJ T-86/22, EU:T:2023:540

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DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (troisième chambre)

13 septembre 2023 (*)

« Environnement – Financement du gazoduc transadriatique – Délibération de la BEI approuvant le financement – Publication – Article 10 du règlement (CE) no 1367/2006 – Demande de réexamen interne – Tardiveté de la demande »

Dans l’affaire T‑86/22,

Associazione « Terra Mia Amici No TAP », établie à Melendugno (Italie), représentée par Me A. Calò, avocat,

partie requérante,

contre

Banque européenne d’investissement (BEI), représentée par M. T. Gilliams, Mmes G. Faedo et K. Carr, en qualité d’agents, assistés de Me A. Dal Ferro, avocat,

partie défenderesse,

soutenue par

Commission européenne, représentée par MM. G. Gattinara et L. Mantl, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LE TRIBUNAL (troisième chambre),

composé de M. F. Schalin, président, Mme P. Škvařilová‑Pelzl (rapporteure) et M. D. Kukovec, juges,

greffier : M. V. Di Bucci,

vu la phase écrite de la procédure,

vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,

rend le présent

Arrêt

1        Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, l’Associazione « Terra Mia Amici No TAP », demande, en substance, l’annulation de la décision no 1861 (JU/CORP/ICL/GG/KC/av) de la Banque européenne d’investissement (BEI), du 17 décembre 2021, portant rejet comme étant irrecevable, en raison notamment de sa tardiveté, de la demande de réexamen interne du 19 décembre 2020 concernant la décision de la BEI du 6 février 2018 relative au financement du projet de gazoduc de la Grèce vers l’Italie à travers l’Albanie et la mer Adriatique, également dénommé « Gazoduc Transadriatique (TAP) », et le contrat de prêt conclu, en application de cette décision, le 30 novembre 2018 (ci-après la « décision attaquée »), et, par voie de conséquence, d’ordonner à la BEI d’adopter une nouvelle décision révoquant ledit prêt.

 Faits antérieurs à l’introduction du recours

2        En 2016, TAP AG, la société propriétaire et réalisatrice du projet TAP, a soumis à la BEI une demande de financement qui a conduit à l’approbation, par délibération du conseil d’administration de cette dernière du 6 février 2018, de l’octroi d’un prêt ne pouvant excéder un montant total de 1,5 milliard d’euros et, finalement, fixé à un montant total de 700 millions d’euros pour financer la construction des trois tronçons, grec, italien et albanais, du projet TAP (ci-après le « prêt contesté »). Comme indiqué dans les informations relatives audit projet publiées le jour même sur le site Internet de la BEI, cette délibération était fondée sur une analyse environnementale et sociale complète, conforme aux principes et aux normes en matière sociale et environnementale de la BEI de 2009, dont les résultats étaient repris dans une fiche de données environnementales et sociales du 6 novembre 2017 disponible sur la page Internet de la BEI consacrée au projet TAP, qui récapitulait les conditions environnementales et sociales qui devaient être respectées pour que ledit projet soit éligible à un financement de la BEI.

3        Ainsi qu’il ressort du communiqué de presse publié par la BEI sur son site Internet, le contrat portant sur le prêt contesté a été conclu le 30 novembre 2018.

4        Par courriel du 19 décembre 2020, la requérante, qui est une association œuvrant pour la protection de l’environnement, a envoyé, à l’adresse interne du mécanisme de traitement des plaintes de la BEI, une demande de réexamen interne, au titre de l’article 10 du règlement (CE) no 1367/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 6 septembre 2006, concernant l’application aux institutions et organes de l[’Union] européenne des dispositions de la convention d’Aarhus sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement (JO 2006, L 264, p. 13), qui devait conduire la BEI, au vu du considérant 31 ainsi que de l’article 3, paragraphe 4, et de l’article 5, paragraphe 8, du règlement (UE) no 347/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 avril 2013, concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes, et abrogeant la décision no 1364/2006/CE et modifiant les règlements (CE) no 713/2009, (CE) no 714/2009 et (CE) no 715/2009 (JO 2013, L 115, p. 39), à « procéder au retrait immédiat, et, en tout état de cause, au plus tard dans le délai fixé à l’article 10, paragraphe 2, du règlement no 1367/2006, d[u] prêt[ contesté] » (ci-après la « demande de réexamen litigieuse »).

5        La BEI a répondu à la requérante que sa plainte avait été enregistrée sous la référence SG/E/2021/01, qu’elle serait examinée par le mécanisme de traitement des plaintes, conformément à la procédure applicable à celui-ci, et qu’une réponse formelle à son courriel pouvait en principe être espérée pour le 8 avril 2021. Cependant, à ladite échéance, elle a informé la requérante qu’elle ne serait pas en mesure de répondre à ce courriel dans le délai précédemment indiqué.

6        Le 26 avril 2021, la requérante a adressé à la BEI un courriel contenant une invitation à agir au titre de l’article 265, deuxième alinéa, TFUE.

7        Le 21 août 2021, la BEI n’ayant pas pris position sur son invitation à agir, la requérante a introduit un recours devant le Tribunal, enregistré sous la référence T‑514/21, dans lequel elle dénonçait une carence de la BEI à répondre à la demande de réexamen litigieuse.

8        Le 17 décembre 2021, la BEI a adopté la décision attaquée, portant rejet comme étant irrecevable, notamment en raison de sa tardiveté, de la demande de réexamen litigieuse.

9        Par courriel du 20 décembre 2021, la BEI a adressé à la requérante des lettres, en anglais et en italien, l’informant n’avoir compris qu’à la lecture de la requête introductive du recours dans l’affaire T‑514/21 que le courriel du 19 décembre 2020 contenait une demande de réexamen interne, introduite au titre de l’article 10 du règlement no 1367/2006, de la décision de son conseil d’administration du 6 février 2018 d’accorder le prêt contesté, et non une plainte pour mauvaise administration, et avoir, en conséquence, classé sans suite la plainte qu’elle avait enregistrée à la suite dudit courriel.

10      Un peu plus tard le même jour, la BEI a adressé à la requérante, en anglais, la décision attaquée.

11      Le 12 janvier 2022, elle lui a adressé cette même décision en italien.

 Faits postérieurs à l’introduction du recours

12      Par l’ordonnance du 19 octobre 2022, Associazione « Terra Mia Amici No TAP »/BEI (T‑514/21, non publiée, EU:T:2022:669), le Tribunal a prononcé un non-lieu à statuer sur le premier chef de conclusions, tendant à ce qu’il soit constaté que la BEI s’était illégalement abstenue de donner une réponse à la demande de réexamen litigieuse, au motif que la carence de la BEI avait, entretemps, pris fin avec l’adoption de la décision attaquée. Le recours a été rejeté pour le surplus et la BEI condamnée aux dépens.

 Conclusions des parties

13      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 15 février 2022, la requérante a introduit le présent recours, dans lequel elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée et, par voie de conséquence, ordonner à la BEI d’adopter une nouvelle décision révoquant le prêt contesté ;

–        condamner la BEI aux dépens.

14      Dans la réplique, déposée au greffe du Tribunal le 18 juin 2022, la requérante demande, en outre, au Tribunal de juger l’affaire par défaut et de lui adjuger ses conclusions, conformément à l’article 123 du règlement de procédure du Tribunal, ainsi que, à titre subsidiaire, de rejeter, comme étant irrecevables ou, à titre encore plus subsidiaire, non fondées, les fins de non-recevoir avancées à l’égard du recours par la BEI dans le mémoire en défense.

15      La BEI, soutenue par la Commission européenne, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter, comme étant dénuée de fondement, la demande de juger l’affaire par défaut et d’adjuger ses conclusions à la requérante ;

–        rejeter le recours, comme étant irrecevable ou non fondé ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur la demande visant à  juger l’affaire par défaut et à adjuger ses conclusions à la requérante,  en raison de l’irrecevabilité alléguée du mémoire en défense

16      La requérante allègue que le mémoire en défense de la BEI est irrecevable, car il aurait été déposé hors délai, de sorte que la condition énoncée à l’article 123, paragraphe 1, du règlement de procédure pour l’ouverture d’une procédure par défaut, tenant au non-respect du délai prescrit à l’article 81 de ce règlement, est remplie. En conséquence, elle demande au Tribunal de lui adjuger ses conclusions.

17      La BEI, soutenue par la Commission, conteste les arguments de la requérante et conclut au rejet de la demande adressée par cette dernière au Tribunal visant à lui adjuger ses conclusions comme étant dénuée de fondement.

18      À cet égard, il importe de rappeler que, aux termes de l’article 81 du règlement de procédure, le mémoire en défense doit être présenté dans les deux mois qui suivent la signification de la requête. Ce délai doit, en vertu de l’article 60 du règlement de procédure, être augmenté d’un délai de distance forfaitaire de dix jours.

19      En outre, par la décision du 11 juillet 2018 relative au dépôt et à la signification d’actes de procédure par la voie de l’application e-Curia (JO 2018, L 240, p. 72), le Tribunal a institué un mode de dépôt et de signification des actes de procédure par voie électronique. Conformément à l’article 6, troisième alinéa, première phrase, de cette décision, l’acte de procédure est signifié au moment où le destinataire demande l’accès à cet acte.

20      En ce qui concerne la signification, il résulte de ce même article, lu conjointement avec les paragraphes 21 à 25 des conditions d’utilisation de l’application e-Curia, que l’utilisateur, titulaire d’un compte d’accès à cette application, est averti par courriel lorsque les actes de procédure en attente de signification dans les affaires qui le concernent sont disponibles dans e-Curia. Ces actes sont réputés avoir été signifiés à l’expiration du septième jour qui suit celui de l’envoi dudit courriel.

21      En l’espèce, ainsi que cela ressort du dossier électronique, un courriel concernant le dépôt de la requête introductive d’instance a été envoyé à la BEI par la voie de l’application e-Curia le 18 février 2022 et la BEI y a demandé accès le 25 février 2022. Le délai pour présenter le mémoire en défense expirait donc le 5 mai 2022.

22      Il s’ensuit que, ayant été déposé au greffe du Tribunal le 4 mai 2022, le mémoire en défense a été présenté par la BEI dans le délai imparti, de sorte que la condition posée par l’article 123, paragraphe 1, du règlement de procédure n’est pas remplie.

23      Par conséquent, la demande de la requérante visant à ce que le Tribunal juge l’affaire par défaut et lui adjuge ses conclusions doit être rejetée comme étant non fondée.

 Sur la demande visant à annuler la décision attaquée et, par voie de conséquence, à ordonner à la BEI d’adopter une nouvelle décision révoquant le prêt contesté

24      La requérante demande au Tribunal d’annuler la décision attaquée, portant rejet de la demande de réexamen litigieuse, comme étant irrecevable, en s’appuyant, en substance, sur trois moyens. Par un premier moyen, elle conteste le bien-fondé du motif d’irrecevabilité de ladite demande retenu dans la décision attaquée, tiré de ce que l’examen de celle-ci aurait été incompatible avec l’indépendance fonctionnelle dont disposait la BEI dans le domaine de ses opérations financières, telle qu’elle était consacrée par l’article 15, paragraphe 3, l’article 271, sous c), et les articles 308 et 309 TFUE. Par un deuxième moyen, la requérante conteste le bien-fondé des motifs d’irrecevabilité de la demande de réexamen litigieuse retenus dans la décision attaquée, fondés sur le fait que l’acte dont le réexamen était demandé, à savoir la décision du conseil d’administration de la BEI, du 6 février 2018, d’accorder le prêt contesté, n’aurait pas été un « acte administratif » susceptible de réexamen, au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous g), du règlement no 1367/2006, tel qu’interprété par la jurisprudence, dans la mesure où cette décision, d’une part, n’aurait pas été adoptée dans le domaine du droit de l’environnement et, d’autre part, n’aurait produit aucun effet juridiquement contraignant et extérieur. Par un troisième et dernier moyen, la requérante conteste le bien-fondé du motif d’irrecevabilité de la demande de réexamen litigieuse retenu dans la décision attaquée, fondé sur la tardiveté de celle-ci, en raison du non-respect du délai fixé à l’article 10 du règlement no 1367/2006 pour l’introduction d’une demande de réexamen interne. Par ailleurs, la requérante conteste la recevabilité des fins de non-recevoir soulevées à l’égard du recours par la BEI dans le mémoire en défense, au motif que celles-ci n’ont pas été introduites par acte séparé, au sens de l’article 130, paragraphe 1, du règlement de procédure. Elle conteste également leur bien-fondé.

25      Sans formellement soulever d’exception d’irrecevabilité par acte séparé, la BEI argue, dans le mémoire en réponse, que la demande d’annulation de la décision attaquée formulée par la requérante est irrecevable, en raison de la tardiveté de la demande de réexamen litigieuse, et ce pour les raisons qu’elle a exposées dans la décision attaquée. En tout état de cause, elle soutient, en substance, que les trois moyens avancés à l’appui de la demande d’annulation de la décision attaquée et, partant, cette demande elle-même devraient être rejetés comme étant non fondés.

26      À titre liminaire, il importe de rappeler que le juge de l’Union est en droit d’apprécier, suivant les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond le recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C‑23/00 P, EU:C:2002:118, points 51 et 52).

27      En l’espèce, il y a lieu, dans un souci d’économie de la procédure, d’examiner d’emblée les moyens invoqués par la requérante, en commençant par le troisième d’entre eux, sans statuer préalablement sur la recevabilité de la demande d’annulation de la décision attaquée.

28      Aux fins de l’examen au fond du troisième moyen, il importe de rappeler que, dans le cadre de celui-ci, la requérante reproche, en substance, à la BEI de commettre des erreurs de droit en soutenant, comme elle le fait à la quatrième et dernière page de la décision attaquée, que le délai de six semaines énoncé à l’article 10 du règlement no 1367/2006, ou de huit semaines, en tenant compte de la version dudit article issue du règlement (UE) 2021/1767 du Parlement européen et du Conseil, du 6 octobre 2021, modifiant le règlement no 1367/2006 (JO 2021, L 356, p. 1), courait à compter du 6 février 2020, jour où la décision du conseil d’administration de la BEI d’accorder le prêt contesté aurait été publiée sur le site Internet de la BEI.

29      Selon la requérante, seule l’information relative à l’existence de cette dernière décision avait été publiée, le 6 octobre 2020, sur ledit site. Une telle publication ne lui aurait pas permis de prendre effectivement connaissance du contenu exact de cette décision et du prêt contesté, de sorte qu’elle n’aurait pas été de nature à faire courir à son égard le délai, énoncé à l’article 10 du règlement no 1367/2006, pour l’introduction d’une demande de réexamen interne. Il serait trompeur de prétendre, comme le ferait la BEI dans ses écritures, que des informations détaillées sur la décision de son conseil d’administration d’accorder le prêt contesté, adoptée lors de sa réunion du 6 février 2018, auraient été publiées, le jour même, sur son site Internet, puis reprises dans le procès-verbal de cette réunion, adopté lors de la réunion suivante du conseil d’administration, le 15 mars 2018, et publié, sur ce même site, le 15 juin 2018.

30      En outre, la requérante soutient que, dans la mesure où la demande de réexamen litigieuse visait l’absence de révocation par la BEI du prêt contesté pour cause de non-conformité du projet TAP, y compris l’ensemble des travaux réalisés dans le cadre dudit projet, avec les réglementations environnementales européenne et italienne applicables et où le bien-fondé d’une telle demande ne pouvait être valablement apprécié avant que le projet TAP ne soit intégralement réalisé, le délai énoncé à l’article 10 du règlement no 1367/2006 ne devait pas courir avant la mise en service de ce projet, laquelle, selon la presse, était intervenue le 18 novembre 2020. Dès lors, la demande de réexamen litigieuse n’aurait pas été introduite hors délai. La prise en compte de la date d’achèvement des travaux du projet TAP ne modifierait pas cette conclusion, étant donné que, au jour de l’introduction de la requête, à savoir le 15 février 2022, et ainsi que cela ressortirait de certains éléments du dossier, ces travaux n’auraient pas été achevés. En tout état de cause et ainsi que cela ressortirait d’autres éléments du dossier, ces travaux auraient toujours été en cours au moment de l’introduction de la demande de réexamen litigieuse, à savoir le 19 novembre 2020.

31      La requérante fait également valoir que le rejet de la demande de réexamen litigieuse et du présent recours comme étant irrecevables pour cause de tardiveté de ladite demande, résultant de la prise en compte de la date de publication alléguée de la décision du conseil d’administration de la BEI, du 6 février 2018, d’accorder le prêt contesté, plutôt que de celle de la mise en service ou de l’achèvement des travaux du projet TAP, produirait des effets absurdes dans la mesure où il laisserait subsister dans l’ordre juridique un acte qui serait illégal, pour avoir permis le financement et, partant, la réalisation d’un projet contrevenant aux réglementations environnementales européenne et italienne applicables.

32      Enfin, la requérante objecte que le comportement délibérément obstructionniste adopté par la République italienne et TAP, afin d’empêcher et de retarder la possibilité, pour le public, de contrôler la conformité du projet TAP à la réglementation environnementale applicable, ferait clairement obstacle à ce que le caractère prétendument tardif de la demande de réexamen litigieuse puisse lui être opposé.

33      La BEI, soutenue par la Commission, réfute les arguments de la requérante.

34      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, contrairement à ce que soutient la requérante, la demande de réexamen litigieuse portait, en l’espèce, sur un acte adopté par la BEI, à savoir la décision de son conseil d’administration, du 6 février 2018, d’accorder le prêt contesté, et non sur une omission de la BEI d’adopter un acte, qui aurait consisté à révoquer a posteriori le prêt contesté compte tenu des conditions de réalisation de l’ensemble du projet TAP. En effet, au vu de la dernière page de cette demande, la requérante considérait que, « en accordant le [prêt contesté au projet] TAP, la BEI a[vait] violé les règles normales de ‘‘due diligence’’, en finançant un projet qui [étai]t […] illégitime et non conforme aux réglementations italiennes et européennes ». En particulier, à la page 30 de la demande de réexamen litigieuse, la requérante dénonçait le fait que le prêt contesté aurait été accordé par la BEI sur le fondement d’une appréciation erronée, reprise à la page 2 de la fiche de données environnementales et sociales du 6 novembre 2017 (voir point 2 ci-dessus), selon laquelle les réglementations italiennes et européennes en matière d’évaluation des incidences du projet TAP sur l’environnement auraient été respectées. Elle cherchait donc, en substance, par cette demande, à obtenir du conseil d’administration de la BEI qu’il modifie sa décision initiale, en refusant d’accorder le prêt contesté, après avoir constaté que celle-ci reposait sur l’appréciation erronée selon laquelle le projet TAP financé par ce prêt était conforme aux réglementations environnementales européenne et italienne applicables.

35      Au demeurant, l’interprétation de la demande de réexamen litigieuse donnée par la requérante dans le cadre du présent recours, selon laquelle ladite demande, d’une part, portait sur l’absence d’adoption par le conseil d’administration de la BEI d’une nouvelle décision, révoquant a posteriori celle du 6 février 2018 accordant le prêt contesté, au vu de la manière dont l’ensemble du projet TAP avait été réalisé, et, d’autre part, ne pouvait valablement être appréciée avant la mise en service ou l’achèvement des travaux de ce projet (voir point 30 ci-dessus), n’est pas cohérente avec la position de celle-ci, rappelée au point 13 de la réplique, selon laquelle « la délibération du conseil d’administration de la BEI […] ét[ait], dès l’origine, non conforme à la déclaration [des principes et normes en matière sociale et environnementale] de la BEI [de 2009] (en raison de la non-conformité du projet avec la réglementation européenne et italienne en matière d’évaluation des incidences sur l’environnement) ».

36      Au vu des appréciations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la BEI a considéré à juste titre, dans la décision attaquée, que la demande de réexamen litigieuse avait pour objet un acte préalablement adopté, à savoir la décision de son conseil d’administration du 6 février 2018 d’accorder le prêt contesté, et non l’absence d’adoption d’un acte qui aurait consisté à révoquer a posteriori ladite décision.

37      Il reste à examiner si la demande de réexamen litigieuse ainsi interprétée a été introduite dans le délai prévu par les règles de procédure applicables, étant observé que, dans la décision attaquée, la BEI a tenu compte, à cet égard, tant de la version de l’article 10 du règlement no 1367/2006, antérieure à celle issue du règlement 2021/1767, que de celle issue de ce dernier.

38      À cet égard, il convient de constater que, au moment où la demande de réexamen litigieuse a été introduite, à savoir le 19 novembre 2020, le règlement 2021/1767 n’était pas encore applicable. En effet, conformément à son article 2, ledit règlement n’est entré en vigueur et devenu applicable que le 20e jour suivant sa publication au Journal officiel de l’Union européenne, à savoir le 28 octobre 2021. Partant, il y a lieu, en l’espèce, de se référer à la version de l’article 10 du règlement no 1367/2006, antérieure à celle issue du règlement 2021/1767, aux termes de laquelle, toute organisation non gouvernementale satisfaisant aux critères prévus à l’article 11 du règlement no 1367/2006 est habilitée à introduire une demande de réexamen interne auprès de l’institution, de l’organe ou de l’organisme de l’Union qui a adopté un acte administratif au titre du droit de l’environnement, et ce dans un délai de six semaines à compter de la date à laquelle ledit acte a été adopté, notifié, publié, la plus récente de ces dates étant retenue.

39      Ainsi que cela a été observé au point 36 ci-dessus, la demande de réexamen litigieuse portait sur la décision du conseil d’administration de la BEI, du 6 février 2018, d’accorder le prêt contesté.

40      À cet égard, il importe de rappeler que, conformément aux termes de l’article 19, paragraphe 3, des statuts de la BEI établis par le protocole no 5 annexé au traité UE et au traité FUE, son conseil d’administration statue, selon les modalités de délibération prévues par lesdits statuts et par le règlement intérieur de la BEI alors en vigueur, sur les opérations de financement qui lui sont soumises par le comité de direction, lequel, conformément à l’article 11, paragraphe 3, de ces mêmes statuts, a un rôle de préparation et d’exécution concernant la conclusion d’emprunts et l’octroi de financements, notamment sous forme de crédits et de garanties.

41      Par ailleurs, dans le cadre de la politique de transparence du Groupe BEI, telle qu’elle était en vigueur à l’époque des faits, la BEI s’engageait, pour appuyer et promouvoir le respect du principe de transparence, à publier des informations relatives aux projets, le principal outil de diffusion desdites informations étant son site Internet « www.bei.org ». La BEI devait notamment publier les résumés de tous les projets d’investissement au moins trois semaines avant leur examen par son conseil d’administration pour approbation. Ces résumés devaient généralement mentionner l’intitulé du projet, le nom du promoteur, la localisation du projet, le secteur dont il relevait, une description de son contenu, les objectifs qu’il poursuivait, les aspects environnementaux et – le cas échéant – sociaux, des informations sur la passation des marchés, le financement de la BEI proposé et le coût total du projet. En outre, lesdits résumés devaient préciser le statut de l’opération au regard du cycle du projet (« en cours d’instruction », « approuvé » ou « signé »). Enfin, ils devaient comporter, s’il y avait lieu, un lien vers les informations relatives à l’environnement (évaluations des incidences environnementales et sociales et résumés non techniques), qui devaient être mises à disposition aussitôt que possible dans le cycle du projet.

42      Il ressort du point 16 du procès-verbal de la réunion du conseil d’administration de la BEI du 6 février 2018 que la décision de ce dernier d’accorder le prêt contesté a été adoptée par voie de délibération de ses membres, sur le fondement de l’ensemble des documents préparatoires et des avis relatifs au projet TAP et au prêt contesté qui leur avaient été préalablement communiqués.

43      Le jour même de cette réunion, la BEI a publié, sur son site Internet, l’information selon laquelle, « après des discussions détaillées, [son] conseil d’administration […] avait approuvé un financement de 1,5 milliard d’euros pour le [projet] TAP », en renvoyant au site Internet dudit projet pour des informations plus détaillées. Le même jour, sur ledit site, la BEI a communiqué davantage d’informations sur cette décision. Elle indiquait, notamment, que « [s]a présence […] garantissait que le projet [TAP] serait conforme aux [principes et aux] normes en matière environnementale et sociale de la BEI [de 2009] et que toutes les évaluations nécessaires pour justifier cela [avaie]nt été effectuées et [étaie]nt publiées sur le site de la [BEI] ». En effet, « [le] financement de la BEI rest[ait] conditionné au fait que le [projet] TAP soit construit et opéré en respectant les [principes et les] normes en matière environnementale et sociale de la BEI [de 2009] ». Un lien permettait, notamment, d’accéder à la fiche de données environnementales et sociales du 6 novembre 2017 (voir point 2 ci-dessus), qui récapitulait les conditions devant être respectées, avant et après la signature du prêt contesté, pour que le projet TAP soit pleinement conforme aux principes et aux normes en matière sociale et environnementale de la BEI de 2009 et, comme tel, éligible à un financement par la BEI.

44      Les informations ainsi publiées le 6 février 2018 sur le site Internet de la BEI étaient suffisantes pour permettre au public de connaître la substance de la décision de son conseil d’administration du même jour d’accorder le prêt contesté et les conditions environnementales auxquelles ledit prêt était octroyé.

45      Compte tenu de la nature de l’acte en cause, à savoir une délibération du conseil d’administration de la BEI sur une opération de financement prise sur le fondement de l’ensemble des documents préparatoires et des avis relatifs à cette dernière, du cadre dans lequel, à l’époque des faits, de telles décisions étaient adoptées, des informations relatives auxdites décisions habituellement communiquées au public (voir points 40 et 41 ci-dessus) et de l’objectif poursuivi par la procédure de réexamen interne, qui est de créer la possibilité d’engager des procédures pour contester les actes allant à l’encontre du droit de l’environnement (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2018, TestBioTech/Commission, T‑33/16, EU:T:2018:135, point 48), la publication de ces informations devait être considérée, contrairement à ce que soutient la requérante, comme répondant à la notion de « publication de l’acte administratif en cause », au sens de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1367/2006, de nature à faire courir le délai pour l’introduction d’une demande de réexamen interne de cet acte.

46      Au demeurant, cette publication a permis à la requérante, dans la demande de réexamen litigieuse, d’identifier l’acte à réexaminer, à savoir la décision du conseil d’administration de la BEI, du 6 février 2018, d’accorder le prêt contesté et les raisons pour lesquelles, selon elle, cette décision devait être réexaminée, à savoir que, dès l’origine, elle serait allé à l’encontre du droit de l’environnement, en raison de la non-conformité du projet TAP, financé par ce prêt, aux réglementations environnementales européenne et italienne applicables.

47      Le délai maximal de six semaines, fixé par l’article 10 du règlement no 1367/2006 pour introduire une demande de réexamen interne de la décision du conseil d’administration de la BEI du 6 février 2018 d’accorder le prêt contesté, à compter de la date à laquelle cette décision avait été publiée, a donc commencé à courir le 6 février 2018, pour expirer le 20 mars suivant.

48      Il s’ensuit que la demande de réexamen litigieuse, introduite par la requérante le 19 décembre 2020, soit plus de deux ans et demi après l’expiration de ce délai, était tardive et, comme telle, irrecevable.

49      Les circonstances invoquées par la requérante, tirées, d’une part, du comportement délibérément obstructionniste qui aurait été adopté par la République italienne et par TAP afin d’empêcher et de retarder la possibilité, pour le public, de contrôler la conformité du projet TAP à la réglementation environnementale applicable ou, d’autre part, des effets absurdes qui seraient liés au maintien dans l’ordre juridique d’un acte qui serait illégal, pour avoir permis le financement et, partant, la réalisation d’un projet contrevenant aux réglementations environnementales européenne et italienne applicables, ne peuvent excuser le non-respect, par celle-ci, du délai impératif, fixé par l’article 10 du règlement no 1367/2006, pour introduire une demande de réexamen interne d’une décision à compter du moment où celle-ci a été publiée.

50      Au vu de l’ensemble des appréciations qui précèdent, il y a lieu de constater que, dans la décision attaquée, la BEI a rejeté à juste titre la demande de réexamen litigieuse comme étant irrecevable, pour cause de tardiveté, et que, partant, le troisième moyen du recours doit être rejeté comme étant non-fondé.

51      Par conséquent et sans même qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des premier et deuxième moyens, par lesquels la requérante a contesté les autres motifs d’irrecevabilité de la demande de réexamen litigieuse retenus par la BEI dans la décision attaquée, il convient de rejeter, comme étant non fondées, la demande d’annulation de la décision attaquée formulée par la requérante ainsi que la demande subséquente à cette dernière, visant à ce que le Tribunal ordonne à la BEI d’adopter une nouvelle décision révoquant le prêt contesté, de sorte que le présent recours se trouve être entièrement rejeté.

 Sur les dépens

52      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la BEI.

53      Selon l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, les institutions qui sont intervenues au litige supportent leurs propres dépens. La Commission, qui est intervenue, dans cadre du présent recours, au soutien des conclusions de la BEI, supportera donc ses propres dépens.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (troisième chambre)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      L’Associazione « Terra Mia No TAP » est condamnée à supporter ses propres dépens ainsi que les dépens exposés par la Banque européenne d’investissement (BEI).

3)      La Commission européenne supportera ses propres dépens.

Schalin

Škvařilová-Pelzl

Kukovec

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 13 septembre 2023.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.

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