VGG AG (Rules of Procedure of the Court of Justice - Requirement to present the factual context of the dispute in the main proceedings - Order) French Text [2024] EUECJ C-190/23_CO (17 May 2024)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/C19023_CO.html
Cite as: [2024] EUECJ C-190/23_CO, EU:C:2024:420, ECLI:EU:C:2024:420

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ORDONNANCE DE LA COUR (septième chambre)

17 mai 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 53, paragraphe 2, et article 94 du règlement de procédure de la Cour – Exigence de présentation du contexte factuel du litige au principal – Absence de précisions suffisantes – Article 56 TFUE – Accord entre la Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, sur la libre circulation des personnes – Champ d’application – Interdiction des restrictions à des prestations de services transfrontalières n’excédant pas une durée de 90 jours par année civile – Prestations de services en France d’une durée supérieure à 90 jours – Irrecevabilité manifeste – Absence de situation de mise en œuvre du droit de l’Union – Incompétence manifeste »

Dans l’affaire C‑190/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le juge d’instruction au tribunal judiciaire de Paris (France), par décision du 17 février 2023, parvenue à la Cour le 17 février 2023, dans la procédure pénale contre

VGG AG,

VGG Entertainment Inc.,

Dan A.,

M. Trade SAS,

D. SASU,

T. Logistique SAS,

Arthur C.,

S. SAS,

Grégory B.,

David C.,

David M.,

IE,

CID,

en présence de :

Procureur de la République de Paris,

Association Plus De Sons,

Prodiss SARL,

Théâtre Musical de Paris – Châtelet,

Union européenne des Sociétés de Football Association (UEFA),

EURO 2016 SAS,

Première Ligue,

Union fédérale des consommateurs Que Choisir,

Corida SA,

Radical Production SAS,

Garaca (Rock en Seine) SAS,

Décibels Productions SAS,

TS 3 SAS,

J.H.D Production Alias,

Foot Unis,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de chambre, MM. N. Wahl (rapporteur) et J. Passer, juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour VGG AG et VGG Entertainment Inc., par Me D. Mullenex, avocat,

–        pour Dan A., M. Trade SAS et D. SASU, par Me V. Daibilian, avocate,

–        pour T. Logistique SAS et M. Arthur C., par Me W. Benhamou, avocat,

–        pour Prodiss SARL, par Me M. É Papin, avocat,

–        pour EURO 2016 SAS et Union européenne des Sociétés de Football Association (UEFA), par Me P. Spinosi, avocat,

–        pour Foot Unis, par Mes F. Callede et R. Soiron, avocats,

–        pour le gouvernement français, par M. R. Bénard, Mme B. Dourthe, MM. B. Fodda et T. Lechevallier, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme F. Varrone, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par Mme L. Armati et M. M. Mataija, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 52, 56, 101 à 109 TFUE, de l’article 38 et de l’article 49, paragraphes 1 et 3, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que du principe de sécurité juridique.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’une procédure pénale engagée contre des personnes physiques et morales, dont VGG AG et VGG Entertainment Inc., du fait de l’hébergement, par ces sociétés, de sites Internet organisant la revente prétendument illicite de billets pour des événements sportifs, culturels ou commerciaux.

 Le cadre juridique

 L’accord CE-Suisse

3        La Communauté européenne et ses États membres, d’une part, et la Confédération suisse, d’autre part, ont signé le 21 juin 1999 à Luxembourg sept accords, dont l’accord sur la libre circulation des personnes (JO 2002, L 114, p. 6, ci-après l’« accord CE-Suisse »). Par la décision 2002/309/CE, Euratom du Conseil et de la Commission en ce qui concerne l’accord de coopération scientifique et technologique, du 4 avril 2002, relative à la conclusion de sept accords avec la Confédération suisse (JO 2002, L 114, p. 1, et rectificatif JO 2015, L 210, p. 38), ces accords ont été approuvés au nom de la Communauté. Ils sont entrés en vigueur le 1er juin 2002.

4        L’article 1er de l’accord CE-Suisse, intitulé « Objectif », prévoit :

« L’objectif de cet accord, en faveur des ressortissants des États membres de la Communauté européenne et de la Suisse, est :

[...]

b)      de faciliter la prestation de services sur le territoire des parties contractantes, en particulier de libéraliser la prestation de services de courte durée ;

[...] »

5        L’article 5 de l’accord CE-Suisse, intitulé « Prestataire de services », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Sans préjudice d’autres accords spécifiques relatifs à la prestation de services entre les parties contractantes [...], un prestataire de services, y compris les sociétés conformément aux dispositions de l’annexe I, bénéficie du droit de fournir un service pour une prestation sur le territoire de l’autre partie contractante qui ne dépasse pas 90 jours de travail effectif par année civile. »

6        Aux termes de l’article 15 de l’accord CE-Suisse, intitulé « Annexes et protocoles », les annexes et les protocoles de cet accord en font partie intégrante.

7        L’article 17 de l’annexe I de l’accord CE-Suisse, intitulé « Prestataire de services », énonce :

« Est interdite, dans le cadre de la prestation de services, selon l’article 5 du présent accord :

a)      toute restriction à une prestation de services transfrontalière sur le territoire d’une partie contractante ne dépassant pas 90 jours de travail effectif par année civile.

[...] »

8        Conformément à l’article 18 de cette annexe I, les dispositions de l’article 17 de celle-ci s’appliquent à des sociétés qui sont constituées en conformité avec la législation d’un État membre de la Communauté ou de la Confédération suisse et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur établissement principal sur le territoire d’une partie contractante.

9        L’article 21 de ladite annexe I prévoit, à son paragraphe 1 :

« La durée totale d’une prestation de service visée par l’article 17 point a) de la présente annexe, qu’il s’agisse d’une prestation ininterrompue ou de prestations successives, ne peut excéder 90 jours de travail effectif par année civile. »

 Le droit de l’Union

10      L’article 94 du règlement de procédure de la Cour dispose :

« Outre le texte des questions posées à la Cour à titre préjudiciel, la demande de décision préjudicielle contient :

a)      un exposé sommaire de l’objet du litige ainsi que des faits pertinents, tels qu’ils ont été constatés par la juridiction de renvoi ou, à tout le moins, un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées ;

[...]

c)      l’exposé des raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à s’interroger sur l’interprétation ou la validité de certaines dispositions du droit de l’Union, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige au principal. »

 Le droit français

11      L’article 1er de la loi du 27 juin 1919 portant répression du trafic des billets de théâtre (JORF du 1er juillet 1919, p. 6748, ci-après la « loi portant répression du trafic des billets de théâtre ») prévoit :

« Toute personne convaincue d’avoir vendu ou cédé, d’avoir tenté de vendre ou céder, à un prix supérieur à celui fixé et affiché dans les théâtres et concerts subventionnés ou avantagés d’une façon quelconque par l’État, les départements ou les communes, ou moyennant une prime quelconque, des billets pris au bureau de location ou de vente desdits théâtres ou concerts, sera punie d’une amende de seize [anciens] francs [...] à cinq cents [anciens] francs [...]

En cas de récidive dans les trois années qui ont suivi la dernière condamnation, l’amende pourra être portée à [3 750 anciens francs]. »

12      L’article 313-6-2 du code pénal est libellé comme suit :

« Le fait de vendre, d’offrir à la vente ou d’exposer en vue de la vente ou de la cession ou de fournir les moyens en vue de la vente ou de la cession des titres d’accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale ou à un spectacle vivant, de manière habituelle et sans l’autorisation du producteur, de l’organisateur ou du propriétaire des droits d’exploitation de cette manifestation ou de ce spectacle, est puni de 15 000 [euros] d’amende. Cette peine est portée à 30 000 [euros] d’amende en cas de récidive.

Pour l’application du premier alinéa, est considéré comme titre d’accès tout billet, document, message ou code, quels qu’en soient la forme et le support, attestant de l’obtention auprès du producteur, de l’organisateur ou du propriétaire des droits d’exploitation du droit d’assister à la manifestation ou au spectacle. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

13      VGG, une société établie en Suisse, et VGG Entertainment, une société établie aux États-Unis, hébergent des sites Internet (ci-après les « sites Internet VGG ») permettant à des personnes ayant acheté, auprès des émetteurs officiels, des titres d’accès à des événements sportifs, culturels ou commerciaux de les revendre, en tant que billets de seconde main, à d’autres personnes.

14      À la suite de nombreuses plaintes formées, à compter du 30 janvier 2017, par des personnes ayant acheté des billets sur les sites Internet VGG et par plusieurs de ces émetteurs officiels, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF, France) a mené des investigations et des auditions.

15      À l’issue de celles-ci, elle a transmis au procureur de la République de Paris (France) un rapport, daté du 4 janvier 2018, pour dénoncer notamment des faits qualifiés, d’une part, de vente et tentative de vente de billets à un prix supérieur à celui fixé et affiché dans les concerts subventionnés par l’État, par les départements ou par les communes, au sens de l’article 1er de la loi portant répression du trafic des billets de théâtre, et, d’autre part, de vente, offre à la vente et exposition en vue de la vente, fourniture de moyens en vue de la vente des titres d’accès à une manifestation sportive, culturelle ou commerciale ou à un spectacle vivant, de manière habituelle et sans l’autorisation du producteur, de l’organisateur ou du propriétaire des droits d’exploitation de cette manifestation ou de ce spectacle, au sens de l’article 313-6-2 du code pénal.

16      Le procureur de la République de Paris a ainsi saisi le juge d’instruction au tribunal judiciaire de Paris (France), qui constitue la juridiction de renvoi dans la présente affaire. Le dossier ouvert auprès de la juridiction de renvoi a fait l’objet d’une jonction avec un autre dossier déjà instruit au titre d’une précédente plainte avec constitution de partie civile. Le 27 septembre 2021, la juridiction de renvoi a mis en examen VGG et VGG Entertainment pour les faits reprochés. Celles-ci ont contesté le bien-fondé des poursuites engagées contre elles. À cet égard, ces sociétés ont notamment invoqué l’incompatibilité avec le droit de l’Union de l’article 1er de la loi portant répression du trafic des billets de théâtre ainsi que de l’article 313-6-2 du code pénal et ont proposé de saisir la Cour d’une demande de décision préjudicielle.

17      La juridiction de renvoi signale que VGG et VGG Entertainment estiment qu’elles ne sauraient être poursuivies au titre des infractions prévues et réprimées par l’article 1er de la loi portant répression du trafic des billets de théâtre et par l’article 313-6-2 du code pénal, en raison de leur contrariété manifeste au droit de l’Union, notamment au regard des articles 52 et 56 TFUE, de l’article 49, paragraphes 1 et 3, de la Charte et du principe de sécurité juridique consacré par la Cour en tant que principe général de droit de l’Union.

18      C’est dans ces conditions que le juge d’instruction au tribunal judiciaire de Paris a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 56 [TFUE] est-il à interpréter en ce sens qu’il permet aux autorités nationales d’appliquer une législation, issue de l’article 1er de [la loi portant répression du trafic des billets de théâtre] et de l’article 313-6-2 du [code pénal], dans la mesure où ces dispositions ont pour effet d’interdire, sauf exception, la revente ou l’aide à la revente entre les personnes physiques ou morales européennes, situées dans deux États membres différents, de billets achetés sur le premier marché ?

2)      Les articles 56 et 52 [TFUE] ainsi que les exigences impérieuses d’intérêt général qui s’y rapportent sont-ils à interpréter en ce sens qu’ils permettent aux autorités nationales, sur le fondement d’une législation issue de l’article 1er de [la loi portant répression du trafic des billets de théâtre] et de l’article 313-6-2 [du code pénal], de justifier des restrictions qui ne paraissent pas aptes à protéger efficacement les objectifs invoqués, tels que la protection de l’ordre public et la protection des consommateurs, ou qui seraient disproportionnées eu égard aux mesures alternatives qui pourraient être envisagées ?

3)      L’article 49, paragraphe 3, de la [Charte] est-il à interpréter en ce sens qu’il permet d’appliquer aux auteurs d’une infraction à l’article 313-6-2 du [code pénal] des amendes d’un montant prévu par cet article, s’élevant à 15 000 euros et, en cas de récidive, à 30 000 euros, eu égard, d’une part, au caractère entravant du dispositif législatif mis en place et [...], d’autre part, à la faible gravité des infractions commises ?

4)      Le principe de sécurité juridique consacré par la Cour de justice de l’Union européenne en tant que principe général de droit de [l’Union] et l’article 49, paragraphe 1, de la [Charte] consacrant le principe de légalité des délits et des peines sont-ils à interpréter en ce sens qu’ils autorisent le maintien de l’article 1er de [la loi portant répression du trafic des billets de théâtre] qui, d’une part, ne permet pas aux personnes intéressées de savoir si leur vente ou cession porte sur un billet subventionné ou avantagé alors que cette circonstance engage leur responsabilité pénale et, d’autre part, ne permet pas aux justiciables de connaître avec précision la peine encourue, cette peine étant libellée en anciens francs sans renvoi exprès à des textes applicables ?

5)      Le principe de sécurité juridique consacré par la Cour de justice de l’Union européenne en tant que principe général de droit de [l’Union] et l’article 49, paragraphe 1, de la [Charte] consacrant le principe de légalité des délits et des peines sont-ils à interpréter en ce sens qu’ils s’opposent à l’application de l’article 313-6-2 du [code pénal] qui conduit à une incertitude dans le chef d’une personne exposant ou fournissant les moyens en vue de la vente de titres d’accès à une manifestation ou à un spectacle, laquelle personne n’est pas en capacité de savoir si le vendeur a ou non obtenu l’autorisation du producteur, de l’organisateur ou du propriétaire des droits d’exploitation et alors même que la notion d’organisateur n’est pas clairement définie dans les textes applicables ?

6)      L’article 313-6-2 du [code pénal] contribue-t-il à ériger un niveau élevé de protection du consommateur tel que voulu par le droit de l’Union et consacré par l’article 38 de la [Charte], puisque ce dispositif pénal permet de lutter contre la spéculation de billets par des intermédiaires non habilités ?

7)      L’interdiction d’une revente de billets par une personne n’étant pas l’organisateur ou le producteur du spectacle ou quelqu’un ayant reçu son autorisation pour ce faire, instaurée par l’article 313-6-2 du code pénal, n’est-il pas contraire au principe de mise en concurrence consacré par le droit de l’Union (articles 101 à 109 [TFUE]) ?

8)      L’article 313-6-2 du code pénal n’accorde-t-il pas un droit exclusif aux organisateurs de spectacles contraire à l’article 106, [paragraphe] 1, [...] TFUE en ce qu’il confère à ces organisateurs un monopole sur la vente de leurs billets ? »

 La procédure devant la Cour

19      La demande de décision préjudicielle a été signifiée aux intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne sur la base des informations fournies par la juridiction de renvoi quant aux parties à la procédure au principal.

20      À la suite de ces significations, des observations écrites ont été présentées par VGG et VGG Entertainment, par d’autres parties défenderesses au principal, à savoir T. Logistique SAS, M. Arthur C., M. Trade SAS, D. SASU, par deux entités qui s’étaient constituées parties civiles au principal, à savoir Prodiss SARL et l’Union des associations européennes de football (UEFA), par les gouvernements français et italien ainsi que par la Commission européenne.

21      La phase écrite de la procédure a été clôturée le 16 août 2023.

22      Le 23 août 2023, le représentant de l’association Foot Unis a informé le greffe de la Cour que sa cliente souhaitait participer à la procédure devant la Cour, en sa qualité de partie civile dans l’affaire au principal.

23      Le 13 octobre 2023, le président de la Cour a rejeté la demande de Foot Unis, dès lors que la juridiction de renvoi, en dépit de plusieurs sollicitations par le greffe de la Cour, n’avait pas clarifié le statut de Foot Unis dans l’affaire au principal.

24      Par courriel du 25 octobre 2023, la juridiction de renvoi a informé la Cour que Foot Unis était partie civile dans l’affaire au principal, et ce depuis le 1er octobre 2021.

25      Dans ces circonstances, par décision du président de la Cour du 8 novembre 2023, la phase écrite de la procédure a été rouverte, afin de permettre à Foot Unis de déposer ses observations. Ces dernières l’ayant été le 3 janvier 2024, la phase écrite de la procédure a été à nouveau clôturée à cette date.

26      En vertu de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque la Cour est manifestement incompétente pour connaître d’une affaire ou lorsqu’une demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable, la Cour, l’avocat général entendu, peut à tout moment décider de statuer par voie d’ordonnance motivée, sans poursuivre la procédure.

27      Il y a lieu de faire application de cette disposition dans la présente affaire.

 Sur la compétence de la Cour et sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

28      Dans leurs observations écrites, plusieurs parties intéressées font valoir, d’une part, que la Cour n’est pas compétente pour traiter la présente demande de décision préjudicielle dans son ensemble, dès lors que l’affaire au principal porterait sur une situation interne à la République française, et, d’autre part, que cette demande est irrecevable, au motif, en substance, qu’elle ne remplirait pas les conditions prévues à l’article 94 du règlement de procédure.

29      En premier lieu, s’agissant de la compétence de la Cour, il suffit de relever que, dans la mesure où VGG est une société établie en Suisse susceptible d’invoquer l’application des dispositions de l’accord CE‑Suisse, approuvé par la décision 2002/309, l’affaire au principal ne porte pas sur une situation interne à la République française.

30      Partant, il ne saurait être considéré que la Cour n’est pas compétente pour traiter la présente demande de décision préjudicielle dans son ensemble.

31      En second lieu, s’agissant de la recevabilité de cette demande, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny, C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 44 ainsi que jurisprudence citée).

32      Dès lors que la demande de décision préjudicielle constitue le fondement de la procédure suivie devant la Cour, il est indispensable que la juridiction de renvoi explicite, dans cette demande, le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’inscrit le litige au principal et donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation, ainsi que le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis [voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Governo della Repubblica italiana (Statut des juges de paix italiens), C‑658/18, EU:C:2020:572, point 68 et jurisprudence citée].

33      Ces exigences cumulatives concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure et sont rappelées, notamment, au point 15 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1).

34      Il convient également de rappeler que les informations contenues dans les décisions de renvoi servent non seulement à permettre à la Cour de fournir des réponses utiles, mais également à donner aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés la possibilité de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne (arrêts du 27 novembre 2012, Pringle, C‑370/12, EU:C:2012:756, point 85, et du 13 juillet 2017, Szoja, C‑89/16, EU:C:2017:538, point 49).

35      En l’occurrence, s’agissant du cadre factuel de la procédure pénale au principal, la demande de décision préjudicielle permet de comprendre que VGG et VGG Entertainment ont été mises en examen par la juridiction de renvoi à la suite de certaines plaintes concernant la revente de billets pour des événements sportifs, culturels ou commerciaux sur les sites Internet VGG, en prétendue violation de l’article 1er de la loi portant répression du trafic des billets de théâtre et de l’article 313-6-2 du code pénal. Ces sociétés ont invoqué, devant cette juridiction, que cette réglementation nationale était contraire à la libre prestation de services, garantie notamment à l’article 56 TFUE, à l’article 49, paragraphes 1 et 3, de la Charte et au principe de sécurité juridique.

36      Certes, concernant les raisons du renvoi, la juridiction de renvoi, lorsqu’elle s’est référée au fait que VGG et VGG Entertainment avaient invoqué ces dispositions ainsi que ce principe, n’a pas explicitement développé les raisons qui l’ont amenée, elle aussi, à considérer que les questions d’interprétation soulevées par ces parties étaient pertinentes pour la solution du litige au principal.

37      Toutefois, il résulte de la jurisprudence de la Cour que toutes les juridictions nationales jouissent d’un pouvoir d’appréciation en ce qui concerne le point de savoir si une décision sur un point de droit de l’Union est nécessaire pour leur permettre de rendre leur décision. Ces juridictions ne sont, dès lors, pas tenues de renvoyer une question d’interprétation du droit de l’Union soulevée devant elles si la question n’est pas pertinente, c’est‑à‑dire dans les cas où la réponse à cette question, quelle qu’elle soit, ne pourrait avoir aucune influence sur la solution du litige (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2022, Airbnb Ireland et Airbnb Payments UK, C‑83/21, EU:C:2022:1018, point 81 ainsi que jurisprudence citée).

38      En outre, il convient de rappeler que le système de coopération directe entre la Cour et les juridictions nationales, instauré par l’article 267 TFUE, est étranger à toute initiative des parties au principal. Ces dernières ne sauraient priver les juridictions nationales de leur indépendance dans l’exercice de leur pouvoir d’appréciation visé au point précédent, notamment en les obligeant à présenter une demande de décision préjudicielle (arrêt du 22 décembre 2022, Airbnb Ireland et Airbnb Payments UK, C‑83/21, EU:C:2022:1018, point 83 ainsi que jurisprudence citée).

39      Partant, il y a lieu de considérer que la juridiction de renvoi, lorsqu’elle a décidé de soumettre à la Cour la présente demande de décision préjudicielle en y reproduisant les raisons invoquées à cet égard par VGG et VGG Entertainment, a fait siennes ces raisons.

40      Dès lors, cette demande ne saurait être déclarée manifestement irrecevable, dans son ensemble, au motif que la juridiction de renvoi n’aurait pas respecté l’exigence, résultant de l’article 94, sous c), du règlement de procédure, d’exposer les raisons du renvoi.

41      En revanche, il y a lieu de relever, à l’instar de Foot Unis, que la juridiction de renvoi n’a pas fourni d’information concernant les parties défenderesses au principal autres que VGG et VGG Entertainment (ci‑après les « autres parties défenderesses au principal »). Ainsi, force est de constater que, en procédant de la sorte, elle n’a pas respecté l’exigence, prévue à l’article 94, sous a), du règlement de procédure, selon laquelle la demande de décision préjudicielle doit contenir à tout le moins un exposé des données factuelles sur lesquelles les questions sont fondées.

42      Certes, les observations écrites déposées par T. Logistique, M. Arthur C., M. Trade et D. ainsi que les demandes d’audience de ces derniers et d’autres parties intéressées contiennent des éléments concernant les activités des autres parties défenderesses au principal. Toutefois, ces éléments sont fragmentaires, de sorte qu’ils ne permettent pas à la Cour, faute de disposer d’une connaissance suffisante des faits à l’origine du litige au principal, d’interpréter les règles du droit de l’Union au regard de la situation de ces parties défenderesses (voir, par analogie, arrêt du 26 janvier 1993, Telemarsicabruzzo e.a., C‑320/90 à C‑322/90, EU:C:1993:26, point 9, ainsi que ordonnance du 28 octobre 2020, Repsol Comercial de Productos Petrolíferos, C‑716/19, EU:C:2020:870, point 21).

43      En outre, les lacunes de la demande de décision préjudicielle quant à la situation des autres parties défenderesses au principal affectent la possibilité pour les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, autres que les parties à ladite affaire, d’exercer utilement leur droit de présenter des observations à la Cour.

44      Partant, la présente demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable en ce qu’elle porte sur la situation des autres parties défenderesses au principal.

 Sur les questions préjudicielles

45      De nombreuses parties intéressées font valoir que la Cour est manifestement incompétente pour connaître de plusieurs questions posées ou que certaines questions sont irrecevables, voire manifestement irrecevables.

 Sur les septième et huitième questions 

46      Par ses septième et huitième questions, qu’il convient d’examiner en premier lieu, la juridiction de renvoi invite la Cour à interpréter le principe de mise en concurrence qui serait consacré par les articles 101 à 109 TFUE ainsi que la notion de droit exclusif visée à l’article 106, paragraphe 1, TFUE.

47      Toutefois, cette juridiction n’a pas fourni le moindre élément qui permettrait de comprendre en quoi les dispositions de droit de l’Union visées par ces questions seraient pertinentes pour la solution du litige au principal.

48      De plus, ces dispositions ne sont nullement mentionnées dans la partie de la demande de décision préjudicielle contenant l’exposé des raisons du renvoi, indépendamment du fait que, dans cet exposé, la juridiction de renvoi se limite à faire référence aux arguments de VGG et de VGG Entertainment, ainsi qu’il ressort du point 36 de la présente ordonnance.

49      Partant, en ce qui concerne les septième et huitième questions, la demande de décision préjudicielle ne satisfait pas aux conditions posées à l’article 94, sous a) et c), du règlement de procédure, de sorte qu’elles doivent être rejetées comme étant manifestement irrecevables, sur le fondement de l’article 53, paragraphe 2, de ce règlement.

 Sur les première et deuxième questions

50      Par les première et deuxième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, l’interprétation de l’article 56 TFUE et, au vu du renvoi figurant à l’article 62 TFUE, également de l’article 52 TFUE.

51      Dès lors que ces questions portent ainsi sur l’interprétation de dispositions du traité FUE relatives à la libre prestation des services et que la présente demande de décision préjudicielle est manifestement irrecevable en ce qu’elle concerne la situation des autres parties défenderesses au principal, ainsi qu’il résulte du point 44 de la présente ordonnance, il y a lieu de déterminer si VGG et VGG Entertainment, en tant que sociétés établies dans un pays tiers, peuvent se prévaloir de cette liberté.

52      À cet égard, il y a lieu de relever que, aux points 32 à 40 de l’arrêt du 27 avril 2023, Viagogo (C‑70/22, EU:C:2023:350), la Cour, tout d’abord, a jugé que l’article 56 TFUE ne saurait s’appliquer à des sociétés non établies dans un État membre, sauf traité ou accord international le prévoyant. Ensuite, elle a examiné l’article 1er et l’article 5, paragraphe 1, de l’accord CE-Suisse ainsi que les articles 17, 18 et 21 de l’annexe I de cet accord et en a conclu, en substance, que ledit accord établit, au regard de l’assimilation des prestataires de services établis en Suisse à des prestataires établis dans un État membre, une limitation à 90 jours par année civile. Enfin, la Cour a constaté qu’il résultait du dossier dont elle disposait dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt que l’activité de revente sur Internet de billets pour des événements en cause dans cette affaire avait, par nature, un caractère quasi ininterrompu, voire permanent. Elle en a conclu que la société en cause dans ladite affaire n’entrait donc pas dans le champ d’application de l’article 56 TFUE et a déclaré irrecevable la question préjudicielle portant sur cet article.

53      En l’occurrence, les éléments figurant dans le dossier dont dispose la Cour permettent d’établir, d’abord, que, VGG Entertainment est établie aux États-Unis, sans qu’il existe d’accord prévoyant l’assimilation des prestataires de services établis dans ce pays tiers à des prestataires établis dans un État membre, ensuite, que VGG est établie en Suisse et, enfin, que les activités de cette dernière ont un caractère quasi ininterrompu, voire permanent, analogue à celui de la société suisse qui était en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 27 avril 2023,Viagogo (C‑70/22, EU:C:2023:350).

54      Partant, au vu de l’arrêt du 27 avril 2023, Viagogo (C‑70/22, EU:C:2023:350), il y a lieu de constater que les première et deuxième questions posées en l’occurrence par la juridiction de renvoi sont manifestement irrecevables.

 Sur les troisième à sixième questions

55      Les troisième à cinquième questions portent sur l’interprétation de l’article 49 de la Charte, relatif aux principes de légalité et de proportionnalité des délits et des peines, ainsi que sur le principe de sécurité juridique. La sixième question concerne l’interprétation de l’article 38 de la Charte, qui a trait à la protection des consommateurs.

56      À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que l’article 51, paragraphe 1, de la Charte prévoit que les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union et que l’article 6, paragraphe 1, TUE, à l’instar de l’article 51, paragraphe 2, de la Charte, précise que les dispositions de cette dernière n’étendent en aucune manière le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union telles que définies dans les traités [ordonnance du 9 novembre 2022, AB (Infraction de faible gravité), C‑243/22, EU:C:2022:877, point 16 et jurisprudence citée].

57      Ainsi, lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence [ordonnance du 9 novembre 2022, AB (Infraction de faible gravité), C‑243/22, EU:C:2022:877, point 18 et jurisprudence citée].

58      En second lieu, il convient de rappeler que l’article 51, paragraphe 1, de la Charte confirme la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais pas en dehors de telles situations (arrêt du 14 janvier 2021, Okrazhna prokuratura – Haskovo et Apelativna prokuratura – Plovdiv, C‑393/19, EU:C:2021:8, point 31).

59      Des considérations analogues s’appliquent au principe de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union (voir, en ce sens, ordonnance du 17 juillet 2014, Yumer, C‑505/13, EU:C:2014:2129, points 37 et 38, ainsi que arrêt du 13 janvier 2022, Marcas MC, C‑363/20, EU:C:2022:21, points 35 à 39).

60      Puisqu’il résulte de l’examen des première et deuxième questions que la situation juridique en cause dans l’affaire au principal ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, en ce que VGG et VGG Entertainment ne peuvent pas se prévaloir de la libre prestation des services, force est de constater, sur le fondement de l’article 53, paragraphe 2, du règlement de procédure, que la Cour est manifestement incompétente pour répondre aux troisième à sixième questions.

 Sur les dépens

61      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (septième chambre) ordonne :

1)      La demande de décision préjudicielle introduite par le juge d’instruction au tribunal judiciaire de Paris (France), par décision du 17 février 2023, est manifestement irrecevable en ce qu’elle porte sur la situation des parties défenderesses au principal autres que VGG AG et VGG Entertainment Inc.

2)      Les première, deuxième, septième et huitième questions préjudicielles sont manifestement irrecevables.

3)      La Cour de justice de l’Union européenne est manifestement incompétente pour répondre aux troisième à sixième questions préjudicielles.

Signatures


*      Langue de procédure : le français.

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