Glavna direktsia Granichna politsia (Answer which may be clearly deduced from the case-law - Social policy — Organisation of working time - Order) French Text [2024] EUECJ C-435/23_CO (29 July 2024)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/C43523_CO.html
Cite as: ECLI:EU:C:2024:671, EU:C:2024:671, [2024] EUECJ C-435/23_CO

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ORDONNANCE DE LA COUR (sixième chambre)

29 juillet 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Article 99 du règlement de procédure de la Cour – Réponse pouvant être clairement déduite de la jurisprudence – Politique sociale – Aménagement du temps de travail – Directive 2003/88/CE – Article 12, sous а) – Articles 20 et 31 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Sécurité et santé des travailleurs de nuit – Niveau de protection des travailleurs de nuit adapté à la nature de leur travail – Policiers et sapeurs-pompiers postés effectuant un travail de nuit – Travailleurs du secteur public et travailleurs du secteur privé – Égalité de traitement »

Dans l’affaire C‑435/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Okrazhen sad – Smolyan (tribunal régional de Smolyan, Bulgarie), par décision du 12 juillet 2023, parvenue à la Cour le 13 juillet 2023, dans la procédure

Glavna direktsia « Granichna politsia » kam Ministerstvo na vatreshnite raboti

contre

BO,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. T. von Danwitz, président de chambre, M. P. G. Xuereb et Mme I. Ziemele (rapporteure), juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour la Glavna direktsia « Granichna politsia » kam Ministerstvo na vatreshnite raboti, par Mme M. Hristova,

–        pour BO, par Mme M. Ormanova, advokat,

–        pour le gouvernement bulgare, par Mmes T. Mitova et T. Tsingileva, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes G. Koleva et D. Recchia, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de statuer par voie d’ordonnance motivée, conformément à l’article 99 du règlement de procédure de la Cour,

rend la présente

Ordonnance

1        La demande de décision préjudicielle porte, en substance, sur l’interprétation de l’article 12, sous a), de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L 299, p. 9), ainsi que des articles 20 et 31 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant la Glavna direktsia « Granichna politsia » kam Ministerstvo na vatreshnite raboti (direction générale « Police des frontières », rattachée au ministère de l’Intérieur, Bulgarie) (ci-après la « direction générale ») à BO, un policier, au sujet de la comptabilisation et de la rémunération des heures de travail de nuit effectuées par celui-ci.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

3        Le considérant 8 de la directive 2003/88 énonce :

« Il y a lieu de limiter la durée du travail de nuit, y compris les heures supplémentaires, et de prévoir que, en cas de recours régulier à des travailleurs de nuit, l’employeur informe de ce fait les autorités compétentes, sur leur demande. »

4        L’article 8 de la directive 2003/88, intitulé « Durée du travail de nuit », est libellé comme suit :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que :

а)      le temps de travail normal des travailleurs de nuit ne dépasse pas huit heures en moyenne par période de vingt-quatre heures ;

b)      les travailleurs de nuit dont le travail comporte des risques particuliers ou des tensions physiques ou mentales importantes ne travaillent pas plus de huit heures au cours d’une période de vingt‑quatre heures durant laquelle ils effectuent un travail de nuit.

Aux fins du point b), le travail comportant des risques particuliers ou des tensions physiques ou mentales importantes est défini par les législations et/ou pratiques nationales ou par des conventions collectives ou accords conclus entre partenaires sociaux, compte tenu des effets et des risques inhérents au travail de nuit. »

5        L’article 12 de ladite directive 2003/88, intitulé « Protection en matière de sécurité et de santé », dispose :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que :

а)      les travailleurs de nuit et les travailleurs postés bénéficient d’un niveau de protection en matière de sécurité et de santé, adapté à la nature de leur travail ;

b)      les services ou moyens appropriés de protection et de prévention en matière de sécurité et de santé des travailleurs de nuit et des travailleurs postés soient équivalents à ceux applicables aux autres travailleurs et soient disponibles à tout moment. »

 Le droit bulgare

 Le code du travail

6        Aux termes de l’article 140 du Kodeks na truda (code du travail), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « code du travail ») :

« (1)      La durée hebdomadaire normale du travail de nuit pour une semaine de travail de cinq jours ouvrables ne peut dépasser trente‑cinq heures. La durée normale du travail de nuit pour une semaine de travail de cinq jours ouvrables ne peut dépasser sept heures.

(2)      Constitue du travail de nuit le travail fourni entre 22 heures et 6 heures, cette tranche horaire s’étendant, pour les travailleurs de moins de 16 ans, de 20 heures à 6 heures.

[...] »

 La loi relative au ministère de l’Intérieur

7        L’article 2, paragraphe 1, du Zakon za Ministerstvo na vatreshnite raboti (loi relative au ministère de l’Intérieur) (DV no 53, du 27 juin 2014), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi relative au ministère de l’Intérieur »), dispose :

« (1)      Les activités du ministère de l’Intérieur visent à protéger les droits et les libertés des citoyens, à lutter contre la criminalité, à protéger la sécurité nationale, à préserver l’ordre public ainsi qu’à assurer la protection contre les incendies et la protection civile. »

8        L’article 142 de la loi relative au ministère de l’Intérieur prévoit :

« (1)      Les agents du ministère de l’Intérieur sont :

1)      des fonctionnaires de police et des fonctionnaires des services de sécurité incendie et de protection civile ;

2)      des fonctionnaires ;

3)      des agents contractuels.

(2)      Le statut des fonctionnaires visés au paragraphe 1, point 1, est régi par la présente loi.

[...] »

9        Aux termes de l’article 187 de la loi relative au ministère de l’Intérieur, dans sa version applicable du 11 octobre 2019 au 10 juillet 2020 :

« 1.      La durée normale du travail des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur est de huit heures par jour et de quarante heures hebdomadaires pour une semaine de travail de cinq jours.

[...]

3.      Le temps de travail des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur est calculé en jours ouvrés sur une base quotidienne, alors qu’il est comptabilisé sur une période de trois mois pour ceux qui effectuent du travail posté de huit, douze ou vingt-quatre heures. [...] En cas de travail posté, du travail de nuit peut être effectué de 22 heures à 6 heures, le temps de travail ne devant pas dépasser en moyenne huit heures par période de vingt-quatre heures.

[...]

9.      Les modalités relatives à l’aménagement et à la répartition du temps de travail des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur ainsi qu’à sa comptabilisation, à la compensation du travail de ces agents effectué en dehors des heures normales de service, au régime des permanences, des périodes de repos et de pause desdits agents sont déterminées par ordonnance du ministre de l’Intérieur.

[...] »

10      L’article 187 de la loi relative au ministère de l’Intérieur, dans sa version applicable du 11 juillet 2020 au 30 septembre 2022, dispose :

« (1)      La durée normale du temps de travail des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur est de 8 heures par jour et 40 heures hebdomadaires pour une semaine de travail de 5 jours. La durée normale du travail de nuit est de 8 heures par période de 24 heures. Est considéré comme du travail de nuit un travail effectué entre 22 heures et 6 heures.

(2)      Un temps de travail réduit est fixé pour les fonctionnaires qui exercent leurs fonctions dans des conditions spécifiques, en étant exposés à des risques pour la vie et la santé.

(3)      Le temps de travail des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur est calculé en jour ouvrés sur une base quotidienne, alors qu’il est comptabilisé sur une période de 3 mois pour ceux effectuant du travail posté de 8, 12 ou 24 heures. Un temps de travail posté de 24 heures constitue une exception.

(4)      Lors du calcul du temps de travail cumulé, les heures de nuit sont converties en heures de jour avec un coefficient égal au rapport entre la durée normale du temps de travail de jour et la durée normale du temps de travail de nuit conformément au paragraphe 1.

(5)      Pour les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur autres que ceux visés au paragraphe 2 et les travailleurs postés, des horaires irréguliers sont prévus. Ces fonctionnaires sont tenus, en cas de nécessité, d’exercer leurs fonctions même après les horaires de travail réguliers.

(6)      Le travail effectué en dehors des horaires de travail réguliers, jusqu’à 280 heures par an, est compensé par :

1.      pour les agents ayant des horaires de travail irréguliers, un congé annuel payé supplémentaire pour le travail effectué pendant des jours ouvrés et une rémunération des heures supplémentaires pour le travail effectué pendant des jours de repos et des jours fériés.

2.      pour les agents effectuant du travail posté, une rémunération des heures supplémentaires, à concurrence de 70 heures par période de 3 mois.

(7)      Les heures supplémentaires au sens du paragraphe 6 sont rémunérées par un supplément de 50 % de la rémunération mensuelle.

(8)      Les heures supplémentaires ne peuvent pas dépasser 70 heures par période de 3 mois et 280 heures sur l’année.

(9)      Les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur ont droit à des repos pendant la journée de travail, un repos journalier, un repos hebdomadaire et un repos pendant les jours fériés, selon les conditions et modalités prévues dans l’ordonnance visée au paragraphe 10.

(10)      Les modalités relatives à l’organisation et à la répartition du temps de travail ainsi qu’au calcul de ce dernier, à la rémunération du travail effectué en dehors des horaires de travail réguliers, au régime de service, au temps de repos et aux congés des fonctionnaires visés à l’article 142, paragraphe 1, point 1, et paragraphe 3, sont déterminées par ordonnance du ministre de l’Intérieur. »

11      L’article 188 de la loi relative au ministère de l’Intérieur est rédigé comme suit :

« (1)      Les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur sont tenus de se tenir à disposition pour accomplir leurs obligations de service au ministère de l’Intérieur, dans les conditions et selon les modalités fixées par l’ordonnance visée à l’article 187, paragraphe 10.

(2)      Les fonctionnaires qui travaillent entre 22 heures et 6 heures bénéficient de la protection spéciale prévue au code du travail. »

12      Des ordonnances, adoptées par le ministre de l’Intérieur sur le fondement de l’article 187, paragraphe 9, de ladite loi, fixent les modalités relatives à l’organisation et à la répartition du temps de travail, à la compensation du travail effectué en dehors des heures normales de service, ainsi qu’au régime des permanences, des périodes de repos et de pause pour les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur.

13      Ainsi, la Naredba n° 8121z-407 (ordonnance n° 8121z-407), du 11 août 2014 (DV n° 69, du 19 août 2014) (ci-après l’« ordonnance de 2014 »), prévoyait, à son article 31, paragraphe 2, la conversion des heures de travail de nuit en heures de travail de jour par l’application d’un coefficient multiplicateur correcteur. En application de cette disposition, les heures de travail effectuées entre 22 heures et 6 heures devaient se voir appliquer un coefficient multiplicateur de 0,143 et le résultat d’une telle opération devait ensuite être additionné au nombre total d’heures de travail effectuées sur la période concernée.

14      L’ordonnance de 2014 a été abrogée par la Naredba n° 8121z-592 (ordonnance n° 8121z-592), du 25 mai 2015 (DV n° 40, du 2 juin 2015), laquelle a elle-même été abrogée par la Naredba n° 8121z-776 (ordonnance n° 8121z-776), du 29 juillet 2016 (DV n° 60, du 2 août 2016), lesquelles ne prévoyaient plus de système de valorisation des heures de travail de nuit tel que celui prévu à l’article 31, paragraphe 2, de l’ordonnance de 2014.

15      En ce qui concerne les travailleurs qui ne relèvent pas du ministère de l’Intérieur, l’article 9, paragraphe 2, de la naredba za strukturata i organizatsiata na rabotnata zaplata (ordonnance sur la structure et l’organisation du salaire) (DV no 9, du 26 janvier 2007), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« ordonnance de 2007 »), est libellé comme suit :

« Lors du calcul du temps de travail cumulé, les heures de nuit sont converties en heures de jour avec un coefficient égal au rapport entre la durée normale du travail de jour et de nuit, définie pour le lieu de travail respectif. »

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

16      BO est fonctionnaire d’État, au sens de la loi relative au ministère de l’Intérieur, et travaille comme « policier sénior » auprès de la direction générale dans l’unité de la police des frontières d’une ville bulgare.

17      Au cours de la période allant du 11 octobre 2019 au 30 septembre 2022, BO a effectué un total de 1 272 heures de travail de nuit.

18      Estimant que ces heures de travail de nuit n’ont pas été payées dans le respect de l’article 9, paragraphe 2, de l’ordonnance de 2007, aux termes duquel les heures de travail de nuit doivent être converties en heures de travail de jour et se voir appliquer un coefficient multiplicateur de 1,143, de telle sorte que sept heures de travail de nuit correspondraient à huit heures de travail de jour, BO a saisi le Rayonen sad Smolyan (tribunal d’arrondissement de Smolyan, Bulgarie) d’un recours tendant à obtenir de la direction générale le paiement desdites heures de travail de nuit conformément à ladite disposition.

19      Par un jugement du 7 mars 2023, cette juridiction a accueilli ce recours au motif, en substance, que l’article 9, paragraphe 2, de l’ordonnance de 2007 était applicable en l’occurrence, puisque, à défaut d’application de cette disposition, il y aurait une différence de traitement inacceptable entre, d’une part, les fonctionnaires du ministère de l’Intérieur effectuant un travail de nuit et, d’autre part, les autres fonctionnaires ainsi que les travailleurs relevant du secteur privé. Elle a condamné la direction générale à payer à BO, notamment, la somme de 1 886,10 leva bulgares (BGN) (environ 950 euros) au titre de la rémunération des heures de travail de nuit qu’il avait effectuées au cours de ladite période, majorée des intérêts de retard.

20      La direction générale a interjeté appel de ce jugement devant l’Okrazhen sad – Smolyan (tribunal régional de Smolyan, Bulgarie), qui est la juridiction de renvoi. Elle fait valoir en substance que la loi relative au ministère de l’Intérieur est une loi spéciale, régissant le statut des fonctionnaires qui travaillent dans ce ministère et justifiant, partant, l’existence de règles différentes concernant le temps de travail ou la rémunération du travail.

21      En outre, la direction générale soutient que, compte tenu de la spécificité des fonctions des policiers et des sapeurs-pompiers rattachés au ministère de l’Intérieur, l’application des règles de la loi relative au ministère de l’Intérieur ne saurait constituer un traitement discriminatoire. Elle précise, à cet égard, que, bien que les fonctionnaires relevant du ministère de l’Intérieur travaillent dans des conditions moins favorables et plus exigeantes que celles des autres fonctionnaires et des travailleurs relevant du secteur privé, ils bénéficient de compensations, telles que, notamment, de rémunérations plus élevées, un niveau plus élevé de protection sociale ou des congés.

22      Par ailleurs, la direction générale a relevé que cette interprétation était conforme à l’arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto » (C-262/20, EU:C:2022:117).

23      Il ressort de la décision de renvoi que, dans l’arrêt interprétatif n° 1/2020 du Varhoven kasatsionen sad (Cour suprême de cassation, Bulgarie), du 15 mars 2023 (ci-après le « l’arrêt interprétatif n° 1/2020 »), cette juridiction s’est prononcée en ce sens que seules les dispositions portant sur la rémunération et la comptabilisation des heures de travail de nuit contenues dans la loi relative au ministère de l’Intérieur et dans les actes réglementaires adoptés par le ministre de l’Intérieur sur le fondement de cette loi s’appliquent aux fonctionnaires du ministère de l’Intérieur.

24      La juridiction de renvoi, quant à elle, observe que l’application de l’arrêt interprétatif n° 1/2020, qui exclue l’application de l’ordonnance de 2007, conduit à ce que les policiers et les sapeurs-pompiers effectuant un travail de nuit soient traités de manière inégale et défavorable par rapport aux policiers et aux sapeurs-pompiers n’effectuant pas un tel travail ainsi que par rapport aux travailleurs relevant du secteur privé, sans que cette différence de traitement soit fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire que cette différence est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation considérée.

25      En effet, selon la juridiction de renvoi, aucun moyen ne permettrait de compenser de manière adéquate la pénibilité du travail de nuit, effectué par BO et d’autres policiers et sapeurs-pompiers comme lui, en dehors de l’application de la méthode prévue à l’article 9, paragraphe 2, de l’ordonnance de 2007, ce qui témoignerait de l’absence de prise en compte de la spécificité de la relation de service des fonctionnaires ainsi que de l’égalité des citoyens devant la loi.

26      Dans ces conditions, l’Okrazhen sad – Smolyan (tribunal régional de Smolyan) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les dispositions de l’article 12, sous a), et le considérant 8 de la directive [2003/88], ainsi que les articles 20 et 31 de la Charte, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils n’autorisent pas une réglementation nationale (en l’occurrence l’article 187 de la loi relative au ministère de l’Intérieur) qui, en ne permettant pas que la durée inférieure du travail de nuit par rapport à celle du travail de jour conformément aux dispositions générales applicables aux travailleurs du secteur privé s’applique également aux travailleurs du secteur public, comme les policiers et les sapeurs-pompiers effectuant du travail posté et du travail de nuit (des fonctionnaires visés à l’article 142, paragraphe 1, point 1, de la loi relative au ministère de l’Intérieur), conduit à la différence de traitement suivante, sans que cette différence de traitement soit justifiée par un but légalement admissible, à savoir :

Un groupe de travailleurs du secteur public chargés de missions particulièrement importantes de maintien de l’ordre public et de protection civile (en l’occurrence les policiers et les sapeurs‑pompiers visés à l’article 142, paragraphe 1, point 1, de la loi relative au ministère de l’Intérieur, effectuant du travail posté et du travail de nuit) est placé dans une situation défavorable :

a)      tant par rapport à un autre groupe de travailleurs du même secteur public chargés des mêmes missions de maintien de l’ordre public et de protection civile, qui cependant n’effectuent pas de travail posté de nuit (en l’occurrence les autres fonctionnaires visés à l’article 142, paragraphe 1, point 1, de la loi relative au ministère de l’Intérieur) mais bénéficient des mêmes avantages (par exemple, prime d’ancienneté, congés payés annuels de base plus longs, départ à la retraite plus tôt, indemnités plus élevées à la fin de la relation de service, etc.) que les policiers et sapeurs‑pompiers qui effectuent du travail posté de nuit ;

b)      que par rapport aux travailleurs du secteur privé qui effectuent du travail posté et du travail de nuit sans bénéficier des mêmes avantages, mais ce parce qu’ils ne sont pas chargés des mêmes missions particulièrement importantes de maintien de l’ordre public et de protection civile en raison desquelles ces avantages sont accordés à un groupe entier de travailleurs du secteur public (tous les fonctionnaires visés à l’article 142, paragraphe 1, point 1, de la loi relative au ministère de l’Intérieur) ?

2)      Les dispositions de l’article 12, sous a), et le considérant 8 de la directive [2003/88], ainsi que les articles 20 et 31 de la Charte, doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils n’autorisent pas l’application d’une jurisprudence nationale contraignante (comme en l’occurrence [l’arrêt interprétatif n° 1/2020]), si cette application conduirait à un résultat incompatible avec le droit de l’Union, à savoir : l’inégalité de traitement décrite dans la première question, qui n’est pas fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire qui n’est pas en rapport avec un but légalement admissible et n’est pas proportionnée à ce but ? »

 Sur les questions préjudicielles

27      En vertu de l’article 99 du règlement de procédure de la Cour, cette dernière peut à tout moment, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, décider de statuer par voie d’ordonnance motivée lorsque la réponse à une question posée à titre préjudiciel peut être clairement déduite de la jurisprudence.

28      En l’occurrence, la Cour estime que l’interprétation du droit de l’Union sollicitée par la juridiction de renvoi dans le cadre de la première question peut être clairement déduite de l’arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto » (C‑262/20, EU:C:2022:117), ainsi que de l’arrêt du 4 mai 2023, Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto » (Travail de nuit) (C‑529/21 à C‑536/21 et C‑732/21 à C‑738/21, EU:C:2023:374).

29      En ce qui concerne la seconde question, la réponse à celle-ci peut être déduite de la jurisprudence de la Cour relative au principe de primauté du droit de l’Union et au principe d’interprétation conforme.

30      Il y a lieu donc de faire application de l’article 99 du règlement de procédure dans la présente affaire.

 Sur la première question

31      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, sous a), de la directive 2003/88 ainsi que les articles 20 et 31 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation qui opère, s’agissant de la durée normale du travail de nuit, une différence de traitement d’un groupe de travailleurs du secteur public chargés des missions essentielles de protection de l’ordre public et de protection de la population par rapport à un autre groupe de travailleurs du secteur public chargés des mêmes missions ou à des travailleurs du secteur privé, sans toutefois que cette différence soit justifiée par un but légalement admissible.

32      À titre liminaire, il y a lieu d’abord de rappeler que la Cour a déjà jugé que l’article 8 et l’article 12, sous а), de la directive 2003/88 doivent être interprétés en ce sens qu’ils n’imposent pas l’adoption d’une réglementation nationale prévoyant que la durée normale du travail de nuit pour des travailleurs du secteur public, tels que les policiers et les sapeurs-pompiers, soit inférieure à la durée normale du travail de jour prévue pour ces derniers. De tels travailleurs doivent en tout état de cause bénéficier d’autres mesures de protection en matière de durée du travail, de salaire, d’indemnités ou d’avantages similaires, permettant de compenser la pénibilité particulière qu’implique le travail de nuit qu’ils effectuent (arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto », C‑262/20, EU:C:2022:117, point 55).

33      Ensuite, la Cour a jugé que les articles 20 et 31 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que la durée normale du travail de nuit fixée à sept heures dans la législation d’un État membre pour les travailleurs du secteur privé ne s’applique pas aux travailleurs du secteur public, y compris les policiers et les sapeurs‑pompiers, si une telle différence de traitement, pour autant que les catégories de travailleurs concernées se trouvent dans une situation comparable, est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire qu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par cette législation, et qu’elle est proportionnée à ce but (voir, en ce sens, arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto », C 262/20, EU:C:2022:117, points 79 et 80).

34      Enfin, la Cour a jugé qu’il incombe à la juridiction de renvoi, qui est seule compétente pour apprécier les faits, de procéder aux vérifications nécessaires afin, d’une part, d’identifier les catégories de travailleurs pertinentes et, d’autre part, de déterminer si l’exigence tenant au caractère comparable des situations en présence est satisfaite [arrêts du 24 février 2022, Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto », C‑262/20, EU:C:2022:117, point 70, ainsi que du 4 mai 2023, Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto » (Travail de nuit), C‑529/21 à C‑536/21 et C‑732/21 à C‑738/21, EU:C:2023:374, point 63].

35      En l’occurrence, la juridiction de renvoi observe qu’il n’existe pas dans la réglementation nationale en cause au principal de mécanismes spécifiquement conçus pour compenser la pénibilité particulière du travail de nuit pour les policiers et les sapeurs-pompiers effectuant un tel travail, de sorte qu’il existerait une différence de traitement entre ces travailleurs et d’autres travailleurs du secteur public et du secteur privé, qui ne serait pas fondée sur un but légalement admissible susceptible de justifier cette différence de traitement.

36      Or, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 34 de la présente ordonnance, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si la réglementation nationale en cause au principal peut faire l’objet d’une interprétation conforme à l’article 12, sous a), de la directive 2003/88 ainsi qu’aux articles 20 et 31 de la Charte.

37      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 12, sous a) de la directive 2003/88 ainsi que les articles 20 et 31 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation qui opère, s’agissant de la durée normale du travail de nuit, une différence de traitement d’un groupe de travailleurs du secteur public chargés des missions essentielles de protection de l’ordre public et de protection de la population par rapport à un autre groupe de travailleurs du secteur public chargés des mêmes missions ou à des travailleurs du secteur privé, sauf si cette différence de traitement est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire qu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par cette législation, et qu’elle est proportionnée à ce but.

 Sur la seconde question

38      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, sous a), de la directive 2003/88 ainsi que les articles 20 et 31 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’application d’une jurisprudence nationale contraignante si une telle application conduit à un résultat incompatible avec ces dispositions du droit de l’Union, notamment à une différence de traitement qui n’est pas fondée sur un critère objectif et raisonnable.

39      À cet égard, il y a lieu de rappeler que le principe de primauté du droit de l’Union, qui consacre la prééminence du droit de l’Union sur le droit des États membres, impose à l’ensemble des organes des États membres de donner leur plein effet aux différentes normes du droit de l’Union, sans, notamment, que les dispositions internes, y compris d’ordre constitutionnel, puissent y faire obstacle (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2021, Euro Box Promotion e.a., C-357/19, C-379/19, C‑547/19, C-811/19 et C-840/19, EU:C:2021:1034, points 245 et 251).

40      En outre, le principe d’interprétation conforme requiert que les juridictions nationales fassent tout ce qui relève de leur compétence, en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité de la directive en cause et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci. L’exigence d’une telle interprétation conforme inclut, notamment, l’obligation, pour les juridictions nationales, de modifier, le cas échéant, une jurisprudence établie si celle-ci repose sur une interprétation du droit national incompatible avec les objectifs d’une directive. Partant, une juridiction nationale ne saurait valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter une disposition nationale en conformité avec le droit de l’Union en raison du seul fait que cette disposition a, de manière constante, été interprétée dans un sens qui n’est pas compatible avec ce droit (arrêt du 6 novembre 2018, Max-Planck-Gesellschaft zur Förderung der Wissenschaften, C-684/16, EU:C:2018:874, points 59 et 60 ainsi que jurisprudence citée) ou est appliquée d’une telle manière par les autorités nationales compétentes (arrêt du 24 juin 2019, Popławski, C‑573/17, EU:C:2019:530, point 79).

41      À cet égard, il y a lieu de relever qu’une différence de traitement instaurée par des dispositions du droit national en matière de travail de nuit entre différentes catégories de travailleurs se trouvant dans des situations comparables serait, à défaut d’être fondée sur un critère objectif et raisonnable, incompatible avec le droit de l’Union et contraindrait, le cas échéant, le juge national à interpréter le droit national, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité de la disposition du droit de l’Union concernée, en prenant en considération l’ensemble du droit interne et en faisant application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, afin de garantir la pleine effectivité de cette disposition et d’aboutir à une solution conforme à la finalité poursuivie par celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 24 février 2022, Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto », C‑262/20, EU:C:2022:117, point 79 et jurisprudence citée).

42      Il s’ensuit que la juridiction de renvoi doit assurer un résultat conforme au droit de l’Union, si nécessaire, en laissant inappliquée la jurisprudence nationale contraire audit droit.

43      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 12, sous a), de la directive 2003/88 ainsi que les articles 20 et 31 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’application d’une jurisprudence nationale contraignante, si une telle application conduit à un résultat incompatible avec ces dispositions du droit de l’Union, notamment à une différence de traitement qui n’est pas fondée sur un critère objectif et raisonnable.

 Sur les dépens

44      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 12, sous a), de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail, ainsi que les articles 20 et 31 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à une réglementation qui opère, s’agissant de la durée normale du travail de nuit, une différence de traitement d’un groupe de travailleurs du secteur public chargés des missions essentielles de protection de l’ordre public et de protection de la population par rapport à un autre groupe de travailleurs du secteur public chargés des mêmes missions ou des travailleurs du secteur privé, sauf si cette différence de traitement est fondée sur un critère objectif et raisonnable, c’est-à-dire qu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par cette législation, et qu’elle est proportionnée à ce but.

2)      L’article 12, sous a), de la directive 2003/88 ainsi que les articles 20 et 31 de la charte des droits fondamentaux

doivent être interprétés en ce sens que :

ils s’opposent à l’application d’une jurisprudence nationale contraignante, si une telle application conduit à un résultat incompatible avec ces dispositions du droit de l’Union, notamment à une différence de traitement qui n’est pas fondée sur un critère objectif et raisonnable.

Signatures


*      Langue de procédure : le bulgare.

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