D'Agostino v ECB (Action for damages - Fall in stock market indices - Judgment) French Text [2024] EUECJ C-571/23P (12 September 2024)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/C57123P.html
Cite as: [2024] EUECJ C-571/23P, ECLI:EU:C:2024:744

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ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

12 septembre 2024 (*)

« Pourvoi – Recours en indemnité – Déclaration de la présidente de la Banque centrale européenne (BCE) lors d’une conférence de presse – Préjudices supposés découler de cette déclaration – Baisse des indices boursiers – Absence de violation de règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers – Fixation des objectifs de la politique monétaire – Répartition des compétences entre les organes de la BCE – Abus de pouvoir »

Dans l’affaire C‑571/23 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 14 septembre 2023,

Aldo D’Agostino, demeurant à Naples (Italie), représenté par Me M. De Siena, avvocata,

partie requérante,

l’autre partie à la procédure étant :

Banque centrale européenne (BCE), représentée par MM. L. Cardone, O. Heinz, M. Ioannidis et Mme M. Szablewska, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. F. Biltgen, président de chambre, MM. N. Wahl (rapporteur) et J. Passer, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Par son pourvoi, M. Aldo D’Agostino demande l’annulation de l’ordonnance du Tribunal de l’Union européenne du 25 juillet 2023, D’Agostino/BCE (T‑90/23, ci-après l’« ordonnance attaquée », EU:T:2023:445), par laquelle celui-ci a rejeté son recours tendant à la réparation des préjudices qu’il aurait subis à la suite d’une déclaration prononcée par la présidente de la Banque centrale européenne (BCE) le 12 mars 2020.

 Le cadre juridique

2        L’article 127 TFUE dispose :

« 1.      L’objectif principal du Système européen de banques centrales, ci-après dénommé “SEBC”, est de maintenir la stabilité des prix. Sans préjudice de l’objectif de stabilité des prix, le SEBC apporte son soutien aux politiques économiques générales dans l’Union [européenne], en vue de contribuer à la réalisation des objectifs de l’Union [...]

2.      Les missions fondamentales relevant du SEBC consistent à :

–        définir et mettre en œuvre la politique monétaire de l’Union ;

–        conduire les opérations de change [...] ;

–        détenir et gérer les réserves officielles de change des États membres ;

–        promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement.

3.      Le troisième tiret du paragraphe 2 s’applique sans préjudice de la détention et de la gestion, par les gouvernements des États membres, de fonds de roulement en devises.

4.      La [BCE] est consultée :

–        sur tout acte de l’Union proposé dans les domaines relevant de sa compétence ;

–        par les autorités nationales, sur tout projet de réglementation dans les domaines relevant de sa compétence [...]

La [BCE] peut, dans les domaines relevant de sa compétence, soumettre des avis aux institutions, organes ou organismes de l’Union appropriés ou aux autorités nationales.

5.      Le SEBC contribue à la bonne conduite des politiques menées par les autorités compétentes en ce qui concerne le contrôle prudentiel des établissements de crédit et la stabilité du système financier.

6.      Le Conseil [de l’Union européenne], statuant par voie de règlements conformément à une procédure législative spéciale, à l’unanimité, et après consultation du Parlement européen et de la [BCE], peut confier à la [BCE] des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de contrôle prudentiel des établissements de crédit et autres établissements financiers, à l’exception des entreprises d’assurances. »

3        Selon l’article 3 du protocole (no 4) sur les statuts du Système européen de banques centrales et de la Banque centrale européenne (JO 2016, C 202, p. 230, ci-après le « protocole sur les statuts du SEBC et de la BCE ») :

« 3.1.            Conformément à l’article 127, paragraphe 2, [TFUE], les missions fondamentales relevant du SEBC consistent à :

–        définir et mettre en œuvre la politique monétaire de l’Union ;

–        conduire les opérations de change [...] ;

–        détenir et gérer les réserves officielles de change des États membres ;

–        promouvoir le bon fonctionnement des systèmes de paiement.

[...] »

4        L’article 10 de ce protocole prévoit :

« 10.1.      [...] le conseil des gouverneurs se compose des membres du directoire et des gouverneurs des banques centrales nationales des États membres dont la monnaie est l’euro.

10.2.      Chaque membre du conseil des gouverneurs dispose d’une voix. [...] »

5        L’article 11 dudit protocole dispose :

« 11.1.      [...] le directoire se compose du président, du vice-président et de quatre autres membres.

[...]

11.5.      Chaque membre du directoire présent aux séances a le droit de vote et dispose à cet effet d’une voix. Sauf disposition contraire, les décisions du directoire sont prises à la majorité simple des suffrages exprimés. En cas de partage des voix, celle du président est prépondérante. Les modalités de vote sont précisées dans le règlement intérieur visé à l’article 12.3.

11.6.      Le directoire est responsable de la gestion courante de la BCE.

[...] »

6        Aux termes de l’article 12 de ce même protocole :

« 12.1.      Le conseil des gouverneurs arrête les orientations et prend les décisions nécessaires à l’accomplissement des missions confiées au SEBC par les traités et les présents statuts. Le conseil des gouverneurs définit la politique monétaire de l’Union, y compris, le cas échéant, les décisions concernant les objectifs monétaires intermédiaires, les taux directeurs et l’approvisionnement en réserves dans le SEBC, et arrête les orientations nécessaires à leur exécution.

Le directoire met en œuvre la politique monétaire conformément aux orientations et aux décisions arrêtées par le conseil des gouverneurs. [...]

12.2.      Le directoire est responsable de la préparation des réunions du conseil des gouverneurs.

12.3.      Le conseil des gouverneurs adopte un règlement intérieur déterminant l’organisation interne de la BCE et de ses organes de décision.

12.4.      Les fonctions consultatives visées à l’article 4 sont exercées par le conseil des gouverneurs.

12.5.      Le conseil des gouverneurs prend les décisions visées à l’article 6. »

7        Selon l’article 13 du protocole sur les statuts du SEBC et de la BCE :

« 13.1.      Le président ou, en son absence, le vice-président préside le conseil des gouverneurs et le directoire de la BCE.

13.2.      Sans préjudice de l’article 38, le président ou la personne qu’il désigne à cet effet représente la BCE à l’extérieur. »

8        L’article 38 de ce protocole précise :

« La BCE est juridiquement engagée vis-à-vis des tiers par le président ou deux membres du directoire, ou par la signature de deux membres de son personnel dûment autorisés par le président à signer au nom de la BCE. »

9        L’article 17 du règlement intérieur de la BCE, dans sa version issue de la décision 2004/257/CE de la BCE, du 19 février 2004, portant adoption du règlement intérieur de la Banque centrale européenne (JO 2004, L 80, p. 33), telle que modifiée par la décision (UE) 2016/1717, du 21 septembre 2016 (JO 2016, L 258, p.17), prévoit :

« 17.1.      Le conseil des gouverneurs arrête les règlements de la BCE, qui sont signés en son nom par le président.

17.2.      Les orientations de la BCE sont arrêtées par le conseil des gouverneurs, notifiées ensuite dans l’une des langues officielles de l’Union et signées par le président au nom du conseil des gouverneurs. Elles sont motivées. [...]

17.3.      Le conseil des gouverneurs peut déléguer ses pouvoirs normatifs au directoire pour l’application de ses règlements et de ses orientations. Le règlement ou l’orientation concerné précise les points devant être appliqués ainsi que les limites et l’étendue des pouvoirs délégués.

[...] »

 Les antécédents du litige

10      Les antécédents du litige sont exposés aux points 2 à 6 de l’ordonnance attaquée dans les termes suivants :

« 2      Le requérant est un entrepreneur italien. Les 5 et 6 mars 2020, il s’est porté acquéreur de plusieurs titres financiers à effet de levier dénommés “SI FTSE.COPERP”, pour un montant total de 846 285,15 euros [...] À travers l’effet de levier appliqué à ces titres, les gains quotidiens générés par le montant investi pouvaient être multipliés par sept, un tel facteur multiplicatif s’appliquant également aux pertes quotidiennes.

3      Le 12 mars 2020, lors d’une conférence de presse visant à présenter les mesures prises par le conseil des gouverneurs de la BCE en réaction à la pandémie de COVID-19, la présidente de la BCE a déclaré que “[l]a BCE] répondr[ait] présent, en utilisant toute [sa] flexibilité, mais [qu’elle] n’[était] pas là pour réduire les écarts [de taux d’intérêts]”, avant de préciser que “[c]e n’[étai]t ni [l]a fonction ni [l]a mission [de la BCE]” (ci-après la “déclaration en cause”).

4      Le même jour, l’indice boursier de la bourse de Milan (Italie) a enregistré une baisse de 16,92 %.

5      Le 26 mai 2021, le requérant a adressé à la BCE un courrier aux termes duquel il exposait notamment que la déclaration en cause avait entraîné une chute de la valeur des titres à effet de levier d’un niveau équivalant au montant qu’il avait investi en acquérant ces titres. Ainsi, par ce même courrier, le requérant demandait l’indemnisation de préjudices qu’il aurait subis du fait de la déclaration en cause.

6      Par courriel du 13 octobre 2021, la BCE a rejeté la demande indemnitaire présentée par le requérant. »

 La procédure devant le Tribunal et l’ordonnance attaquée

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 20 février 2023, le requérant a introduit un recours tendant à la condamnation de la BCE à réparer les préjudices qu’il aurait subis du fait de la déclaration en cause.

12      La BCE a demandé la suspension de la procédure devant le Tribunal jusqu’à l’adoption de la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire T‑424/22, D’Agostino et Dafin/BCE.

13      Le Tribunal, après avoir entendu le requérant, n’a pas fait droit à cette demande. Ainsi, la BCE a déposé le mémoire en défense le 24 mai 2023.

14      Par l’ordonnance attaquée, adoptée au titre de l’article 126 de son règlement de procédure, le Tribunal a déclaré le recours manifestement dépourvu de tout fondement en droit.

15      À cette fin, en premier lieu, le Tribunal a relevé que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la BCE, au sens de l’article 340, troisième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions présentant un caractère cumulatif, à savoir l’illégalité du comportement reproché à la BCE, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (points 13 et 14 de l’ordonnance attaquée).

16      En deuxième lieu, le Tribunal a examiné la première de ces trois conditions. Premièrement, il a rappelé certains principes jurisprudentiels relatifs à cette condition, notamment le fait que celle-ci exige que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (points 15 à 17 de l’ordonnance attaquée).

17      Deuxièmement, le Tribunal a relevé que le requérant faisait valoir que, par la déclaration en cause, la présidente de la BCE avait méconnu l’article 127 TFUE, les articles 3, 10 à 13 et 38 du protocole sur les statuts du SEBC et de la BCE ainsi que les articles 17.2 et 17.3 du règlement intérieur de la BCE (ci-après les « dispositions prétendument violées »). Il a notamment exposé que le requérant ne soutenait pas que ces dispositions étaient de nature à lui conférer des droits, mais reprochait à la présidente de la BCE d’avoir commis un abus de pouvoir et outrepassé ses compétences (points 18 et 19 de l’ordonnance attaquée).

18      Ces précisions apportées, le Tribunal a, troisièmement, analysé la question de savoir si les dispositions prétendument violées constituaient des règles de droit conférant des droits aux particuliers et a exclu que tel fût le cas (points 20 à 28 de l’ordonnance attaquée).

19      Quatrièmement, le Tribunal a rejeté l’argument du requérant selon lequel, en prononçant la déclaration en cause, la présidente de la BCE avait commis un « abus de pouvoir » (point 29 de l’ordonnance attaquée).

20      Au vu de toutes ces considérations, le Tribunal a conclu que la première condition pour l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la BCE n’était manifestement pas remplie (point 30 de l’ordonnance attaquée).

21      En troisième lieu, le Tribunal a, « au surplus », examiné la condition relative à l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et les préjudices invoqués, pour en conclure que celle-ci n’était manifestement pas non plus satisfaite (points 31 à 37 de l’ordonnance attaquée).

 Les conclusions des parties au pourvoi

22      Par son pourvoi, le requérant demande à la Cour :

–        d’annuler l’ordonnance attaquée ;

–        de faire droit aux conclusions formulées dans la requête en première instance ;

–        à titre subsidiaire, de condamner la BCE au paiement, pour les catégories de préjudices mentionnées dans ces conclusions, de toute somme de montant autre qui serait fixée au cours de la procédure, dans la mesure jugée juste et raisonnable, et

–        de condamner la BCE aux dépens.

23      La BCE demande à la Cour :

–        de rejeter le pourvoi et

–        de condamner le requérant aux dépens.

 Sur le pourvoi

24      À l’appui de son pourvoi, le requérant soulève, en substance, cinq moyens, tirés :

–        le premier, de la violation de l’obligation de motivation ;

–        le deuxième, d’une erreur concernant l’absence d’invocation de règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers et de la violation du principe de protection de la confiance légitime ;

–        le troisième, de la violation de l’article 340 TFUE ;

–        le quatrième, d’une erreur concernant la portée de l’abus de pouvoir invoqué en première instance, et,

–        le cinquième, d’une erreur concernant la constatation de l’absence de lien de causalité.

25      Il convient de rappeler que, ainsi que l’a jugé, en substance, le Tribunal dans l’ordonnance attaquée, d’une part, selon la jurisprudence de la Cour, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de trois conditions cumulatives, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions de l’Union, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (arrêts du 25 mars 2010, Sviluppo Italia Basilicata/Commission, C‑414/08 P, EU:C:2010:165, point 138 et jurisprudence citée, ainsi que du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 64 et jurisprudence citée). D’autre part, ces mêmes conditions sont valables en ce qui concerne la responsabilité non contractuelle de la BCE, visée à l’article 340, troisième alinéa, TFUE.

26      D’une part, il y a lieu de relever que, parmi les cinq moyens du pourvoi, énumérés au point 24 du présent arrêt, les premier à quatrième moyens tendent à remettre en cause les motifs de l’ordonnance attaquée par lesquels le Tribunal a constaté que la première des trois conditions énoncées au point précédent n’était pas satisfaite.

27      D’autre part, le cinquième moyen porte sur les motifs de cette ordonnance qui ont conduit le Tribunal à considérer que la troisième de ces conditions n’était pas remplie.

28      Dès lors, il convient d’examiner en premier lieu les moyens du pourvoi relatifs à la première desdites conditions.

 Sur les premier et troisième moyens

 Argumentation des parties

29      Par le premier moyen, le requérant reproche au Tribunal d’avoir manqué à l’obligation de motivation, en ce qu’il se serait borné à constater que les dispositions prétendument violées n’avaient pas pour objet de conférer des droits aux particuliers, sans examiner la question de savoir si la présidente de la BCE, en faisant la déclaration en cause, avait enfreint ces dispositions.

30      À titre subsidiaire, par le troisième moyen, le requérant fait valoir que, quand bien même les dispositions prétendument violées ne conféreraient pas de droits aux particuliers, l’article 340 TFUE, lu notamment à la lumière des règles du code civil italien sur la responsabilité non contractuelle, devrait être interprété en ce sens que tout comportement illégal est susceptible d’engager la responsabilité non contractuelle de la BCE.

31      La BCE soulève l’irrecevabilité du premier moyen, en expliquant que le Tribunal était en droit de commencer son examen de la première condition exigée pour l’engagement de la responsabilité de la BCE, tenant à l’illégalité de son comportement, par l’examen de la nature des dispositions prétendument violées. En effet, la constatation que ces dernières n’ont pas pour objet de conférer des droits aux particuliers suffirait pour exclure que cette condition soit satisfaite.

32      Quant au troisième moyen, la BCE souligne que sa responsabilité non contractuelle ne peut être engagée qu’en cas de violation d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

 Appréciation de la Cour

33      Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, d’une part, l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE constitue une formalité substantielle qui doit être distinguée de la question du bien‑fondé de la motivation, celui‑ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’une décision consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cette décision. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles‑ci affectent la légalité au fond de la décision, mais non la motivation de celle‑ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 85 et jurisprudence citée).

34      D’autre part, l’obligation de motivation n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige. La motivation peut être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles le Tribunal n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle (arrêt du 5 juillet 2011, Edwin/OHMI, C‑263/09 P, EU:C:2011:452, point 64 et jurisprudence citée).

35      En l’espèce, il y a lieu de relever que, dans l’ordonnance attaquée, le Tribunal, pour conclure que la première condition exigée pour engager la responsabilité non contractuelle de la BCE, tenant à l’illégalité du comportement de cette dernière, n’était pas satisfaite, a expliqué que les dispositions prétendument violées n’avaient pas pour objet de conférer des droits aux particuliers. Ce faisant, le Tribunal a respecté l’obligation de motivation.

36      Pour autant que le premier moyen puisse être compris en ce sens que le requérant conteste le bien-fondé de cette conclusion retenue par le Tribunal, il ressort de la jurisprudence que, s’agissant de la condition visée au point précédent, il est nécessaire que soit établie une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (voir, par analogie, arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 65 ainsi que jurisprudence citée).

37      Il s’ensuit que le Tribunal, une fois parvenu à la conclusion que les dispositions prétendument violées n’avaient pas pour objet de conférer des droits aux particuliers, n’était pas tenu de vérifier si celles-ci avaient été enfreintes. En effet, même si tel avait été le cas, la condition en cause n’aurait pas été pour autant satisfaite.

38      Si cette constatation n’affecte pas la recevabilité du premier moyen, contestée par la BCE, elle suffit néanmoins pour considérer que celui-ci est dénué de fondement.

39      S’agissant du troisième moyen, dès lors qu’il résulte clairement de la jurisprudence rappelée au point 36 du présent arrêt que la constatation d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers est indispensable pour que la responsabilité non contractuelle de la BCE puisse être engagée en vertu de l’article 340, troisième alinéa, TFUE, est dépourvu de pertinence le fait, invoqué par le requérant, que, en droit italien, l’engagement de la responsabilité non contractuelle puisse découler de tout comportement illégal.

40      Par conséquent, il y a lieu de rejeter les premier et troisième moyens comme étant non fondés.

 Sur le deuxième moyen

 Argumentation des parties

41      Le requérant soutient que les dispositions prétendument violées sont des règles institutionnelles qui définissent les compétences des divers organes de la BCE, en leur attribuant des pouvoirs déterminés. Ces règles conféreraient des droits aux particuliers, notamment celui de voir ces organes agir dans le respect des attributions institutionnelles qui leur sont dévolues par la loi, conformément au principe de protection de la confiance légitime.

42      En défense, la BCE conclut à l’irrecevabilité manifeste de ce moyen, le requérant n’ayant pas fait valoir, devant le Tribunal, que les dispositions prétendument violées avaient pour objet de conférer des droits aux particuliers.

43      En tout état de cause, des dispositions de nature institutionnelle ou ayant trait à la répartition des compétences au sein d’une institution ne conféreraient pas de droits aux particuliers. Par ailleurs, le principe de protection de la confiance légitime ne serait pas applicable dans ce contexte, puisque le simple fait que des dispositions existent n’implique pas que la BCE ait fourni des assurances au requérant.

 Appréciation de la Cour

–       Sur la recevabilité

44      Il convient de rappeler que, selon l’article 170, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, le pourvoi ne peut modifier l’objet du litige devant le Tribunal.

45      Ainsi, en vertu d’une jurisprudence bien établie, la compétence de la Cour dans le cadre du pourvoi est limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens et aux arguments débattus devant les premiers juges. Une partie ne saurait donc soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal, dès lors que cela reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal (arrêt du 6 octobre 2021, Sigma Alimentos Exterior/Commission, C‑50/19 P, EU:C:2021:792, point 38 et jurisprudence citée).

46      Cela étant, un requérant est recevable à former un pourvoi en faisant valoir, devant la Cour, des moyens et des arguments nés de la décision juridictionnelle contestée elle-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé (arrêt du 6 octobre 2021, Sigma Alimentos Exterior/Commission, C‑50/19 P, EU:C:2021:792, point 39 et jurisprudence citée).

47      En premier lieu, dans la mesure où le requérant soulève la violation du principe de protection de la confiance légitime, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le droit de se prévaloir de ce principe suppose que des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, ont été fournies à l’intéressé par les autorités compétentes de l’Union. Ce droit appartient à tout justiciable à l’égard duquel une institution, un organe ou un organisme de l’Union, en lui fournissant des assurances précises, a fait naître à son égard des espérances fondées. Constituent de telles assurances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des renseignements précis, inconditionnels et concordants (arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, point 97 et jurisprudence citée).

48      En l’espèce, il y a lieu de constater que le requérant n’a aucunement mentionné ce principe dans la requête en première instance ni, a fortiori, n’a cherché à démontrer qu’étaient satisfaites les conditions requises par la jurisprudence concernant l’application dudit principe. Dès lors, le Tribunal n’a pas examiné cette question.

49      Partant, le présent moyen est manifestement irrecevable en ce que le requérant invoque la violation du principe de protection de la confiance légitime.

50      En second lieu, si la BCE soutient que, devant le Tribunal, le requérant n’a pas fait valoir que les dispositions prétendument violées avaient pour objet de conférer des droits aux particuliers, il importe de relever, d’une part, que, dans la requête en première instance, le requérant a soulevé la violation par la présidente de la BCE de ces dispositions. D’autre part, le Tribunal, dans l’ordonnance attaquée, a examiné la question de savoir si lesdites dispositions étaient des règles de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers et a conclu que tel n’était pas le cas.

51      Dès lors, en ce que, par le présent moyen, le requérant conteste précisément cette conclusion du Tribunal, il y a lieu de rejeter la fin de non-recevoir opposée par la BCE et de considérer que, dans cette mesure, ce moyen est recevable.

–       Sur le fond

52      Selon le requérant, en substance, c’est à tort que le Tribunal a exclu que les dispositions prétendument violées aient pour objet de conférer des droits aux particuliers. À cet égard, le requérant fait valoir que ces dispositions attribuent des pouvoirs et des compétences spécifiques aux différents organes de la BCE et que tout citoyen peut s’attendre à ce qu’elles soient respectées, pour éviter qu’il soit porté atteinte à ses droits.

53      En premier lieu, au point 15 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rappelé sa jurisprudence selon laquelle une règle de droit a pour objet de conférer des droits aux particuliers notamment lorsqu’elle a pour fonction de protéger leurs intérêts ou qu’elle procède à l’attribution de droits au profit de ceux-ci, dont le contenu peut être suffisamment identifié.

54      Il convient de constater que cette jurisprudence trouve son origine dans celle de la Cour (voir, en ce sens, arrêts du 14 juillet 1967, Kampffmeyer e.a./Commission, 5/66, 7/66, 13/66 à 16/66 et 18/66 à 24/66, EU:C:1967:31, p. 340 ; du 25 mai 1978, Bayerische HNL Vermehrungsbetriebe e.a./Conseil et Commission, 83/76, 94/76, 4/77, 15/77 et 40/77, EU:C:1978:113, point 5, ainsi que du 8 octobre 1996, Dillenkofer e.a., C‑178/94, C‑179/94 et C‑188/94 à C‑190/94, EU:C:1996:375, point 22), de sorte qu’il ne saurait être reproché au Tribunal de s’être appuyé sur les principes ainsi établis.

55      En deuxième lieu, au point 17 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a rappelé la jurisprudence de la Cour selon laquelle, d’une part, le non-respect du système de répartition des compétences entre les différentes institutions de l’Union, qui a pour but d’assurer le respect de l’équilibre institutionnel prévu par les traités et non la protection des particuliers, ne peut, à lui seul, suffire à engager la responsabilité de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, et, d’autre part, il en irait différemment si une mesure de l’Union était adoptée en méconnaissance non seulement de la répartition des compétences entre les institutions, mais également, en ses dispositions matérielles, d’une règle de droit conférant des droits aux particuliers (arrêt du 19 avril 2012, Artegodan/Commission, C‑221/10 P, EU:C:2012:216, point 81 et jurisprudence citée). Il a précisé que ces considérations étaient transposables à l’article 340, troisième alinéa, TFUE, relatif à la responsabilité non contractuelle de la BCE.

56      En troisième lieu, aux points 20 à 28 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a examiné les dispositions prétendument violées à l’aune des principes qu’il avait rappelés.

57      À cet égard, premièrement, il a considéré que l’article 127 TFUE, en sa qualité de norme visant à déterminer les objectifs de la politique monétaire de l’Union et attributive de compétences pour le SEBC et la BCE dans ce domaine, revêt une nature institutionnelle, tout comme l’article 3 du protocole sur les statuts du SEBC et de la BCE, qui renvoie expressément à certaines dispositions de cet article 127 TFUE.

58      Deuxièmement, concernant les articles 10 et 11 de ce protocole, le Tribunal a relevé que leur nature institutionnelle résulte du fait qu’ils se limitent à régir la composition du conseil des gouverneurs et du directoire ainsi que les modalités de prise de décisions en leur sein.

59      Troisièmement, s’agissant de l’article 12 dudit protocole, le Tribunal a souligné qu’il a pour unique objet la répartition des compétences entre les organes de décision de la BCE.

60      Quatrièmement, pour ce qui est de l’article 13 du protocole sur les statuts du SEBC et de la BCE, le Tribunal a mis en exergue le fait que celui-ci se limite à régir les attributions du président de la BCE.

61      Cinquièmement, à l’égard de l’article 38 de ce protocole, le Tribunal a souligné que cette disposition se borne à prévoir les conditions de forme dans lesquelles les actes de la BCE sont juridiquement contraignants à l’égard des tiers.

62      Sixièmement, quant au règlement intérieur de la BCE, le Tribunal a mis en avant le fait que son article 17.2 a trait aux conditions relatives à la motivation, à la notification et à la publication des orientations arrêtées par le conseil des gouverneurs de la BCE et que son article 17.3 est relatif à la délégation, par ce conseil, de ses pouvoirs normatifs au directoire.

63      Il en découle que, selon le Tribunal, en substance, les dispositions prétendument violées définissent la mission du SEBC, les compétences des différents organes de la BCE, les attributions du président de cette dernière et les conditions de forme dans lesquelles les actes de la BCE sont juridiquement contraignants à l’égard des tiers.

64      Or, tout d’abord, le requérant ne fait pas valoir que le Tribunal aurait erronément appréhendé le contenu de ces dispositions.

65      Ensuite, le requérant ne soulève, devant la Cour, aucun argument qui viserait à démontrer que lesdites dispositions ont pour fonction de protéger ses intérêts ou procèdent à l’attribution de droits à son profit.

66      Enfin, il n’établit pas que des règles réservant, au sein d’une institution, certaines compétences à des organes spécifiques ont un objectif autre que celui de garantir un équilibre institutionnel. A fortiori, il ne démontre pas non plus que cet autre objectif serait dépourvu de caractère général et consisterait à protéger les intérêts des particuliers.

67      Par conséquent, pour autant qu’il est recevable, le deuxième moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le quatrième moyen

 Argumentation des parties

68      Le requérant conteste l’affirmation du Tribunal selon laquelle l’abus de pouvoir reproché, dans la requête en première instance, à la présidente de la BCE n’aurait fait l’objet d’aucun développement spécifique, et aurait seulement été présenté comme étant une conséquence du non-respect des dispositions prétendument violées.

69      Selon le requérant, l’abus de pouvoir est « l’usage du pouvoir d’une manière incompatible avec le précepte législatif » et se produit lorsqu’une institution s’écarte des principes généraux tels que la loyauté, la bonne foi ou la diligence. En l’espèce, de toute évidence, par la déclaration en cause, la présidente de la BCE aurait méconnu ces principes.

70      La BCE excipe de l’irrecevabilité de ce moyen, qui n’aurait pas été soulevé en première instance. En tout état de cause, celui-ci serait dénué de fondement.

 Appréciation de la Cour

71      Au point 29 de l’ordonnance attaquée, le Tribunal a considéré, en substance, que l’argument du requérant selon lequel, en prononçant la déclaration en cause, la présidente de la BCE a commis un « abus de pouvoir » était uniquement présenté comme une conséquence de la prétendue violation, par la présidente de la BCE, des dispositions qu’il avait déjà examinées et qu’il avait considérées comme ne conférant pas de droits aux particuliers.

72      À cet égard, il ressort des points 44 à 51 de la requête en première instance que le requérant a allégué l’existence d’un abus de pouvoir commis par la présidente de la BCE en même temps qu’il lui a reproché la violation des dispositions susmentionnées, sans faire la moindre référence aux principes généraux, tels que la loyauté, la bonne foi ou la diligence, invoqués dans le cadre du présent pourvoi.

73      Dès lors, il ne saurait être reproché au Tribunal d’avoir procédé à une lecture inexacte ou incomplète de cette requête et de ne pas avoir examiné les arguments du requérant concernant un « abus de pouvoir ».

74      Par ailleurs, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 45 du présent arrêt, le requérant n’est manifestement pas recevable à faire valoir, pour la première fois devant la Cour, la violation de principes généraux, tels que la loyauté, la bonne foi ou la diligence.

75      Partant, il y a lieu de rejeter le quatrième moyen.

 Sur le cinquième moyen

76      Conformément à la jurisprudence rappelée au point 25 du présent arrêt, les trois conditions pour l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la BCE sont cumulatives.

77      Or, il résulte des points 29 à 75 du présent arrêt qu’ont été écartés tous les moyens du pourvoi tendant à remettre en cause les motifs de l’ordonnance attaquée sur le fondement desquels le Tribunal a considéré que n’était pas satisfaite la condition requise pour l’engagement de la responsabilité non contractuelle de la BCE tenant à l’illégalité du comportement reproché à cette dernière.

78      Il s’ensuit que le cinquième moyen du pourvoi, qui a trait à la troisième de ces conditions, est inopérant, puisqu’il vise à contester des motifs surabondants de l’ordonnance attaquée (voir, en ce sens, arrêts du 7 juin 2018, Ori Martin/Cour de justice de l’Union européenne, C‑463/17 P, EU:C:2018:411, point 34, ainsi que du 21 décembre 2023, United Parcel Service/Commission, C‑297/22 P, EU:C:2023:1027, points 54 et 55).

79      Par conséquent, il y a lieu de rejeter le présent pourvoi dans son ensemble.

 Sur les dépens

80      En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

81      Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

82      La BCE ayant conclu à la condamnation du requérant aux dépens et celui-ci ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens.


Par ces motifs, la Cour (septième chambre) déclare et arrête :

1)      Le pourvoi est rejeté.

2)      M. Aldo D’Agostino est condamné aux dépens.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.

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