Ilva and Others (Environment - Industrial emissions - Procedures for issuing and reviewing an operating permit for an installation - Judgment) French Text [2024] EUECJ C-626/22 (25 June 2024)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/C62622.html
Cite as: [2024] EUECJ C-626/22, ECLI:EU:C:2024:542, EU:C:2024:542, [2024] WLR(D) 385

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ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

25 juin 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Article 191 TFUE – Émissions industrielles – Directive 2010/75/UE – Prévention et réduction intégrées de la pollution – Articles 1er, 3, 8, 11, 12, 14, 18, 21 et 23 – Articles 35 et 37 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Procédures de délivrance et de réexamen d’une autorisation d’exploitation d’une installation – Mesures de protection de l’environnement et de la santé humaine – Droit à un environnement propre, sain et durable »

Dans l’affaire C‑626/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunale di Milano (tribunal de Milan, Italie), par décision du 16 septembre 2022, parvenue à la Cour le 3 octobre 2022, dans la procédure

C. Z. e.a.

contre

Ilva SpA in Amministrazione Straordinaria,

Acciaierie d’Italia Holding SpA,

Acciaierie d’Italia SpA,

en présence de :

Regione Puglia,

Gruppo di Intervento Giuridico – ODV,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice-président, M. A. Arabadjiev (rapporteur), Mmes A. Prechal, K. Jürimäe, MM. F. Biltgen et N. Piçarra, présidents de chambre, M. S. Rodin, Mme L. S. Rossi, MM. I. Jarukaitis, N. Jääskinen, N. Wahl, J. Passer, D. Gratsias et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. C. Di Bella, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 7 novembre 2023,

considérant les observations présentées :

–        pour C. Z. e.a., par Mes A. Amenduni et M. Rizzo Striano, avvocati,

–        pour Ilva SpA in Amministrazione Straordinaria, par Mes M. Annoni, R. A. Cassano, A. Cogoni, G. Lombardi, M. Merola, L.-D. Tassinari Vittone et C. Tesauro, avvocati,

–        pour Acciaierie d’Italia Holding SpA et Acciaierie d’Italia SpA, par Mes M. Beraldi, E. Gardini, S. Grassi, R. Perini, G. C. Rizza, G. Scassellati Sforzolini, C. Tatozzi, G. Tombesi et L. Torchia, avvocati,

–        pour la Regione Puglia, par Mes A. Bucci et R. Lanza, avvocate,

–        pour Gruppo di Intervento Giuridico – ODV, par Mes C. Colapinto et F. Colapinto, avvocati,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. S. Fiorentino, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par M. G. Gattinara et Mme C. Valero, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 14 décembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, relative aux émissions industrielles (prévention et réduction intégrées de la pollution) (JO 2010, L 334, p. 17, et rectificatif JO 2012, L 158, p. 25).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant C. Z. e.a., des résidents de la commune de Tarente (Italie) et des communes limitrophes, à Ilva SpA in Amministrazione Straordinaria (ci-après « Ilva »), société possédant une usine sidérurgique située dans cette commune (ci-après l’« usine Ilva »), à Acciaierie d’Italia Holding SpA et à Acciaierie d’Italia SpA au sujet de la pollution causée par l’activité de cette usine et des dommages qui en résultent pour la santé humaine.

 Le cadre juridique

 Le droit de lUnion

3        Il ressort du considérant 1 de la directive 2010/75 que celle-ci a procédé à la refonte de sept directives, au nombre desquelles figure la directive 2008/1/CE du Parlement européen et du Conseil, du 15 janvier 2008, relative à la prévention et à la réduction intégrées de la pollution (JO 2008, L 24, p. 8), qui avait codifié la directive 96/61/CE du Conseil, du 24 septembre 1996, relative à la prévention et à la réduction intégrées de la pollution (JO 1996, L 257, p. 26).

4        Les considérants 2, 12, 15, 27, 29, 43 et 45 de la directive 2010/75 énoncent :

« (2)      Afin de prévenir, réduire et, dans la mesure du possible, éliminer la pollution due aux activités industrielles, conformément au principe du “pollueur payeur” et au principe de prévention de la pollution, il est nécessaire de mettre en place un cadre général régissant les principales activités industrielles, qui privilégie l’intervention à la source et la gestion prudente des ressources naturelles et tienne compte, le cas échéant, des circonstances économiques et des spécificités locales de l’endroit où se développe l’activité industrielle.

[...]

(12)      Il convient que l’autorisation définisse toutes les mesures nécessaires pour garantir un niveau élevé de protection de l’environnement dans son ensemble et pour garantir que l’installation est exploitée conformément aux principes généraux des obligations fondamentales de l’exploitant. Il convient également que l’autorisation fixe des valeurs limites d’émission de substances polluantes ou des paramètres ou mesures techniques équivalents, et prévoie des dispositions appropriées pour assurer la protection du sol et des eaux souterraines, ainsi que des dispositions en matière de surveillance. Il convient que les conditions d’autorisation soient définies sur la base des meilleures techniques disponibles [(MTD)].

[...]

(15)      Il importe que les autorités compétentes bénéficient d’une souplesse suffisante dans la fixation de valeurs d’émission, de manière à ce que, dans des conditions d’exploitation normales, les émissions ne dépassent pas les niveaux d’émission associés aux [MTD]. [...] Le respect des valeurs limites d’émission établies dans les autorisations [a] pour conséquence des émissions inférieures à ces valeurs limites d’émission.

[...]

(27)      [...] Il convient que les membres du public concerné aient accès à la justice afin de pouvoir contribuer à la sauvegarde du droit de tout un chacun de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être.

[...]

(29)      Les grandes installations de combustion contribuent de manière importante à l’émission de substances polluantes dans l’atmosphère, qui a une incidence considérable sur la santé humaine et sur l’environnement. [...]

[…] 

(43)      Afin de laisser suffisamment de temps aux installations existantes pour s’adapter, sur le plan technique, aux nouvelles exigences de la présente directive, il convient que certaines de ces nouvelles exigences s’appliquent aux installations existantes après une période déterminée à compter de la date d’application de la présente directive. Les installations de combustion ont besoin de suffisamment de temps pour mettre en place les mesures de réduction des émissions requises pour se conformer aux valeurs limites d’émission prescrites à l’annexe V.

[...]

(45)      La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus notamment par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Elle vise en particulier à faciliter l’application de l’article 37 de ladite charte. »

5        Aux termes de l’article 1er de cette directive, intitulé « Objet » :

« La présente directive énonce des règles concernant la prévention et la réduction intégrées de la pollution due aux activités industrielles.

Elle prévoit également des règles visant à éviter ou, lorsque cela s’avère impossible, à réduire les émissions dans l’air, l’eau et le sol, et à empêcher la production de déchets, afin d’atteindre un niveau élevé de protection de l’environnement considéré dans son ensemble. »

6        L’article 3 de ladite directive, intitulé « Définitions », énonce :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

2.      “pollution” : l’introduction directe ou indirecte, par l’activité humaine, de substances, de vibrations, de chaleur ou de bruit dans l’air, l’eau ou le sol, susceptibles de porter atteinte à la santé humaine ou à la qualité de l’environnement, d’entraîner des détériorations des biens matériels, une détérioration ou une entrave à l’agrément de l’environnement ou à d’autres utilisations légitimes de ce dernier ;

3.      “installation” : une unité technique fixe au sein de laquelle interviennent une ou plusieurs des activités figurant à l’annexe I ou dans la partie 1 de l’annexe VII, ainsi que toute autre activité s’y rapportant directement, exercée sur le même site, qui est liée techniquement aux activités énumérées dans ces annexes et qui est susceptible d’avoir des incidences sur les émissions et la pollution ;

[...]

5.      “valeur limite d’émission” : la masse, exprimée en fonction de certains paramètres spécifiques, la concentration et/ou le niveau d’une émission, à ne pas dépasser au cours d’une ou de plusieurs périodes données ;

6.      “norme de qualité environnementale” : la série d’exigences devant être satisfaites à un moment donné par un environnement donné ou une partie spécifique de celui-ci, telles que spécifiées dans le droit de l’Union ;

[...]

8.      “règles générales contraignantes” : les valeurs limites d’émission ou autres conditions, tout au moins au niveau sectoriel, qui sont adoptées pour être utilisées directement en vue de déterminer les conditions d’autorisation ;

[...]

10.      “[MTD] ” : le stade de développement le plus efficace et avancé des activités et de leurs modes d’exploitation, démontrant l’aptitude pratique de techniques particulières à constituer la base des valeurs limites d’émission et d’autres conditions d’autorisation visant à éviter et, lorsque cela s’avère impossible, à réduire les émissions et l’impact sur l’environnement dans son ensemble :

a)      par “techniques”, on entend aussi bien les techniques employées que la manière dont l’installation est conçue, construite, entretenue, exploitée et mise à l’arrêt ;

b)      par “disponibles”, on entend les techniques mises au point sur une échelle permettant de les appliquer dans le contexte du secteur industriel concerné, dans des conditions économiquement et techniquement viables, en prenant en considération les coûts et les avantages, que ces techniques soient utilisées ou produites ou non sur le territoire de l’État membre intéressé, pour autant que l’exploitant concerné puisse y avoir accès dans des conditions raisonnables ;

c)      par “meilleures”, on entend les techniques les plus efficaces pour atteindre un niveau général élevé de protection de l’environnement dans son ensemble. 

[...] »

7        L’article 4 de la même directive, intitulé « Obligation de détention d’une autorisation », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires afin qu’aucune installation ou installation de combustion, installation d’incinération des déchets ou installation de coïncinération des déchets ne soit exploitée sans autorisation.

[...] »

8        L’article 5 de la directive 2010/75, intitulé « Octroi d’une autorisation », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Sans préjudice des autres exigences découlant des dispositions nationales ou de l’Union, l’autorité compétente accorde une autorisation si l’installation répond aux exigences prévues par la présente directive. »

9        L’article 8 de cette directive, intitulé « Non-conformité », est libellé comme suit :

«1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que les conditions de l’autorisation soient respectées.

2.      En cas d’infraction aux conditions d’autorisation, les États membres veillent à ce que :

a)      l’exploitant informe immédiatement l’autorité compétente ;

b)      l’exploitant prenne immédiatement les mesures nécessaires pour rétablir dans les plus brefs délais possibles la conformité ;

c)      l’autorité compétente oblige l’exploitant à prendre toute mesure complémentaire appropriée qu’elle juge nécessaire pour rétablir la conformité.

Lorsque l’infraction aux conditions d’autorisation présente un danger direct pour la santé humaine ou risque de produire un important effet préjudiciable immédiat sur l’environnement, et jusqu’à ce que la conformité soit rétablie [...], l’exploitation de l’installation [...] est suspendue. »

10      L’article 10 de ladite directive, intitulé « Champ d’application », dispose :

« Le présent chapitre s’applique aux activités énumérées à l’annexe I et qui, le cas échéant, atteignent les seuils de capacité indiqués dans cette annexe. »

11      L’article 11 de la même directive, intitulé « Principes généraux des obligations fondamentales de l’exploitant », prévoit :

« Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que l’installation soit exploitée conformément aux principes suivants :

a)      toutes les mesures de prévention appropriées sont prises contre la pollution ;

b)      les [MTD] sont appliquées ;

c)      aucune pollution importante n’est causée ;

[...] »

12      L’article 12 de la directive 2010/75, intitulé « Demandes d’autorisation », énonce, à son paragraphe 1 :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires afin que les demandes d’autorisation comprennent une description des éléments suivants :

[...]

f)      la nature et les quantités des émissions prévisibles de l’installation dans chaque milieu ainsi que la détermination des effets significatifs des émissions sur l’environnement ;

[...]

i)      les autres mesures prévues pour respecter les principes généraux des obligations fondamentales de l’exploitant énoncés à l’article 11 ;

j)      les mesures prévues pour la surveillance des émissions dans l’environnement ;

[...] »

13      Aux termes de l’article 14 de cette directive, intitulé « Conditions d’autorisation » :

« 1.      Les États membres s’assurent que l’autorisation prévoit toutes les mesures nécessaires pour assurer le respect des articles 11 et 18.

Ces mesures comprennent au minimum les suivantes :

a)      des valeurs limites d’émission pour les substances polluantes figurant à l’annexe II et pour les autres substances polluantes qui sont susceptibles d’être émises par l’installation concernée en quantités significatives, eu égard à leur nature et à leur potentiel de transferts de pollution d’un milieu à l’autre ;

[...]

2.      Aux fins du paragraphe 1, point a), les valeurs limites peuvent être complétées ou remplacées par des paramètres ou des mesures techniques équivalents garantissant un niveau équivalent de protection de l’environnement.

3.      Les conclusions sur les MTD servent de référence pour la fixation des conditions d’autorisation.

4.      Sans préjudice de l’article 18, l’autorité compétente peut fixer des conditions d’autorisation plus sévères que celles pouvant être atteintes par l’utilisation des [MTD] telles que décrites dans les conclusions sur les MTD. Les États membres peuvent établir des règles en vertu desquelles l’autorité compétente peut fixer des conditions plus strictes.

[...]

6.      Lorsqu’une activité ou un type de procédé de production d’usage dans une installation n’est couvert par aucune des conclusions sur les MTD ou lorsque ces conclusions ne prennent pas en considération toutes les incidences possibles de l’activité ou du procédé sur l’environnement, l’autorité compétente, après consultation préalable de l’exploitant, fixe les conditions d’autorisation sur la base des [MTD] qu’elle a déterminées pour les activités ou procédés concernés en accordant une attention particulière aux critères figurant à l’annexe III.

[...] »

14      L’article 15 de ladite directive, intitulé « Valeurs limites d’émission, paramètres et mesures techniques équivalents », prévoit, à ses paragraphes 2 et 3 :

« 2.      Sans préjudice de l’article 18, les valeurs limites d’émission et les paramètres et mesures techniques équivalents visés à l’article 14, paragraphes 1 et 2, sont fondés sur les [MTD], sans prescrire l’utilisation d’une technique ou d’une technologie spécifique.

3.      L’autorité compétente fixe des valeurs limites d’émission garantissant que les émissions, dans des conditions d’exploitation normales, n’excèdent pas les niveaux d’émission associés aux [MTD] telles que décrites dans les décisions concernant les conclusions sur les MTD visées à l’article 13, paragraphe 5 :

a)      soit en fixant des valeurs limites d’émission qui n’excèdent pas les niveaux d’émission associés aux [MTD]. Ces valeurs limites d’émission sont exprimées pour les mêmes périodes, ou pour des périodes plus courtes, et pour les mêmes conditions de référence que lesdits niveaux d’émission associés aux [MTD] ;

b)      soit en fixant des valeurs limites d’émission différentes de celles visées au point a) en termes de valeurs, de périodes et de conditions de référence.

En cas d’application du point b), l’autorité compétente évalue, au moins une fois par an, les résultats de la surveillance des émissions afin de garantir que les émissions, dans des conditions d’exploitation normales, n’ont pas excédé les niveaux d’émission associés aux [MTD]. »

15      L’article 18 de la même directive, intitulé « Normes de qualité environnementale », est libellé comme suit :

« Si une norme de qualité environnementale requiert des conditions plus sévères que celles pouvant être atteintes par l’utilisation des [MTD], des mesures supplémentaires sont ajoutées dans l’autorisation, sans préjudice d’autres mesures pouvant être prises pour respecter les normes de qualité environnementale. »

16      L’article 21 de la directive 2010/75, intitulé « Réexamen et actualisation des conditions d’autorisation par l’autorité compétente », dispose :

« 1.      Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que l’autorité compétente réexamine périodiquement toutes les conditions d’autorisation conformément aux paragraphes 2 à 5 et les actualise, si nécessaire pour assurer la conformité à la présente directive.

2.      À la demande de l’autorité compétente, l’exploitant présente toutes les informations nécessaires aux fins du réexamen des conditions d’autorisation y compris notamment les résultats de la surveillance des émissions et d’autres données permettant une comparaison du fonctionnement de l’installation avec les [MTD] décrites dans les conclusions sur les MTD applicables et les niveaux d’émission associés aux [MTD].

Lors du réexamen des conditions d’autorisation, l’autorité compétente utilise toutes les informations résultant de la surveillance ou des inspections.

3.      Dans un délai de quatre ans à compter de la publication des décisions concernant les conclusions sur les MTD adoptées conformément à l’article 13, paragraphe 5, concernant l’activité principale d’une installation, l’autorité compétente veille à ce que :

a)      toutes les conditions d’autorisation pour l’installation concernée soient réexaminées et, au besoin, actualisées pour assurer la conformité à la présente directive, notamment, l’article 15, paragraphes 3 et 4, le cas échéant ;

b)      l’installation respecte lesdites conditions d’autorisation.

[...]

5.      Les conditions d’autorisation sont réexaminées et, si nécessaire, actualisées au minimum dans les cas suivants :

a)      la pollution causée par l’installation est telle qu’il convient de réviser les valeurs limites d’émission indiquées dans l’autorisation ou d’inclure de nouvelles valeurs limites d’émission ;

b)      la sécurité d’exploitation requiert le recours à d’autres techniques ;

c)      lorsqu’il est nécessaire de respecter une norme de qualité environnementale, nouvelle ou révisée, conformément à l’article 18. »

17      L’article 23 de cette directive, intitulé « Inspections environnementales », énonce, à son paragraphe 4, quatrième alinéa, sous a) :

« L’évaluation systématique des risques environnementaux est fondée au moins sur les critères suivants :

a)      les incidences potentielles et réelles des installations concernées sur la santé humaine et l’environnement, compte tenu des niveaux et des types d’émissions, de la sensibilité de l’environnement local et des risques d’accident ».

18      L’article 80 de ladite directive, intitulé « Transposition », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres mettent en vigueur les dispositions législatives, réglementaires et administratives nécessaires [...] au plus tard le 7 janvier 2013.

Ils appliquent ces dispositions à partir de la même date.

[...] »

19      L’article 82 de la même directive, intitulé « Dispositions transitoires », prévoit, à son paragraphe 1 :

« En ce qui concerne les installations opérant des activités visées à l’annexe I[...], les États membres appliquent les dispositions législatives, administratives et réglementaires adoptées conformément à l’article 80, paragraphe 1, à partir du 7 janvier 2014 à l’exception du chapitre III et de l’annexe V. »

 Le droit italien

 Le décret législatif no 152/2006

20      Le decreto legislativo n. 152 – Norme in materia ambientale (décret législatif no 152, relatif aux règles en matière environnementale), du 3 avril 2006 (supplément ordinaire à la GURI no 88, du 14 avril 2006), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « décret législatif no 152/2006 »), réglemente les activités industrielles et manufacturières, y compris les activités sidérurgiques, et a pour objectif de protéger l’environnement et la santé humaine contre la pollution qui en découle. Ce décret législatif met en œuvre la directive 2010/75.

21      L’article 5, paragraphe 1, dudit décret législatif prévoit qu’une évaluation de l’impact sur la santé est « réalisée par le demandeur, sur la base des directives élaborées par le ministère de la Santé [...], afin d’évaluer les impacts globaux, directs et indirects que la mise en œuvre et l’exploitation du projet peuvent avoir sur la santé de la population ». Cet article 5 définit l’« impact sur l’environnement » comme correspondant, notamment, aux « effets significatifs, directs et indirects, d’un plan, d’un programme ou d’un projet », en particulier, sur « la population et la santé humaine ». Il définit la « pollution » comme étant, entre autres, « l’introduction directe ou indirecte, par suite de l’activité humaine, de substances, de vibrations, de chaleur ou de bruit, ou plus généralement d’agents physiques ou chimiques, dans l’air, l’eau ou le sol, susceptibles de nuire à la santé humaine ».

22      En vertu de l’article 19 du même décret législatif, relatif à la procédure d’évaluation des incidences sur l’environnement (EIE), les caractéristiques des projets doivent être évaluées en tenant compte du risque pour la santé humaine, y compris aux fins de la vérification d’office de nouvelles incidences environnementales significatives, autres que celles signalées par le demandeur de l’autorisation, ainsi que des observations reçues au cours de la procédure et de toutes les autres évaluations effectuées conformément à la réglementation en vigueur.

23      L’article 22 du décret législatif no 152/2006, relatif à l’étude d’impact environnemental, prévoit que le demandeur de l’autorisation doit réaliser cette étude en décrivant notamment les effets significatifs probables du projet concerné sur l’environnement et les mesures visant à éviter, à prévenir, à réduire et à compenser les incidences négatives probables de celui-ci sur l’environnement, en planifiant le suivi des incidences significatives et négatives potentielles sur l’environnement découlant de la réalisation et de la mise en exploitation de ce projet.

24      Conformément à l’article 23, paragraphe 2, de ce décret législatif, pour obtenir l’EIE, qui conditionne l’obtention de l’autorisation environnementale intégrée, le demandeur qui sollicite l’autorisation de certains projets déterminés doit également présenter l’évaluation de l’impact sur la santé, c’est-à-dire l’instrument spécifique d’évaluation de l’impact des activités susceptibles d’être autorisées sur la santé humaine.

25      Selon l’article 29 quater, paragraphe 7, dudit décret législatif, le maire concerné dispose du pouvoir de demander le réexamen de l’autorisation environnementale intégrée pour des raisons de santé publique.

26      L’article 29 decies du même décret législatif concerne les obligations de contrôle et de transmission des données incombant à l’exploitant concerné ainsi que les vérifications et contrôles portant sur le respect de ces obligations et des conditions de l’autorisation environnementale intégrée.

 Les règles spéciales applicables à Ilva

27      Au mois de juillet 2012, le Tribunale di Taranto (tribunal de Tarente, Italie) a ordonné la mise sous séquestre provisoire, sans droit d’utilisation, des équipements de la « zone à chaud » de l’usine Ilva ainsi que de l’ensemble des matériaux d’Ilva. Par un arrêté du 26 octobre 2012, portant autorisation environnementale intégrée de l’année 2012, le Ministro dell’ambiente e della tutela del territorio e del mare (ministre de l’Environnement et de la Protection du territoire et de la Mer, Italie) a réexaminé l’autorisation environnementale intégrée délivrée à Ilva le 4 août 2011. La continuité de la production a été garantie en vertu de règles dérogatoires spéciales.

28      Le decreto-legge n. 207, convertito con modificazioni dalla legge 24 dicembre 2012, n. 231 – Disposizioni urgenti a tutela della salute, dell’ambiente e dei livelli di occupazione, in caso di crisi di stabilimenti industriali di interesse strategico nazionale (décret-loi no 207, converti, avec modifications, par la loi no 231, du 24 décembre 2012, portant mesures urgentes pour protéger la santé, l’environnement et le niveau d’emploi en cas de crise dans les installations industrielles d’intérêt stratégique national), du 3 décembre 2012 (GURI no 282, du 3 décembre 2012, p. 4), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « décret-loi no 207/2012 »), a introduit, à son article 1er, paragraphe 1, la notion d’« établissement industriel d’intérêt stratégique national », en prévoyant que, lorsqu’il existe une nécessité absolue de sauvegarder l’emploi et la production, le ministre de l’Environnement et de la Protection du territoire et de la Mer peut, au moment du réexamen de l’autorisation environnementale intégrée, autoriser la poursuite de l’activité en cause pendant une durée de 36 mois, sous réserve du respect des prescriptions imposées dans la décision de réexamen de l’autorisation environnementale intégrée concernée, même si l’autorité judiciaire a mis sous séquestre les biens de l’entreprise sans préjudice de l’exercice de l’activité commerciale de celle-ci. En vertu de cette disposition, l’usine Ilva a été considérée comme constituant un tel établissement industriel d’intérêt stratégique national. Par conséquent, Ilva a été autorisée à poursuivre son activité de production dans cette usine ainsi que la commercialisation de ses produits jusqu’au 3 décembre 2015.

29      Le decreto-legge n. 61, convertito con modificazioni dalla legge 3 agosto 2013, n. 89 – Nuove disposizioni urgenti a tutela dell’ambiente, della salute e del lavoro nell’esercizio di imprese di interesse strategico nazionale (décret-loi no 61, converti, avec modifications, par la loi no 89, du 3 août 2013, portant nouvelles mesures urgentes pour protéger l’environnement, la santé et l’emploi dans les entreprises d’intérêt stratégique national), du 4 juin 2013 (GURI no 129, du 4 juin 2013, p. 1), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « décret-loi no 61/2013 »), prévoit, à son article 1er, paragraphe 1, la possibilité de placer sous le régime des « commissaires extraordinaires », à savoir des administrateurs provisoires désignés par le gouvernement, toute entreprise remplissant certains critères de taille et gérant au moins un établissement industriel d’intérêt stratégique national dans le cas où « l’activité productive a impliqué et implique objectivement des dangers graves et importants pour l’intégrité de l’environnement et de la santé, en raison du non-respect réitéré de l’autorisation environnementale intégrée ». Selon l’article 2, paragraphe 1, du décret-loi no 61/2013, les conditions du régime d’exception prévu à cet article 1er, paragraphe 1, étaient remplies dans le cas d’Ilva.

30      En vertu de l’article 1er, paragraphe 5, de ce décret-loi, un comité de trois experts devait élaborer un « plan des mesures environnementales et sanitaires prévoyant les actions et délais nécessaires pour garantir le respect des prescriptions légales et de l’autorisation environnementale intégrée », dont l’approbation « équivaut à une modification de l’autorisation environnementale intégrée ». En outre, conformément à l’article 1er, paragraphe 7, dudit décret-loi, les mesures prescrites par l’autorisation environnementale intégrée devaient être accomplies dans un délai de « 36 mois à compter de la date d’entrée en vigueur de la loi convertissant le [même décret-loi] », soit avant le 3 août 2016.

31      Le decreto del Presidente del Consiglio dei Ministri – Approvazione del piano delle misure e delle attività di tutela ambientale e sanitaria, a norma dell’articolo 1, commi 5 e 7, del decreto-legge 4 giugno 2013, n. 61, convertito, con modificazioni, dalla legge 3 agosto 2013, n. 89 (décret du président du conseil des ministres portant approbation du plan des mesures et des activités de protection de l’environnement et de la santé, conformément à l’article 1er, paragraphes 5 et 7, du décret-loi no 61, du 4 juin 2013, converti, avec modifications, par la loi no 89, du 3 août 2013), du 14 mars 2014 (GURI no 105, du 8 mai 2014, p. 34) (ci-après le « décret du président du conseil des ministres de 2014 »), a rééchelonné les délais initialement fixés pour la mise en œuvre des mesures d’assainissement de l’environnement prévues par l’autorisation environnementale intégrée de l’année 2011 ainsi que par celle de l’année 2012.

32      L’article 2, paragraphe 5, du decreto-legge n. 1, convertito con modificazioni dalla legge 4 marzo 2015, n. 20 – Disposizioni urgenti per l’esercizio di imprese di interesse strategico nazionale in crisi e per lo sviluppo della città e dell’area di Taranto (décret-loi no 1, converti, avec modifications, par la loi no 20, du 4 mars 2015, portant mesures urgentes pour l’exploitation d’une entreprise d’intérêt stratégique national en difficulté et pour le développement de la ville et de la zone de Tarente), du 5 janvier 2015 (GURI no 3, du 5 janvier 2015, p. 1), prévoit que le plan des mesures et des activités de protection de l’environnement et de la santé approuvé par le décret du président du conseil des ministres de 2014 sera « réputé avoir été mis en œuvre si, à la date du 31 juillet 2015, au moins 80 % des prescriptions arrivant à échéance à cette date ont été accomplies ». En outre, l’ultime délai de mise en œuvre des prescriptions restantes expirerait le 3 août 2016, cette date ayant été par la suite reportée au 30 septembre 2017.

33      Le decreto-legge n. 98, convertito con modificazioni dalla legge 1 agosto 2016, n. 151 – Disposizioni urgenti per il completamento della procedura di cessione dei complessi aziendali del Gruppo Ilva (décret-loi no 98, converti, avec modifications, par la loi no 151, du 1er août 2016, portant mesures urgentes pour la finalisation de la procédure de cession des entreprises du groupe Ilva), du 9 juin 2016 (GURI no 133, du 9 juin 2016, p. 1), a, notamment, prévu l’adoption d’un nouveau décret du président du conseil des ministres ayant valeur d’autorisation environnementale intégrée, qui tient lieu d’EIE.

34      Le decreto-legge n. 244, convertito con modificazioni dalla legge 27 febbraio 2017, n. 19 – Proroga e definizione di termini (décret-loi no 244, converti, avec modifications, par la loi no 19, du 27 février 2017, portant prorogation et définition des délais), du 30 décembre 2016 (GURI no 304, du 30 décembre 2016, p. 13), a définitivement reporté le délai fixé pour la mise en œuvre des mesures spécifiques d’assainissement de l’environnement au 23 août 2023.

35      Les mesures et actions de protection environnementale et sanitaire prévues dans le décret-loi no 98, du 9 juin 2016, ont été adoptées par le decreto del Presidente del Consiglio dei Ministri – Approvazione delle modifiche al Piano delle misure e delle attività di tutela ambientale e sanitaria di cui al decreto del Presidente del Consiglio dei ministri 14 marzo 2014, a norma dell’articolo 1, comma 8.1., del decreto-legge 4 dicembre 2015, n. 191, convertito, con modificazioni, dalla legge 1 febbraio 2016, n. 13 (décret du président du conseil des ministres portant approbation des modifications du plan des mesures et des activités de protection de l’environnement et de la santé contenu dans le décret du président du conseil des ministres du 14 mars 2014, conformément à l’article 1er, paragraphe 8.1, du décret-loi no 191, du 4 décembre 2015, converti, avec modifications, par la loi no 13, du 1er février 2016), du 29 septembre 2017 (GURI no 229, du 30 septembre 2017, p. 1) (ci-après le « décret du président du conseil des ministres de 2017 »), qui constitue l’autorisation environnementale intégrée de l’année 2017 et qui met un terme à toutes les procédures d’autorisation environnementale intégrée en cours auprès du ministère de l’Environnement et de la Protection du territoire et de la Mer. Cette autorisation environnementale intégrée de l’année 2017 a confirmé le report de délai mentionné au point précédent.

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

36      Les requérants au principal ont saisi le Tribunale di Milano (tribunal de Milan, Italie), qui est la juridiction de renvoi, d’une action collective visant à protéger des droits de nature homogène dont sont titulaires environ 300 000 habitants de la commune de Tarente et des communes limitrophes. Ces droits seraient gravement affectés par l’activité de l’usine Ilva.

37      Par cette action, les requérants au principal demandent la protection de leur droit à la santé, de leur droit à la sérénité et à la tranquillité dans la conduite de leur vie ainsi que de leur droit à un climat vivable. Ils soutiennent que l’atteinte portée à ces droits est actuelle et durable, en raison d’agissements intentionnels qui provoquent une pollution générée par les émissions provenant de l’usine Ilva, lesquelles exposeraient ces habitants à un taux de décès plus élevé et à davantage de maladies. Les territoires des communes concernées seraient classés « site d’intérêt national » en raison de la grave pollution des matrices environnementales que sont l’eau, l’air et le sol.

38      Les requérants au principal fondent leurs allégations sur des évaluations des dommages sanitaires réalisées au cours des années 2017, 2018 et 2021, qui établissent l’existence d’un lien de causalité entre l’altération de l’état de santé des habitants de la région de Tarente et les émissions de l’usine Ilva, particulièrement en ce qui concerne les particules PM10, dont le diamètre est inférieur ou égal à dix micromètres, et le dioxyde de soufre (SO2) d’origine industrielle. Ils se fondent également sur le « rapport du rapporteur spécial sur la question des obligations relatives aux droits de l’homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable » du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, du 12 janvier 2022, dans lequel l’agglomération de Tarente figure dans la liste des « zones sacrifiées », à savoir celles caractérisées par des niveaux extrêmes de pollution et de contamination par des substances toxiques dans lesquelles les populations vulnérables et marginalisées subissent beaucoup plus que les autres les conséquences de l’exposition à la pollution et aux substances dangereuses sur la santé, les droits de l’homme et l’environnement.

39      Les requérants au principal ont également dénoncé le report du délai de 36 mois prévu par le décret-loi no 207/2012 aux fins de la mise en œuvre de l’autorisation environnementale intégrée de l’année 2012. Ils ont notamment demandé à la juridiction de renvoi d’ordonner la fermeture de la « zone à chaud » de l’usine Ilva ou la cessation des activités correspondantes. Ils lui ont demandé, à titre subsidiaire, d’ordonner aux défenderesses au principal de fermer les cockeries ou de cesser les activités correspondantes et, à titre encore plus subsidiaire, de leur ordonner de cesser l’activité de production de cette « zone à chaud » jusqu’à la mise en œuvre complète des prescriptions reprises dans le plan environnemental prévu par l’autorisation environnementale intégrée de l’année 2017. Enfin, ils ont demandé à cette juridiction d’ordonner en tout état de cause aux défenderesses au principal d’établir un plan d’entreprise prévoyant l’élimination d’au moins 50 % des émissions de gaz à effet de serre rapportés aux émissions résultant d’une production de six millions de tonnes d’acier par an entre la date de leur demande et l’année 2026, ou de prendre les mesures appropriées pour éliminer ou réduire les effets des violations constatées.

40      La juridiction de renvoi expose, en premier lieu, que le droit italien ne prévoit pas que l’évaluation des dommages sanitaires fasse partie intégrante de la procédure de délivrance ou de réexamen de l’autorisation environnementale intégrée. Il ne serait pas davantage prévu que, lorsqu’une telle évaluation fait apparaître des résultats montrant le caractère inacceptable du danger pour la santé d’une population nombreuse exposée à des émissions polluantes, cette autorisation doive faire l’objet d’un réexamen à bref délai et de manière ferme. En substance, ce droit prévoirait une évaluation des dommages sanitaires a posteriori, à laquelle ne serait associé que de manière éventuelle le réexamen de l’autorisation environnementale intégrée. La réglementation nationale en cause au principal pourrait ainsi être en contradiction avec la directive 2010/75, lue à la lumière du principe de précaution.

41      En deuxième lieu, la juridiction de renvoi souligne que, par un acte du 21 mai 2019, le maire de Tarente a, au titre du décret législatif no 152/2006, demandé le réexamen de l’autorisation environnementale intégrée de l’année 2017, essentiellement sur le fondement de rapports établis par les autorités sanitaires compétentes, dont il ressortait l’existence d’un risque inacceptable pour la santé de la population. Au cours du mois de mai 2019, le ministère de l’Environnement et de la Protection du territoire et de la Mer aurait ordonné le réexamen de cette autorisation. Il ressortirait de l’enquête effectuée par ces autorités que la surveillance des émissions de l’usine Ilva devrait prendre en compte au moins tous les polluants traités dans le rapport final d’évaluation des dommages sanitaires, établi en 2018 pour la région de Tarente, ainsi que d’autres polluants, tels que le cuivre, le mercure et le naphtalène, provenant de sources diffuses de cette usine, de même que les particules PM2,5 et PM10 de sources diffuses et de rejets canalisés. Il s’agirait du « volet complémentaire » des substances polluantes et potentiellement néfastes pour la santé humaine. Les règles spéciales applicables à Ilva auraient toutefois permis de réexaminer l’autorisation environnementale intégrée délivrée à celle-ci sans tenir compte des polluants mentionnés dans ce volet complémentaire ainsi que de leurs effets nocifs sur la population de Tarente.

42      En troisième lieu, la juridiction de renvoi relève que 80 % au moins des prescriptions de l’autorisation environnementale intégrée de l’année 2012 ainsi que le plan des mesures et des activités de protection de l’environnement et de la santé approuvé par le décret du président du conseil des ministres de 2014 devaient initialement être respectés au plus tard le 31 juillet 2015. Or, cette date butoir aurait été différée de plus de sept ans et demi, ce qui correspondrait à un report de onze ans depuis la date de l’introduction de la saisie pénale à l’origine de l’adoption des règles spéciales applicables à Ilva, exposées aux points 27 à 35 du présent arrêt. Ce report serait intervenu, d’une part, en présence d’une exploitation industrielle considérée par le législateur italien lui-même comme présentant un risque grave pour la santé humaine et l’environnement ainsi que, d’autre part, dans l’objectif de réaliser et d’achever les travaux devant rendre théoriquement sûre, pour la santé des personnes vivant à proximité de l’usine Ilva, l’activité sidérurgique de cette dernière.

43      Dans ces conditions, le Tribunale di Milano (tribunal de Milan) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      La directive [2010/75] et en particulier [les] considérants 4, 18, 34, 28 et 29, [l’article] 3, point 2, [ainsi que les articles] 11, 12 et 23 [de cette directive], [ainsi que] le principe de précaution et de protection de la santé humaine prévu [à l’article 191 TFUE] peuvent-ils être interprétés en ce sens que, en application d’une loi nationale d’un État membre, il est permis à cet État membre de prévoir que l’évaluation des dommages sanitaires constitue un acte étranger à la procédure de délivrance et de réexamen de l’autorisation environnementale intégrée – en l’espèce le décret du président du conseil des ministres de 2017 – et que sa rédaction peut être dépourvue d’effets automatiques en termes de prise en compte effective et en temps utile de la part de l’autorité compétente dans le cadre d’une procédure de réexamen de l’autorisation environnementale intégrée/du décret du président du conseil des ministres, spécialement lorsque cette évaluation fournit des résultats montrant le caractère inacceptable du risque sanitaire pour une population nombreuse exposée aux émissions polluantes ou bien [ladite] directive doit-elle être interprétée en ce sens que :

i)      le risque tolérable pour la santé humaine peut être apprécié au moyen d’une analyse scientifique de nature épidémiologique ;

ii)      l’évaluation des dommages sanitaires doit constituer un acte faisant partie intégrante de la procédure de délivrance et de réexamen de l’autorisation environnementale intégrée/du décret du président du conseil des ministres, voire en être une condition préalable nécessaire, et doit en particulier être prise en compte obligatoirement, effectivement et en temps utile par l’autorité compétente pour délivrer et réexaminer l’autorisation environnementale intégrée ?

2)      La directive [2010/75] et notamment [les] considérants 4, 1[5], 18, 21, 34, 28 et 29, [l’article] 3, point 2, [ainsi que les articles] 11, 14, 15, 18 et 21 [de cette directive] peuvent-ils être interprétés en ce sens que, en application d’une loi nationale d’un État membre, il doit être prévu que l’autorisation environnementale intégrée (ici, l’autorisation environnementale intégrée de [l’année] 2012, le décret du président du conseil des ministres de 2014, le décret du président du conseil des ministres de 2017) doit toujours prendre en compte toutes les substances faisant l’objet d’émissions scientifiquement reconnues comme étant nocives, y compris les particules PM10 et PM2,5 en tout état de cause provenant de l’installation évaluée, ou bien la directive peut-elle être interprétée en ce sens que l’autorisation environnementale intégrée (la mesure administrative portant autorisation) doit inclure uniquement les substances polluantes prévues a priori en raison de la nature et du type d’activité industrielle exercée ?

3)      La directive [2010/75,] et notamment [les] considérants 4, 18, 21, 22, 28, 29, 34 et 43 ainsi que [l’article] 3, points 2 et 25, [et les articles] 11, 14, 16 et 21 [de cette directive] peuvent-ils être interprétés en ce sens que, en application d’une loi nationale d’un État membre, cet État membre peut, alors qu’il existe une activité industrielle comportant des dangers graves et importants pour l’intégrité de l’environnement et de la santé humaine, différer de près de sept ans et demi par rapport au délai initialement fixé, et pour une durée totale de onze ans, le délai accordé à l’exploitant pour mettre l’activité industrielle en conformité avec l’autorisation délivrée, par l’application des mesures et actions de protection environnementale et sanitaire qui y sont prévues ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

44      Les défenderesses au principal considèrent que la demande de décision préjudicielle est irrecevable pour trois motifs.

45      En premier lieu, elles soutiennent que cette demande ne satisfait pas aux exigences prévues à l’article 94, sous b) et c), du règlement de procédure de la Cour. La juridiction de renvoi ne décrirait pas suffisamment le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’inscrivent ses questions préjudicielles ni n’exposerait les raisons l’ayant conduite à s’interroger sur l’interprétation des dispositions du droit de l’Union visées par ces questions.

46      À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instituée à l’article 267 TFUE, il appartient au seul juge national qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation du droit de l’Union, la Cour est, en principe, tenue de statuer (arrêt du 21 décembre 2023, Infraestruturas de Portugal et Futrifer Indústrias Ferroviárias, C‑66/22, EU:C:2023:1016, point 33 ainsi que jurisprudence citée).

47      Il s’ensuit que les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑116/20, EU:C:2022:273, point 38 et jurisprudence citée).

48      Il convient par ailleurs de rappeler que, en vertu de l’article 94, sous a) à c), du règlement de procédure, la juridiction nationale est tenue d’expliciter, dans sa demande de décision préjudicielle, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et de fournir les explications nécessaires sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis. Ces exigences cumulatives concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle sont, en outre, rappelées aux points 13, 15 et 16 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1) (arrêt du 16 novembre 2023, Ministerstvo vnútra Slovenskej republiky, C‑283/22, EU:C:2023:886, point 19 et jurisprudence citée).

49      En l’occurrence, il ressort sans équivoque de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi considère que ses questions préjudicielles sont pertinentes aux fins de l’appréciation du bien-fondé des demandes dont elle a été saisie par les requérants au principal. Elle y indique expressément, d’une part, qu’elle souhaite savoir si certaines obligations spécifiques découlent du droit de l’Union dans le contexte de l’affaire au principal et, d’autre part, que l’interprétation de ce droit fournie par la Cour aura une influence décisive sur l’appréciation de la légalité de l’activité industrielle exercée par l’usine Ilva. Par conséquent, l’objet du litige au principal est exposé à suffisance dans cette demande, qui comprend, en outre, toutes les informations requises pour que la Cour puisse répondre de façon utile à ces questions.

50      Par ailleurs, la juridiction de renvoi a identifié, dans sa demande de décision préjudicielle, les dispositions du droit de l’Union applicables et les raisons l’ayant conduite à s’interroger sur l’interprétation de ces dispositions. En outre, il ressort de cette demande que l’interprétation desdites dispositions présente un lien avec l’objet du litige au principal, dès lors que cette interprétation est susceptible d’avoir une incidence sur l’issue de ce litige.

51      Le premier motif d’irrecevabilité soulevé par les défenderesses au principal doit donc être rejeté.

52      En deuxième lieu, les défenderesses au principal font valoir que la constatation selon laquelle le nouveau délai prévu pour assurer la conformité de l’exploitation de l’usine Ilva aux mesures nationales de protection de l’environnement et de la santé est compatible avec la directive 2010/75 a acquis autorité de la chose jugée à la suite d’avis du Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), dont la juridiction de renvoi ne pourrait pas remettre en cause l’appréciation.

53      À cet égard, il convient de rappeler l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union européenne que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée. Partant, le droit de l’Union n’exige pas que, pour tenir compte de l’interprétation d’une disposition pertinente de ce droit adoptée par la Cour, un organe juridictionnel national doive, par principe, revenir sur sa décision revêtue de l’autorité de la chose jugée (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑116/20, EU:C:2022:273, points 92 et 94 ainsi que jurisprudence citée).

54      Cependant, ce principe ne saurait conduire, en tant que tel, à conclure à l’irrecevabilité de la présente demande de décision préjudicielle. La Cour a ainsi jugé qu’une juridiction nationale ne saurait valablement considérer qu’elle se trouve dans l’impossibilité d’interpréter une disposition nationale en conformité avec le droit de l’Union en raison du seul fait que cette disposition a été interprétée par d’autres juridictions dans un sens qui s’avérerait incompatible avec ce droit (voir, en ce sens, arrêt du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑116/20, EU:C:2022:273, points 97 à 104).

55      Partant, le deuxième motif d’irrecevabilité soulevé par les défenderesses au principal doit également être rejeté.

56      En troisième lieu, les défenderesses au principal font valoir que, selon le droit procédural national, dans le cadre d’un litige entre personnes privées, le juge de droit commun ne peut écarter un acte administratif que si l’atteinte au droit invoquée par l’une des parties n’est pas liée à l’appréciation du caractère licite de cet acte, ce qui ne serait pas le cas en l’occurrence. En outre, même si la Cour interprétait la directive 2010/75 en ce sens qu’une évaluation des incidences sanitaires de l’activité d’une installation doit être réalisée préalablement à la délivrance d’une autorisation d’exploitation de cette installation ou lors du réexamen de cette autorisation, c’est au législateur national qu’il incomberait d’adopter un acte de transposition pour définir le contenu de cette évaluation.

57      À cet égard, il convient, d’une part, de souligner que, comme Mme l’avocate générale l’a relevé, en substance, au point 62 de ses conclusions, la circonstance que le litige pendant devant la juridiction de renvoi oppose des personnes privées n’est pas de nature à conduire, en tant que telle, à l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Praxair MRC, C‑486/18, EU:C:2019:379, point 35).

58      D’autre part, il est vrai que, en vertu de l’article 288, troisième alinéa, TFUE, le caractère contraignant d’une directive sur lequel est fondée la possibilité d’invoquer celle-ci n’existe qu’à l’égard de « tout État membre destinataire ». Il s’ensuit, selon une jurisprudence constante, qu’une directive ne peut par elle-même créer d’obligations dans le chef d’un particulier et ne peut donc être invoquée en tant que telle contre une telle personne devant une juridiction nationale (arrêt du 22 décembre 2022, Sambre & Biesme et Commune de Farciennes, C‑383/21 et C‑384/21, EU:C:2022:1022, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

59      Toutefois, il convient de rappeler que, lorsque les justiciables sont en mesure de se prévaloir d’une directive contre non pas un particulier, mais un État membre, ils peuvent le faire quelle que soit la qualité en laquelle agit ce dernier. Il convient, en effet, d’éviter que l’État membre puisse tirer avantage de sa méconnaissance du droit de l’Union (arrêt du 22 décembre 2022, Sambre & Biesme et Commune de Farciennes, C‑383/21 et C‑384/21, EU:C:2022:1022, point 37 ainsi que jurisprudence citée).

60      À cet égard, doivent, au titre de la jurisprudence rappelée au point précédent du présent arrêt, être assimilés à un État membre et aux organes de son administration les organismes ou entités, fussent-ils de droit privé, qui soit sont soumis à l’autorité ou au contrôle d’une autorité publique, soit se sont vu confier par un État membre l’accomplissement d’une mission d’intérêt public et détiennent à cet effet des pouvoirs exorbitants par rapport à ceux qui résultent des règles applicables dans les relations entre particuliers (arrêt du 22 décembre 2022, Sambre & Biesme et Commune de Farciennes, C‑383/21 et C‑384/21, EU:C:2022:1022, point 38 ainsi que jurisprudence citée).

61      En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que le décret-loi no 207/2012 dispose, à son article 1er, paragraphe 1, que « l’[usine Ilva] constitue un établissement industriel d’intérêt stratégique national ».

62      Il ressort également de cette demande que le décret-loi no 61/2013 prévoit, à son article 1er, paragraphe 1, la possibilité de placer sous le régime des « commissaires extraordinaires » toute entreprise remplissant certains critères de taille et gérant au moins un établissement industriel d’intérêt stratégique national dans le cas où « l’activité productive a impliqué et implique objectivement des dangers graves et importants pour l’intégrité de l’environnement et de la santé, en raison du non-respect réitéré de l’autorisation environnementale intégrée ». La juridiction de renvoi ajoute que, en vertu de l’article 2, paragraphe 1, de ce décret-loi, les conditions du régime d’exception prévu à cet article 1er, paragraphe 1, étaient remplies dans le cas d’Ilva.

63      Il convient enfin de relever que, dans le cadre du litige pendant devant la juridiction de renvoi, les requérants au principal dénoncent une série de règles spéciales adoptées par les autorités nationales à l’égard d’Ilva qui, tant par la matière qu’elles régissent que par leur caractère de lex specialis par rapport au décret législatif no 152/2006, doivent être considérées comme relevant du champ d’application de la directive 2010/75.

64      Partant, le troisième motif d’irrecevabilité soulevé par les défenderesses au principal doit également être rejeté.

65      Compte tenu de ce qui précède, les questions préjudicielles sont recevables.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

66      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2010/75, lue à la lumière de l’article 191 TFUE, doit être interprétée en ce sens que les États membres sont tenus de prévoir une évaluation préalable des incidences de l’activité de l’installation concernée tant sur l’environnement que sur la santé humaine en tant que partie intégrante des procédures de délivrance ou de réexamen d’une autorisation d’exploitation d’une telle installation au titre de cette directive.

67      À titre liminaire, il convient de souligner que la directive 2010/75 a été adoptée sur le fondement de l’article 192, paragraphe 1, TFUE, relatif aux actions à entreprendre par l’Union dans le domaine de l’environnement en vue de réaliser les objectifs visés à l’article 191 TFUE. Ce dernier article dispose, à son paragraphe 1, premier et deuxième tirets, que la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement contribue à la poursuite des objectifs de préservation, de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement ainsi que de protection de la santé des personnes. En vertu de cet article 191, paragraphe 2, la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l’Union.

68      Il découle de ces dispositions que la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement ainsi que la protection de la santé humaine sont deux composantes étroitement liées de la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement, dont relève la directive 2010/75.

69      Ainsi qu’il ressort de l’article 1er, premier alinéa, de cette directive, les objectifs de celle-ci sont la prévention et la réduction intégrées de la pollution due aux activités industrielles. Conformément à cet article 1er, second alinéa, lu à la lumière du considérant 12 de ladite directive, celle-ci vise également à éviter ou, lorsque cela s’avère impossible, à réduire les émissions dans l’air, l’eau et le sol, ainsi qu’à empêcher la production de déchets, afin d’atteindre un niveau élevé de protection de l’environnement considéré « dans son ensemble ».

70      Les règles établies par la directive 2010/75 sont ainsi la concrétisation des obligations de l’Union en matière de protection de l’environnement et de la santé humaine, qui découlent, notamment, de l’article 191, paragraphes 1 et 2, TFUE.

71      Il convient à cet égard de rappeler, d’une part, que l’article 35 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») prévoit qu’un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union. D’autre part, conformément à l’article 37 de la Charte, un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable.

72      Eu égard au lien étroit existant entre la protection de l’environnement et celle de la santé humaine, la directive 2010/75 vise à faciliter non seulement l’application de l’article 37 de la Charte, comme il est indiqué au considérant 45 de cette directive, mais aussi l’application de l’article 35 de la Charte, un niveau élevé de protection de la santé humaine ne pouvant être atteint sans un niveau élevé de protection de l’environnement, conformément au principe du développement durable. La directive 2010/75 contribue ainsi à la sauvegarde du droit de tout un chacun de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être, visé au considérant 27 de cette directive.

73      S’agissant, en premier lieu, des dispositions de la directive 2010/75 qui concernent les procédures de délivrance d’une autorisation, il convient de relever que l’article 4 de cette directive prévoit, à son paragraphe 1, premier alinéa, que les États membres prennent les mesures nécessaires afin qu’aucune installation ou installation de combustion, installation d’incinération des déchets ou installation de coïncinération des déchets ne soit exploitée sans autorisation.

74      La notion d’« installation », qui est définie à l’article 3, point 3, de la directive 2010/75, désigne, notamment, une unité technique fixe au sein de laquelle interviennent une ou plusieurs des activités figurant à l’annexe I de cette directive ou dans la partie 1 de l’annexe VII de ladite directive, ainsi que toute autre activité s’y rapportant directement, exercée sur le même site, qui est liée techniquement aux activités énumérées à ces annexes et qui est susceptible d’avoir des incidences sur les émissions et la pollution. Cette annexe I concerne, notamment, les activités de production et de transformation des métaux.

75      Il en découle que, conformément à l’article 4 de la directive 2010/75, lu en combinaison avec l’article 3, point 3, de cette directive, les activités de production et de transformation des métaux qui atteignent les seuils de capacité indiqués à ladite annexe I sont au nombre de celles qui sont soumises à autorisation.

76      Partant, une usine telle que l’usine Ilva, dont il est constant qu’elle doit être considérée comme étant une installation, au sens de l’article 3, point 3, de la directive 2010/75, et qui atteint ces seuils de capacité, ne peut être exploitée sans une telle autorisation.

77      La délivrance d’une autorisation par l’autorité compétente est, en vertu de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 2010/75, subordonnée au respect des exigences prévues par cette directive.

78      Conformément à l’article 10 de la directive 2010/75, une installation telle que celle en cause au principal relève du champ d’application du chapitre II de cette directive, duquel font partie les articles 11 à 27 de celle-ci, qui prévoient les exigences s’imposant à ce type d’installation.

79      En vertu de l’article 12, paragraphe 1, sous i), de la directive 2010/75, les États membres prennent les mesures nécessaires afin que les demandes d’autorisation comprennent une description des mesures prévues pour respecter les principes généraux des obligations fondamentales de l’exploitant énoncés à l’article 11 de cette directive.

80      Or, en vertu de l’article 11, sous a), de ladite directive, l’exploitant d’une installation doit prendre toutes les mesures de prévention appropriées contre la « pollution ».

81      L’article 11, sous b), de la directive 2010/75 prévoit que les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que, dans le cadre de l’exploitation d’une installation, les MTD soient appliquées. À cet égard, il convient de relever que l’article 3, point 10, de cette directive définit la notion de « [MTD] » comme étant le stade de développement le plus efficace et avancé des activités et de leurs modes d’exploitation, démontrant l’aptitude pratique de techniques particulières à constituer la base des valeurs limites d’émission et d’autres conditions d’autorisation visant à éviter et, lorsque cela s’avère impossible, à réduire les émissions et l’impact sur l’environnement « dans son ensemble ».

82      En vertu de l’article 11, sous c), de la directive 2010/75, l’exploitant d’une installation est tenu de veiller à ce qu’aucune « pollution » importante ne soit causée.

83      L’article 12, paragraphe 1, sous f), de la directive 2010/75 prévoit que la demande d’autorisation doit comprendre une description des éléments concernant la nature et les quantités des émissions prévisibles de l’installation dans chaque milieu ainsi que la détermination des effets significatifs des émissions sur l’environnement. L’article 12, paragraphe 1, sous j), de cette directive impose, quant à lui, que la demande d’autorisation comprenne une description des mesures prévues pour la surveillance des émissions dans « l’environnement ».

84      À cet égard, l’article 14 de la directive 2010/75, relatif aux conditions d’autorisation, se réfère, à son paragraphe 1, sous a), aux valeurs limites d’émission pour les substances polluantes figurant à l’annexe II de cette directive et pour les autres substances polluantes qui sont susceptibles d’être émises par l’installation concernée en quantités significatives, eu égard à leur nature et à leur potentiel de transferts de « pollution » d’un milieu à l’autre.

85      En ce qui concerne, en second lieu, le réexamen d’une autorisation, l’article 21, paragraphe 5, sous a), de la directive 2010/75 dispose, notamment, que ces conditions sont réexaminées lorsque la « pollution » causée par l’installation concernée est telle qu’il convient de réviser les valeurs limites d’émission indiquées dans l’autorisation d’exploitation de cette installation ou d’inclure de nouvelles valeurs limites d’émission.

86      Ainsi que l’a fait valoir la Commission européenne, la périodicité du réexamen de l’autorisation en cause doit être adaptée à l’étendue et à la nature de l’installation. Il ressort, en effet, du considérant 2 de la directive 2010/75 qu’il convient de prendre en considération, notamment, les spécificités locales de l’endroit où se développe l’activité industrielle. Tel est, en particulier, le cas si cette dernière se situe à proximité d’habitations.

87      Force est de constater que les dispositions qui concernent les procédures de délivrance ou de réexamen d’une autorisation, visées aux points 80, 82, 84 et 85 du présent arrêt, renvoient toutes à la notion de « pollution ».

88      Or, cette notion est définie, à l’article 3, point 2, de la directive 2010/75, comme visant, notamment, l’introduction dans l’air, l’eau ou le sol de substances susceptibles de porter atteinte aussi bien à la santé humaine qu’à la qualité de l’environnement (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2023, Sdruzhenie « Za Zemyata – dostap do pravosadie » e.a., C‑375/21, EU:C:2023:173, point 48).

89      Il en découle que, aux fins de l’application de la directive 2010/75, ladite notion inclut les atteintes portées, ou susceptibles de l’être, tant à l’environnement qu’à la santé humaine.

90      Une telle définition large confirme le lien étroit, mis en exergue aux points 67 à 72 du présent arrêt, qui existe, en particulier dans le contexte de cette directive, entre la protection de la qualité de l’environnement et celle de la santé humaine.

91      Cette lecture de la directive 2010/75 est corroborée par son article 8, paragraphe 2, second alinéa, qui prévoit que, lorsque le non-respect des conditions d’autorisation présente un « danger direct pour la santé humaine » ou risque de produire un important effet préjudiciable immédiat sur l’environnement, l’exploitation de l’installation concernée est suspendue jusqu’à ce que la conformité soit rétablie.

92      Elle est également confirmée par l’article 23, paragraphe 4, quatrième alinéa, sous a), de cette directive, qui, s’agissant des inspections environnementales, énonce explicitement que l’évaluation systématique des risques environnementaux doit être fondée, entre autres, sur les incidences potentielles et réelles des installations concernées sur la santé humaine et l’environnement.

93      L’analyse qui précède rejoint par ailleurs celle de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, s’agissant précisément de la pollution liée à l’exploitation de l’usine Ilva, s’est fondée, pour constater l’existence d’une violation de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, sur des études scientifiques faisant état des effets polluants des émissions de cette usine tant sur l’environnement que sur la santé des personnes (Cour EDH, 24 janvier 2019, Cordella e.a. c. Italie, CE:ECHR:2019:0124JUD005441413, § 163 et 172).

94      Il ressort des considérations qui précèdent que, contrairement à ce que fait valoir le gouvernement italien, l’exploitant d’une installation relevant du champ d’application de la directive 2010/75 doit, dans sa demande d’autorisation, notamment, fournir les informations adéquates concernant les émissions provenant de son installation et doit également, tout au long de la période d’exploitation de cette installation, assurer le respect de ses obligations fondamentales au titre de cette directive ainsi que celui des mesures prévues à cet égard, à travers une évaluation continue des incidences des activités de ladite installation tant sur l’environnement que sur la santé humaine.

95      De même, il incombe aux États membres et à leurs autorités compétentes de prévoir qu’une telle évaluation fasse partie intégrante des procédures de délivrance et de réexamen d’une autorisation.

96      Dans l’affaire au principal, la juridiction de renvoi relève que les dispositions nationales pertinentes prévoient une évaluation a posteriori des incidences des activités industrielles en cause sur la santé humaine, à laquelle ne serait associé que de manière éventuelle le réexamen de l’autorisation environnementale.

97      Elle souligne en particulier que, en vertu de l’article 1bis, paragraphe 1, du décret-loi no 207/2012, dans l’ensemble des zones concernées par la présence d’établissements industriels d’intérêt stratégique national tels que l’usine Ilva, les autorités sanitaires territorialement compétentes « rédigent conjointement, avec une mise à jour au moins annuelle, un rapport d’évaluation des dommages sanitaires en se fondant également sur le registre régional du cancer et sur les cartes épidémiologiques relatives aux principales maladies à caractère environnemental ».

98      La juridiction de renvoi précise toutefois que, en vertu des règles spéciales applicables à Ilva, il n’est pas prévu que cette évaluation des dommages sanitaires constitue une condition préalable à la délivrance d’une autorisation environnementale intégrée, ou qu’elle fasse partie intégrante des procédures de délivrance ou de réexamen de cette autorisation.

99      L’évaluation des dommages sanitaires visée à l’article 1bis, paragraphe 1, du décret-loi no 207/2012 serait donc non pas de nature, à elle seule, à modifier une autorisation environnementale intégrée, mais uniquement susceptible de fonder une éventuelle demande de réexamen de cette autorisation. Selon la juridiction de renvoi, les résultats tirés de l’étude des données obtenues par les autorités sanitaires sont classés en trois niveaux progressifs d’évaluation, en fonction de la gravité des problèmes constatés. Cependant, seul le troisième de ces niveaux habiliterait l’autorité compétente à demander le réexamen d’une telle autorisation.

100    Ainsi, cette juridiction relève que les règles spéciales applicables à Ilva ne prévoient pas que, lorsqu’une telle évaluation fait apparaître des résultats montrant le caractère inacceptable du danger pour la santé d’une population nombreuse exposée à des émissions polluantes, l’autorisation environnementale intégrée doive, impérativement et promptement, faire l’objet d’un réexamen.

101    S’agissant de l’usine Ilva, la juridiction de renvoi ajoute que des rapports d’évaluation des dommages sanitaires relatifs à l’usine Ilva établis par les autorités sanitaires compétentes attestent qu’il subsistait un risque inacceptable pour la population, lié à certaines émissions de polluants émanant de cette usine. L’incidence de ces substances polluantes sur l’environnement et la santé humaine n’aurait toutefois pas été évaluée dans le cadre des autorisations environnementales intégrées des années 2011 et 2012. Ces rapports auraient conduit à ce que le maire de Tarente demande et obtienne que le ministère de l’Environnement et de la Protection du territoire et de la Mer ouvre, au mois de mai 2019, la procédure de réexamen de l’autorisation de l’année 2017. Cette procédure n’aurait toujours pas été clôturée et l’usine Ilva poursuivrait ses activités.

102    Le gouvernement italien considère, à cet égard, que la directive 2010/75 ne fait nullement référence à une évaluation des dommages sanitaires, ou à une autre évaluation similaire de l’impact ou de l’incidence sur la santé, au titre des éléments conditionnant l’octroi des autorisations qu’elle prévoit.

103    Ce gouvernement et Ilva font également valoir qu’une évaluation ex ante et un contrôle préalable de tels dommages sont incompatibles avec le caractère dynamique des activités industrielles et de leurs autorisations. De plus, une telle méthodologie ne garantirait pas la cessation en temps utile d’atteintes à la santé humaine.

104    Toutefois, il découle des points 67 à 95 du présent arrêt que l’évaluation des incidences de l’activité d’une installation sur la santé humaine, telle que celle prévue à l’article 1bis, paragraphe 1, du décret-loi no 207/2012, doit faire partie intégrante des procédures de délivrance et de réexamen de l’autorisation d’exploitation de cette installation et constituer une condition préalable à la délivrance ou au réexamen de cette autorisation. En particulier, cette évaluation doit être prise en considération, de manière effective et en temps utile, par l’autorité compétente pour délivrer ou réexaminer ladite autorisation. Elle ne saurait dépendre d’une faculté de demande que les autorités sanitaires ne pourraient exercer que dans les situations problématiques les plus graves. Lorsqu’une telle évaluation fait apparaître, ainsi que le relève la juridiction de renvoi, des résultats montrant le caractère inacceptable du danger pour la santé d’une population nombreuse exposée à des émissions polluantes, l’autorisation concernée doit faire l’objet d’un réexamen à bref délai.

105    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que la directive 2010/75, lue à la lumière de l’article 191 TFUE ainsi que des articles 35 et 37 de la Charte, doit être interprétée en ce sens que les États membres sont tenus de prévoir que l’évaluation préalable des incidences de l’activité de l’installation concernée tant sur l’environnement que sur la santé humaine doit faire partie intégrante des procédures de délivrance et de réexamen d’une autorisation d’exploitation d’une telle installation au titre de cette directive.

 Sur la deuxième question

106    Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2010/75 doit être interprétée en ce sens que, aux fins de la délivrance ou du réexamen d’une autorisation d’exploitation d’une installation au titre de cette directive, l’autorité compétente doit prendre en compte, outre les substances polluantes prévisibles eu égard à la nature et au type d’activité industrielle concernée, toutes celles faisant l’objet d’émissions scientifiquement reconnues comme étant nocives qui résultent de l’activité de l’installation concernée, y compris celles générées par cette activité qui n’ont pas été évaluées lors de la procédure d’autorisation initiale de cette installation.

107    Ainsi qu’il a été relevé au point 101 du présent arrêt, cette juridiction fait état de rapports attestant qu’il subsistait un risque inacceptable pour la population lié, de façon avérée, à certaines émissions de polluants émanant de l’usine Ilva, à savoir des particules fines PM2,5 et PM10, du cuivre, du mercure et du naphtalène provenant de sources diffuses. L’incidence de ces substances polluantes sur l’environnement et la santé humaine n’aurait toutefois pas été évaluée dans le cadre des autorisations environnementales intégrées de 2011 et de 2012.

108    Il ressort, en outre, de la demande de décision préjudicielle que les règles spéciales applicables à Ilva auraient permis de délivrer à cette installation l’autorisation environnementale intégrée et de réexaminer cette dernière sans tenir compte des polluants identifiés dans le « volet complémentaire » mentionné au point 41 du présent arrêt, y compris des particules fines PM2,5 et PM10, ni de leurs effets nocifs sur la population de Tarente, en particulier dans le quartier de Tamburi.

109    En ce qui concerne, en premier lieu, la demande et la procédure de délivrance d’une autorisation, l’article 12, paragraphe 1, sous f), de la directive 2010/75 prévoit qu’une telle demande doit comprendre une description de la nature et des quantités des émissions prévisibles de l’installation dans chaque milieu ainsi que la détermination des effets significatifs des émissions sur l’environnement.

110    Il ressort par ailleurs du libellé de l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive que l’autorisation doit prévoir des valeurs limites d’émission non seulement pour les substances polluantes figurant à l’annexe II de ladite directive, mais également pour les autres substances polluantes « susceptibles d’être émises » par l’installation concernée.

111    Certes, ainsi qu’il est exposé au considérant 15 de la directive 2010/75, les autorités nationales compétentes disposent d’une marge d’appréciation dans le cadre de l’évaluation qu’elles sont appelées à réaliser en vue de déterminer les substances polluantes qui doivent faire l’objet de valeurs limites d’émission dans l’autorisation d’exploitation d’une installation.

112    Cela étant, l’article 14, paragraphe 1, sous a), de cette directive prévoit que l’autorisation délivrée par ces autorités fixe des valeurs limites d’émission, outre pour les substances polluantes figurant à l’annexe II de ladite directive, pour les « autres » substances polluantes susceptibles d’être émises « en quantités significatives, eu égard à leur nature et à leur potentiel de transferts de pollution d’un milieu à l’autre ».

113    Force est de constater que cette expression traduit la volonté du législateur de l’Union selon laquelle, conformément au principe de prévention sur lequel la directive 2010/75 est fondée, la détermination de la quantité de substances polluantes dont l’émission peut être autorisée doit être liée au degré de nocivité des substances concernées.

114    Il s’ensuit que seules les substances polluantes considérées comme ayant un effet négligeable sur la santé humaine et sur l’environnement peuvent être exclues de la catégorie des substances qui doivent être assorties de valeurs limites d’émission dans l’autorisation d’exploitation d’une installation.

115    Partant, l’exploitant d’une installation est soumis à l’obligation de fournir, dans sa demande d’autorisation d’exploitation de cette installation, des informations relatives à la nature, à la quantité et à l’effet néfaste potentiel des émissions susceptibles d’être produites par ladite installation, afin que les autorités compétentes puissent fixer des valeurs limites concernant ces émissions, à la seule exception de celles qui, par leur nature ou leur quantité, ne sont pas susceptibles de constituer un risque pour l’environnement ou la santé humaine.

116    En ce qui concerne, en second lieu, la procédure de réexamen d’une autorisation, l’article 21, paragraphe 5, sous a), de la directive 2010/75 exige que les conditions d’autorisation soient réexaminées si la pollution causée par une installation est telle qu’il convient de réviser les valeurs limites d’émission indiquées dans l’autorisation d’exploitation de cette installation « ou d’inclure de nouvelles valeurs limites d’émission ».

117    Partant, il y a lieu de considérer que, contrairement à ce que font valoir Ilva et le gouvernement italien, la procédure de réexamen d’une autorisation ne saurait se borner à fixer des valeurs limites pour les seules substances polluantes dont l’émission était prévisible et a été prise en considération lors de la procédure d’autorisation initiale, sans tenir compte également des émissions effectivement générées par l’installation concernée au cours de son exploitation et portant sur d’autres substances polluantes.

118    Comme Mme l’avocate générale l’a relevé au point 133 de ses conclusions, il convient ainsi de tenir compte de l’expérience tirée de l’exploitation de l’installation concernée en tant que composante des données scientifiques pertinentes relatives à la pollution, et, dès lors, des émissions effectivement constatées.

119    Il y a lieu d’ajouter que, dans le cadre, notamment, des procédures de réexamen d’une autorisation d’exploitation d’une installation prévues par la directive 2010/75, il convient, en tout état de cause, de procéder à une appréciation globale tenant compte de toutes les sources de polluants et de leur effet cumulé de façon à garantir que la somme de leurs émissions n’entraînera aucun dépassement des valeurs limites relatives à la qualité de l’air telles que définies par la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe (JO 2008, L 152, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2015/1480 de la Commission, du 28 août 2015 (JO 2015, L 226, p. 4) (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2023, Sdruzhenie « Za Zemyata – dostap do pravosadie » e.a., C‑375/21, EU:C:2023:173, point 54).

120    Dans l’affaire au principal, et s’agissant, en particulier, des particules PM10 et PM2,5, dont la juridiction de renvoi souligne qu’elles n’ont pas été prises en compte aux fins de la fixation de valeurs limites d’émission lors de la délivrance de l’autorisation environnementale intégrée de l’année 2011 à l’usine Ilva, il convient de relever que les valeurs limites fixées par la directive 2008/50, telle que modifiée par la directive 2015/1480, doivent être considérées comme étant des « normes de qualité environnementale », au sens de l’article 3, point 6, et de l’article 18 de la directive 2010/75 (voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2023, Sdruzhenie « Za Zemyata – dostap do pravosadie » e.a., C‑375/21, EU:C:2023:173, point 59).

121    Partant, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 129 de ses conclusions, si le respect de ces normes requiert que des valeurs limites d’émission plus strictes soient imposées à l’installation concernée, celles-ci doivent être fixées conformément à cet article 18, en vertu duquel des mesures supplémentaires doivent alors être ajoutées dans l’autorisation, sans préjudice d’autres mesures pouvant être prises pour respecter les normes de qualité environnementale.

122    Il découle des considérations qui précèdent qu’il convient de répondre à la deuxième question que la directive 2010/75 doit être interprétée en ce sens que, aux fins de la délivrance ou du réexamen d’une autorisation d’exploitation d’une installation au titre de cette directive, l’autorité compétente doit prendre en compte, outre les substances polluantes prévisibles eu égard à la nature et au type d’activité industrielle concernée, toutes celles faisant l’objet d’émissions scientifiquement reconnues comme étant nocives qui sont susceptibles d’être émises par l’installation concernée, y compris celles générées par cette activité qui n’ont pas été évaluées lors de la procédure d’autorisation initiale de cette installation.

 Sur la troisième question

123    Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive 2010/75 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le délai accordé à l’exploitant d’une installation pour se conformer aux mesures de protection de l’environnement et de la santé humaine prévues par l’autorisation d’exploitation de cette installation a fait l’objet de prolongations répétées, alors que des dangers graves et importants pour l’intégrité de l’environnement et de la santé humaine ont été mis en évidence.

124    À cet égard, cette juridiction relève que les règles spéciales applicables à Ilva ont permis d’octroyer à l’usine Ilva de nombreuses prorogations n’ayant pas toujours été liées à des réexamens et à des actualisations effectives des conditions d’exploitation de l’activité de cette usine. Or, le report des échéances prévues pour la mise en œuvre des mesures destinées à assurer le respect de l’autorisation environnementale intégrée de l’année 2011 serait intervenu, d’une part, à l’égard d’une exploitation industrielle considérée par le législateur lui-même comme présentant un risque grave pour la santé humaine et pour l’environnement ainsi que, d’autre part, dans l’objectif de réaliser les travaux destinés à la rendre, en théorie, sûre, pour la santé des personnes vivant à proximité de ladite usine. Toutefois, ainsi qu’il ressort de la demande de décision préjudicielle et ainsi que cela a été confirmé par Ilva et par le gouvernement italien lors de l’audience devant la Cour, l’adoption et la mise en œuvre des mesures destinées à atteindre cet objectif ont été reportées à plusieurs reprises.

125    À titre liminaire, il importe de relever que, s’agissant, dans l’affaire au principal, d’une installation existante, au sens de l’article 2, point 4, de la directive 96/61, l’autorisation en cause a d’abord relevé des dispositions de cette directive, puis de celles de la directive 2008/1. En vertu de l’article 5, paragraphe 1, de cette dernière directive, la date d’échéance pour la mise en conformité des installations existantes était celle du 30 octobre 2007 (arrêt du 31 mars 2011, Commission/Italie, C‑50/10, EU:C:2011:200, point 29 et jurisprudence citée). Toutefois, ainsi qu’il ressort des éléments dont dispose la Cour, cette date n’a pas été respectée dans le cas de l’usine Ilva, dont l’exploitation n’a fait l’objet d’une autorisation environnementale que le 4 août 2011.

126    Cela étant précisé, il y a lieu de constater que, s’agissant de la directive 2010/75, en vertu de l’article 82, paragraphe 1, de cette directive, en ce qui concerne les installations telles que l’usine Ilva, les États membres devaient, à partir du 7 janvier 2014, appliquer les dispositions adoptées afin de transposer ladite directive dans leur ordre juridique national, à l’exception de dispositions de celle-ci non pertinentes dans le contexte de l’affaire au principal. L’article 21, paragraphe 3, de la directive 2010/75 accordait un délai de quatre ans à compter de la publication des décisions concernant les conclusions sur les MTD adoptées conformément à l’article 13, paragraphe 5, de cette directive concernant l’activité principale d’une installation, en l’occurrence jusqu’au 28 février 2016, pour l’adaptation des conditions d’autorisation aux nouvelles techniques.

127    Il convient d’ajouter que, conformément à l’article 8, paragraphes 1 et 2, sous a) et b), de la directive 2010/75, en cas d’infraction aux conditions d’autorisation d’exploitation d’une installation, les États membres doivent prendre les mesures nécessaires pour garantir immédiatement le respect de ces conditions. En particulier, l’exploitant de l’installation concernée doit prendre immédiatement les mesures nécessaires pour rétablir dans les plus brefs délais possibles la conformité de son installation auxdites conditions.

128    En outre, ainsi qu’il a déjà été rappelé au point 91 du présent arrêt, lorsqu’une infraction à de telles conditions présente un danger direct pour la santé humaine ou risque de produire un important effet préjudiciable immédiat sur l’environnement, l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de la directive 2010/75 exige que l’exploitation de cette installation soit suspendue.

129    Le gouvernement italien a fait valoir, lors de l’audience devant la Cour, qu’une mise en conformité aux exigences prévues par l’autorisation environnementale intégrée de l’année 2011 aurait entraîné une interruption de l’activité de l’établissement pendant plusieurs années. Or, cette installation serait une importante source d’emploi pour la région concernée. Partant, l’adoption des règles spéciales applicables à Ilva procéderait d’une mise en balance entre les intérêts en présence, à savoir la protection de l’environnement, d’une part, et celle de l’emploi, d’autre part.

130    À cet égard, il convient toutefois de souligner que, aux termes du considérant 43 de la directive 2010/75, le législateur de l’Union a prévu que certaines nouvelles exigences découlant de cette directive s’appliquent aux installations existantes, telles que l’usine Ilva, après une période déterminée à compter de la date d’application de ladite directive, et ce « afin de laisser suffisamment de temps » à ces installations existantes pour s’adapter, sur le plan technique, à ces nouvelles exigences.

131    Il appartient, dans ces conditions, à la juridiction de renvoi d’apprécier si les règles spéciales adoptées à l’égard de l’usine Ilva ont eu pour effet de différer de manière excessive, au-delà de cette période transitoire ainsi que du délai prévu à l’article 21, paragraphe 3, de la directive 2010/75, la mise en œuvre des mesures nécessaires pour se conformer à l’autorisation environnementale intégrée de l’année 2011, compte tenu du degré de gravité des atteintes à l’environnement et à la santé humaine qui ont été mises en évidence.

132    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la troisième question que la directive 2010/75 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le délai accordé à l’exploitant d’une installation pour se conformer aux mesures de protection de l’environnement et de la santé humaine prévues par l’autorisation d’exploitation de cette installation a fait l’objet de prolongations répétées, alors que des dangers graves et importants pour l’intégrité de l’environnement et de la santé humaine ont été mis en évidence. Lorsque l’activité de l’installation concernée présente de tels dangers, l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de cette directive exige, en tout état de cause, que l’exploitation de cette installation soit suspendue.

 Sur les dépens

133    La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :

1)      La directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, relative aux émissions industrielles (prévention et réduction intégrées de la pollution), lue à la lumière de l’article 191 TFUE ainsi que des articles 35 et 37 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doit être interprétée en ce sens que :

les États membres sont tenus de prévoir que l’évaluation préalable des incidences de l’activité de l’installation concernée tant sur l’environnement que sur la santé humaine doit faire partie intégrante des procédures de délivrance et de réexamen d’une autorisation d’exploitation d’une telle installation au titre de cette directive.

2)      La directive 2010/75 doit être interprétée en ce sens que :

aux fins de la délivrance ou du réexamen d’une autorisation d’exploitation d’une installation au titre de cette directive, l’autorité compétente doit prendre en compte, outre les substances polluantes prévisibles eu égard à la nature et au type d’activité industrielle concernée, toutes celles faisant l’objet d’émissions scientifiquement reconnues comme étant nocives qui sont susceptibles d’être émises par l’installation concernée, y compris celles générées par cette activité qui n’ont pas été évaluées lors de la procédure d’autorisation initiale de cette installation.

3)      La directive 2010/75 doit être interprétée en ce sens que :

elle s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle le délai accordé à l’exploitant d’une installation pour se conformer aux mesures de protection de l’environnement et de la santé humaine prévues par l’autorisation d’exploitation de cette installation a fait l’objet de prolongations répétées, alors que des dangers graves et importants pour l’intégrité de l’environnement et de la santé humaine ont été mis en évidence. Lorsque l’activité de l’installation concernée présente de tels dangers, l’article 8, paragraphe 2, second alinéa, de cette directive exige, en tout état de cause, que l’exploitation de cette installation soit suspendue.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.

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