Randstad Empleo and Others (Social policy - Temporary agency work - Principle of equal treatment - Judgment) French Text [2024] EUECJ C-649/22 (22 February 2024)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/C64922.html
Cite as: ECLI:EU:C:2024:156, EU:C:2024:156, [2024] EUECJ C-649/22

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ARRÊT DE LA COUR (sixième chambre)

22 février 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 2008/104/CE – Travail intérimaire – Article 5, paragraphe 1 – Principe d’égalité de traitement – Article 3, paragraphe 1, sous f) – Notion de “conditions essentielles de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires” – Notion de “rémunération” – Indemnité due au titre de l’incapacité permanente totale d’un travailleur intérimaire d’exercer sa profession habituelle résultant d’un accident de travail survenu au cours de la mission »

Dans l’affaire C‑649/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunal Superior de Justicia del País Vasco (Cour supérieure de justice du Pays basque, Espagne), par décision du 27 septembre 2022, parvenue à la Cour le 14 octobre 2022, dans la procédure

XXX

contre

Randstad Empleo ETT SAU,

Serveo Servicios SAU, anciennement Ferrovial Servicios SA,

Axa Seguros Generales SA de Seguros y Reaseguros,

LA COUR (sixième chambre),

composée de M. P. G. Xuereb, faisant fonction de président de chambre, M. A. Kumin (rapporteur) et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour le gouvernement espagnol, par Mme M. Morales Puerta, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par Mmes I. Galindo Martín et D. Recchia, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 20 et 21 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), de l’article 2 TUE ainsi que de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative au travail intérimaire (JO 2008, L 327, p. 9), lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous f), de celle-ci.

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant XXX, un travailleur intérimaire, à Randstad Empleo ETT SAU (ci-après « Randstad Empleo »), société avec laquelle il a conclu un contrat de travail intérimaire, à Serveo Servicios SAU, anciennement Ferrovial Servicios SA (ci-après « Serveo Servicios »), entreprise utilisatrice auprès de laquelle il a été mis à disposition, et à la compagnie d’assurance Axa Seguros Generales SA de Seguros y Reaseguros (ci-après « Axa ») au sujet du montant de l’indemnité à laquelle XXX peut prétendre au titre de l’incapacité permanente totale d’exercer sa profession habituelle résultant d’un accident de travail survenu au cours de la mission au sein de cette entreprise utilisatrice et ayant eu pour conséquence la cessation de sa relation de travail.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 91/383/CEE

3        Le quatrième considérant de la directive 91/383/CEE du Conseil, du 25 juin 1991, complétant les mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé au travail des travailleurs ayant une relation de travail à durée déterminée ou une relation de travail intérimaire (JO 1991, L 206, p. 19), est libellé comme suit :

« considérant que, d’après des recherches faites, il ressort que, en général, les travailleurs ayant une relation de travail à durée déterminée ou une relation de travail intérimaire sont, dans certains secteurs, exposés à plus de risques d’accidents de travail ou de maladies professionnelles que les autres travailleurs ».

4        L’article 1er de cette directive, intitulé « Champ d’application », dispose :

« La présente directive s’applique :

[...]

2)      aux relations de travail intérimaire entre une entreprise de travail intérimaire qui est l’employeur et le travailleur, ce dernier étant mis à disposition afin de travailler pour une entreprise et/ou un établissement utilisateurs et sous leur contrôle. »

5        L’article 2 de ladite directive, intitulé « Objet », prévoit :

« 1.      La présente directive a pour objet d’assurer que les travailleurs ayant une relation de travail telle que visée à l’article 1er bénéficient, en matière de sécurité et de santé au travail, du même niveau de protection que celui dont bénéficient les autres travailleurs de l’entreprise et/ou de l’établissement utilisateurs.

2.      L’existence d’une relation de travail telle que visée à l’article 1er ne saurait justifier une différence de traitement en ce qui concerne les conditions de travail dans la mesure où il s’agit de la protection de la sécurité et de la santé au travail, notamment quant à l’accès aux équipements de protection individuelle.

[...] »

6        Aux termes de l’article 8 de la même directive, intitulé « Relations de travail intérimaire : responsabilité » :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que :

1)      sans préjudice de la responsabilité fixée par la législation nationale de l’entreprise de travail intérimaire, l’entreprise et/ou l’établissement utilisateurs soient, pendant la durée de la mission, responsables des conditions d’exécution du travail ;

2)      pour l’application du point 1), les conditions d’exécution du travail comprennent limitativement celles qui sont liées à la sécurité, à l’hygiène et à la santé du travail. »

 La directive 2008/104

7        Les considérants 1, 10 à 13 et 15 à 17 de la directive 2008/104 énoncent :

« (1)      La présente directive respecte les droits fondamentaux et principes qui sont reconnus notamment par la [Charte]. Elle vise en particulier à assurer le plein respect de l’article 31 de la [C]harte qui prévoit que tout travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité [...].

[...]

(10)      Au sein de l’Union européenne, la situation juridique, le statut et les conditions de travail des travailleurs intérimaires se caractérisent par une très grande diversité.

(11)      Le travail intérimaire répond non seulement aux besoins de flexibilité des entreprises mais aussi à la nécessité de concilier la vie privée et la vie professionnelle des salariés. Il contribue ainsi à la création d’emplois ainsi qu’à la participation et à l’insertion sur le marché du travail.

(12)      La présente directive établit un cadre protecteur pour les travailleurs intérimaires qui est non discriminatoire, transparent et proportionné, tout en respectant la diversité des marchés du travail et des relations entre les partenaires sociaux.

(13)      La directive [91/383] arrête les dispositions applicables aux travailleurs intérimaires en matière de sécurité et santé au travail.

[...]

(15)      Les contrats de travail à durée indéterminée sont la forme générale de relations de travail. S’agissant des travailleurs liés à l’entreprise de travail intérimaire par un contrat à durée indéterminée et, compte tenu de la protection particulière afférente à la nature de leur contrat de travail, il convient de prévoir la possibilité de déroger aux règles applicables dans l’entreprise utilisatrice.

(16)      Afin d’être en mesure de faire face avec flexibilité à la diversité des marchés du travail et des relations entre les partenaires sociaux, les États membres peuvent autoriser les partenaires sociaux à définir des conditions de travail et d’emploi, à condition de respecter le niveau global de protection des travailleurs intérimaires.

(17)      Par ailleurs, dans certains cas bien délimités, les États membres devraient, sur la base d’un accord conclu par les partenaires sociaux au niveau national, avoir la possibilité de déroger, de manière limitée, au principe de l’égalité de traitement, pour autant qu’un niveau de protection suffisant soit assuré. »

8        L’article 1er de cette directive, intitulé « Champ d’application », dispose, à son paragraphe 1 :

« La présente directive s’applique aux travailleurs ayant un contrat de travail ou une relation de travail avec une entreprise de travail intérimaire et qui sont mis à la disposition d’entreprises utilisatrices afin de travailler de manière temporaire sous leur contrôle et leur direction. »

9        L’article 2 de ladite directive, intitulé « Objet », prévoit :

« La présente directive a pour objet d’assurer la protection des travailleurs intérimaires et d’améliorer la qualité du travail intérimaire en assurant le respect du principe de l’égalité de traitement, tel qu’il est énoncé à l’article 5, à l’égard des travailleurs intérimaires et en reconnaissant les entreprises de travail intérimaire comme des employeurs, tout en tenant compte de la nécessité d’établir un cadre approprié d’utilisation du travail intérimaire en vue de contribuer efficacement à la création d’emplois et au développement de formes souples de travail. »

10      Aux termes de l’article 3 de la directive 2008/104, intitulé « Définitions » :

« 1.      Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

f)      “conditions essentielles de travail et d’emploi” : les conditions de travail et d’emploi établies par la législation, la réglementation, les dispositions administratives, les conventions collectives et/ou toute autre disposition générale et contraignante, en vigueur dans l’entreprise utilisatrice, relatives :

i)      à la durée du travail, aux heures supplémentaires, aux temps de pause, aux périodes de repos, au travail de nuit, aux congés, aux jours fériés ;

ii)      à la rémunération.

2.      La présente directive ne porte pas atteinte au droit national en ce qui concerne la définition de la rémunération, du contrat ou de la relation de travail, ou du travailleur.

[...] »

11      L’article 5 de cette directive, intitulé « Principe d’égalité de traitement », dispose :

« 1.      Pendant la durée de leur mission auprès d’une entreprise utilisatrice, les conditions essentielles de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires sont au moins celles qui leur seraient applicables s’ils étaient recrutés directement par ladite entreprise pour y occuper le même poste.

[...]

2.      En ce qui concerne la rémunération, les États membres peuvent, après consultation des partenaires sociaux, prévoir qu’il peut être dérogé au principe énoncé au paragraphe 1 lorsque les travailleurs intérimaires, liés à l’entreprise de travail intérimaire par un contrat à durée indéterminée, continuent d’être rémunérés dans la période qui sépare deux missions.

3.      Les États membres peuvent, après avoir consulté les partenaires sociaux, leur offrir la possibilité de maintenir ou de conclure, au niveau approprié et sous réserve des conditions fixées par les États membres, des conventions collectives qui, tout en garantissant la protection globale des travailleurs intérimaires, peuvent mettre en place, pour les conditions de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires, des dispositions qui peuvent différer de celles qui sont visées au paragraphe 1.

4.      Pour autant qu’un niveau de protection suffisant soit assuré aux travailleurs intérimaires, les États membres dans lesquels il n’existe pas de système juridique conférant aux conventions collectives un caractère universellement applicable ou dans lesquels il n’existe pas de système juridique ou de pratique permettant d’étendre les dispositions de ces conventions à toutes les entreprises similaires d’une zone géographique ou d’un secteur donné, peuvent, après consultation des partenaires sociaux au niveau national et sur la base d’un accord conclu avec eux, mettre en place, en ce qui concerne les conditions essentielles de travail et d’emploi, des dispositions qui dérogent au principe énoncé au paragraphe 1. Ces dispositions peuvent notamment prévoir un délai d’accès au principe de l’égalité de traitement.

[...] »

 Le droit espagnol

 La loi 14/1994

12      L’article 11 de la ley 14/1994 por la que se regulan las empresas de trabajo temporal (loi 14/1994 relative aux entreprises de travail intérimaire), du 1er juin 1994 (BOE no 131, du 2 juin 1994), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi 14/1994 »), prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les travailleurs intérimaires ont droit, pendant la durée de leur travail auprès d’une entreprise utilisatrice, à l’application des conditions essentielles de travail et d’emploi qui leur seraient applicables s’ils étaient recrutés directement par l’entreprise utilisatrice pour y occuper le même poste.

À cette fin, sont considérées comme des conditions essentielles de travail et d’emploi celles relatives à la rémunération, à la durée du travail, aux heures supplémentaires, aux temps de pause, au travail de nuit, aux congés et aux jours fériés.

La rémunération comprend l’ensemble des rémunérations économiques, fixes ou variables, établies pour le poste de travail envisagé dans la convention collective applicable à l’entreprise utilisatrice liées à ce poste. Elle doit inclure, en tout état de cause, la partie proportionnelle correspondant au repos hebdomadaire, aux primes et gratifications annuelles, aux jours fériés et aux congés annuels. Il incombe à l’entreprise utilisatrice de calculer ce qui sera en définitive perçu par le travailleur et, à cet effet, d’indiquer les rémunérations visées au présent paragraphe dans le contrat de mise à disposition du travailleur.

De plus, les travailleurs intérimaires ont droit à l’application des mêmes dispositions que celles applicables aux travailleurs de l’entreprise utilisatrice en matière [...] d’égalité de traitement entre les hommes et les femmes et de toute action visant à combattre les discriminations fondées sur le sexe, la race ou l’origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. »

 Le statut des travailleurs

13      L’article 49 de l’Estatuto de los Trabajadores (statut des travailleurs), dans sa version résultant du Real Decreto Legislativo 2/2015 por el que se aprueba el texto refundido de la Ley del Estatuto de los Trabajadores (décret royal législatif 2/2015, portant approbation du texte refondu de la loi portant statut des travailleurs), du 23 octobre 2015 (BOE no 255, du 24 octobre 2015, p. 100224), énonce, à son paragraphe 1 :

« Le contrat de travail prend fin :

[...]

e)      pour cause de décès, grande invalidité ou incapacité permanente totale ou absolue du travailleur [...] »

 La convention collective du travail intérimaire

14      En vertu de l’article 42 du VI convenio colectivo estatal de empresas de trabajo temporal (sixième convention collective nationale des entreprises de travail intérimaire, ci-après la « convention collective du travail intérimaire »), les travailleurs intérimaires ont droit à une indemnité d’un montant de 10 500 euros en cas d’incapacité permanente totale d’exercer leur profession habituelle résultant d’un accident de travail.

 La convention collective du secteur du transport

15      L’article 31 du convenio colectivo para el sector de la industria del transporte de mercancías por carretera y agencias de transporte de Álava (convention collective des entreprises du secteur du transport routier de marchandises et des agences de transport d’Álava, ci-après la « convention collective du secteur du transport ») prévoit une indemnité de 60 101,21 euros en cas d’incapacité permanente totale ou absolue d’un travailleur d’exercer sa profession habituelle résultant d’un accident de travail.

 Le litige au principal et la question préjudicielle

16      XXX a conclu un contrat de travail intérimaire, ayant pris effet le 1er octobre 2016, avec Randstad Empleo qui l’a mis à disposition de Serveo Servicios pour exercer les fonctions de manutentionnaire expérimenté. Conformément à ce contrat, la convention collective du travail intérimaire est applicable à cette relation de travail.

17      Durant cette mise à disposition, XXX a été victime, le 24 octobre 2016, d’un accident de travail. Par décision de la Dirección Provincial del Instituto Nacional de la Seguridad Social de Álava (direction provinciale de l’institut national de la sécurité sociale d’Álava, Espagne), du 16 mars 2019, confirmée par le Juzgado de lo Social no 2 de Vitoria-Gasteiz (tribunal du travail no 2 de Vitoria–Gasteiz, Espagne), par jugement du 12 septembre 2019, il a été déclaré que XXX souffrait d’une incapacité permanente totale d’exercer sa profession habituelle du fait de cet accident de travail.

18      Le 21 novembre 2019, Axa a, sur le fondement de l’article 42 de la convention collective du travail intérimaire, versé une indemnité d’un montant de 10 500 euros à XXX au titre de son incapacité permanente totale d’exercer sa profession habituelle. Toutefois, XXX considère qu’une indemnité d’un montant de 60 101,21 euros aurait dû lui être versée à ce titre, et ce sur le fondement de l’article 31 de la convention collective du secteur du transport.

19      Ainsi, le 7 février 2020, le sindicato Eusko Langileen Alkartasuna (syndicat Solidarité des Ouvriers Basques) a, en qualité de représentant de XXX, introduit un recours en indemnité devant le Juzgado de lo social n° 3 de Vitoria (tribunal du travail n° 3 de Vitoria, Espagne) contre, d’une part, Randstad Empleo, Serveo Servicios ainsi que Axa et, d’autre part, le Fondo de Garantía Salarial (Fonds de garantie salariale, Espagne) afin que la somme de 49 601,21 euros, à savoir la différence de montant existant entre l’indemnité qui a été versée à XXX au titre de l’article 42 de la convention collective du travail intérimaire et l’indemnité prévue à l’article 31 de la convention collective du secteur du transport, majorée de 20 % ou d’intérêts de retard, soit versée à XXX. Cette juridiction a rejeté ce recours par un jugement du 30 décembre 2021 au motif, notamment, que la convention collective du travail intérimaire était applicable à XXX et que, eu égard à la jurisprudence du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), les compléments de prestation de la sécurité sociale accordés sur une base volontaire et qui ne font pas partie de la garantie salariale minimale prévue à l’article 11 de la loi 14/1994, telle que l’indemnité réclamée en l’occurrence par XXX, ne relevaient pas de la notion de « rémunération ».

20      Le syndicat Solidarité des Ouvriers Basques a interjeté appel de ce jugement devant le Tribunal Superior de Justicia del País Vasco (Cour supérieure de justice du Pays basque, Espagne), la juridiction de renvoi. Devant cette juridiction, XXX fait valoir qu’il aurait dû percevoir une indemnité au titre de l’article 31 de la convention collective du secteur du transport, cette indemnité relevant de la notion de « conditions essentielles de travail et d’emploi », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous f), de la directive 2008/104. En revanche, les défenderesses au principal considèrent que la convention collective du travail intérimaire est applicable à XXX et qu’une indemnité telle que celle en cause au principal n’entre pas dans le champ d’application des « conditions essentielles de travail et d’emploi », au sens de cette directive.

21      La juridiction de renvoi émet des doutes quant à la conformité de l’interprétation que fait le Tribunal Supremo (Cour suprême) de l’article 11 de la loi 14/1994, qui vise à transposer la directive 2008/104, aux principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, consacrés aux articles 20 et 21 de la Charte, ainsi qu’à l’article 5 de cette directive. En effet, selon la juridiction de renvoi, en vertu de cette interprétation, les compléments de prestation de la sécurité sociale accordés sur une base volontaire ne relèvent pas de la notion de « rémunération », au sens de cet article 11, dès lors qu’ils ne sont pas directement liés au travail. Il résulterait de ladite interprétation que l’indemnité en cause au principal ne relève pas de la notion de « conditions essentielles de travail et d’emploi » et, partant, que XXX ne peut pas prétendre à l’indemnité qu’il réclame au titre de l’article 31 de la convention collective du secteur du transport.

22      Selon la juridiction de renvoi, eu égard à la finalité de la directive 2008/104, en particulier de son article 5, il convient d’interpréter la notion de « conditions essentielles de travail et d’emploi » de manière large conformément à la jurisprudence de la Cour afin que XXX ait droit à la même indemnisation à laquelle un travailleur directement recruté par Serveo Servicios aurait droit dans la même situation. En effet, l’interprétation effectuée par le Tribunal Supremo (Cour suprême) de l’article 11 de la loi 14/1994 pourrait aboutir à une situation absurde dans laquelle deux travailleurs blessés au cours d’un même accident de travail obtiendraient une indemnisation différente, selon qu’ils aient ou n’aient pas été recrutés directement par l’entreprise utilisatrice.

23      En outre, s’agissant du fait que le contrat de travail de XXX a été résilié à la suite de l’incapacité permanente totale de ce dernier d’exercer sa profession habituelle, la juridiction de renvoi relève que, dans l’arrêt du 12 mai 2022, Luso Temp (C‑426/20, EU:C:2022:373), la Cour a dit pour droit que la notion de « conditions essentielles de travail et d’emploi » incluait une indemnité qu’un employeur est tenu de verser à un travailleur, en raison de la cessation de sa relation de travail.

24      Enfin, la juridiction de renvoi considère que XXX souffre d’un handicap du fait de l’accident de travail en cause et qu’il a, de ce fait, perdu son emploi. Or, ne pas reconnaître à ce dernier le droit d’être indemnisé de la même manière que les travailleurs directement recrutés par Serveo Servicios placés dans la même situation, à savoir en vertu de l’article 31 de la convention collective du secteur du transport, pourrait constituer une discrimination fondée sur le handicap, interdite par l’article 21 de la Charte.

25      Dans ces conditions, le Tribunal Superior de Justicia del País Vasco (Cour supérieure de justice du Pays basque) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les articles 20 et 21 de la [Charte], l’article 2 TUE ainsi que l’article 3, [paragraphe 1], sous f), et l’article 5 de la directive [2008/104] doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation jurisprudentielle de la réglementation espagnole qui exclut de la notion de “conditions essentielles de travail et d’emploi” une indemnisation due à un travailleur intérimaire dont le contrat de travail a été résilié lorsqu’il a été déclaré en situation d’incapacité permanente totale en raison d’un accident de travail survenu dans l’entreprise utilisatrice où il travaillait ? »

 Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

26      À titre liminaire, il importe de rappeler que la nécessité de parvenir à une interprétation du droit de l’Union qui soit utile pour le juge national exige que celui-ci définisse le cadre factuel et réglementaire dans lequel s’insèrent les questions qu’il pose ou que, à tout le moins, il explique les hypothèses factuelles sur lesquelles ces questions sont fondées. En effet, dans le cadre de la procédure instituée à l’article 267 TFUE, la Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation d’un texte de l’Union à partir des faits qui lui sont indiqués par la juridiction nationale (arrêt du 12 janvier 2023, DOBELES HES, C‑702/20 et C‑17/21, EU:C:2023:1, point 85 et jurisprudence citée).

27      Par ailleurs, la Cour insiste sur l’importance de l’indication, par le juge national, des raisons précises qui l’ont conduit à s’interroger sur l’interprétation du droit de l’Union et à estimer nécessaire de poser des questions préjudicielles à la Cour. À cet égard, il est indispensable que, dans la décision de renvoi elle-même, le juge national donne un minimum d’explications sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont il demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’il établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis (arrêt du 9 septembre 2021, Toplofikatsia Sofia e.a., C‑208/20 et C‑256/20, EU:C:2021:719, point 19 ainsi que jurisprudence citée).

28      Ces exigences concernant le contenu d’une demande de décision préjudicielle figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération entre la Cour et les juridictions nationales instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement. Elles sont rappelées au point 15 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1) (arrêt du 9 septembre 2021, Toplofikatsia Sofia e.a., C‑208/20 et C‑256/20, EU:C:2021:719, point 20 ainsi que jurisprudence citée).

29      En l’occurrence, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur l’interprétation des articles 20 et 21 de la Charte, de l’article 2 TUE ainsi que de l’article 3, paragraphe 1, sous f), et de l’article 5 de la directive 2008/104. Toutefois, cette juridiction n’indique pas avec la précision et la clarté requises les raisons l’ayant conduite à s’interroger sur l’interprétation des articles 20 et 21 de la Charte ainsi que de l’article 2 TUE ni le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la réglementation nationale en cause au principal.

30      En effet, premièrement, si les articles 20 et 21 de la Charte établissent respectivement les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, il convient de constater, à l’instar de la Commission européenne, que la juridiction de renvoi se borne à indiquer, à l’égard de ces dispositions, que le fait de ne pas reconnaître à XXX le droit d’être indemnisé comme s’il était un travailleur directement recruté par Serveo Servicios pourrait constituer une discrimination fondée sur un handicap, interdite par cet article 21.

31      Or, la juridiction de renvoi n’a pas précisé en quoi le fait d’indemniser XXX sur le fondement de l’article 42 de la convention collective du travail intérimaire plutôt qu’au titre de l’article 31 de la convention collective du secteur du transport est susceptible de constituer une discrimination à son détriment en rapport avec un handicap. En effet, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi, force est de constater, à l’instar du gouvernement espagnol, que, pour trancher la question de savoir sur laquelle de ces conventions collectives un travailleur peut se fonder pour demander une indemnité pour incapacité permanente totale d’exercer sa profession habituelle, c’est le statut de ce travailleur qui est déterminant, un éventuel handicap dont ledit travailleur souffre étant dépourvu de pertinence dans ce contexte.

32      Dans ces conditions, il n’y a pas non plus lieu d’examiner la situation de XXX à la lumière des articles 2 et 3 de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16), afférents notamment à la discrimination fondée sur le handicap, dispositions auxquelles la juridiction fait référence sans qu’elle précise toutefois en quoi ces dispositions seraient pertinentes pour trancher le litige au principal.

33      Par ailleurs, en ce que la décision de renvoi comporte une référence à l’article 14 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail (JO 2006, L 204, p. 23), en vertu duquel « [t]oute discrimination directe ou indirecte fondée sur le sexe est proscrite », force est de constater que le dossier dont dispose la Cour ne comporte pas le moindre indice d’une discrimination de XXX qui serait fondée sur le sexe.

34      Deuxièmement, concernant l’article 2 TUE, il suffit de relever que la demande de décision préjudicielle n’est pas conforme à la jurisprudence rappelée aux points 27 et 28 du présent arrêt en ce qu’elle ne comporte aucune précision quant aux raisons qui ont conduit la juridiction de renvoi à interroger la Cour sur l’interprétation de cette disposition ni quant au lien qu’elle établit entre ladite disposition et la législation nationale applicable au litige au principal.

35      Eu égard à ce qui précède, la demande de décision préjudicielle n’est recevable qu’en tant qu’elle concerne l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, et l’article 3, paragraphe 1, sous f), de la directive 2008/104.

 Sur la question préjudicielle

36      Par sa question, et eu égard à ce qui ressort du point 35 du présent arrêt, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous f), de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par la jurisprudence nationale, en vertu de laquelle l’indemnité à laquelle les travailleurs intérimaires peuvent prétendre au titre d’une incapacité permanente totale d’exercer leur profession habituelle, résultant d’un accident de travail survenu dans l’entreprise utilisatrice et ayant pour conséquence la cessation de leur relation de travail intérimaire, est d’un montant inférieur à celui de l’indemnité à laquelle ces travailleurs pourraient prétendre, dans la même situation et au même titre, s’ils avaient été recrutés directement par cette entreprise utilisatrice pour y occuper le même poste pendant la même durée.

 Sur la notion de « conditions essentielles de travail et d’emploi », au sens de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous f), de celle-ci

37      En premier lieu, il convient d’examiner si une indemnité, due à un travailleur intérimaire au titre de l’incapacité permanente totale de ce dernier d’exercer sa profession habituelle, résultant d’un accident de travail survenu dans l’entreprise utilisatrice et ayant pour conséquence la cessation de sa relation de travail intérimaire, relève de la notion de « conditions essentielles de travail et d’emploi », au sens de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous f), de celle-ci.

38      Si le libellé de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104 ne comporte aucune indication permettant de savoir si la notion de « conditions essentielles de travail et d’emploi » qui y figure doit être interprétée en ce sens qu’elle inclut ou non une telle indemnité, cette notion fait notamment référence, conformément à la définition énoncée à l’article 3, paragraphe 1, sous f), de cette directive, à la notion de « rémunération ».

39      À cet égard, il y a lieu de relever que cette dernière notion n’est pas définie par la directive 2008/104.

40      S’il est vrai que, conformément à l’article 3, paragraphe 2, de la directive 2008/104, celle-ci « ne porte pas atteinte au droit national en ce qui concerne la définition de la rémunération », il importe de préciser que cette disposition ne saurait être interprétée comme constituant une renonciation du législateur de l’Union à déterminer lui-même la portée de la notion de « rémunération », au sens de cette directive, cette disposition signifiant uniquement que ce législateur a entendu préserver le pouvoir des États membres de définir cette notion au sens du droit national, aspect que ladite directive n’a pas pour objet d’harmoniser (voir, en ce sens, arrêt du 17 novembre 2016, Betriebsrat der Ruhrlandklinik, C‑216/15, EU:C:2016:883, points 30 à 32).

41      Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, la détermination de la signification et de la portée des termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doit être établie conformément au sens habituel de ceux-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (arrêt du 1er août 2022, Navitours, C‑294/21, EU:C:2022:608, point 25 et jurisprudence citée).

42      Premièrement, selon son sens habituel dans le langage courant, la notion de « rémunération » est comprise de manière générale comme l’argent versé pour un travail déterminé ou pour la prestation d’un service.

43      À cet égard, il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que la caractéristique essentielle de la rémunération réside dans le fait que celle-ci constitue la contrepartie économique de la prestation en cause, contrepartie qui est normalement définie entre le prestataire et le destinataire du service (arrêt du 11 novembre 2021, Manpower Lit, C‑948/19, EU:C:2021:906, point 45 et jurisprudence citée).

44      Par ailleurs, la notion de « rémunération » est définie à l’article 157, paragraphe 2, TFUE comme étant « le salaire ou traitement ordinaire de base ou minimum, et tous autres avantages payés directement ou indirectement, en espèces ou en nature, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier ». Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence, cette notion doit être interprétée dans un sens large et elle comprend, notamment, tous les avantages en espèces ou en nature, actuels ou futurs, pourvu qu’ils soient consentis, fût-ce indirectement, par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier, que ce soit en vertu d’un contrat de travail, de dispositions législatives ou à titre volontaire (arrêt du 8 mai 2019, Praxair MRC, C‑486/18, EU:C:2019:379, point 70 et jurisprudence citée).

45      En outre, la Cour a précisé que, au nombre des avantages qualifiés de « rémunération », au sens de l’article 157 TFUE, figurent précisément les avantages payés par l’employeur en raison de l’existence de rapports de travail salariés qui ont pour objet d’assurer une source de revenus aux travailleurs, même s’ils n’exercent, dans des cas spécifiques, aucune activité prévue par le contrat de travail. En outre, le caractère de rémunération de telles prestations ne saurait être mis en doute du seul fait qu’elles répondent également à des considérations de politique sociale (arrêt du 19 septembre 2018, Bedi, C‑312/17, EU:C:2018:734, point 34 et jurisprudence citée).

46      À cet égard, il convient de constater qu’il ressort de la jurisprudence que la « rémunération », au sens de l’article 157, paragraphe 2, TFUE, fait partie des « conditions d’emploi », au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel, conclu le 6 juin 1997, qui figure à l’annexe de la directive 97/81/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES (JO 1998, L 14, p. 9), telle que modifiée par la directive 98/23/CE du Conseil, du 7 avril 1998 (JO 1998, L 131, p. 10), ainsi que de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999, qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999, concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43) (voir, en ce sens, arrêts du 15 avril 2008, Impact, C‑268/06, EU:C:2008:223, points 131 et 132, ainsi que du 22 novembre 2012, Elbal Moreno, C‑385/11, EU:C:2012:746, points 20 et 21).

47      Or, l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104 vise, de manière encore plus ciblée que lesdites clauses, à assurer une protection effective des travailleurs atypiques et précaires, de telle sorte qu’une interprétation analogue à celle retenue par la jurisprudence citée aux points 44 et 45 du présent arrêt de la notion de « rémunération », au sens de l’article 157 TFUE, s’impose, a fortiori, pour déterminer la portée de cette notion, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous f), ii), de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2022, Luso Temp, C‑426/20, EU:C:2022:373, point 36).

48      Si, certes, une indemnité telle que celle visée au point 37 du présent arrêt n’est pas directement versée en contrepartie d’une prestation de travail réalisée par un travailleur intérimaire, il convient, toutefois, de considérer qu’une telle indemnité constitue un avantage en espèces qui, d’une part, est consenti indirectement par l’employeur au travailleur en raison de l’emploi de ce dernier en ce que cette indemnité est prévue par une convention collective qui est applicable à la relation de travail et, d’autre part, est payé à ce travailleur dans l’objectif de compenser la perte de revenus résultant de l’incapacité de ce dernier d’exercer sa profession habituelle, de sorte qu’elle a pour objet de lui assurer une source de revenus.

49      Partant, la notion de « rémunération », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous f), ii), de la directive 2008/104, est suffisamment large pour couvrir une indemnité à laquelle les travailleurs intérimaires peuvent prétendre au titre d’une incapacité permanente totale d’exercer leur profession habituelle, résultant d’un accident de travail survenu dans l’entreprise utilisatrice.

50      Deuxièmement, s’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous f), ii), de celle-ci, il convient de constater que, en vertu du considérant 13 de cette directive, la directive 91/383 arrête les dispositions applicables aux travailleurs intérimaires en matière de sécurité et de santé au travail.

51      Or, il ressort de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 91/383, lu en combinaison avec l’article 1er, point 2, de celle-ci, que cette directive a pour objet d’assurer que les travailleurs intérimaires bénéficient, en matière de sécurité et de santé au travail, du même niveau de protection que celui dont bénéficient les autres travailleurs de l’entreprise utilisatrice. En outre, en vertu de cet article 2, paragraphe 2, lu en combinaison avec cet article 1er, point 2, l’existence d’une relation de travail intérimaire ne saurait justifier une différence de traitement en ce qui concerne les conditions de travail dans la mesure où il s’agit de la protection de la sécurité et de la santé au travail, et ce d’autant plus que, ainsi qu’il ressort du quatrième considérant de ladite directive, les travailleurs intérimaires sont, dans certains secteurs, exposés à plus de risques d’accidents de travail que les autres travailleurs.

52      De surcroît, l’article 8 de la directive 91/383 prévoit, en substance, que les États membres prennent les mesures nécessaires pour que, sans préjudice de la responsabilité fixée par la législation nationale s’agissant de l’entreprise de travail intérimaire, l’entreprise utilisatrice soit, pendant la durée de la mission, responsable des conditions d’exécution du travail liées à la sécurité, à l’hygiène et à la santé au travail.

53      Partant, il y a lieu de considérer, d’une part, que la protection de la « sécurité » et de la « santé » au travail relève des « conditions de travail », au sens de la directive 91/383, et que le travailleur intérimaire doit, à cet égard, être traité, pendant la durée de sa mission, de la même manière que les travailleurs employés directement par l’entreprise utilisatrice.

54      D’autre part, une indemnité telle que celle visée au point 37 du présent arrêt est liée à la protection de la « sécurité » et de la « santé » au travail dans la mesure où la responsabilité de l’entreprise utilisatrice et, le cas échéant, de l’entreprise intérimaire, concernant les conditions d’exécution du travail liées à cette protection, va de pair avec la réparation de dommages dans l’hypothèse dans laquelle ladite protection échoue, à savoir, notamment, lorsqu’un accident de travail survient pendant la durée de la mission d’un travailleur intérimaire avec pour conséquence l’incapacité permanente totale de ce travailleur d’exercer sa profession habituelle.

55      Eu égard au renvoi effectué par la directive 2008/104 à la directive 91/383, il convient dès lors de constater que le contexte dans lequel s’inscrit l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous f), de celle-ci, corrobore l’interprétation selon laquelle la notion de « rémunération », à laquelle la notion de « conditions essentielles de travail et d’emploi », figurant dans ces dispositions, fait référence, comprend une indemnité telle que celle visée au point 37 du présent arrêt.

56      Troisièmement, s’agissant des objectifs poursuivis par la directive 2008/104, il ressort du considérant 1 de cette directive que cette dernière vise à assurer le plein respect de l’article 31 de la Charte qui, conformément à son paragraphe 1, consacre, de manière générale, le droit de tout travailleur à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et sa dignité. Les explications relatives à la charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17) indiquent, à cet égard, que la notion de « conditions de travail » doit être entendue au sens de l’article 156 TFUE, bien que cette dernière disposition ne définisse pas cette notion. Au regard de la finalité protectrice des droits du travailleur intérimaire poursuivie par ladite directive, cette absence de précision milite en faveur d’une interprétation large de ladite notion (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2022, Luso Temp, C‑426/20, EU:C:2022:373, point 40 et jurisprudence citée).

57      Partant, en ce que la directive 2008/104 a pour objectif d’assurer la protection des travailleurs intérimaires en matière de sécurité et de santé au travail, il convient de constater, à l’instar de la Commission, que si, en cas d’accident de travail, le risque financier pour les entreprises utilisatrices était plus faible en ce qui concerne ces travailleurs par rapport aux travailleurs qu’elles recrutent directement, ces entreprises seraient moins incitées à investir dans la sécurité des travailleurs intérimaires, ce qui aboutirait à méconnaître cet objectif.

58      Par conséquent, les objectifs poursuivis par la directive 2008/104 corroborent l’interprétation de la notion de « rémunération », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous f), ii), de cette directive, en tant que « condition essentielle de travail et d’emploi », au sens de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de ladite directive, selon laquelle cette notion inclut une indemnité à laquelle peut prétendre un travailleur intérimaire au titre de l’incapacité permanente totale d’exercer sa profession habituelle, résultant d’un accident de travail survenu dans l’entreprise utilisatrice.

59      Cette interprétation ne saurait être infirmée, contrairement à ce que prétend en substance le gouvernement espagnol, au motif qu’une telle indemnité est versée après la cessation de la relation de travail intérimaire ou encore du fait que cette indemnité trouve prétendument son origine uniquement dans la déclaration d’incapacité permanente totale de travail du travailleur intérimaire concerné et, dès lors, dans la cessation de sa relation de travail.

60      En effet, d’une part, il importe de préciser que la circonstance que l’indemnité en cause soit versée après la cessation de la relation de travail n’exclut pas qu’elle puisse avoir un caractère de rémunération, au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous f), ii), de la directive 2008/104 (voir, par analogie, arrêt du 8 mai 2019, Praxair MRC, C‑486/18, EU:C:2019:379, point 70).

61      D’autre part, il y a lieu de rappeler qu’une interprétation de la notion de « conditions essentielles de travail et d’emploi », qui exclurait l’indemnité qu’un employeur est tenu de verser à un travailleur intérimaire, du seul fait que cette indemnité est liée à la cessation de sa relation de travail, du champ d’application de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104, serait contraire tant au contexte dans lequel s’inscrit cette disposition qu’aux objectifs poursuivis par cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2022, Luso Temp, C‑426/20, EU:C:2022:373, points 39 et 45).

62      Par ailleurs, il convient de constater, ainsi qu’il ressort du dossier dont dispose la Cour, que l’accident de travail en cause au principal, qui est le fait générateur de l’incapacité permanente totale de XXX d’exercer sa profession habituelle, est survenu « pendant la [...] mission auprès [de l’]entreprise utilisatrice », au sens de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104, de sorte qu’il ne saurait être admis que l’indemnité versée en raison de cette incapacité trouve son origine uniquement dans la cessation de la relation de travail de XXX.

63      Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de considérer qu’une indemnité, due à un travailleur intérimaire au titre de l’incapacité permanente totale de ce dernier d’exercer sa profession habituelle, résultant d’un accident de travail survenu dans l’entreprise utilisatrice et ayant pour conséquence la cessation de sa relation de travail intérimaire, relève de la notion de « conditions essentielles de travail et d’emploi », au sens de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous f), de celle-ci.

 Sur la portée du principe d’égalité de traitement visé à l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104

64      S’agissant, en second lieu, de la portée du principe d’égalité de traitement, visé à l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104, il y a lieu de relever que, conformément à cette disposition, les travailleurs intérimaires doivent, pendant la durée de leur mission auprès d’une entreprise utilisatrice, bénéficier de conditions essentielles de travail et d’emploi au moins égales à celles qui leur seraient applicables s’ils étaient recrutés directement par cette entreprise pour y occuper le même poste.

65      Il incombe, dès lors, à la juridiction de renvoi de déterminer, dans un premier temps, les conditions essentielles de travail et d’emploi qui seraient applicables au travailleur intérimaire en cause s’il était recruté directement par l’entreprise utilisatrice, pour y occuper le même poste que celui qu’il y occupe effectivement, et ce pendant la même durée, et, plus précisément, en l’occurrence, l’indemnité à laquelle il aurait droit au titre de l’incapacité permanente totale d’exercer sa profession habituelle, résultant d’un accident de travail et ayant pour conséquence la cessation de sa relation de travail. Dans un second temps, il appartient à cette juridiction de comparer ces conditions essentielles de travail et d’emploi à celles qui sont effectivement applicables à ce travailleur intérimaire, pendant la durée de sa mission auprès de cette entreprise utilisatrice, et ce afin de s’assurer, sur la base de l’ensemble des circonstances pertinentes en cause au principal, du respect ou non du principe d’égalité de traitement à l’égard dudit travailleur intérimaire (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2022, Luso Temp, C‑426/20, EU:C:2022:373, point 50).

66      En l’occurrence, la juridiction de renvoi indique que, eu égard à l’interprétation, par le Tribunal Supremo (Cour suprême), de l’article 11 de la loi 14/1994, les travailleurs intérimaires ne peuvent prétendre, en cas d’incapacité permanente totale d’exercer leur profession habituelle, qu’à une indemnité, au titre de l’article 42 de la convention collective du travail intérimaire, qui est d’un montant inférieur par rapport à l’indemnité à laquelle les travailleurs directement recrutés par l’entreprise utilisatrice ont droit en vertu de l’article 31 de la convention collective du secteur du transport. Plus précisément, selon le dossier dont dispose la Cour, XXX, en tant que travailleur intérimaire, a droit à une indemnité d’un montant de 10 500 euros sur la base de la première de ces conventions collectives, alors que, s’il avait été recruté directement par Serveo Servicios, il aurait droit à une indemnité d’un montant de 60 101,21 euros au titre de la seconde de ces conventions collectives.

67      Si tel est effectivement le cas, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier, il y aurait lieu de considérer que, contrairement à ce que prévoit l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104, XXX n’a pas bénéficié, pendant la durée de sa mission auprès de Serveo Servicios, de conditions essentielles de travail et d’emploi qui sont au moins égales à celles qui lui auraient été applicables s’il avait été recruté directement par cette entreprise utilisatrice pour y occuper le même poste pendant la même durée.

68      À cet égard, il y a lieu d’observer que, bien que les États membres aient la possibilité, en vertu de l’article 5, paragraphes 2 à 4, de la directive 2008/104, de prévoir, sous certaines conditions précises, des dérogations au principe d’égalité de traitement, la décision de renvoi et le dossier dont dispose la Cour ne comportent aucune information relative à une éventuelle mise en œuvre de l’une de ces dérogations en Espagne.

69      En outre, il convient de rappeler que, si, certes, en vertu de l’article 5, paragraphe 3, de la directive 2008/104, les partenaires sociaux ont la possibilité de conclure des conventions collectives qui mettent en place, pour les conditions de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires, des dispositions qui peuvent différer de celles qui sont visées au paragraphe 1 de cet article, de telles conventions doivent, toutefois, conformément à ce paragraphe 3, lu en combinaison avec les considérants 16 et 17 de cette directive, garantir la protection globale des travailleurs intérimaires.

70      Or, l’obligation de garantir la protection globale des travailleurs intérimaires exige, notamment, que des avantages en matière de conditions essentielles de travail et d’emploi qui sont de nature à compenser la différence de traitement subie par ces travailleurs soient accordés à ces derniers, le respect de cette obligation devant être apprécié de manière concrète (voir, en ce sens, arrêt du 15 décembre 2022, TimePartner Personalmanagement, C‑311/21, EU:C:2022:983, points 44 et 50). Ainsi, afin qu’il puisse être dérogé au principe d’égalité de traitement consacré à l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104 par la convention collective du travail intérimaire, il serait nécessaire, ce qu’il incomberait à la juridiction de renvoi de vérifier, que cette convention collective permette de garantir à XXX une telle protection globale en lui accordant des avantages compensatoires en ce qui concerne les conditions essentielles de travail et d’emploi permettant de contrebalancer les effets de la différence de traitement qu’il subit.

71      Il importe enfin de rappeler que la Cour a itérativement jugé qu’une juridiction nationale, saisie d’un litige opposant exclusivement des particuliers, est tenue, lorsqu’elle applique les dispositions du droit interne adoptées aux fins de transposer les obligations prévues par une directive, de prendre en considération l’ensemble des règles du droit national et de les interpréter, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte ainsi que de la finalité de cette directive pour aboutir à une solution conforme à l’objectif poursuivi par celle-ci, une interprétation contra legem du droit national étant toutefois exclue (voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2022, Luso Temp, C‑426/20, EU:C:2022:373, points 56 et 57 ainsi que jurisprudence citée).

72      Partant, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi parviendrait à la conclusion que XXX aurait droit à l’indemnité qu’il réclame au titre de l’article 31 de la convention collective du secteur du transport s’il avait été recruté directement par Serveo Servicios, il reviendrait à cette juridiction, notamment, de vérifier si l’article 11 de la loi 14/1994 est susceptible de faire l’objet d’une interprétation conforme aux exigences de la directive 2008/104 et, dès lors, d’être interprété autrement qu’en privant XXX de cette indemnité, interprétation qui serait contraire à l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive ainsi qu’il ressort du point 67 du présent arrêt.

73      Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous f), de celle-ci, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par la jurisprudence nationale, en vertu de laquelle l’indemnité à laquelle les travailleurs intérimaires peuvent prétendre au titre d’une incapacité permanente totale d’exercer leur profession habituelle, résultant d’un accident de travail survenu dans l’entreprise utilisatrice et ayant pour conséquence la cessation de leur relation de travail intérimaire, est d’un montant inférieur à celui de l’indemnité à laquelle ces travailleurs pourraient prétendre, dans la même situation et au même titre, s’ils avaient été recrutés directement par cette entreprise utilisatrice pour y occuper le même poste pendant la même durée.

 Sur les dépens

74      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (sixième chambre) dit pour droit :

L’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2008/104/CE du Parlement européen et du Conseil, du 19 novembre 2008, relative au travail intérimaire, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 1, sous f), de celle-ci,

doit être interprété en ce sens que :

il s’oppose à une réglementation nationale, telle qu’interprétée par la jurisprudence nationale, en vertu de laquelle l’indemnité à laquelle les travailleurs intérimaires peuvent prétendre au titre d’une incapacité permanente totale d’exercer leur profession habituelle, résultant d’un accident de travail survenu dans l’entreprise utilisatrice et ayant pour conséquence la cessation de leur relation de travail intérimaire, est d’un montant inférieur à celui de l’indemnité à laquelle ces travailleurs pourraient prétendre, dans la même situation et au même titre, s’ils avaient été recrutés directement par cette entreprise utilisatrice pour y occuper le même poste pendant la même durée.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.

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