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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Agrarmarkt Austria (Agriculture - Support schemes - Judgment) French Text [2024] EUECJ C-731/22 (13 June 2024) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/C73122.html Cite as: [2024] EUECJ C-731/22, ECLI:EU:C:2024:503, EU:C:2024:503 |
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ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)
13 juin 2024 (*)
« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Politique agricole commune (PAC) – Régimes de soutien – Paiements directs en faveur des agriculteurs – Règlement (UE) no 1307/2013 – Article 4, paragraphe 1, sous b) et c) – Notion d’“exploitation” – Gestion par un agriculteur – Notion d’“activité agricole” – Article 33, paragraphe 1 – Notion de “surface agricole à la disposition de l’agriculteur à une date fixée par l’État membre”, aux fins de l’activation des droits au paiement – Remise saisonnière, contre rémunération, des parcelles d’un terrain dont l’agriculteur est propriétaire à des utilisateurs qui se chargent de l’entretien de ces parcelles et de la récolte »
Dans l’affaire C‑731/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche), par décision du 25 novembre 2022, parvenue à la Cour le même jour, dans la procédure
IJ und PO GesbR,
IJ
contre
Agrarmarkt Austria,
LA COUR (huitième chambre),
composée de M. N. Piçarra (rapporteur), président de chambre, MM. N. Jääskinen et M. Gavalec, juges,
avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour Agrarmarkt Austria, par Mme M. Borotschnik, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement autrichien, par M. A. Posch, Mme J. Schmoll et Mme A. Kögl, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement espagnol, par Mme A. Pérez-Zurita Gutiérrez, en qualité d’agent,
– pour la Commission européenne, par Mme A. C. Becker et M. A. Sauka, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 4, paragraphe 1, sous b) et c), ainsi que de l’article 33, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (CE) no 637/2008 du Conseil et le règlement (CE) no 73/2009 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 608, et rectificatif JO 2016, L 130, p. 23).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant IJ und PO GesbR, une société civile jusqu’en 2020 et, depuis 2021, uniquement IJ en tant que personne physique (ci-après, ensemble, « IJ »), à l’Agrarmarkt Austria (ci‑après l’« AMA »), personne morale de droit autrichien qui agit en tant qu’organisme payeur et liquidateur des aides en faveur des agriculteurs, au sujet de trois décisions par lesquelles l’AMA a refusé d’octroyer à IJ des paiements directs au titre des années 2019 à 2021.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement (CE) no 1782/2003
3 Le règlement (CE) no 1782/2003 du Conseil, du 29 septembre 2003, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs et modifiant les règlements (CEE) no 2019/93, (CE) no 1452/2001, (CE) no 1453/2001, (CE) no 1454/2001, (CE) no 1868/94, (CE) no 1251/1999, (CE) no 1254/1999, (CE) no 1673/2000, (CEE) no 2358/71 et (CE) no 2529/2001 (JO 2003, L 270, p. 1) a été abrogé par le règlement (CE) no 73/2009 du Conseil, du 19 janvier 2009, établissant des règles communes pour les régimes de soutien direct en faveur des agriculteurs dans le cadre de la politique agricole commune et établissant certains régimes de soutien en faveur des agriculteurs, modifiant les règlements (CE) no 1290/2005, (CE) no 247/2006 et (CE) no 378/2007, et abrogeant le règlement (CE) no 1782/2003 (JO 2009, L 30, p. 16). Sous l’intitulé « Utilisation des droits au paiement », l’article 44 du règlement no 1782/2003 prévoyait, à ses paragraphes 2 et 3 :
« 2. Par “hectare admissible au bénéfice de l’aide”, on entend toute superficie agricole de l’exploitation occupée par des terres arables et des pâturages permanents, à l’exclusion des superficies occupées par des cultures permanentes et des forêts ou affectées à une activité non agricole.
3. L’agriculteur déclare les parcelles correspondant à la superficie admissible liée à un droit au paiement. Sauf en cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles, ces parcelles sont à la disposition de l’agriculteur pendant une période de dix mois au moins, qui court à partir d’une date à fixer par l’État membre sans pouvoir être antérieure au 1er septembre de l’année civile précédant l’année de l’introduction de la demande de participation au régime du paiement unique. »
Le règlement no 1307/2013
4 Le considérant 10 du règlement no 1307/2013, abrogé par le règlement (UE) 2021/2115 du Parlement européen et du Conseil, du 2 décembre 2021, établissant des règles régissant l’aide aux plans stratégiques devant être établis par les États membres dans le cadre de la politique agricole commune (plans stratégiques relevant de la PAC) et financés par le Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), et abrogeant les règlements (UE) no 1305/2013 et (UE) no 1307/2013 (JO 2021, L 435, p. 1), mais applicable ratione temporis au litige au principal, énonçait :
« L’expérience acquise dans le cadre de l’application des différents régimes de soutien en faveur des agriculteurs montre que, dans certain cas, le soutien était accordé à des personnes physiques ou morales dont l’objectif commercial n’était pas, ou n’était que de façon marginale, lié à l’exercice d’une activité agricole. Afin de garantir un meilleur ciblage du soutien, il importe que les États membres s’abstiennent d’octroyer des paiements directs à certaines personnes physiques ou morales, à moins que celles-ci ne soient en mesure de démontrer que leur activité agricole ne revêt pas un caractère marginal. Les États devraient en outre avoir la possibilité de ne pas octroyer de paiements directs à d’autres personnes physiques ou morales dont l’activité agricole est marginale. Toutefois, il convient de leur permettre d’octroyer des paiements directs aux petits agriculteurs à temps partiel, car ces derniers contribuent directement à la vitalité des zones rurales. [...] »
5 L’article 1er de ce règlement, intitulé « Champ d’application », disposait :
« Le présent règlement établit :
a) des règles communes relatives aux paiements octroyés directement aux agriculteurs au titre des régimes de soutien énumérés à l’annexe I (“paiements directs”) ;
[...] »
6 L’article 4 dudit règlement, intitulé « Définitions et dispositions connexes », énonçait :
« 1. Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
b) “exploitation”, l’ensemble des unités utilisées aux fins d’activités agricoles et gérées par un agriculteur qui sont situées sur le territoire d’un même État membre ;
c) “activité agricole” :
i) la production, l’élevage ou la culture de produits agricoles, y compris la récolte, la traite, l’élevage et la détention d’animaux à des fins agricoles,
ii) le maintien d’une surface agricole dans un état qui la rend adaptée au pâturage ou à la culture sans action préparatoire allant au-delà de pratiques agricoles courantes ou du recours à des machines agricoles courantes, sur la base de critères à définir par les États membres en se fondant sur un cadre établi par la Commission [européenne], ou
iii) l’exercice d’une activité minimale, définie par les États membres, sur les surfaces agricoles naturellement conservées dans un état qui les rend adaptées au pâturage ou à la culture ;
[...]
e) “surface agricole”, l’ensemble de la superficie des terres arables, des prairies permanentes et des pâturages permanents ou des cultures permanentes ;
[...]
2. Les États membres :
[...]
b) le cas échéant dans un État membre, définissent l’activité minimale à exercer sur les surfaces agricoles naturellement conservées dans un état qui les rend adaptées au pâturage ou à la culture, au sens du paragraphe 1, point c) iii) ;
[...] »
7 L’article 9 du même règlement, intitulé « Agriculteur actif », prévoyait, à son paragraphe 1 :
« Aucun paiement direct n’est octroyé à des personnes physiques ou morales, ni à des groupements de personnes physiques ou morales dont les surfaces agricoles sont principalement des surfaces naturellement conservées dans un état qui les rend adaptées au pâturage ou à la culture, et qui n’exercent pas sur ces surfaces l’activité minimale définie par les États membres conformément à l’article 4, paragraphe 2, point b). »
8 L’article 32 du règlement no 1307/2013, intitulé « Activation des droits au paiement », était ainsi libellé :
« 1. L’aide au titre du régime de paiement de base est octroyée aux agriculteurs, sur la base d’une déclaration conformément à l’article 33, paragraphe 1, après activation d’un droit au paiement par hectare admissible dans l’État membre où le droit au paiement a été attribué. Les droits au paiement activés donnent droit au paiement annuel des montants qu’ils fixent [...]
2. Aux fins du présent titre, on entend par “hectare admissible” :
a) toute surface agricole de l’exploitation, y compris les surfaces qui n’étaient pas dans de bonnes conditions agricoles le 30 juin 2003 dans les États membres qui ont adhéré à l’Union européenne le 1er mai 2004 et qui ont opté, lors de l’adhésion, pour l’application du régime de paiement unique à la surface, qui est utilisée aux fins d’une activité agricole ou, lorsque la surface est également utilisée aux fins d’activités non agricoles, qui est essentiellement utilisée à des fins agricoles ; [...]
[...] »
9 L’article 33 de ce règlement, intitulé « Déclaration des hectares admissibles », disposait, à son paragraphe 1 :
« Aux fins de l’activation des droits au paiement prévue à l’article 32, paragraphe 1, l’agriculteur déclare les parcelles correspondant aux hectares admissibles liés à un droit au paiement. Sauf en cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles, les parcelles déclarées sont à la disposition de l’agriculteur à une date fixée par l’État membre [...] »
Le droit autrichien
10 L’article 20 de la Verordnung des Bundesministers für Land- und Forstwirtschaft, Umwelt und Wasserwirtschaft mit horizontalen Regeln für den Bereich der Gemeinsamen Agrarpolitik (Horizontale GAP-Verordnung) [décret du ministre fédéral de l’Agriculture et des Forêts, de l’Environnement et de la Gestion de l’eau arrêtant des règles horizontales dans le domaine de la politique agricole commune (décret horizontal relatif à la PAC), BGBl. II, 100/2015], intitulé « Surfaces utilisées aux fins d’activités non agricoles », prévoit, à son paragraphe 3 :
« Ne font en tout état de cause pas partie des surfaces admissibles au sens de l’article 17, paragraphe 1, les surfaces pavées ou bâties, les carrières de gravier, les carrières, les parcs, les terrains de loisirs, les plantations de sapins de Noël, les surfaces de manœuvre et de stockage durables ainsi que les haies, bois et murs pour autant qu’ils ne relèvent pas de l’article 18, point 1 ou 2. »
11 L’article 23 du décret horizontal relatif à la PAC, intitulé « Dispositions spécifiques applicables à certaines utilisations », dispose, à son paragraphe 1 :
« La date pertinente, à laquelle les surfaces admissibles doivent, aux fins de l’activation des droits au paiement, être à la disposition de l’agriculteur conformément à l’article 33, paragraphe 1, du [règlement no 1307/2013], est fixée au 9 juin de l’année de demande concernée. [...] »
Le litige au principal et la question préjudicielle
12 IJ a introduit chaque année, de 2019 à 2021, une demande de paiements directs pour un terrain dont elle est propriétaire, d’une superficie de 1,0840 hectare de terres arables exclusivement consacrée à la culture de légumes en plein champ et divisé en parcelles de différentes tailles (ci-après la « surface en cause »). IJ est responsable du travail du sol, de la planification des cultures et de la mise en culture des légumes. Au début de la saison, elle remet ces parcelles à des utilisateurs, qui se chargent de l’entretien de celles-ci ainsi que de la récolte, et exploite elle-même l’une desdites parcelles afin de permettre aux nouveaux utilisateurs de connaître la norme applicable.
13 Dès la remise des parcelles aux utilisateurs, contre paiement d’une « contribution saisonnière » à IJ, ceux-ci s’obligent, aux termes d’une convention d’utilisation conclue avec cette dernière, à entretenir ces parcelles dans le respect des lignes directrices régissant l’agriculture biologique et à éliminer régulièrement les plantes adventices pendant toute la saison de culture. Il résulte de la décision de renvoi que le 9 juin de chaque année de demande, qui est la date pertinente aux fins de l’application de l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 1307/2013, fixée par l’article 23, paragraphe 1, du décret horizontal relatif à la PAC, la surface en cause est « sous la garde » de ces utilisateurs.
14 Pendant la période où les parcelles se trouvent « sous la garde » desdits utilisateurs, IJ se charge de l’irrigation de celles-ci selon ses propres critères. Elle se réserve, par ailleurs, la possibilité d’arracher les mauvaises herbes de ces parcelles, aux frais des utilisateurs, si ceux-ci demeurent en défaut de le faire. En cas d’absence prolongée, ces utilisateurs sont tenus de trouver un remplaçant qui doit entretenir leur parcelle respective et procéder à la récolte, pour laquelle IJ ne donne aucune garantie, « en raison du caractère imprévisible des conditions naturelles ».
15 À la suite d’un contrôle sur place, effectué le 13 juillet 2021, l’AMA, en se fondant sur l’article 20, paragraphe 3, du décret horizontal relatif à la PAC, a qualifié la surface en cause de « terrain de loisirs » non admissible à des paiements directs, au motif que les utilisateurs entretenaient les parcelles et procédaient à la récolte durant leur temps de loisir, sans viser à la production systématique aux fins d’approvisionner la population, qui serait l’activité agricole relevant à titre principal de la PAC.
16 Par décisions du 10 janvier 2022, l’AMA a, premièrement, refusé d’accorder des paiements directs pour la surface en cause au titre des années de demande 2019 à 2021, deuxièmement, réclamé le remboursement des paiements déjà versés et, troisièmement, infligé des sanctions à IJ, au motif que cette surface, à partir de la date de remise aux utilisateurs des parcelles qui la composent, n’est plus « à la disposition » d’IJ, au sens de l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 1307/2013. En se fondant notamment sur l’arrêt du 14 octobre 2010, Landkreis Bad Dürkheim (C‑61/09, EU:C:2010:606), l’AMA estime que, au 9 juin de chaque année de demande, IJ ne jouit plus d’une autonomie suffisante aux fins de l’exercice de son activité agricole sur ladite surface. En outre, dès lors que les utilisateurs des parcelles « conservent la récolte », ils ne travailleraient pas au nom, pour le compte et aux risques d’IJ, contrairement à ce qu’exigerait cette jurisprudence.
17 IJ a saisi le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche), la juridiction de renvoi, d’un recours contre les décisions de l’AMA du 10 janvier 2022, en faisant valoir que les parcelles en cause demeurent « à sa disposition », au sens de l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 1307/2013, entre le moment où elles sont remises aux utilisateurs et le moment où ceux-ci procèdent à la récolte, dès lors que c’est elle qui se charge notamment du travail du sol sur ces parcelles, de l’irrigation de celles-ci et de la fourniture de l’ensemble des semences et plantules. Dans ces conditions, l’obligation, pour les utilisateurs, d’entretenir eux-mêmes, pendant cette période, leur parcelle respective ne serait qu’une mesure de marketing, dont le non-respect est susceptible d’entraîner une baisse de cette récolte ou de la qualité de celle-ci.
18 Selon la juridiction de renvoi, il ne fait pas de doute que la première condition énoncée à l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1307/2013 pour définir une « exploitation », à savoir que la surface, située sur le territoire d’un même État membre, soit utilisée « aux fins d’activités agricoles », est remplie, la surface en cause étant utilisée pour la culture de produits agricoles (légumes). Partant, selon cette juridiction, la qualification de cette surface de « terrain de loisirs », opérée par l’AMA, est incorrecte en ce qu’elle repose sur une interprétation de l’article 20, paragraphe 3, du décret horizontal relatif à la PAC qui n’est pas conforme au droit de l’Union.
19 En revanche, au regard de l’arrêt du 14 octobre 2010, Landkreis Bad Dürkheim (C‑61/09, EU:C:2010:606), ladite juridiction doute que soit remplie, en l’occurrence, la seconde condition posée par cet article 4, paragraphe 1, sous b), à savoir que la surface en cause soit « gérée par un agriculteur », dans la mesure où, selon cet arrêt, l’activité agricole sur cette surface devrait être exercée « au nom et pour le compte » de cet agriculteur. À cet égard, elle relève qu’une telle condition a été dégagée par la Cour dans un cas de figure très distinct du présent cas d’espèce, où il s’agissait surtout d’éviter que plusieurs agriculteurs revendiquent les parcelles concernées comme faisant partie de leur exploitation respective. Partant, une telle condition, selon la juridiction de renvoi, « ne s’impose pas dans une même mesure ».
20 En outre, la juridiction de renvoi doute que, en l’occurrence, il soit satisfait à la condition, prévue à l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 1307/2013, tenant à ce que les parcelles déclarées par IJ aux fins de l’activation des droits au paiement soient « à la disposition » de celle-ci à la date du 9 juin de chaque année de demande, dès lors que, à cette date, ces parcelles étaient « sous la garde » des utilisateurs.
21 Cette juridiction relève qu’aucun des arrêts de la Cour en la matière ne couvre « dans les détails » le présent cas de figure. Elle estime toutefois que les arguments les plus forts plaident en faveur de la qualification de la surface en cause d’« hectare admissible », au sens de l’article 32, paragraphe 2, du règlement no 1307/2013, susceptible de donner droit aux paiements directs en cause. Selon elle, IJ conserve, en effet, le pouvoir de disposition ainsi qu’une autonomie suffisante dans l’exercice de son activité agricole sur la surface en cause, dans la mesure où elle choisit librement les utilisateurs des parcelles de cette surface et exerce, pendant la période de culture, une influence sur les résultats de la récolte, en effectuant des travaux de préparation, en irrigant ladite surface, en éliminant, le cas échéant, les plantes adventices et en maintenant la même surface dans des conditions propices à la culture des produits maraîchers indiqués, quand bien même elle ne les récolte pas.
22 Dans ces conditions, le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :
« Convient-il d’interpréter les dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 1, sous b) et c), et de l’article 33, paragraphe 1, du règlement [no 1307/2013] en ce sens qu’une surface est à considérer comme étant gérée par l’agriculteur et à la disposition de ce dernier si cette surface appartient à l’agriculteur et [...] celui-ci procède également au travail initial du sol, à la plantation et à l’irrigation courante des cultures, mais [...] la surface, découpée en parcelles de différentes tailles, est, contre versement d’une rémunération fixe, remise, au début de la saison (avril/début mai) et jusqu’à la fin de celle-ci (octobre), à différents utilisateurs qui se chargent de l’entretien et de la récolte, l’agriculteur ne participant pas directement aux résultats de la récolte ? »
Sur la question préjudicielle
23 Par son unique question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 1, sous b) et c), et de l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 1307/2013 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce qu’un agriculteur bénéficie des paiements directs visés à l’article 1er, sous a), de ce règlement, pour une surface dont il est propriétaire, et à ce que cette surface soit qualifiée d’« exploitation gérée » par cet agriculteur et « à la disposition » de celui-ci, lorsque, d’une part, les parcelles qui composent ladite surface sont remises à des utilisateurs choisis par ledit agriculteur, lesquels, contre le versement d’une rémunération fixe, se chargent de l’entretien de ces parcelles et de la récolte, et, d’autre part, le même agriculteur, sans avoir droit aux résultats de celle-ci, procède au travail initial du sol, à la plantation et à l’irrigation courante desdites parcelles, voire à l’entretien de celles-ci en cas de carence de ces utilisateurs.
24 La notion d’« exploitation » est définie à l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1307/2013 comme étant « l’ensemble des unités utilisées aux fins d’activités agricoles et gérées par un agriculteur qui sont situées sur le territoire d’un même État membre ».
25 Il résulte du libellé même de cette disposition que deux conditions cumulatives sont requises pour l’existence d’une « exploitation ». La première condition exige que les surfaces concernées, situées sur le territoire d’un même État membre, soient utilisées aux fins d’une « activité agricole », au sens de cet article 4, paragraphe 1, sous c). La seconde condition exige que ces surfaces soient « gérées » par l’agriculteur.
26 S’agissant de la première condition, il est constant que la surface en cause, qui constitue une « surface agricole », au sens de l’article 4, sous e), du règlement no 1307/2013, est exclusivement consacrée à la culture de légumes en plein champ. Il s’ensuit que cette activité relève de l’article 4, paragraphe 1, sous c), i), de ce règlement, en tant que production, élevage ou culture de produits agricoles, y compris la récolte.
27 Ainsi que la Commission l’a relevé dans ses observations écrites, cet article 4, paragraphe 1, sous c), n’exige pas que, pour être qualifiée d’« activité agricole », cette activité soit exercée uniquement pendant des périodes de travail considérées comme habituelles, à l’exclusion des périodes de loisir, ni que l’agriculteur lui-même procède à la récolte ou que les produits de celle-ci lui soient réservés. Cette disposition n’exige pas non plus que l’« activité agricole » ait exclusivement pour but la production systématique aux fins d’approvisionner la population. À cet égard, il suffit de relever que, aux termes du point ii) de ladite disposition, « le maintien d’une surface agricole dans un état qui la rend adaptée au pâturage ou à la culture sans action préparatoire allant au-delà de pratiques agricoles courantes ou de machines agricoles courantes, sur la base de critères à définir par les États membres en se fondant sur un cadre établi par la Commission », constitue également une « activité agricole », au sens de la même disposition.
28 S’agissant de la seconde condition dont dépend l’existence d’une « exploitation », au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1307/2013, à savoir que les surfaces utilisées « aux fins d’activités agricoles [soient] gérées par un agriculteur », la Cour a déjà précisé qu’une telle condition n’implique pas l’existence, au profit de l’agriculteur, d’un pouvoir de disposition illimité sur la surface concernée dans le cadre de l’utilisation de celle-ci à des fins agricoles. Il suffit que l’agriculteur dispose, à l’égard de cette surface, d’une autonomie suffisante ou d’un certain pouvoir de décision aux fins d’exercer son activité agricole, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce (voir, en ce sens, arrêts du 14 octobre 2010, Landkreis Bad Dürkheim, C‑61/09, EU:C:2010:606, points 61 et 62, ainsi que du 7 avril 2022, Avio Lucos, C‑116/20, EU:C:2022:273, points 49 et 50).
29 En outre, il ressort de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 1307/2013, lu à la lumière du considérant 10 de celui-ci, que, aux fins d’octroyer les paiements directs visés à l’article 1er, sous a), de ce règlement, peuvent être qualifiés d’« agriculteur actif », au sens de la première de ces dispositions, les personnes physiques ou morales ou les groupements de personnes physiques ou morales dont les surfaces agricoles « sont principalement des surfaces naturellement conservées dans un état qui les rend adaptées au pâturage ou à la culture », et qui exercent sur ces surfaces « l’activité minimale », définie, le cas échéant, par les États membres conformément aux dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 2, sous b), et paragraphe 1, sous c), iii), dudit règlement.
30 Par ailleurs, en lien avec les deux conditions visées à l’article 4, paragraphe 1, sous b), du règlement no 1307/2013, l’article 33, paragraphe 1, de ce règlement exige, aux fins de l’activation des droits aux paiements directs, prévue à l’article 32, paragraphe 1, dudit règlement, que, sauf en cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles, les parcelles de la surface agricole de l’exploitation, déclarées en tant qu’« hectares admissibles », soient également « à la disposition de l’agriculteur à une date fixée par l’État membre ». La notion d’« hectare admissible » est définie à cet article 32, paragraphe 2, sous a), comme toute surface agricole d’une exploitation qui est utilisée aux fins d’une activité agricole ou, lorsque la surface est également utilisée aux fins d’activités non agricoles, qui est essentiellement utilisée à des fins agricoles.
31 La Cour a déjà interprété l’article 44, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1782/2003 en ce sens que l’exercice de l’activité agricole sur une surface doit être fait au nom et pour le compte de l’agriculteur, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier (arrêt du 14 octobre 2010, Landkreis Bad Dürkheim, C‑61/09, EU:C:2010:606, point 69).
32 Toutefois, à supposer que la substance de ces dispositions corresponde à celles de l’article 32, paragraphe 2, et de l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 1307/2013, il importe de relever que la condition mentionnée au point précédent, qui ne résulte pas du libellé de ces deux dernières dispositions, a été établie par la Cour dans le cadre d’un litige opposant à l’organisme allemand homologue de l’AMA une entité publique, à savoir le Landkreis Bad Dürkheim (circonscription de Bad Dürkheim, Allemagne), qui avait conclu avec une agricultrice un contrat par lequel celle-ci s’obligeait, contre le versement d’une rémunération fixe, à entretenir et à exploiter certaines surfaces dont une partie était la propriété d’un Land et l’autre partie appartenait à d’autres propriétaires ayant autorisé le pâturage à des fins de protection de la nature. Aux fins de l’octroi de droits au paiement au titre d’un régime de paiement unique, cette agricultrice avait déclaré ces surfaces comme faisant partie de son exploitation, et sa demande avait été rejetée par cet organisme, au motif que lesdites surfaces ne pouvaient pas être qualifiées d’« hectare admissible au bénéfice de l’aide », au sens de l’article 44, paragraphe 2, du règlement no 1782/2003.
33 La Cour a, tout d’abord, jugé essentiel que, dans une telle situation, les surfaces concernées ne fassent l’objet d’aucune activité agricole exercée par un tiers, afin d’éviter que plusieurs agriculteurs ne revendiquent ces surfaces comme faisant partie de leur exploitation. Ensuite, elle a interprété cette disposition en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce que soit considérée comme faisant partie d’une exploitation la surface qui est mise à la disposition de l’agriculteur à titre gratuit, en vue d’une utilisation déterminée pendant une période limitée, dans le respect des objectifs de protection de la nature, à condition que cet agriculteur soit en mesure d’utiliser une telle surface avec une autonomie suffisante pour ses activités agricoles pendant une période minimale de dix mois (arrêt du 14 octobre 2010, Landkreis Bad Dürkheim, C‑61/09, EU:C:2010:606, points 66 et 71, deuxième tiret).
34 À la lumière de cette jurisprudence, une remise temporaire d’une surface agricole à différents utilisateurs librement choisis par l’agriculteur, afin qu’ils exercent certaines tâches relevant de la notion d’« activité agricole » pour une rémunération fixe, ne saurait faire obstacle au droit de cet agriculteur à des « paiements directs », en application des dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 1, sous b) et c), et de l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 1307/2013. En effet, ainsi que l’a relevé la Commission dans ses observations écrites, il est déterminant, aux fins du rattachement d’une surface agricole à l’exploitation d’un agriculteur, que, d’une part, cet agriculteur soit en mesure de garantir qu’une telle surface est effectivement utilisée aux fins d’activités agricoles, et, d’autre part, qu’il puisse veiller au respect des exigences de fond relatives à l’exercice de ces activités agricoles.
35 Une surface agricole doit être considérée comme étant « gérée par un agriculteur » et « à la disposition » de celui-ci dès lors que ces deux conditions sont remplies. Elle doit également être qualifiée d’« hectare admissible » à ces paiements, même si, à la date fixée par l’État membre concernée, elle se trouve « sous la garde » des utilisateurs choisis par l’agriculteur. En outre, dès lors qu’un tel agriculteur exerce sur cette surface, à tout le moins, une activité agricole minimale, au sens de l’article 9, paragraphe 1, de ce règlement, lu à la lumière du considérant 10 de celui-ci, il doit être qualifié d’« agriculteur actif » aux fins de l’octroi des paiements directs visés à l’article 1er, sous a), dudit règlement.
36 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, d’une part, IJ procède au travail du sol, à la planification des cultures et à la mise en culture avant de remettre les différentes parcelles de la surface en cause aux utilisateurs choisis, aux fins de l’entretien et de la récolte, et se charge également de l’irrigation de ces parcelles. D’autre part, en vertu d’une convention d’utilisation conclue avec IJ, ces utilisateurs assument la « responsabilité » notamment d’enlever régulièrement les plantes adventices, et sont tenus de respecter les lignes directrices régissant l’agriculture biologique. Il apparaît ainsi, sous réserve des vérifications incombant à la juridiction de renvoi, que la surface en cause répond aux critères énoncés au points 34 et 35 du présent arrêt et que IJ est un « agriculteur actif », au sens de l’article 9 du règlement no 1307/2013, lu en combinaison avec l’article 4, paragraphe 1, sous b), de ce règlement.
37 À cet égard, il convient d’ajouter que la décision de renvoi ne fait état de l’existence, dans l’affaire au principal, d’aucun risque de demande de paiements directs pour la surface en cause de la part d’agriculteurs autres que IJ. Dans cette mesure, la présente affaire se distingue de celle qui a donné lieu à l’arrêt du 14 octobre 2010, Landkreis Bad Dürkheim (C‑61/09, EU:C:2010:606). Ainsi, à supposer que l’article 32, paragraphe 2, et l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 1307/2013 doivent faire l’objet de la même interprétation que, dans cet arrêt, la Cour a donnée de l’article 44, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1782/2003, en ce sens que, dans une situation telle que celle qui a donné lieu audit arrêt, ils exigent que l’exercice de l’activité agricole sur les surfaces concernées soit fait au nom et pour le compte de l’agriculteur qui demande les paiements directs, une telle exigence ne serait pas applicable dans la présente affaire [voir, par analogie, arrêt du 17 décembre 2020, Land Berlin (Droits au paiement liés à la PAC), C‑216/19, EU:C:2020:1046, points 43 et 44].
38 Au vu des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question posée que les dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 1, sous b) et c), et de l’article 33, paragraphe 1, du règlement no 1307/2013 doivent être interprétées en ce sens qu’elles ne s’opposent pas à ce qu’un agriculteur bénéficie des paiements directs visés à l’article 1er, sous a), de ce règlement, pour une surface dont il est propriétaire, et à ce que cette surface soit qualifiée d’« exploitation gérée » par cet agriculteur et « à la disposition » de celui-ci, lorsque, d’une part, les parcelles qui composent ladite surface sont remises à des utilisateurs choisis par ledit agriculteur, lesquels, contre le versement d’une rémunération fixe, se chargent de l’entretien de ces parcelles et de la récolte, et, d’autre part, le même agriculteur, sans avoir droit aux résultats de celle-ci, procède au travail initial du sol, à la plantation et à l’irrigation courante desdites parcelles, voire à l’entretien de celles-ci en cas de carence de ces utilisateurs.
Sur les dépens
39 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :
Les dispositions combinées de l’article 4, paragraphe 1, sous b) et c), et de l’article 33, paragraphe 1, du règlement (UE) no 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (CE) no 637/2008 du Conseil et le règlement (CE) no 73/2009 du Conseil,
doivent être interprétées en ce sens que :
elles ne s’opposent pas à ce qu’un agriculteur bénéficie des paiements directs visés à l’article 1er, sous a), de ce règlement, pour une surface dont il est propriétaire, et à ce que cette surface soit qualifiée d’« exploitation gérée » par cet agriculteur et « à la disposition » de celui-ci, lorsque, d’une part, les parcelles qui composent ladite surface sont remises à des utilisateurs choisis par ledit agriculteur, lesquels, contre le versement d’une rémunération fixe, se chargent de l’entretien de ces parcelles et de la récolte, et, d’autre part, le même agriculteur, sans avoir droit aux résultats de celle-ci, procède au travail initial du sol, à la plantation et à l’irrigation courante desdites parcelles, voire à l’entretien de celles-ci en cas de carence de ces utilisateurs.
Signatures
* Langue de procédure : l’allemand.
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