BAILII is celebrating 24 years of free online access to the law! Would you consider making a contribution?
No donation is too small. If every visitor before 31 December gives just £1, it will have a significant impact on BAILII's ability to continue providing free access to the law.
Thank you very much for your support!
[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
||
You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> H GmbH (Droit direct au remboursement de la TVA) (Harmonisation of tax laws - VAT - Judgment) French Text [2024] EUECJ C-83/23 (05 September 2024) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/C8323.html Cite as: ECLI:EU:C:2024:699, [2024] EUECJ C-83/23, EU:C:2024:699 |
[New search] [Contents list] [Help]
ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)
5 septembre 2024 (*)
« Renvoi préjudiciel – Harmonisation des législations fiscales – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – TVA indûment facturée et versée – Rectification de la facture – Liquidation du fournisseur – Remboursement au fournisseur de la TVA – Refus de l’autorité fiscale de rembourser la TVA directement à l’acquéreur – Priorité en matière de droit au remboursement de la TVA – Risque de double remboursement de la TVA – Risque de perte de recettes fiscales »
Dans l’affaire C‑83/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne), par décision du 3 novembre 2022, parvenue à la Cour le 15 février 2023, dans la procédure
H GmbH
contre
Finanzamt M,
LA COUR (septième chambre),
composée de M. F. Biltgen (rapporteur), président de chambre, M. N. Wahl et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,
avocat général : Mme T. Ćapeta,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 11 janvier 2024,
considérant les observations présentées :
– pour H GmbH, par Mes M. Boche, M. von Einem et A. Graf, Rechtsanwälte, MM. D. Hoffmanns et J. Scholz, Steuerberater,
– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et N. Scheffel, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes B. Eggers et J. Jokubauskaitė, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1), telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010 (JO 2010, L 189, p. 1) (ci-après la « directive TVA »), ainsi que de la directive 2008/9/CE du Conseil, du 12 février 2008, définissant les modalités du remboursement de la taxe sur la valeur ajoutée, prévu par la directive 2006/112, en faveur des assujettis qui ne sont pas établis dans l’État membre du remboursement, mais dans un autre État membre (JO 2008, L 44, p. 23).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant H GmbH, une société établie en Allemagne, au Finanzamt M (administration fiscale M, Allemagne) au sujet du droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) payée en amont et du remboursement de cette taxe à titre d’équité.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 L’article 167 de la directive TVA prévoit :
« Le droit à déduction prend naissance au moment où la taxe déductible devient exigible. »
4 L’article 168, sous a), de cette directive dispose :
« Dans la mesure où les biens et les services sont utilisés pour les besoins de ses opérations taxées, l’assujetti a le droit, dans l’État membre dans lequel il effectue ces opérations, de déduire du montant de la taxe dont il est redevable les montants suivants :
a) la TVA due ou acquittée dans cet État membre pour les biens qui lui sont ou lui seront livrés et pour les services qui lui sont ou lui seront fournis par un autre assujetti ».
5 L’article 178, sous a), de ladite directive énonce :
« Pour pouvoir exercer le droit à déduction, l’assujetti doit remplir les conditions suivantes :
a) pour la déduction visée à l’article 168, point a), en ce qui concerne les livraisons de biens et les prestations de services, détenir une facture établie conformément aux dispositions du titre XI, chapitre 3, sections 3 à 6 ».
6 Aux termes de l’article 203 de la même directive :
« La TVA est due par toute personne qui mentionne cette taxe sur une facture. »
Le droit allemand
L’UStG
7 L’article 14, paragraphe 4, de l’Umsatzsteuergesetz (loi relative à la taxe sur le chiffre d’affaires), dans sa version applicable au litige au principal (BGBl. 2013 I, p. 1809) (ci-après l’« UStG »), prévoit :
« La facture comprend les indications suivantes :
[...]
8. le taux de la taxe applicable ainsi que le montant de la taxe afférente à la contrepartie ou, en cas d’exonération, une mention indiquant que la livraison ou autre prestation bénéficie d’une exonération. »
8 Aux termes de l’article 14c, paragraphe 1, de l’UStG :
« Lorsque le chef d’entreprise a indiqué séparément sur la facture d’une livraison ou d’une “autre prestation” un montant de taxe supérieur à celui dont il est débiteur pour cette opération aux termes de la présente loi, il est aussi redevable de l’excédent. S’il rectifie le montant de la taxe à l’égard du bénéficiaire de la prestation, l’article 17, paragraphe 1, s’applique par analogie. […] »
9 L’article 15, paragraphe 1, de l’UStG énonce :
« L’entrepreneur peut déduire les montants suivants de taxe payée en amont :
1. la taxe légalement due pour les livraisons et autres prestations effectuées par un autre entrepreneur pour les besoins de son entreprise. L’exercice du droit à déduction suppose que l’entrepreneur détienne une facture établie conformément aux articles 14 et 14a. [...] ».
L’AO
10 L’Abgabenordnung (code des impôts), dans sa version applicable au litige au principal (BGBl. 2002 I, p. 3866) (ci-après l’« AO »), comporte un article 163, intitulé « Fixation dérogatoire de l’impôt pour des motifs d’équité », dont le paragraphe 1, première phrase, dispose :
« L’impôt peut être fixé à un montant inférieur et des bases d’imposition le majorant peuvent être omises lorsqu’il apparaît que le prélèvement de l’impôt serait inéquitable dans le cas particulier. »
11 L’article 227 de l’AO énonce :
« Les autorités fiscales peuvent accorder une remise totale ou partielle des créances nées d’une dette fiscale, s’il est inéquitable dans une situation donnée de la percevoir ; dans les mêmes conditions, les montants déjà acquittés peuvent être remboursés ou pris en compte. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
12 H, la requérante au principal, a succédé à une société en commandite simple établie en Allemagne (ci-après « KG »), qui avait pour objet social la location de biens meubles à d’autres entreprises, sous forme notamment de cession-bail. Le litige au principal concerne six opérations de cession-bail réalisées par KG au bénéfice d’E-GmbH, une autre société établie en Allemagne, au cours des années 2007, 2008, 2010 et 2012.
13 Dans le cadre de chacune de ces opérations, E-GmbH achetait un bateau à moteur neuf à E-sr, société établie en Italie. Les factures correspondantes portaient la mention « livraison intracommunautaire » et ne comportaient pas de TVA. Le prix d’achat de chaque bateau était intégralement payé par E-GmbH.
14 À la suite de chacun de ces achats, E-GmbH et KG concluaient, d’abord, une convention de cession‑bail, prévoyant, d’une part, la vente du bateau à KG au prix d’achat net majoré de la TVA allemande et, d’autre part, un accord sur un contrat de location portant transfert à E-GmbH du droit de jouissance de ce bateau. E-GmbH adressait, ensuite, à KG une facture de vente du bateau sur laquelle la TVA allemande était expressément libellée, mentionnait cette TVA dans ses déclarations fiscales et la reversait au Finanzamt X (administration fiscale X, Allemagne) dont elle relevait. Cette facture ne comportait aucune indication sur le lieu où se trouvait le bateau au moment de la vente. Dans ses déclarations de TVA, KG déduisait, au titre de la TVA versée en amont, la TVA mentionnée sur ladite facture. E-GmbH et KG concluaient, enfin, un contrat de location mobilière portant sur le bateau, pour une durée de 36 mois.
15 À l’occasion d’un contrôle d’E-GmbH portant sur l’année 2008, l’administration fiscale a constaté que, au moment où E-GmbH avait vendu les bateaux à KG, ceux-ci se trouvaient non pas en Allemagne, mais en Italie. En octobre 2012, E-GmbH a informé KG du fait qu’elle avait mentionné à tort la TVA allemande sur deux factures, respectivement émises en avril et en octobre 2008, et lui a indiqué que ces factures seraient régularisées.
16 À l’issue d’un contrôle de TVA diligenté dans les locaux de KG, le contrôleur a estimé que les livraisons de bateaux devaient être qualifiées de livraisons sans transport qui, selon l’article 31 de la directive TVA lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 7, de l’UStG, étaient imposables non pas en Allemagne, mais en Italie, où se trouvaient ces bateaux au moment de leur vente. Il a considéré que la TVA facturée par E-GmbH à KG était due en vertu de l’article 203 de la directive TVA et de l’article 14c de l’UStG, mais qu’elle ne pouvait être déduite par KG au titre de la TVA versée en amont.
17 L’administration fiscale M s’est ralliée à cette appréciation et a, conformément à l’article 173, paragraphe 1, point 1, de l’AO, émis à l’encontre de KG un avis rectificatif d’imposition à la TVA réduisant le montant de la TVA déduit par cette société au titre de l’année 2008, au cours de laquelle deux factures de vente de bateau avaient été établies. Elle a, par la suite, rejeté comme étant non fondée la réclamation formée contre cet avis rectificatif.
18 Quatre autres factures de vente de bateau avaient été établies au cours des années 2006, 2010 et 2012. L’administration fiscale M a également émis des avis rectificatifs d’imposition à la TVA pour les années 2007 et 2010, portant sur la déduction de la TVA versée en amont au titre des factures établies au titre des années 2006 et 2010. La réclamation formée contre ces avis rectificatifs ayant été rejetée comme étant non fondée par l’administration fiscale M, KG lui a reversé cette TVA. Enfin, KG n’a procédé à aucune déduction de TVA au titre des ventes de bateaux considérées dans la déclaration annuelle de TVA de l’année 2012.
19 Au cours de l’année 2014, E-GmbH a fait l’objet d’une procédure d’insolvabilité. L’administrateur judiciaire chargé de la liquidation de cette société a rectifié les six factures relatives à la livraison des bateaux, en supprimant la mention de la TVA qui y figurait à tort. L’administration fiscale X a indiqué que l’administrateur judiciaire avait présenté les factures régularisées, le 10 décembre 2014, et qu’il avait déposé une demande de rectification, le 8 janvier 2015. Elle a accueilli cette demande et a remboursé la TVA correspondante, qui a été reversée à la masse de l’insolvabilité, tout en informant le représentant fiscal de l’administrateur judiciaire qu’il était tenu de soumettre les opérations à la TVA en Italie. Selon la requérante au principal, l’administrateur judiciaire aurait toutefois refusé d’émettre des factures comportant la TVA italienne. La requérante au principal n’aurait pas cité E‑GmbH en justice en vue d’obtenir de telles factures.
20 KG a, sur le fondement de l’article 163 de l’AO, demandé à l’administration fiscale M, pour des raisons d’équité, de recalculer la TVA pour les années 2007, 2008, 2010 et 2012. L’administration fiscale a rejeté cette demande et a, par la suite, également rejeté la réclamation de KG contre cette décision comme étant non fondée.
21 Le recours introduit par la requérante au principal devant le Finanzgericht Düsseldorf (tribunal des finances de Düsseldorf, Allemagne) a été rejeté au motif que l’administration fiscale M n’était pas tenue de lui restituer la TVA qui avait été indûment facturée, dès lors que cette TVA avait été reversée à la masse de l’insolvabilité d’E-GmbH. En outre, selon cette juridiction, la requérante au principal ne détiendrait sur E-GmbH aucun droit à caractère civil au remboursement de ladite TVA, mais aurait seulement un droit à se voir délivrer une facture comportant la TVA italienne.
22 La requérante au principal a introduit un recours en Revision devant le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances, Allemagne).
23 En premier lieu, la juridiction de renvoi relève qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour, en particulier de l’arrêt du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken (C‑35/05, EU:C:2007:167), l’existence, dans certaines circonstances, d’un « droit direct » du destinataire d’une facture comportant une TVA indue d’obtenir la restitution de cette TVA auprès de l’administration fiscale. Dernièrement, dans l’arrêt du 13 octobre 2022, HUMDA (C‑397/21, EU:C:2022:790), la Cour, en application de cette jurisprudence, aurait décidé qu’une réglementation nationale en vertu de laquelle, d’une part, le fournisseur qui a versé la TVA par erreur aux autorités fiscales peut en demander le remboursement et, d’autre part, le preneur de services peut exercer une action de droit civil en répétition de l’indu contre ce fournisseur, respecte les principes de neutralité de la TVA et d’effectivité, puisqu’elle permet au preneur, qui a supporté la charge de la TVA facturée par erreur, d’obtenir le remboursement des sommes indûment versées. Dans cet arrêt, la Cour aurait également indiqué que, si le remboursement de la TVA devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d’insolvabilité du fournisseur, le preneur de services peut, sur le fondement des principes de neutralité de la TVA et d’effectivité, obtenir le remboursement directement auprès de l’administration fiscale. Selon la juridiction de renvoi, la Cour a jugé, dans ledit arrêt, que cette dernière possibilité s’applique également lorsque, en raison d’une erreur sur le lieu exact de la prestation, la taxe a été acquittée dans le mauvais État membre si, en l’absence d’abus ou de fraude, le prestataire et le preneur de services étant tous deux de bonne foi, il n’existe pas de risque de perte de recettes fiscales.
24 La juridiction de renvoi estime que l’affaire en cause au principal se rapproche, par certaines de ses circonstances, de celle à l’origine de l’arrêt du 13 octobre 2022, HUMDA (C‑397/21, EU:C:2022:790). Elle doute, cependant, que la solution retenue dans cet arrêt puisse être transposée à l’affaire en cause au principal. Plus particulièrement, ledit arrêt ne répondrait pas à la question de savoir s’il existe un « droit direct » à restitution dans un cas où, comme en l’espèce, il convient de remplacer la TVA nationale figurant sur la facture initiale par une TVA plus élevée d’un autre État membre. La juridiction de renvoi se demande si, en considération de l’ensemble de l’Union européenne et en incluant l’État membre dans lequel la prestation a été effectivement accomplie, il n’existerait pas plutôt un droit à la délivrance d’une facture mentionnant la taxe italienne. Dans ce contexte, ce même arrêt ne trancherait pas non plus la question de savoir si le « droit direct » au remboursement pourrait, dans une situation telle que celle en cause au principal, être soumis à la condition que l’acquéreur ait engagé une action civile en vue d’obtenir la délivrance, de la part du fournisseur insolvable, d’une facture mentionnant la TVA de cet autre État membre. Se poserait, par ailleurs, la question de savoir si des considérations tirées de la lutte contre la fraude pourraient, dans une telle situation, avoir une incidence sur le droit de l’acquéreur de réclamer directement auprès de l’administration fiscale le remboursement de la TVA indûment facturée et payée. À cet égard, la juridiction de renvoi souligne que la circonstance que le liquidateur d’E-GmbH ne déclarera pas en Italie la TVA italienne légalement due pourrait, en droit italien, conduire à une fraude à la TVA en Italie.
25 En second lieu, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, dans une situation telle que celle en cause au principal, l’administration fiscale doit privilégier le droit à restitution de l’émetteur de la facture en raison de la régularisation de la facture ou le « droit direct » du destinataire de la facture. Elle se demande, à cet égard, s’il faut tenir compte du fait que la chaîne de remboursement habituelle ne peut être suivie en raison de l’insolvabilité de l’émetteur de la facture et/ou des particularités chronologiques telles que, par exemple, le fait que, au moment de procéder à la restitution de la TVA à l’émetteur de la facture, l’administration fiscale savait que ce dernier était insolvable et pouvait donc entrevoir la possibilité de l’existence d’un « droit direct » au remboursement dans le chef du destinataire de la facture.
26 Dans ces conditions, le Bundesfinanzhof (Cour fédérale des finances) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Le bénéficiaire d’une prestation, établi sur le territoire national, a‑t-il un “droit direct” contre l’administration fiscale nationale conformément à l’arrêt [du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken (C‑35/05, EU:C:2007:167)], lorsque
a) le bénéficiaire de la prestation reçoit du fournisseur de la prestation, également établi sur le territoire national, une facture mentionnant la taxe nationale, que le destinataire de la prestation paie tandis que le fournisseur de la prestation reverse dûment la taxe mentionnée sur la facture,
b) la prestation facturée est une prestation fournie dans un autre État membre,
c) le bénéficiaire de la prestation est, de ce fait, privé sur le territoire national du droit à déduction de la taxe, en l’absence de taxe légalement due sur le territoire national,
d) le fournisseur régularise ensuite la facture en omettant la mention de la taxe nationale, réduisant dès lors le montant de la facture à concurrence de la taxe qui avait été mentionnée,
e) le bénéficiaire de la prestation ne peut pas agir en payement contre le fournisseur en raison de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité sur le patrimoine du fournisseur et
f) le fournisseur, qui n’est pas encore enregistré dans l’autre État membre, a la possibilité de s’enregistrer à la TVA dans cet État membre, de sorte qu’il pourrait ensuite, en indiquant un numéro d’identification fiscale de cet État membre, adresser au bénéficiaire de la prestation une facture mentionnant la taxe de cet État membre, qui permettrait au bénéficiaire de la prestation de déduire dans cet État membre la TVA versée en amont selon la procédure particulière prévue par la directive [2008/9] ?
2) Le fait que l’administration fiscale nationale a restitué au fournisseur la taxe payée, en raison de la simple régularisation de la facture, bien que le fournisseur n’ait rien remboursé au bénéficiaire de la prestation du fait de l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité visant son patrimoine, a-t-il une incidence sur la réponse à cette question ? »
Sur les questions préjudicielles
27 Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la directive TVA, lue à la lumière des principes d’effectivité et de neutralité de la TVA, doit être interprétée en ce sens que le bénéficiaire d’une prestation peut demander directement à l’administration fiscale de l’État membre sur le territoire duquel il est établi la restitution de la TVA qu’il a versée au fournisseur de cette prestation, lequel a facturé par erreur la TVA nationale de cet État membre au lieu de la TVA légalement due dans un autre État membre et l’a reversée aux autorités fiscales du premier État membre, dans le cas où ces dernières ont déjà remboursé la TVA au fournisseur de la prestation qui fait l’objet d’une procédure de liquidation.
28 À titre liminaire, il importe de rappeler que le principe de neutralité de la TVA, qui est au cœur du système commun de TVA mis en place par la législation de l’Union, est assuré par le mécanisme du droit à déduction visant à soulager entièrement l’entrepreneur du poids de la TVA due ou acquittée dans le cadre de toutes ses activités économiques et garantissant, par conséquent, la neutralité quant à la charge fiscale de toutes les activités économiques, quels que soient les buts ou les résultats de ces activités, à condition que lesdites activités soient, en principe, elles-mêmes soumises à la TVA (arrêt du 13 octobre 2022, HUMDA, C‑397/21, EU:C:2022:790, point 18 et jurisprudence citée).
29 Cette prémisse posée, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, en l’absence de disposition, dans la directive TVA, relative à la régularisation, par l’émetteur de la facture, de la TVA indûment facturée, il appartient, en principe, aux États membres de déterminer les conditions dans lesquelles cette TVA peut être régularisée (arrêt du 13 octobre 2022, HUMDA, C‑397/21, EU:C:2022:790, point 19 et jurisprudence citée).
30 Afin d’assurer la neutralité de la TVA, il appartient aux États membres de prévoir, dans leur ordre juridique interne, la possibilité de régularisation de toute taxe indûment facturée, dès lors que l’émetteur de la facture démontre sa bonne foi (arrêt du 13 octobre 2022, HUMDA, C‑397/21, EU:C:2022:790, point 20 et jurisprudence citée).
31 En l’occurrence, la juridiction de renvoi s’interroge sur le caractère transposable à la présente affaire de la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken (C‑35/05, EU:C:2007:167), lequel portait sur les principes de neutralité, d’effectivité et de non-discrimination.
32 Dans cet arrêt, s’agissant de la question de savoir si un preneur de services a le droit de demander le remboursement de la TVA au fournisseur qui a facturé celle-ci à tort, et qui pourrait à son tour en demander le remboursement à l’autorité fiscale, ou si un tel preneur doit pouvoir diriger sa demande directement contre cette autorité, la Cour a jugé que, en principe, un système dans lequel, d’une part, le fournisseur qui a versé par erreur aux autorités fiscales la TVA peut en demander le remboursement et, d’autre part, le preneur de services peut exercer une action de droit civil en répétition de l’indu contre ce fournisseur, respecte les principes de neutralité et d’effectivité. En effet, un tel système permet audit preneur qui a supporté la charge de la taxe facturée par erreur d’obtenir le remboursement des sommes indûment versées (arrêt du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken, C‑35/05, EU:C:2007:167, point 39).
33 La Cour a ajouté que, si le remboursement de la TVA devient impossible ou excessivement difficile, notamment en cas d’insolvabilité du fournisseur, ces principes peuvent exiger que le preneur de services puisse diriger sa demande de remboursement directement contre les autorités fiscales. Ainsi, les États membres doivent prévoir les instruments et les modalités procédurales nécessaires pour permettre audit preneur de récupérer la taxe indûment facturée afin de respecter le principe d’effectivité (arrêt du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken, C‑35/05, EU:C:2007:167, point 41).
34 À cet égard, il convient de préciser que, ainsi que la juridiction de renvoi l’a elle-même relevé dans sa demande de décision préjudicielle, le droit au remboursement direct d’une TVA indûment facturée tel qu’il découle de la jurisprudence de la Cour porte sur la TVA nationale indue dans l’État membre dans lequel elle a été facturée et au budget duquel elle a été versée (voir, en ce sens, arrêt du 13 octobre 2022, HUMDA, C‑397/21, EU:C:2022:790, point 25). Le droit au remboursement direct de la TVA indûment facturée dont bénéficie, dans certaines conditions, le destinataire d’une facture porte ainsi sur la TVA que l’État membre concerné a reçue de la part de l’émetteur de la facture.
35 S’il est vrai que le litige en cause au principal porte sur les demandes de remboursement d’une TVA indûment facturée et payée, force est toutefois de constater que, en l’espèce, l’administration fiscale X a déjà reversé la TVA indûment payée par le preneur de services à la masse de l’insolvabilité du fournisseur de services.
36 Dans ces conditions, la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken (C‑35/05, EU:C:2007:167), ne saurait être transposée à une situation telle que celle en cause au principal.
37 En effet, si, en cas de TVA indûment facturée et payée, une administration fiscale ayant, sur demande du fournisseur de services, déjà procédé au remboursement de la TVA devait, en application de la jurisprudence issue de l’arrêt du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken (C‑35/05, EU:C:2007:167), également rembourser cette TVA au preneur de services, alors l’administration fiscale serait tenue de rembourser deux fois la TVA.
38 À cet égard, il convient de rappeler que la Cour a itérativement jugé que, lorsqu’un fournisseur a erronément facturé et acquitté une TVA, celle-ci doit, en principe, être remboursée à ce fournisseur. En effet, le droit d’obtenir le remboursement de taxes perçues dans un État membre en violation des règles du droit de l’Union est la conséquence et le complément des droits conférés aux justiciables par les dispositions du droit de l’Union telles qu’elles ont été interprétées par la Cour. L’État membre concerné est donc tenu, en principe, de rembourser les taxes perçues en violation du droit de l’Union. La demande de remboursement de la TVA indûment versée relève du droit à la répétition de l’indu, qui tend à remédier aux conséquences de l’incompatibilité de la taxe avec le droit de l’Union en neutralisant la charge économique qu’elle a fait indûment peser sur l’opérateur qui l’a, en définitive, effectivement supportée. Or, le principe de neutralité de la TVA, qui constitue un principe fondamental du système commun de TVA, vise à soulager entièrement l’assujetti du poids de la TVA dans le cadre de ses activités économiques (voir, en ce sens, arrêt du 2 juillet 2020, Terracult, C‑835/18, EU:C:2020:520, points 23 à 25).
39 La circonstance que, tout comme dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 15 mars 2007, Reemtsma Cigarettenfabriken (C‑35/05, EU:C:2007:167), le fournisseur de services dans la présente affaire est en liquidation n’est pas pertinente en l’espèce.
40 En effet, la jurisprudence issue de cet arrêt n’a pas pour objet de remettre en cause l’ordre de priorité des créanciers dans le cadre des procédures de liquidation.
41 Dans de telles conditions, il est certes vrai qu’il ne pouvait d’emblée être exclu que l’acquéreur se retrouverait dans une situation dans laquelle l’exercice d’une action civile contre l’administrateur judiciaire chargé de la liquidation du fournisseur de services en vue de se voir établir une facture comprenant la TVA italienne était impossible ou excessivement difficile, et qu’il serait amené, par la suite, à adresser une demande de remboursement directement à l’administration fiscale. Toutefois, sauf à faire peser une charge déraisonnable sur l’administration fiscale, il ne saurait être exigé de celle-ci qu’elle tienne compte de la circonstance que, dans une situation telle que celle en cause au principal, la chaîne habituelle de remboursement était gravement perturbée, voire interrompue, en raison du fait que le fournisseur était en liquidation, de sorte que la TVA qui allait lui être remboursée par l’administration fiscale allait tomber dans la masse de l’insolvabilité et risquait de ne pas être remboursée à l’acquéreur.
42 Il est également vrai que la lutte contre la fraude, l’évasion fiscale et les abus éventuels est un objectif reconnu et encouragé par la directive TVA de sorte que les autorités fiscales doivent non seulement effectuer les contrôles nécessaires auprès des assujettis afin de détecter des irrégularités et des fraudes à la TVA, mais également vérifier les déclarations des assujettis, les comptes de ces derniers et les autres documents pertinents (voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2012, Mahagében et Dávid, C‑80/11 et C‑142/11, EU:C:2012:373, points 62 et 63 ainsi que jurisprudence citée).
43 Pour autant, exiger, en l’occurrence, de l’administration fiscale allemande qu’elle détermine si la circonstance que l’administrateur judiciaire chargé de la liquidation du fournisseur de services ne déclarera pas en Italie la TVA italienne légalement due constitue, en vertu du droit italien, une fraude à la TVA dans cet État membre va au-delà de ce qui peut être raisonnablement imposé à une administration fiscale nationale en vertu de l’objectif rappelé au point précédent.
44 Il convient encore de rappeler que la possibilité pour l’acquéreur ou le preneur d’adresser sa demande de remboursement de la TVA indûment facturée et payée « directement » à l’administration fiscale constitue une exception et n’est, ainsi qu’il résulte de la jurisprudence citée au point 33 du présent arrêt, ouverte que si le recouvrement de cette TVA auprès du fournisseur ou du prestataire est impossible ou excessivement difficile, ce qui présuppose que l’acquéreur ou le preneur n’ait négligé aucune possibilité de faire valoir ses droits en dehors de cette situation.
45 Or, ainsi qu’il ressort de la décision de renvoi et, en particulier, des circonstances présentées par la juridiction de renvoi dans sa formulation de la première question, en l’espèce, le fournisseur, qui n’est pas encore enregistré dans l’État membre dans lequel la TVA est légalement due, a la possibilité de s’enregistrer à la TVA dans cet État membre, de sorte qu’il pourrait ensuite, en indiquant un numéro d’identification fiscale dudit État membre, adresser au bénéficiaire de la prestation une facture mentionnant la taxe du même État membre, qui permettrait au bénéficiaire de la prestation de déduire dans celui-ci la TVA versée en amont.
46 Par conséquent, ainsi que la juridiction de renvoi l’a relevé, en l’occurrence, la requérante au principal aurait, afin de ne pas devoir supporter le coût de la TVA concernée, pu engager une action civile contre l’administrateur judiciaire chargé de la liquidation du fournisseur de services en vue de se voir établir une facture comprenant la TVA italienne, action qu’elle n’a pas entreprise.
47 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions préjudicielles que la directive TVA, lue à la lumière des principes d’effectivité et de neutralité de la TVA, doit être interprétée en ce sens que le bénéficiaire d’une prestation ne peut demander directement à l’administration fiscale de l’État membre sur le territoire duquel il est établi la restitution de la TVA qu’il a versée au fournisseur de cette prestation, lequel a facturé par erreur la TVA nationale de cet État membre au lieu de la TVA légalement due dans un autre État membre et l’a reversée aux autorités fiscales du premier État membre dans le cas où ces dernières ont déjà remboursé la TVA au fournisseur de la prestation qui fait l’objet d’une procédure de liquidation.
Sur les dépens
48 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :
La directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, telle que modifiée par la directive 2010/45/UE du Conseil, du 13 juillet 2010, lue à la lumière des principes d’effectivité et de neutralité de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA),
doit être interprétée en ce sens que :
le bénéficiaire d’une prestation ne peut demander directement à l’administration fiscale de l’État membre sur le territoire duquel il est établi la restitution de la TVA qu’il a versée au fournisseur de cette prestation, lequel a facturé par erreur la TVA nationale de cet État membre au lieu de la TVA légalement due dans un autre État membre et l’a reversée aux autorités fiscales du premier État membre dans le cas où ces dernières ont déjà remboursé la TVA au fournisseur de la prestation qui fait l’objet d’une procédure de liquidation.
Signatures
* Langue de procédure : l’allemand.
© European Union
The source of this judgment is the Europa web site. The information on this site is subject to a information found here: Important legal notice. This electronic version is not authentic and is subject to amendment.
BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/C8323.html