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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Kesaev v Council (Common foreign and security policy - Restrictive measures taken in view of actions undermining or threatening the territorial integrity, sovereignty and independence of Ukraine - Judgment) French Text [2024] EUECJ T-290/22 (04 September 2024) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/T29022.html Cite as: ECLI:EU:T:2024:575, [2024] EUECJ T-290/22, EU:T:2024:575 |
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DOCUMENT DE TRAVAIL
ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)
4 septembre 2024 (*)
« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste – Notion de “femme ou homme d’affaires influents” – Notion de “femme ou homme d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie” – Article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145/PESC – Article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement (UE) no 269/2014 – Exception d’illégalité – Erreur d’appréciation – Droit d’être entendu – Droit de propriété – Proportionnalité – Sécurité juridique – Égalité de traitement »
Dans les affaires T‑290/22 et T‑763/22,
Igor Albertovich Kesaev, demeurant à Usovo (Russie), représenté par Mes R. Moeyersons et A. De Jonge, avocats,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par M. S. Emmerechts, Mme S. Van Overmeire et M. B. Driessen, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (première chambre),
composé de MM. D. Spielmann, président, T. Tóth et S. L. Kalėda (rapporteur), juges,
greffier : M. L. Ramette, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 22 janvier 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par ses recours fondés sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Igor Albertovich Kesaev, demande l’annulation :
– dans l’affaire T‑290/22, du règlement d’exécution (UE) 2022/581 du Conseil, du 8 avril 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 110, p. 3) ;
– dans l’affaire T‑763/22 :
– de la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 149), et du règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 239, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « premiers actes de maintien ») ;
– de la décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 104), et du règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « troisièmes actes de maintien »), en tant que l’ensemble de ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») le concernent.
I. Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction des recours
2 Le requérant est de nationalité russe.
3 La présente affaire s’inscrit dans le contexte des mesures restrictives décidées par l’Union européenne eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
4 Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16).
5 Le même jour, le Conseil a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) no 269/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).
6 Le 25 février 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1) et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin notamment d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.
7 L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, dans sa version modifiée par la décision 2022/329, prévoit ce qui suit :
« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :
[…]
« f) à des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes qui apportent un soutien matériel ou financier au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine, ou qui tirent avantage de ce gouvernement ; ou
g) à des femmes et hommes d’affaires influents ou des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine,
et les personnes physiques et morales, les entités ou les organismes qui leur sont associés, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent, dont la liste figure en annexe.
2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »
8 Le règlement no 269/2014 modifié impose l’adoption des mesures de gel de fonds et définit les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145 modifiée.
A. Inscription initiale du nom du requérant sur la liste annexée à la décision 2014/145 modifiée et sur celle figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014 modifié (ci-après les « listes litigieuses »)
9 Le 8 avril 2022, le Conseil a adopté le règlement d’exécution 2022/581 ainsi que la décision (PESC) 2022/582, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2022, L 110, p. 55) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »). Par ces actes, le nom du requérant a été ajouté sur les listes litigieuses pour les motifs suivants :
« [Le requérant] est le propriétaire et président de Mercury Group, qui détient Megapolis Group, le principal distributeur de tabac en Russie. Il a des liens avec le gouvernement de la Fédération de Russie et ses forces de sécurité par l’intermédiaire du Monolit Fund, géré par d’anciens officiers des services de sécurité russes, qui fournit une aide financière aux officiers des services de sécurité et au personnel militaire à la retraite. En outre, il est le principal actionnaire de l’usine Degtyarev, une société russe qui produit des armes utilisées par les forces armées russes.
Il est un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, lequel est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. De plus, il apporte un soutien matériel au gouvernement de la Fédération de Russie dont il tire avantage ».
10 Le Conseil a publié au Journal officiel de l’Union européenne du 11 avril 2022 (JO 2022, C 157, p. 11), un avis à l’attention des personnes, entités et organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par les actes initiaux. Cet avis indiquait, notamment, que les personnes concernées pouvaient adresser au Conseil une demande de réexamen de la décision par laquelle leurs noms avaient été inscrits sur les listes annexées auxdits actes, en y joignant des pièces justificatives.
B. Maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses jusqu’au 15 mars 2023
11 Le 14 septembre 2022, le Conseil a adopté les premiers actes de maintien. Par ces actes, le nom du requérant a été maintenu sur les listes litigieuses pour les mêmes motifs que ceux figurant dans le règlement d’exécution 2022/581.
12 Le 15 septembre 2022, le Conseil a publié au Journal officiel un nouvel avis à l’attention des personnes, entités et organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par les premiers actes de maintien (JO 2022, C 353 I, p. 2).
13 Le 31 octobre 2022, le requérant a adressé au Conseil une demande de réexamen.
C. Maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses jusqu’au 15 septembre 2023
14 Par courrier du 22 décembre 2022, le Conseil a informé le requérant de son intention de maintenir les mesures restrictives à son égard en modifiant les motifs d’inscription sur le fondement du dossier de preuves portant la référence WK 17628/2022 INIT.
15 Le 13 mars 2023, sur le fondement de l’article 29 TUE et de l’article 215 TFUE, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75I, p. 134) et, d’autre part, le règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 75I, p. 1) (ci-après, ensemble, les « deuxièmes actes de maintien »).
16 Le 8 juin 2023, le requérant a adapté ses conclusions, afin que son recours vise également les deuxièmes actes de maintien. Par décision du 29 juin 2023, sur proposition du juge rapporteur, le président de la première chambre, ayant constaté que le délai pour demander l’annulation de ces actes avait expiré le 6 juin 2023, a décidé de ne pas verser au dossier le mémoire en adaptation du 8 juin 2023.
D. Modification des critères d’inscription sur les listes litigieuses
17 Le 5 juin 2023, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2023/1094, modifiant la décision 2014/145 (JO 2023, L 146, p. 20), et le règlement (UE) 2023/1089, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2023, L 146, p. 1).
18 La décision 2023/1094 a modifié, à partir du 7 juin 2023, les critères d’inscription des noms des personnes visées par le gel des fonds. Le texte de l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 étant remplacé par le texte suivant :
« g) à des femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie et aux membres de leur famille proche ou à d’autres personnes physiques, qui en tirent avantage, ou à des femmes et hommes d’affaires, des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine [...] »
19 Le règlement 2023/1089 a modifié de façon similaire le règlement no 269/2014.
E. Maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses jusqu’au 15 mars 2024
20 Le 13 septembre 2023, le Conseil a adopté les troisièmes actes de maintien, lesquels ont eu pour effet de renouveler les mesures à l’encontre du requérant jusqu’au 15 mars 2024, pour les motifs suivants :
« [Le requérant] est actionnaire et ancien président de Mercury Group, qui est associé à Megapolis Group, le principal distributeur de tabac en Russie. Il a des liens avec le gouvernement de la Fédération de Russie et ses forces de sécurité par l’intermédiaire du Monolit Fund, géré par d’anciens officiers des services de sécurité russes, qui fournit une aide financière aux officiers des services de sécurité et au personnel militaire à la retraite.
Il est l’un des principaux actionnaires de Mercury Group et de Megapolis Group, ainsi que de la société par actions “Turbokholod” et de la société à responsabilité limitée “Consensus-R”, qui contribuent au Monolit Fund. En outre, par son intérêt dans la société d’investissement OOO Globalvoyentreyding, il est le principal actionnaire de l’usine Degtyarev, une société russe qui produit des armes utilisées par les forces armées russes. Il détient des parts dans les chaînes d’alcool Red &White et Bristol et exerce un contrôle sur la société à responsabilité limitée International Tobacco Group.
Il est donc un homme d’affaires influent exerçant des activités en Russie ainsi qu’un homme d’affaires intervenant dans des secteurs économiques constituant une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. De plus, il apporte un soutien matériel au gouvernement de la Fédération de Russie, dont il tire avantage. »
II. Conclusions des parties
21 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler les actes attaqués en tant qu’ils le concernent ;
– condamner le Conseil aux dépens.
22 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter les recours ;
– déclarer irrecevable la demande d’annulation des troisièmes actes de maintien ;
– à titre subsidiaire, en cas d’annulation de la décision 2022/1530, maintenir les effets de cette décision jusqu’à la prise d’effets de l’annulation partielle du règlement d’exécution 2022/1529 ;
– condamner le requérant aux dépens.
III. En droit
23 Les parties ayant été entendues à cet égard, le Tribunal décide de joindre les présentes affaires aux fins de l’arrêt, conformément à l’article 68 de son règlement de procédure.
A. Sur la recevabilité de l’adaptation des conclusions
24 Par un mémoire en adaptation déposé au greffe du Tribunal le 8 décembre 2023, le requérant demande, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, l’annulation des troisièmes actes de maintien.
25 Le Conseil conteste la recevabilité de cette adaptation aux motifs que celle-ci, d’une part, ne viserait pas des actes qui modifieraient ou remplaceraient des actes précédemment contestés et, d’autre part, serait tardive.
1. Sur la recevabilité ratione temporis
26 Aux termes de l’article 263, sixième alinéa, TFUE, le recours en annulation doit être formé dans un délai de deux mois à compter, suivant le cas, de la publication de l’acte attaqué, de sa notification à la partie requérante ou, à défaut, du jour où celle-ci en a eu connaissance.
27 En vertu de l’article 86, paragraphes 1 et 2, du règlement de procédure, lorsqu’un acte dont l’annulation est demandée est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, le requérant peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau. L’adaptation de la requête doit être effectuée par acte séparé et dans le délai, prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, dans lequel l’annulation de l’acte justifiant l’adaptation de la requête peut être demandée.
28 Selon la jurisprudence, le principe de protection juridictionnelle effective implique que l’institution de l’Union qui adopte ou maintient des mesures restrictives individuelles à l’égard d’une personne ou d’une entité, comme c’est le cas en l’espèce, communique les motifs sur lesquels ces mesures sont fondées, soit au moment où ces mesures sont adoptées, soit, à tout le moins, aussi rapidement que possible après leur adoption, afin de permettre à ces personnes ou à ces entités l’exercice de leur droit de recours (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 54 et jurisprudence citée).
29 Cette situation découle de la nature particulière des actes imposant des mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, lesquels s’apparentent à la fois à des actes de portée générale, dans la mesure où ils interdisent à une catégorie de destinataires déterminés de manière générale et abstraite, notamment, de mettre des fonds et des ressources économiques à la disposition des personnes et des entités dont les noms figurent sur les listes établies dans leurs annexes, et à un faisceau de décisions individuelles à l’égard de ces personnes et de ces entités (voir arrêt du 23 avril 2013, Gbagbo e.a./Conseil, C‑478/11 P à C‑482/11 P, EU:C:2013:258, point 56 et jurisprudence citée).
30 En l’occurrence, il est fait application du principe de protection juridictionnelle effective à l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 269/2014, aux termes duquel « le Conseil communique à la personne physique ou morale, à l’entité ou à l’organisme [dont il décide d’inscrire le nom à l’annexe I de ce règlement] sa décision et l’exposé des motifs, soit directement, si son adresse est connue, soit par la publication d’un avis, en lui donnant la possibilité de présenter des observations ». L’article 3, paragraphe 2, de la décision 2014/145 prévoit une disposition de teneur identique.
31 Bien que ces dispositions ne prévoient pas l’obligation expresse, à l’égard du Conseil, de notifier aux personnes ou entités concernées les actes par lesquels il maintient l’inscription de leurs noms sur les listes litigieuses, une telle obligation de notification résulte du principe de protection juridictionnelle effective (voir, par analogie, arrêt du 21 avril 2021, El-Qaddafi/Conseil, T‑322/19, EU:T:2021:206, points 56 et 57).
32 Il en découle que, d’une part, si l’entrée en vigueur d’actes tels que les troisièmes actes de maintien a lieu en vertu de leur publication, le délai pour l’introduction d’un recours en annulation contre ces actes en vertu de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE court, pour chacune desdites personnes et entités, à compter de la date de la communication qui doit lui être faite (voir arrêt du 23 octobre 2015, Oil Turbo Compressor/Conseil, T‑552/13, EU:T:2015:805, point 41 et jurisprudence citée). De même, le délai pour la présentation d’une demande visant à contester ou à étendre les conclusions et les moyens à un acte qui maintient ces mesures commence à courir uniquement à partir de la date de la communication de ce nouvel acte à la personne ou à l’entité concernée (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 56 et jurisprudence citée).
33 Partant, le délai pour l’introduction d’un recours en annulation contre un acte imposant de telles mesures à l’égard d’une personne ou d’une entité commence uniquement à courir soit à partir de la date de la communication individuelle de cet acte à l’intéressé, si son adresse est connue, soit à partir de la publication d’un avis au Journal officiel, lorsqu’il est impossible de procéder à la communication directe de cet acte à l’intéressé (voir arrêt du 23 octobre 2015, Oil Turbo Compressor/Conseil, T‑552/13, EU:T:2015:805, point 42 et jurisprudence citée).
34 D’autre part, le Conseil n’est pas libre de choisir le mode de communication aux personnes intéressées des actes par lesquels il les soumet à des mesures restrictives. Une communication indirecte de tels actes par la publication d’un avis au Journal officiel n’est autorisée que dans les seuls cas où il est impossible pour le Conseil de procéder à une communication individuelle. À défaut, il serait permis au Conseil de se soustraire aisément à son obligation de communication individuelle (voir, en ce sens, ordonnance du 10 juin 2016, Pshonka/Conseil, T‑381/14, EU:T:2016:361, point 41 et jurisprudence citée).
35 Partant, lorsque le Conseil dispose de l’adresse d’une personne visée par des mesures restrictives, à défaut de communication directe des actes comportant ces mesures, le délai de recours que cette personne doit respecter pour contester ces actes devant le Tribunal ne commence pas à courir. Ainsi, ce n’est que lorsqu’il est impossible de communiquer individuellement à l’intéressé les actes par lesquels des mesures restrictives sont adoptées ou maintenues à son égard que la publication d’un avis au Journal officiel fait commencer à courir ce délai (voir arrêt du 21 avril 2021, El-Qaddafi/Conseil, T‑322/19, EU:T:2021:206, point 62 et jurisprudence citée).
36 À cet égard, le Conseil peut être considéré comme étant dans l’impossibilité de communiquer individuellement à une personne physique ou morale ou à une entité un acte comportant des mesures restrictives la concernant soit lorsque l’adresse de cette personne ou de cette entité n’est pas publique et ne lui a pas été fournie, soit lorsque la communication envoyée à l’adresse dont le Conseil dispose échoue, en dépit des démarches qu’il a entreprises, avec toute la diligence requise, afin d’effectuer une telle communication (voir arrêt du 21 avril 2021, El-Qaddafi/Conseil, T‑322/19, EU:T:2021:206, point 63 et jurisprudence citée).
37 Par ailleurs, il n’est, en principe, pas permis au Conseil de s’acquitter de l’obligation de communication à l’intéressé d’un acte comportant des mesures restrictives à son égard en adressant la notification de cet acte aux avocats qui le représentent. La notification au représentant d’un requérant ne vaut notification au destinataire que lorsqu’une telle forme de notification est prévue expressément par une réglementation, lorsqu’il existe un accord en ce sens entre les parties ou lorsque l’avocat est dûment mandaté pour recevoir une telle notification pour le compte de son client (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 74 et jurisprudence citée).
38 Afin de déterminer la date de la communication à partir de laquelle ont commencé à courir les délais que le requérant devait respecter pour contester les troisièmes actes de maintien devant le Tribunal, il y a lieu de définir les modalités selon lesquelles le Conseil était tenu de lui communiquer ces actes.
39 Les troisièmes actes de maintien ont été adoptés le 13 septembre 2023. À cet égard, il est constant que le Conseil a, d’une part, communiqué ces actes à l’avocat du requérant par courrier recommandé avec accusé de réception, parvenu à son destinataire le 18 septembre 2023 et, d’autre part, publié le 14 septembre 2023 au Journal officiel de l’Union européenne un avis à l’attention des personnes, entités et organismes faisant l’objet des mesures restrictives prévues par ces actes (JO 2023, C 324, p. 3).
40 En premier lieu, il convient de vérifier si le Conseil pouvait valablement s’acquitter de l’obligation, qui lui incombe, de communiquer les troisièmes actes de maintien au requérant par l’envoi de ces actes à son avocat.
41 En l’espèce, premièrement, il convient de constater que la réglementation applicable, à savoir l’article 14, paragraphe 2, du règlement no 269/2014 et l’article 3, paragraphe 2, de la décision 2014/145 (voir points 30 et 31 ci-dessus) ne fait aucune référence explicite à la possibilité que la notification des actes visés par la jurisprudence rappelée au point 37 ci-dessus prenne la forme de la communication d’un acte à un avocat représentant la personne visée par ceux-ci.
42 Deuxièmement, aucun élément du dossier ne permet de considérer qu’il y ait eu un accord entre les parties, au sens de la jurisprudence rappelée au point 37 ci-dessus, permettant au Conseil de communiquer les troisièmes actes de maintien à l’avocat du requérant.
43 Troisièmement, quant à savoir si l’avocat du requérant était dûment mandaté pour recevoir une telle notification pour le compte de ce dernier, il convient de relever ce qui suit. Par lettre du 30 octobre 2022, dont le Conseil se prévaut à l’appui de son argumentation, l’avocat du requérant a introduit une demande de réexamen de la situation de ce dernier auprès du Conseil, à la suite de l’adoption des premiers actes de maintien et, dans ce contexte, a précisé que « le requérant a donné mandat à ses conseils d’adresser la présente demande de réexamen au Conseil ».
44 Or, il y a lieu de considérer que cette seule mention ne pouvait pas conduire le Conseil à considérer que le requérant avait consenti à ce que toutes correspondances ou informations le concernant et, dès lors, toutes notifications officielles, soient directement adressées à ce représentant. Dans ces conditions, la notification effectuée par le Conseil n’équivalait pas à une communication directe des troisièmes actes de maintien au requérant.
45 En deuxième lieu, quant à la possibilité pour le Conseil de procéder à une communication individuelle, au sens de la jurisprudence rappelée aux points 34 et 36 ci-dessus, il convient de relever que l’adresse du requérant était mentionnée dans le mandat annexé à la requête dans l’affaire T‑763/22. Partant, elle était connue du Conseil au moment de l’adoption des troisièmes actes de maintien, le 13 septembre 2023.
46 Toutefois, le Conseil a produit des documents intitulés « service alert » (alertes de service) par lesquels un opérateur postal belge a informé ses clients, notamment, des destinations connaissant des restrictions à la distribution du courrier. Il ressort de ces documents, datés des 2 août, 6 septembre, 20 septembre et 31 octobre 2023, que, à ces dates, aucun service de livraison ne pouvait être assuré en Russie.
47 Cette circonstance suffit à démontrer l’impossibilité de communiquer individuellement les troisièmes actes de maintien au requérant, au sens de la jurisprudence rappelée au point 36 ci-dessus.
48 Il résulte de ce qui précède que la communication indirecte des troisièmes actes de maintien au requérant par la publication d’un avis au Journal officiel était autorisée au Conseil, de sorte que le délai pour demander l’annulation de ces actes a commencé à courir à partir de la publication de cet avis, le 14 septembre 2023.
49 Or, il convient de rappeler que, selon l’article 59 du règlement de procédure, lorsqu’un délai pour l’introduction d’un recours contre un acte d’une institution commence à courir à partir de la publication de cet acte au Journal officiel, le délai est à compter à partir de la fin du quatorzième jour suivant la date de cette publication.
50 Cette disposition est applicable lorsque l’évènement qui déclenche le délai de recours est un avis portant sur lesdits actes, lequel est lui aussi publié au Journal officiel. En effet, les mêmes raisons qui ont justifié l’octroi d’un délai supplémentaire de quatorze jours à l’égard des actes publiés sont valables en ce qui concerne les avis publiés, contrairement aux communications individuelles (voir, en ce sens, arrêts du 4 février 2014, Syrian Lebanese Commercial Bank/Conseil, T‑174/12 et T‑80/13, EU:T:2014:52, point 65, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 65).
51 Il s’ensuit que, en l’espèce, le délai de recours de deux mois, prévu à l’article 263, sixième alinéa, TFUE, augmenté du délai de distance forfaitaire de dix jours, prévu à l’article 60 du règlement de procédure, a commencé à courir le 28 septembre 2023 et qu’il a, dès lors, expiré le 8 décembre 2023.
52 Partant, contrairement à ce que fait valoir le Conseil, le mémoire en adaptation dirigé contre les troisièmes actes de maintien, déposé le 8 décembre 2023, ne l’a pas été après l’expiration du délai applicable.
2. Sur la recevabilité ratione materiae
53 Le Conseil conteste la recevabilité de l’adaptation des conclusions de la requête dans l’affaire T‑763/22, en tant que celles-ci visent également les troisièmes actes de maintien, au motif que le requérant a omis de demander en temps utile l’annulation des deuxièmes actes de maintien, visés au point 15 ci-dessus. Selon lui, en raison de cette omission, la condition prévue à l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure, tendant à ce que l’annulation des actes remplacés ou modifiés ait été antérieurement demandée, n’est pas remplie.
54 Il convient de rappeler, d’une part, les circonstances mentionnées au point 16 ci-dessus et, d’autre part, que l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure dispose que, lorsqu’un acte dont l’annulation est demandée est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, la partie requérante peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau.
55 En l’espèce, dans la requête introduite dans l’affaire T‑763/22, le requérant a demandé l’annulation des premiers actes de maintien. À cet égard, il y a lieu de constater que, d’une part, la décision 2022/1530 a prorogé jusqu’au 15 mars 2023 l’applicabilité de la décision 2014/145, dont l’annexe, telle que modifiée par cet acte, mentionne le nom du requérant et, d’autre part, le règlement d’exécution 2022/1529 a modifié la liste figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014, tout en maintenant l’inscription du nom du requérant sur cette liste.
56 Quant aux troisièmes actes de maintien, d’une part, la décision 2023/1767 a prorogé jusqu’au 15 mars 2024 l’applicabilité de la décision 2014/145, dont l’annexe, telle que modifiée par cet acte, mentionne le nom du requérant et, d’autre part, le règlement d’exécution 2023/1765 a modifié la liste figurant à l’annexe I du règlement no 269/2014, tout en maintenant l’inscription du nom du requérant sur cette liste.
57 Partant, les troisièmes actes de maintien doivent être considérés comme ayant modifié les premiers actes de maintien, au sens de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure (voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 2024, Belshyna/Conseil, T‑115/22, EU:T:2024:187, point 92).
58 Il s’ensuit que, conformément à l’objectif d’économie de la procédure qui sous-tend l’article 86 du règlement de procédure (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Almaz-Antey/Conseil, T‑515/15, non publié, EU:T:2018:545, points 43 et 44), le requérant, ayant demandé l’annulation des premiers actes de maintien dans la requête dans l’affaire T‑763/22 était en droit d’adapter la requête afin de demander, également, l’annulation des troisièmes actes de maintien, et ce quand bien même il n’avait pas auparavant adapté la requête en temps utile pour demander l’annulation des deuxièmes actes de maintien (voir, en ce sens, arrêt du 20 mars 2024, Belshyna/Conseil, T‑115/22, EU:T:2024:187, point 93).
59 Partant, contrairement à ce que fait valoir le Conseil, l’adaptation des conclusions de la requête dans l’affaire T‑763/22, en tant que celles-ci visent également les troisièmes actes de maintien, est recevable.
B. Sur le fond
60 À l’appui de ses recours, le requérant invoque cinq moyens. Le premier moyen est tiré d’erreurs d’appréciation. Le deuxième moyen est tiré de violations du droit d’être entendu et du droit à un procès équitable. Le troisième moyen est tiré de violations des articles 6, 8, 16 et 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), lus conjointement avec l’article 52, paragraphe 1, de ladite Charte. Le quatrième moyen est tiré d’exceptions d’illégalité. Le cinquième moyen, invoqué uniquement dans l’affaire T‑763/22, est tiré d’une violation du principe de non-discrimination et de l’article 21 de la Charte.
1. Sur le quatrième moyen, tiré d’exceptions d’illégalité
61 Le quatrième moyen est divisé en deux branches.
62 Selon l’article 277 TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE, pour invoquer devant la Cour de justice de l’Union européenne l’inapplicabilité de cet acte.
63 L’article 277 TFUE constitue l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester, par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’un acte contre lequel elle peut former un recours, la validité des actes institutionnels antérieurs, qui constituent la base juridique de l’acte attaqué, si cette partie ne disposait pas du droit d’introduire, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours direct contre ces actes, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été en mesure d’en demander l’annulation. L’acte général dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours et il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question (voir arrêt du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 55 et jurisprudence citée).
a) Sur la première branche du quatrième moyen, tirée d’une exception d’illégalité de l’article 2, paragraphe 1, sous d), f), g) et dernier alinéa, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329
64 Le requérant soulève, sur le fondement de l’article 277 TFUE, une exception d’illégalité de l’article 2, paragraphe 1, sous d), f), g) et dernier alinéa, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329. Il demande que ces dispositions, sur le fondement desquelles auraient été adoptés le règlement d’exécution 2022/581 et les premiers actes de maintien, soient déclarées inapplicables à son égard.
65 À cet égard, il invoque des violations du principe de sécurité juridique et fait valoir que les critères définis par ces dispositions sont formulés dans des termes vagues et imprécis, de sorte qu’il existerait un risque de voir ces critères être appliqués de manière arbitraire.
66 Premièrement, il ressort de la motivation du règlement d’exécution 2022/581 et des premiers actes de maintien que le nom du requérant a été inscrit et maintenu sur les listes litigieuses au titre, d’une part, du critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous f), de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, et à l’article 3, paragraphe 1, sous f), du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330 [ci-après le « critère f) »], et, d’autre part, du critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, et à l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330 [ci-après le « critère g) initial »].
67 En revanche, il ne ressort pas de ladite motivation que le nom du requérant a été maintenu sur les listes litigieuses au titre des critères prévus à l’article 2, paragraphe 1, sous d), de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, et à l’article 3, paragraphe 1, sous d), du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330 [ci-après le « critère d) »], ainsi qu’à l’article 2, paragraphe 1, dernier alinéa, de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2022/329, et à l’article 3, paragraphe 1, dernier alinéa, du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2022/330 (ci-après le « critère d’association »).
68 Il s’ensuit que ni le règlement d’exécution 2022/581 ni les premiers actes de maintien n’ont été adoptés sur le fondement des dispositions de la décision 2014/145 et du règlement no 269/2014 prévoyant le critère d) et le critère d’association. Dès lors, il n’existe pas de lien juridique direct, au sens de la jurisprudence rappelée au point 63 ci-dessus, entre ces dispositions, contre lesquelles l’exception d’illégalité est dirigée, et le règlement d’exécution 2022/581 ainsi que les premiers actes de maintien.
69 Partant, la première branche du quatrième moyen doit être écartée comme irrecevable pour autant qu’elle vise les dispositions, visées au point 67 ci-dessus, de la décision 2014/145 et du règlement no 269/2014 prévoyant le critère d) et le critère d’association.
70 Deuxièmement, d’une part, pour autant que l’exception d’illégalité est dirigée contre les dispositions de la décision 2014/145 et du règlement no 269/2014 prévoyant le critère g) initial, il a été jugé que le pouvoir d’appréciation conféré au Conseil par ce critère ne heurtait pas l’exigence de prévisibilité, dès lors que ledit critère était suffisamment clair et prévisible pour remplir les exigences de sécurité juridique et s’inscrivait dans un cadre juridique clairement délimité par les objectifs poursuivis par la réglementation régissant les mesures restrictives en cause, à savoir, en substance, la nécessité, compte tenu de la gravité de la situation, d’exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine (arrêt du 20 décembre 2023, Moshkovich/Conseil, T‑283/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2023:849, point 62). Partant, ce critère est conforme au principe de sécurité juridique (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, points 45 à 48 et jurisprudence citée).
71 D’autre part, pour autant que l’exception d’illégalité est dirigée contre les dispositions de la décision 2014/145 et du règlement no 269/2014 prévoyant le critère f), il convient de relever que, ainsi qu’il ressort des points 133 et 151 ci-après, le Conseil, dans le règlement d’exécution 2022/581 et dans les premiers actes de maintien, a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence que le requérant est un homme d’affaires influent ayant une activité dans un secteur économique qui constitue une source de revenus substantielle pour le gouvernement de la Fédération de Russie, au sens du critère g) initial.
72 Ce critère n’étant, comme il a été relevé au point 70 ci-dessus, pas entaché d’une violation du principe de sécurité juridique, l’exception d’irrecevabilité dirigée contre les dispositions de la décision 2014/145 et du règlement no 269/2014 prévoyant le critère f), en ce qui concerne le règlement d’exécution 2022/581 et les premiers actes de maintien, doit être écartée comme inopérante.
b) Sur la deuxième branche du quatrième moyen, tiré d’une exception d’illégalité de l’article 2, paragraphe 1, sous f) et g), de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2023/1094, et de l’article 3, paragraphe 1, sous f) et g), du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2023/1089
73 Dans le mémoire en adaptation du 8 décembre 2023, par lequel le requérant demande l’annulation des troisièmes actes de maintien, le requérant excipe de l’illégalité des dispositions prévoyant le critère f) et le critère prévu à l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145, telle que modifiée par la décision 2023/1094, et de l’article 3, paragraphe 1, sous g), du règlement no 269/2014, tel que modifié par le règlement 2023/1089 [ci-après le « critère g) modifié »].
74 À titre liminaire, il convient de rappeler que la décision 2023/1094 et le règlement 2023/1089 ont modifié, à partir du 7 juin 2023, les critères d’inscription des noms des personnes visées par le gel des fonds et que les dispositions prévoyant le critère g) modifié prévoient notamment en des termes identiques que sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant à des femmes et des hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie ou à des femmes et des hommes d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.
75 Il en résulte que ces dispositions visent notamment deux catégories de personnes, à savoir les « femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie » [ci-après le « premier volet du critère g) modifié »] et les « femmes et hommes d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie » [ci-après le « troisième volet du critère g) modifié »].
76 Selon une jurisprudence constante, les juridictions de l’Union doivent assurer, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité FUE, un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, ce qui comprend notamment le respect des droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective (arrêts du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 326, et du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 97 et 98).
77 Toutefois, le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41 et jurisprudence citée). Par conséquent, les règles de portée générale définissant ces critères et ces modalités, telles que les dispositions des actes attaqués prévoyant les critères d’inscription visés par le présent moyen, font l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint, se limitant à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur de droit ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 35 et jurisprudence citée).
78 Il convient d’examiner en premier lieu l’exception d’illégalité soulevée par le requérant en ce qui concerne le troisième volet du critère g) modifié.
1) Sur le troisième volet du critère g) modifié
i) Sur la violation des droits de la défense et de la présomption d’innocence
79 Le requérant soutient que le troisième volet du critère g) modifié viole la présomption d’innocence et les droits de la défense, en ce qu’il a pour effet de déclarer des hommes et des femmes d’affaires coupables de soutenir le gouvernement russe ou d’en tirer avantage, sans avoir besoin d’établir un tel soutien ni un tel avantage.
80 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
81 Le principe de présomption d’innocence, énoncé à l’article 48, paragraphe 1, de la Charte, constitue un droit fondamental qui confère aux particuliers des droits dont le juge de l’Union garantit le respect. Ce principe, qui exige que toute personne accusée d’une infraction soit présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie, ne s’oppose pas à l’adoption de mesures conservatoires de gel de fonds, dès lors que celles-ci n’ont pas pour objet d’engager une procédure pénale à l’encontre de la personne visée [arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 136 et 137 (non publiés)].
82 À cet égard, il y a lieu de relever que les mesures restrictives litigieuses ne constituent pas une sanction et n’impliquent par ailleurs aucune accusation de cette nature. En effet, les actes du Conseil en cause ne constituent pas une constatation du fait qu’une infraction pénale a été effectivement commise, mais sont adoptés dans le cadre et aux fins d’une procédure de nature administrative ayant une fonction conservatoire et ayant pour unique but de permettre au Conseil de garantir la protection des populations civiles [arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 139 (non publié)].
83 Dans ces conditions, le requérant ne saurait utilement soutenir que les dispositions prévoyant le troisième volet du critère g) modifié violent le principe de présomption d’innocence et les droits de la défense.
ii) Sur la violation du principe de proportionnalité
84 Le requérant soutient que le troisième volet du critère g) modifié viole le principe de proportionnalité, en ce qu’il n’est ni nécessaire, ni approprié pour atteindre l’objectif des mesures restrictives en cause et qu’il impose des charges disproportionnées aux personnes visées.
85 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
86 Il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (arrêt du 13 mars 2012, Melli Bank/Conseil, C‑380/09 P, EU:C:2012:137, point 52).
87 Le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes et seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 77).
88 Il convient de considérer que la suppression, par rapport au libellé du critère g) initial, du terme « influent » caractérisant les femmes et les hommes d’affaires visés dans le troisième volet du critère g) modifié n’a pas pour conséquence de priver ce critère modifié de son caractère nécessaire et approprié pour atteindre l’objectif des mesures restrictives en cause ni d’imposer des charges disproportionnées à ces personnes.
89 En effet, premièrement, il y a lieu d’observer que le troisième volet du critère g) modifié s’inscrit dans un cadre juridique clairement délimité par les objectifs poursuivis par la réglementation régissant les mesures restrictives en cause, à savoir la nécessité, compte tenu de la gravité de la situation, d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays. Dans cette perspective, les mesures restrictives en cause sont conformes à l’objectif visé à l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE, de préserver la paix, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale, conformément aux buts et aux principes de la charte des Nations unies (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 46 et jurisprudence citée).
90 En outre, il convient de rappeler qu’il ressort du considérant 2 de la décision 2023/1094 que « [l]’Union continue d’apporter un soutien sans réserve à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine » et du considérant 4 de la même décision que le Conseil a estimé qu’il convenait d’élargir les critères de désignation en incluant les « femmes et hommes d’affaires […] ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, […] » afin d’accroître la pression exercée sur le gouvernement de la Fédération de Russie pour qu’il mette un terme à sa guerre d’agression contre l’Ukraine.
91 C’est donc en raison de la persistance, voire de l’aggravation, de la situation en Ukraine que le Conseil a estimé devoir élargir le cercle des personnes visées par le critère g), afin d’atteindre les objectifs poursuivis. Or, il résulte d’une telle démarche fondée sur la progressivité de l’atteinte aux droits en fonction de l’effectivité des mesures que leur proportionnalité est établie (voir, par analogie, arrêt du 25 janvier 2017, Almaz-Antey Air and Space Defence/Conseil, T‑255/15, non publié, EU:T:2017:25, point 104).
92 Deuxièmement, le fait de cibler des femmes et des hommes d’affaires qui exercent des activités « dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie » est de nature à accroître les coûts des actions de ce gouvernement, dès lors que de tels secteurs, en apportant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, alimentent, directement ou indirectement, la capacité de ce gouvernement à mener ses actions et ses politiques visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
93 Dès lors, le troisième volet du critère g) modifié répond à la volonté du Conseil d’exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 49).
94 Par conséquent, il existe toujours un lien logique entre, d’une part, le fait de cibler les femmes et les hommes d’affaires exerçant leurs activités dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement, au vu de l’importance que revêtent ces secteurs pour l’économie russe, et, d’autre part, l’objectif des mesures restrictives en l’espèce, qui est d’accroître la pression sur la Fédération de Russie ainsi que le coût de ses actions visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (voir, par analogie, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 49 et jurisprudence citée).
95 Ainsi, une telle approche visant à accroître la pression sur le gouvernement de la Fédération de Russie en augmentant les coûts économiques de ses activités n’apparaît pas manifestement disproportionnée au regard des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation de l’espèce.
96 Troisièmement, le troisième volet du critère g) modifié et les mesures restrictives qui en découlent sont nécessaires afin de réaliser et de mettre en œuvre les objectifs visés à l’article 21 TUE. En effet, il ressort du considérant 4 de la décision 2023/1094 que, par l’élargissement du champ d’application personnel des mesures restrictives en ciblant les « femmes et hommes d’affaires […] ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, […] », le Conseil pouvait légitimement espérer que lesdites mesures contribuent à accroître la pression sur le gouvernement de la Fédération de Russie responsable de l’invasion de l’Ukraine. En outre, ainsi que le souligne le Conseil, celui-ci n’est pas tenu d’apporter la preuve que les mesures restrictives ont un tel effet, mais seulement qu’elles sont susceptibles d’avoir un tel effet (arrêt du 25 juin 2020, VTB Bank/Conseil, C‑729/18 P, non publié, EU:C:2020:499, point 66).
97 Il résulte des considérations qui précèdent que le troisième volet du critère g) modifié n’apparaît pas manifestement disproportionné, conformément à l’article 21 TUE, au vu des objectifs poursuivis visant la cessation de la violation flagrante de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’indépendance de l’Ukraine.
iii) Sur la violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime
98 Le requérant soutient que le troisième volet du critère g) modifié viole les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, en ce que, d’une part, l’extension du cercle des personnes visées par des mesures restrictives serait imprévisible et ne permettrait pas aux intéressés de conformer leur comportement aux décisions du Conseil et, d’autre part, les secteurs d’activités visés par le critère g) modifié ne seraient pas définis.
99 S’agissant des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, il convient de rappeler que le droit de se prévaloir de ce dernier principe s’étend à tout justiciable à l’égard duquel une institution de l’Union a fait naître des espérances fondées du fait d’assurances précises qu’elle lui aurait fournies. Toutefois, lorsqu’un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure de l’Union de nature à affecter ses intérêts, il ne saurait invoquer le bénéfice de ce principe lorsque cette mesure est adoptée (voir arrêt du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 191 et jurisprudence citée).
100 Par ailleurs, le principe de sécurité juridique implique que la législation de l’Union soit claire et précise et que son application soit prévisible pour les justiciables (voir arrêts du 5 mars 2015, Europäisch-Iranische Handelsbank/Conseil, C‑585/13 P, EU:C:2015:145, point 93 et jurisprudence citée, et du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 192 et jurisprudence citée).
101 S’agissant de l’argument du requérant tiré de l’absence d’identification des secteurs d’activités qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement russe, il convient de relever que, certes, ni la décision 2014/145 modifiée ni le règlement no 269/2014 modifié, ne définit la notion de « source substantielle de revenus ». Toutefois, l’emploi de l’adjectif qualificatif « substantielle », qui se rapporte au groupe nominal « source de revenus », implique que cette source de revenus doit être significative et donc non négligeable (arrêt du 6 septembre 2023, Pumpyanskiy/Conseil, T-291/22, non publié, EU:T:2023:499, point 63).
102 Eu égard au lien logique, rappelé au point 94 ci-dessus, entre le fait de cibler les personnes visées par le troisième volet du critère g) modifié et l’objectif des mesures restrictives en l’espèce, il convient de considérer que le libellé du troisième volet du critère g) modifié est clair et précis et que son application est prévisible pour les justiciables, lesquels sont en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure de l’Union de nature à affecter leurs intérêts, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 99 et 100 ci-dessus.
103 Dès lors, le requérant ne saurait utilement soutenir que les dispositions prévoyant le troisième volet du critère g) modifié violent les principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime.
2) Sur le premier volet du critère g) modifié et sur le critère f)
104 Il ressort du point 156 ci-après que le Conseil, dans les troisièmes actes de maintien, a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence que le requérant est un homme d’affaires ayant une activité dans un secteur économique qui constitue une source de revenus substantielle pour le gouvernement de la Fédération de Russie, au sens du troisième volet du critère g) modifié.
105 Ce volet n’étant, comme il a été relevé aux points 83, 97 et 103 ci-dessus, pas entaché de violations de la présomption d’innocence, des droits de la défense, du principe de sécurité juridique et du principe de protection de la confiance légitime, l’exception d’illégalité dirigée contre les dispositions de la décision 2014/145 et du règlement no 269/2014 prévoyant le premier volet du critère g) modifié et le critère f), en ce qui concerne les troisièmes actes de maintien, doit être écartée comme inopérante.
106 En conséquence, il y a lieu d’écarter le quatrième moyen dans son ensemble.
2. Sur le premier moyen, tiré d’erreurs d’appréciation
107 Le requérant conteste le bien-fondé de l’inscription et du maintien de son nom sur les listes litigieuses en vertu des actes attaqués.
108 Premièrement, il soutient qu’il n’est pas responsable d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et qu’il n’a pas davantage soutenu ou mis en œuvre de telles actions ou politiques, au sens du critère visé à l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 et à l’article 3, paragraphe 1, sous a), du règlement no 269/2014 [ci-après le « critère a) »].
109 Deuxièmement, il conteste avoir apporté un soutien matériel et tirer avantage du gouvernement de la Fédération de Russie, au sens du critère f).
110 Troisièmement, s’agissant du règlement d’exécution 2022/581 et des premiers actes de maintien, il conteste être un homme d’affaires influent ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, au sens du critère g) initial. S’agissant des troisièmes actes de maintien, il conteste être un homme d’affaires influent exerçant des activités en Russie ainsi qu’un homme d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques constituant une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, au sens du critère g) modifié.
111 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
112 D’emblée, il convient d’écarter les arguments du requérant tirés de ce que son nom aurait été inscrit et maintenu sur les listes litigieuses au titre du critère a) comme inopérants. En effet, il résulte clairement de la motivation des actes attaqués que le nom du requérant a été, dans le règlement d’exécution 2022/581 et dans les premiers actes de maintien, inscrit et maintenu sur les listes litigieuses au titre du critère f) et du critère g) initial et, dans les troisièmes actes de maintien, maintenu sur ces listes au titre du critère f) et du critère g) modifié. En revanche, le nom du requérant n’a été, dans les actes attaqués, ni inscrit ni maintenu sur ces listes au titre du critère a).
113 Par ailleurs, il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 128).
114 C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121, et du 3 juillet 2014, National Iranian Tanker Company/Conseil, T‑565/12, EU:T:2014:608, point 57).
115 L’appréciation du bien-fondé de ces motifs doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattus (voir, en ce sens, arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée).
116 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner le bien-fondé de l’inscription et du maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses.
a) Sur le règlement d’exécution 2022/581
117 Il convient de rappeler que les motifs par lesquels le nom du requérant a été inscrit sur les listes litigieuses figurent au point 9 ci-dessus.
118 Les documents sur lesquels le Conseil s’est fondé pour adopter les actes initiaux et figurant dans le dossier portant la référence WK 5049/2022, daté du 5 avril 2022 (ci-après le « dossier de preuves ») sont notamment les suivants :
– une capture d’écran du site Internet du magazine Forbes, du 10 mars 2022, décrivant le profil du requérant et estimant sa fortune à 3,3 milliards de dollars américains (USD) (environ 3,04 milliards d’euros) en la classant au 727e rang mondial (ci-après la « pièce no 1 ») ;
– un article du 16 mars 2012, consulté le 10 mars 2022, contenant des informations diffusées sur Internet par le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ), et un document provenant du site Internet de WikiLeaks, faisant état de liens entre les entreprises de tabac contrôlées par le requérant et des fondations caritatives russes l’impliquant à l’égard d’anciens agents des services secrets russes (ci-après la « pièce no 2 ») ;
– un article du 1er juin 2015, consulté le 10 mars 2022, diffusé sur le site Internet mainfin.ru, sur les activités économiques et caritatives du requérant (ci-après la « pièce no 3 ») ;
– un article du 31 mars 2017, publié sur le site Internet kyivipost.com et un article du 28 janvier 2019, du magazine Forbes en langue russe, consultés le 10 mars 2022, faisant état de la propriété, par Mercury Group, de l’usine de fabrication d’armes à feu Degtyarev (ci-après la « pièce no 4 ») ;
– des informations relayées sur le site du président de l’Ukraine le 17 octobre 2016, un article du 19 octobre 2016 diffusé sur le site Internet biz.liga.net, l’article publié sur le site Internet kyivipost.com visé en pièce no 4 un extrait en langue russe de l’encyclopédie Wikipédia, consultés le 10 mars 2022, faisant état des liens du requérant avec le régime de M. Poutine, ainsi qu’un article du 21 mars 2022, publié sur le site Internet du magazine d’information Vladimirskiye News, consulté le 21 mars 2022, faisant état de l’actionnariat majoritaire du requérant dans le capital de la société propriétaire de l’usine Degtyarev (ci-après la « pièce no 5 »).
119 À titre liminaire, il convient de relever que le requérant reproche au Conseil de s’être fondé sur des sources d’informations peu fiables, partiales, voire erronées. Or, cette allégation, formulée en termes généraux, n’identifie pas les éléments de preuve prétendument concernés et n’est étayée par aucun argument suffisamment précis. Partant, elle doit être écartée.
120 Il convient de vérifier le bien-fondé de l’inscription du nom du requérant sur les listes litigieuses au titre du critère g) initial.
121 À cet égard, il ressort de la motivation du règlement d’exécution 2022/581 que ladite inscription au titre de ce critère repose sur les circonstances selon lesquelles le requérant est, d’une part, « le propriétaire et président de Mercury Group, qui détient Megapolis Group, le principal distributeur de tabac en Russie » et, d’autre part, « le principal actionnaire de l’usine Degtyarev, une société russe qui produit des armes utilisées par les forces armées russes ».
122 S’agissant du motif relatif à Mercury Group et Megapolis Group, le requérant fait valoir que le seul fait qu’il soit le président de Mercury Group et l’un des propriétaires de Megapolis Group était insuffisant pour justifier l’inscription de son nom sur les listes litigieuses. Il ajoute que Mercury Group exerce son activité dans le secteur des biens de grande consommation et que le gouvernement russe ne perçoit que les recettes fiscales issues des activités de ce groupe et de ses actionnaires en Russie. À cet égard, il soutient que le Conseil ne saurait lui reprocher le fait que Mercury Group paie ses impôts en Russie, dès lors qu’il ne s’agirait que d’une obligation légale et que les recettes ainsi générées seraient considérablement plus faibles que celles résultant de la vente de pétrole et de gaz à certains États membres de l’Union européenne. Il ajoute que le Conseil n’a pas démontré que le secteur du tabac et de la distribution alimentaire, ainsi que les autres secteurs d’activités de Mercury Group, constituaient, davantage que d’autres secteurs, tels que celui du pétrole, du gaz, du charbon et d’autres matières premières, une source de revenus substantielle pour le gouvernement russe.
123 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
124 Il convient de constater que, selon son libellé même, le critère g) initial emploie la notion de « femme ou homme d’affaires influents » en corrélation avec l’exercice d’une « activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement russe », sans autre condition concernant un lien, direct ou indirect, avec ledit gouvernement. La finalité poursuivie par ce critère est en effet d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 46 et jurisprudence citée).
125 À cet égard, comme il a été relevé au point 94 ci-dessus, il existe un lien logique entre le fait de cibler les hommes et femmes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques fournissant des revenus substantiels au gouvernement russe, d’une part, et l’objectif des mesures restrictives en l’espèce, qui est d’accroître la pression sur la Fédération de Russie ainsi que le coût des actions de cette dernière visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, d’autre part (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 49 et jurisprudence citée).
126 Eu égard au libellé du critère, il y a lieu de considérer que les personnes visées doivent être considérées comme influentes du fait de leur importance dans le secteur dans lequel elles exercent leur activité et de l’importance que revêt ce secteur pour l’économie russe. À cet égard, la notion de « femme ou homme d’affaires influents » doit donc être comprise comme visant l’importance de ces derniers au regard, notamment, de leurs statuts professionnels, de l’importance de leurs activités économiques, de l’ampleur de leurs possessions capitalistiques ou de leurs fonctions au sein d’une ou de plusieurs entreprises dans lesquelles ils exercent ces activités (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 143 et jurisprudence citée).
127 En l’espèce, le requérant fait valoir, sans que le Conseil le conteste, que « Mercury Group » est une dénomination officieuse utilisée pour désigner un ensemble de sociétés apparentées. À cet égard, le requérant admet être le président de Mercury Group et reconnaît que Megapolis Group détient 75 % des parts du marché russe de la distribution des produits du tabac. Il ajoute détenir indirectement 40,95 % du capital de Megapolis Distribution B.V., cette dernière détenant 100 % du capital de la société JSC Trading Company Megapolis, qui commercialise des biens de grande consommation. Le requérant détient également 37,245 % de Mercury Retail.
128 Il en résulte que le Conseil a suffisamment établi que le requérant était un homme d’affaires influent, au sens du critère g) initial.
129 Quant à savoir si les secteurs d’activités dans lesquels le requérant exerce ses activités constituent une source substantielle de revenus au gouvernement russe, il a été rappelé au point 101 ci-dessus que l’emploi de l’adjectif qualificatif « substantielle », qui se rapporte au groupe nominal « source de revenus », implique que cette source de revenus doit être significative et donc non négligeable.
130 En l’espèce, il ressort de la pièce no 3 que le requérant est un « magnat du tabac » et qu’il « gagne des milliards dans ce domaine ». Il est désigné à quatre reprises dans cet article comme étant un milliardaire.
131 De surcroît, en réponse aux arguments du requérant, le Conseil fait valoir que, lors de l’exercice fiscal 2018-2019, les produits de tabac d’origine nationale ont généré, en Russie, des recettes fiscales s’élevant à environ 560 milliards de roubles russes (RUB) (environ 5,4 milliards d’euros), que ce montant a augmenté d’environ 20 % en 2020 et que lesdites recettes fiscales ont représenté en 2021 1,96 % du budget de l’État russe. Ces chiffres sont admis par le requérant lui-même. Il y a lieu de considérer que ces indications établissent l’importance du secteur du tabac dans l’économie russe et le fait que, partant, ce secteur fournit une source substantielle de revenus au gouvernement russe, au sens du critère g) initial.
132 Quant à l’argument selon lequel le Conseil n’aurait pas démontré que le secteur du tabac constituait, plus que d’autres secteurs, une source de revenus substantielle pour le gouvernement russe, au sens du critère g) initial, il convient de relever que, même à supposer établi que certains secteurs constituent pour le gouvernement russe une source de revenus plus importante que le secteur du tabac, il n’en demeure pas moins que les revenus tirés de ce secteur peuvent s’avérer substantiels. D’ailleurs, force est de constater que l’application du critère g) initial n’oblige pas le Conseil à prendre en compte la totalité des recettes fiscales du budget de l’État russe, mais à vérifier si le secteur économique dans lequel le requérant a ses activités constitue une source de revenus substantielle pour le gouvernement de la Fédération de Russie (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2023, Khudaverdyan/Conseil, T‑335/22, non publié, sous pourvoi, EU:T:2023:500, point 109).
133 Il en résulte que, s’agissant des activités du requérant en lien avec Mercury Group, le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence que le requérant est un homme d’affaires influent ayant une activité dans un secteur économique qui constitue une source de revenus substantielle pour le gouvernement de la Fédération de Russie, au sens du critère g) initial.
134 Or, selon la jurisprudence, s’agissant du contrôle de la légalité d’une décision adoptant des mesures restrictives, et eu égard à leur nature préventive, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 et jurisprudence citée).
135 Dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des autres griefs soulevés par le requérant visant à remettre en cause le bien-fondé de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses au titre du critère g) initial ou au titre du critère f), il y a lieu d’écarter le deuxième moyen comme étant non fondé en ce qui concerne le règlement d’exécution 2022/581.
b) Sur les premiers actes de maintien
136 Il importe de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures restrictives, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (arrêts du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 55, et du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 168).
137 Pour justifier le maintien du nom d’une personne sur une liste de personnes et d’entités visées par des mesures restrictives, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, la réinscription ou le maintien précédent du nom de la personne concernée sur la liste en cause, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription demeurent inchangés et, d’autre part, le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes (arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 99).
138 Ledit contexte inclut non seulement la situation du pays à l’égard duquel le système de mesures restrictives a été établi, mais également la situation particulière de la personne concernée (voir arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 78 et jurisprudence citée).
139 De même, le maintien du nom d’une personne ou d’une entité sur une liste reste justifié au regard de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, au regard du fait que les objectifs visés par les mesures restrictives en cause n’auraient pas été atteints (voir, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 83 et 84).
140 Il résulte de l’article 6 de la décision 2014/145 modifiée que les actes initiaux ainsi que les actes de maintien successifs font l’objet d’un suivi constant et sont prorogés, ou modifiés le cas échéant, si le Conseil estime que ses objectifs n’ont pas été atteints. L’article 14, paragraphe 4, du règlement no 269/2014 tel que modifié prévoit quant à lui la révision à intervalles réguliers et au moins tous les douze mois de la liste figurant en annexe.
141 En l’espèce, il convient de rappeler que les motifs par lesquels le nom du requérant a été maintenu sur les listes litigieuses dans les premiers actes de maintien sont identiques à ceux figurant dans le règlement d’exécution 2022/581.
142 Il convient, en application de la jurisprudence citée au point 137 ci-dessus, de vérifier si le contexte, les objectifs des mesures restrictives en cause et la situation individuelle du requérant permettaient de maintenir l’inscription de son nom sur le fondement de motifs inchangés.
143 S’agissant du contexte général lié à la situation de l’Ukraine, force est de constater que, à la date d’adoption des premiers actes de maintien, la gravité de la situation en Ukraine demeurait.
144 De même, les mesures restrictives répondent à l’objectif poursuivi, à savoir de faire pression sur le gouvernement russe afin que celui-ci mette fin à ses actions et à ses politiques déstabilisant l’Ukraine.
145 S’agissant de la situation individuelle du requérant, ce dernier, en ce qui concerne le maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses au titre du critère g) initial, conteste de nouveau exercer une activité dans un secteur qui constitue une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie. Il fait valoir, d’une part, qu’il n’est ni le propriétaire ni le président de Mercury Group et que, depuis 2017, les sociétés Philip Morris International et Japanese Tobacco International détiennent, conjointement, une participation plus importante que la sienne dans le capital de Mercury Group et, d’autre part, que le Conseil n’a pas démontré que le secteur du tabac constituait, davantage que les autres secteurs, une telle source de revenus pour le gouvernement. En particulier, il fait valoir que les droits d’accises, d’une part, sont payés par les producteurs de tabac et non les distributeurs et, d’autre part, ne représentent que 2,36 % du budget de l’État et que les droits d’accises générés par le secteur du tabac n’ont représenté en 2021 que 1,96 % de cette part. Il ajoute que le maintien de son nom sur les listes litigieuses en raison du fait qu’il détient ou contrôle une chaine de magasins d’alimentation est illégal, en raison du caractère nécessaire et vital des denrées alimentaires.
146 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
147 Il ressort des pièces nos 1, 2, 3, 4 et 5 du dossier de preuves, mentionnées au point 118 ci-dessus, que le requérant est le propriétaire et le président de Mercury Group. Or, pour contester ces éléments de fait, il convient de relever que le requérant se borne à faire valoir, sans l’étayer, ne plus en être propriétaire ni président, mais seulement en être un bénéficiaire effectif.
148 En outre, il admet détenir 40,95 % du capital de Megapolis. La circonstance que, depuis 2017, les sociétés Philip Morris International et Japanese Tobacco International détiendraient, conjointement, une participation dans le capital de Mercury Group de 46 %, qui serait donc plus élevée que la sienne, est sans influence à cet égard.
149 Par ailleurs, le requérant ne conteste pas que Mercury Group détient Megapolis Group, lequel est le principal distributeur de tabac en Russie. À cet égard, il ressort de la pièce no 1 que Megapolis détient 70 % du marché de la distribution des cigarettes en Russie, ce que le requérant ne conteste pas.
150 Quant à l’argument du requérant relatif aux recettes fiscales générées sous forme de droits d’accises par le secteur du tabac, il n’est, même à le supposer fondé, pas susceptible de remettre en cause les motifs rappelés au point 131 ci-dessus.
151 Il s’ensuit que, au vu de ces éléments, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a constaté l’absence de changement dans la situation individuelle du requérant et s’est fondé sur les mêmes éléments pour maintenir l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.
152 Dès lors, en application de la jurisprudence rappelée au point 134 ci-dessus, il y a lieu d’écarter le deuxième moyen comme étant non fondé en ce qui concerne les premiers actes de maintien, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des autres griefs soulevés par le requérant visant à remettre en cause le bien-fondé du maintien de son nom sur les listes litigieuses au titre du critère g) initial ou au titre du critère f).
c) Sur les troisièmes actes de maintien
153 En l’espèce, il convient de rappeler que les motifs par lesquels le nom du requérant a été maintenu sur les listes litigieuses figurent au point 20 ci-dessus.
154 S’agissant des activités du requérant liées à Mercury Group et Megapolis Group, il ressort de ces motifs que, d’une part, il est un ancien président de Mercury Group, qui est associé à Megapolis Group, et il est l’un des principaux actionnaires de ces deux entités et, d’autre part, il est un homme d’affaires influent exerçant des activités en Russie ainsi qu’un homme d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques constituant une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, au sens du critère g) modifié.
155 Dans le mémoire en adaptation du 8 décembre 2023, le requérant ne conteste pas ces éléments. Il fait également valoir que Megapolis Group n’est pas actif dans l’industrie du tabac. Toutefois, il admet que cette entité est active dans le secteur de la distribution du tabac et ne conteste pas qu’il s’agit du principal distributeur de tabac en Russie. La circonstance que Megapolis Group soit également un distributeur de produits de grande consommation autres que le tabac est sans influence à cet égard.
156 Il en résulte que, s’agissant des activités du requérant en lien avec Mercury Group, le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptibles de mettre en évidence que le requérant est un homme d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques constituant une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, au sens du troisième volet du critère g) modifié.
157 Dès lors, sans qu’il soit besoin d’examiner le bien-fondé des autres griefs soulevés par le requérant, il y a lieu d’écarter le premier moyen comme étant non fondé en ce qui concerne les troisièmes actes de maintien.
158 En conséquence, il y a lieu d’écarter le premier moyen dans son ensemble.
3. Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation du droit d’être entendu
159 Le requérant soutient n’avoir pas été entendu préalablement à l’adoption des actes attaqués et n’avoir reçu aucune communication des mesures restrictives adoptées à son égard, alors même que, s’agissant des premiers actes de maintien, son adresse postale était connue du Conseil. Pour ces raisons, le requérant aurait été empêché de présenter des observations en temps utile.
160 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
161 À titre liminaire, il convient de rappeler que le respect des droits de la défense comporte notamment le droit d’être entendu, qui est consacré à l’article 41, paragraphe 2, de la Charte (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 99 et jurisprudence citée).
162 Dans le cadre d’une procédure portant sur l’adoption de la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur une liste figurant à l’annexe d’un acte portant mesures restrictives, le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective exige que l’autorité compétente de l’Union communique à la personne concernée les éléments dont dispose cette autorité à l’encontre de ladite personne pour fonder sa décision, afin que cette personne puisse défendre ses droits dans les meilleures conditions possibles et décider en pleine connaissance de cause s’il est utile de saisir le juge de l’Union. Lors de cette communication, l’autorité compétente de l’Union doit permettre à cette personne de faire connaître utilement son point de vue à l’égard des motifs retenus à son égard (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 111 et 112 ; voir également, en ce sens, arrêt du 12 décembre 2006, Organisation des Modjahedines du peuple d’Iran/Conseil, T‑228/02, EU:T:2006:384, point 93).
163 L’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet toutefois des limitations à l’exercice des droits consacrés par celle-ci, pour autant que la limitation concernée respecte le contenu essentiel du droit fondamental en cause et que, dans le respect du principe de proportionnalité, elle soit nécessaire et réponde effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 101 et jurisprudence citée). À cet égard, la Cour a, à plusieurs reprises, jugé que les droits de la défense pouvaient être soumis à des limitations ou dérogations, et ce notamment dans le domaine des mesures restrictives adoptées dans le contexte de la politique étrangère et de sécurité commune (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 67 et jurisprudence citée).
164 En outre, l’existence d’une violation des droits de la défense doit être appréciée en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas d’espèce, notamment de la nature de l’acte en cause, du contexte de son adoption et des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 102 et jurisprudence citée).
165 À cet égard, si, comme il ressort notamment de la jurisprudence rappelée aux points 34 à 36 ci-dessus, une communication individuelle d’une décision imposant des mesures restrictives est en principe nécessaire, la seule publication au Journal officiel n’étant pas suffisante, il y a cependant lieu pour le juge de l’Union d’examiner, dans chaque affaire, si le fait de ne pas avoir porté individuellement les motifs de ladite décision à la connaissance de la partie requérante a eu pour conséquence de priver cette dernière de la possibilité de connaître, en temps utile, la motivation de la décision litigieuse et d’apprécier le bien-fondé de la mesure de gel de fonds et de ressources économiques adoptée à son égard [voir, en ce sens, arrêts du 16 novembre 2011, Bank Melli Iran/Conseil, C‑548/09 P, EU:C:2011:735, point 56 ; du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 48, et du 22 septembre 2021, Al-Imam/Conseil, T‑203/20, EU:T:2021:605, point 102 (non publié)].
166 Enfin, il y a lieu de rappeler que ni la réglementation en cause ni le principe général du respect des droits de la défense ne confèrent aux intéressés le droit à une audition, la possibilité de présenter ses observations par écrit étant suffisante (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 97 et jurisprudence citée).
167 Il convient encore de rappeler que le juge de l’Union distingue, d’une part, l’inscription initiale du nom d’une personne sur les listes en cause et, d’autre part, le maintien du nom de cette personne sur lesdites listes (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2015, Al-Chihabi/Conseil, T‑593/11, EU:T:2015:249, point 40).
– Concernant le règlement d’exécution 2022/581
168 Le requérant soutient n’avoir pas été entendu préalablement à l’adoption du règlement d’exécution 2022/581 et n’avoir reçu aucune communication des mesures restrictives adoptées à son égard dans cet acte.
169 En matière de mesures restrictives, il convient de rappeler que, dans le cas d’une décision initiale, le Conseil n’est pas tenu de communiquer au préalable à la personne ou à l’entité concernée les motifs sur lesquels cette institution entend fonder l’inclusion du nom de cette personne ou entité sur les listes en cause. En effet, une telle mesure, afin de ne pas compromettre son efficacité, doit, par sa nature même, pouvoir bénéficier d’un effet de surprise et s’appliquer immédiatement. Dans un tel cas, il suffit, en principe, que l’institution procède à la communication des motifs à la personne ou à l’entité concernée et ouvre le droit à l’audition de celle-ci concomitamment à l’adoption de ladite décision ou immédiatement après cette adoption (voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 61, et du 14 octobre 2009, Bank Melli Iran/Conseil, T‑390/08, EU:T:2009:401, points 92 et 93).
170 En l’espèce, ainsi qu’il ressort du point 10 ci-dessus, la communication des motifs de l’inscription du nom du requérant sur les listes en cause a fait l’objet d’un avis publié au Journal officiel du 11 avril 2022.
171 Or, d’une part, le requérant n’établit ni même n’allègue que le Conseil disposait de son adresse au jour de l’adoption du règlement d’exécution 2022/581 et, d’autre part, il n’a pas fait usage de la faculté qui lui était offerte d’adresser au Conseil une demande de réexamen de sa situation.
172 En outre, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 166 ci-dessus, le requérant ne peut utilement reprocher au Conseil une absence d’audition préalable à l’adoption du règlement d’exécution 2022/581.
173 En conséquence, il convient d’écarter le deuxième moyen en ce qui concerne le règlement d’exécution 2022/581.
– Concernant les premiers actes de maintien
174 Il convient de rappeler que dans le cas d’une décision de gel de fonds par laquelle le nom d’une personne ou d’une entité figurant déjà sur la liste des personnes et des entités dont les fonds sont gelés est maintenu sur cette liste, l’adoption d’une telle décision doit, en principe, être précédée d’une communication des éléments retenus à charge ainsi que de l’opportunité conférée à la personne ou à l’entité concernée d’être entendue (voir, en ce sens, arrêts du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 62, et arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T-193/22, EU:T:2023:716 point 101).
175 Le droit d’être entendu préalablement à l’adoption d’actes qui maintiennent le nom d’une personne ou d’une entité sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives s’impose lorsque le Conseil a retenu, dans la décision portant maintien de l’inscription de son nom sur cette liste, de nouveaux éléments contre cette personne, à savoir des éléments qui n’étaient pas pris en compte dans la décision initiale d’inscription de son nom sur cette même liste (voir arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, point 54 et jurisprudence citée).
176 Toutefois, lorsque le maintien du nom de la personne ou de l’entité concernée sur une liste de personnes ou d’entités visées par des mesures restrictives est fondé sur les mêmes motifs que ceux qui ont justifié l’adoption de l’acte initial sans que de nouveaux éléments aient été retenus à son égard, le Conseil n’est pas tenu, pour respecter son droit d’être entendu, de lui communiquer à nouveau les éléments retenus à charge (arrêts du 7 avril 2016, Central Bank of Iran/Conseil, C‑266/15 P, EU:C:2016:208, points 32 et 33, et du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T-193/22, EU:T:2023:716 point 103).
177 En l’espèce, il convient de rappeler que les premiers actes de maintien ont été communiqués au requérant par avis publié au Journal officiel le 15 septembre 2022, soit le lendemain de l’adoption de ces actes.
178 À cet égard, la motivation des actes attaqués en ce qui concerne le requérant n’ayant pas changé, le Conseil n’était pas tenu de lui communiquer de nouveau les éléments retenus à charge.
179 Par ailleurs, indépendamment de la question de savoir si, en application des dispositions et de la jurisprudence rappelées aux points 30 et 31 ci-dessus, le Conseil était tenu de lui communiquer individuellement les premiers actes de maintien, il convient de rappeler que l’absence de communication individuelle de tels actes, si elle a une incidence sur le moment auquel le délai de recours a commencé à courir, ne justifie pas, à elle seule, l’annulation de ces actes. À cet égard, le requérant n’invoque aucun argument tendant à démontrer que, dans le cas d’espèce, l’absence de communication individuelle de ces actes a eu pour conséquence une atteinte à ses droits qui justifierait l’annulation de ces actes pour autant qu’ils le concernent (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 82 et jurisprudence citée).
180 En particulier, le requérant n’a pas expliqué quels étaient les arguments et les éléments qu’il aurait pu faire valoir si les motifs du maintien de son nom sur les listes litigieuses lui avaient été communiqués plus tôt et individuellement, ni n’a démontré que ces arguments et éléments auraient pu conduire dans son cas à un résultat différent, c’est-à-dire à la non-adoption de l’acte attaqué (voir, en ce sens, arrêts du 18 septembre 2014, Georgias e.a./Conseil et Commission, T‑168/12, EU:T:2014:781, points 106 à 108 et jurisprudence citée, et du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 153)
181 Enfin, le requérant ne saurait utilement faire valoir une violation du principe de protection juridictionnelle effective, dès lors qu’il a été en mesure de former un recours contre les premiers actes de maintien, nonobstant toute communication préalable et individuelle de la part du Conseil quant à l’adoption de ces actes et quant aux motifs de leur adoption à son égard.
182 En conséquence, il convient d’écarter le deuxième moyen en ce qui concerne les premiers actes de maintien.
– Concernant les troisièmes actes de maintien
183 Ainsi qu’il a été relevé au point 39 ci-dessus, les troisièmes actes de maintien ont été communiqués au requérant par avis publié au Journal officiel le 14 septembre 2023, soit le lendemain de l’adoption de ces actes.
184 Pour autant que le requérant invoque à l’encontre des troisièmes actes de maintien les mêmes arguments qu’à l’encontre des premiers actes de maintien, il convient de relever que, en vue de l’adoption de ces actes, le Conseil ne s’est fondé sur aucun élément à charge nouveau, au sens de la jurisprudence rappelée au point 176 ci-dessus. Partant, il n’était pas tenu, pour respecter le droit d’être entendu, de communiquer à nouveau au requérant les éléments retenus à charge contre lui.
185 En conséquence, il convient d’écarter le deuxième moyen dans son ensemble.
4. Sur le troisième moyen, tiré de violations des articles 6, 8, 16 et 17 de la Charte, lus conjointement avec son article 52, et du principe de proportionnalité
186 Le troisième moyen est divisé en deux branches.
– Sur la première branche du troisième moyen, tirée deviolations des articles 6, 8, 16 et 17 de la Charte, lus conjointement avec son article 52
187 Le requérant soutient que les actes attaqués sont entachés de violations des articles 6, 8, 16 et 17 de la Charte, lus conjointement avec son article 52, en ce qu’ils porteraient atteinte à son droit à la liberté et à la sûreté, consacré à l’article 6 de la Charte, à son droit à la protection des données à caractère personnel, consacré à l’article 8 de la Charte, à son droit d’entreprendre, consacré à l’article 16 de la Charte, et à son droit à la propriété, en ce que, en application de l’article 17 de la Charte, toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Il soutient également que les mesures restrictives prises à son encontre sont fondées sur des motifs erronés en fait, qu’elles ne sont ni nécessaires ni utiles au regard des objectifs poursuivis par le Conseil après l’opération militaire de la Fédération de Russie en Ukraine et qu’elles s’appliquent pour une durée indéterminée, en violation de l’article 52 de la Charte et du principe de proportionnalité.
188 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
189 À titre liminaire, il importe de rappeler que, conformément aux dispositions mentionnées à l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lu conjointement avec l’article 53 dudit statut, et à l’article 76, sous d), du règlement de procédure, toute requête doit contenir l’objet du litige, les moyens et arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens et les conclusions de la partie requérante. Ces éléments doivent être exposés de façon suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans avoir à solliciter d’autres informations. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il est nécessaire, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (voir, en ce sens, arrêts du 4 décembre 2015, Sarafraz/Conseil, T‑273/13, non publié, EU:T:2015:939, point 46 et jurisprudence citée, et du 15 juin 2017, Kiselev/Conseil, T‑262/15, EU:T:2017:392, point 138 et jurisprudence citée).
190 En l’espèce, force est de constater que les griefs tirés de violations des articles 6 et 8 de la Charte ne sont nullement étayés, de sorte qu’ils doivent être écartés comme irrecevables.
191 S’agissant des griefs tirés de violation des articles 16 et 17 de la Charte, il convient de constater que ces dispositions consacrent respectivement la liberté d’entreprise et le droit de propriété, qui font partie des principes généraux de droit de l’Union. Certes, les mesures restrictives que comportent les actes attaqués, en dépit de leur nature conservatoire, entraînent des limitations dans l’exercice par le requérant de ces droits fondamentaux.
192 Toutefois, les droits fondamentaux dont se prévaut le requérant ne constituent pas des prérogatives absolues et leur exercice peut faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, aux termes duquel, d’une part, « [t]oute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par [C]harte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, d’autre part, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui ».
193 Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice des droits et libertés fondamentaux doit répondre à quatre conditions. Premièrement, elle doit être « prévue par la loi », en ce sens que l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de restreindre les droits fondamentaux d’une personne, physique ou morale, doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, elle doit respecter le contenu essentiel de ces droits. Troisièmement, elle doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Quatrièmement, elle doit être proportionnée (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, points 145 et 222 et jurisprudence citée).
194 Il a été jugé que les mesures restrictives prévues par la décision 2014/145 et par le règlement no 269/2014 imposées aux personnes physiques et morales, aux entités et aux organismes figurant sur les listes annexées à ces actes remplissaient ces quatre conditions (arrêts du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, points 195 à 200, et du 6 décembre 2023, Zubitskiy/Conseil, T‑359/22, non publié, EU:T:2023:779, points 98 à 105).
195 S’agissant de l’argument tiré de ce que le requérant ne finance pas lui-même la guerre menée par la Russie en Ukraine par les taxes qu’il paie, il convient de rappeler que, selon le libellé du critère g) initial et modifié, c’est le secteur économique, et non la personne physique ou morale dont le nom est inscrit sur les listes litigieuses, qui doit constituer une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie (arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 156).
196 S’agissant de l’argument tiré de ce que le Conseil n’a pas démontré que le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses a fait l’objet d’un examen du caractère adéquat des mesures restrictives en cause pour atteindre l’objectif visé, il y a lieu de rappeler que, d’une part, le caractère adéquat des mesures restrictives en cause ressort de la jurisprudence rappelée aux points 194 et 195 ci-dessus. En particulier, comme l’a jugé le Tribunal, au regard d’objectifs d’intérêt général aussi fondamentaux pour la communauté internationale que l’exercice d’une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine, de telles mesures ne sauraient, en tant que telles, passer pour inadéquates (arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 199). D’autre part, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a décidé d’inscrire le nom du requérant sur les listes litigieuses.
197 Il résulte de ce qui précède que la première branche du troisième moyen doit être écartée.
– Sur la deuxième branche du troisième moyen, tirée d’une violation du principe de proportionnalité
198 À l’encontre des actes de maintien, le requérant invoque une violation du principe de proportionnalité, tirée du fait qu’il ne finance pas lui-même la guerre menée par la Russie en Ukraine par les taxes qu’il paie. Il soutient également que le Conseil n’a pas démontré que le maintien de son nom sur les listes litigieuses avait fait l’objet d’un examen du caractère adéquat des mesures restrictives en cause pour atteindre l’objectif visé. Spécifiquement à l’encontre des troisièmes actes de maintien, il invoque le caractère disproportionné des mesures restrictives prises à son encontre, en raison du fait qu’il ne relève pas du critère g) modifié.
199 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
200 Comme il est rappelé au point 86 ci-dessus, le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre.
201 S’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, il convient de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lesquels celui-ci est appelé à effectuer des appréciations complexes. Il s’ensuit que seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, au regard de l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 2016, Rotenberg/Conseil, T‑720/14, EU:T:2016:689, point 179 et jurisprudence citée).
202 Il a été jugé que les mesures restrictives prévues par la décision 2014/145 et par le règlement no 269/2014 imposées aux personnes physiques et morales, aux entités et aux organismes figurant sur les listes annexées à ces actes, d’une part, étaient, en tant que telles, appropriées et nécessaires au regard de l’importance primordiale des objectifs qu’elles poursuivent et, d’autre part, ne causaient pas des conséquences négatives manifestement disproportionnées à l’égard de ces personnes, entités et organismes, de sorte qu’elles sont conformes au principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, points 198 à 200 et 202).
203 De surcroît, en l’espèce, le requérant est resté en défaut de démontrer quelles mesures moins contraignantes, mais tout autant appropriées que celles prévues, le Conseil pouvait adopter.
204 Enfin, pour écarter l’argument du requérant selon lequel les mesures restrictives adoptées à son encontre seraient disproportionnées au motif qu’il ne satisferait pas aux conditions pour être inscrit sur les listes litigieuses au titre du critère g), initial ou modifié, il suffit de rappeler que, d’une part, un tel argument relève de l’appréciation du bien-fondé de ces mesures et non de leur proportionnalité et, d’autre part, que le requérant n’a démontré aucune erreur d’appréciation commise par le Conseil à cet égard.
205 En conséquence, il y a lieu d’écarter la deuxième branche du troisième moyen et, partant, le troisième moyen dans son ensemble.
5. Sur le cinquième moyen, tiré d’une violation du principe de non-discrimination et de l’article 21 de la Charte
206 Le requérant soutient que les premiers et les troisièmes actes de maintien sont entachés de trois violations du principe de non-discrimination et de l’article 21 de la Charte à son égard. Il fait valoir que son nom aurait été maintenu sur les listes litigieuses aux motifs que, premièrement, il est russe, ce qui constituerait une discrimination fondée sur sa nationalité, deuxièmement, il est un riche homme d’affaires, ce qui constituerait une discrimination fondée sur sa fortune et, troisièmement, le Conseil n’ayant pas établi qu’il soutenait le gouvernement russe, il est politiquement neutre, de sorte que le maintien de son nom sur les listes litigieuses constituerait une discrimination fondée sur ses opinions politiques.
207 Le Conseil conteste les arguments du requérant.
208 En vertu de l’article 21, paragraphe 1, de la Charte, est interdite « toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle ». Selon le paragraphe 2 du même article, dans le domaine de l’application des traités et sans préjudice de leurs dispositions particulières, toute discrimination fondée sur la nationalité est également interdite.
209 À titre liminaire, s’agissant de l’interdiction de discrimination fondée sur la nationalité, il y a lieu de rappeler que, conformément à l’article 6, paragraphe 1, troisième alinéa, TUE et à l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, les explications relatives à celle-ci (JO 2007, C 303, p. 17) doivent être prises en considération en vue de son interprétation.
210 Selon les explications relatives à la Charte, l’article 21, paragraphe 2, de la Charte « correspond à l’article 18, premier alinéa, [TFUE] et doit s’appliquer conformément à celui-ci ». De plus, en vertu de l’article 52, paragraphe 2, de la Charte, les droits que celle-ci reconnaît et qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et limites définies par ces derniers. Il s’ensuit que l’article 21, paragraphe 2, de la Charte doit être lu comme ayant la même portée que l’article 18, premier alinéa, TFUE.
211 L’article 18, premier alinéa, TFUE dispose que, « [d]ans le domaine d’application des traités, et sans préjudice des dispositions particulières qu’ils prévoient, est interdite toute discrimination exercée en raison de la nationalité ». Cette disposition figure dans la deuxième partie de ce traité intitulée « Non-discrimination et citoyenneté de l’Union ». Il concerne les situations relevant du champ d’application du droit de l’Union dans lesquelles un ressortissant d’un État membre subit un traitement discriminatoire par rapport aux ressortissants d’un autre État membre sur le seul fondement de sa nationalité. Cet article n’a, dès lors, pas vocation à s’appliquer dans le cas d’une éventuelle différence de traitement entre les ressortissants des États membres et ceux des États tiers (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 237 et jurisprudence citée).
212 Partant, le requérant ne peut se prévaloir de la violation, à son égard, de l’article 21, paragraphe 2, de la Charte.
213 Toutefois, à supposer que le requérant entende invoquer en réalité une violation du principe d’égalité de traitement, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, ce principe fondamental de droit interdit que des situations comparables soient traitées de manière différente ou que des situations différentes soient traitées de manière égale, à moins que de tels traitements ne soient objectivement justifiés (voir arrêt du 31 mai 2018, Kaddour/Conseil, T‑461/16, EU:T:2018:316, point 152 et jurisprudence citée).
214 En l’espèce, s’agissant de l’argument du requérant concernant le fait que le Conseil adopterait des mesures restrictives à l’égard d’hommes d’affaires et d’entreprises de nationalité russe en ignorant les hommes d’affaires et les entreprises étrangères, il suffit de constater que le critère g) ne vise pas la nationalité des personnes désignées, mais toutes les personnes physiques influentes au sens du critère g). Ainsi, les personnes faisant l’objet de mesures restrictives peuvent être de toute nationalité, si elles remplissent ledit critère.
215 Quant aux arguments du requérant selon lesquels, d’une part, ses partenaires commerciaux non russes et, d’autre part, des citoyens russes non fortunés ayant des activités semblables aux siennes n’auraient pas été inscrits sur les listes litigieuses, il convient de rappeler que, même à supposer que le Conseil n’ait pas adopté des mesures de gel des fonds à l’égard de certaines personnes répondant au critère litigieux et examiné, avec soin et impartialité, tous les éléments pertinents relatifs à ces personnes, cette circonstance ne pourrait être valablement invoquée par le requérant, dès lors que les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination doivent se concilier avec le principe de légalité (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 2016, Post Bank Iran/Conseil, T‑68/14, non publié, EU:T:2016:263, point 135 et jurisprudence citée).
216 En tout état de cause, il y a lieu de relever qu’il ressort de l’examen du premier moyen que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que le Conseil a maintenu le nom du requérant sur les listes litigieuses.
217 En conséquence, le cinquième moyen doit être écarté.
218 Aucun des moyens invoqués par le requérant n’étant fondé, il y a lieu de rejeter les recours dans leur ensemble.
IV. Sur les dépens
219 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
220 En l’espèce, le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre)
déclare et arrête :
1) Les affaires T‑290/22 et T‑763/22 sont jointes aux fins de l’arrêt.
2) Les recours sont rejetés.
3) M. Igor Albertovitch Kesaev est condamné à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par le Conseil de l’Union européenne.
Spielmann | Tóth | Kalėda |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 4 septembre 2024.
Signatures
* Langue de procédure : le néerlandais.
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