Portumo - Madeira and Others v Commission (Zone franche de Madère) (State aid - Madeira Free Zone - Aid scheme implemented by Portugal - Judgment) French Text [2024] EUECJ T-713/22 (06 November 2024)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/T71322.html
Cite as: ECLI:EU:T:2024:775, EU:T:2024:775, [2024] EUECJ T-713/22

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ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

6 novembre 2024 (*)

« Aides d’État - Zone franche de Madère - Régime d’aides mis à exécution par le Portugal - Décision constatant la non-conformité du régime aux décisions C(2007) 3037 final et C(2013) 4043 final, déclarant ce régime incompatible avec le marché intérieur et ordonnant la récupération des aides versées en application de celui-ci - Notion d’“aide existante” au sens de l’article 1er, sous b), ii), du règlement (UE) 2015/1589 - Récupération - Confiance légitime - Sécurité juridique - Libre prestation des services - Liberté d’établissement - Libre circulation des travailleurs »

Dans les affaires T‑713/22 et T‑720/22,

Portumo  Madeira  Montagem e Manutenção de Tubaria, SA (Zona Franca da Madeira), établie à Funchal (Portugal),

Ponticelli  Consultadoria Técnica, SA (Zona Franca da Madeira), établie à Funchal,

Ponticelli Angoil  Serviços Para a Indústria Petrolífera, SA (Zona Franca da Madeira), établie à Funchal,

représentées par Mes M. Muñoz Pérez et P. Casillas Vázquez, avocats,

parties requérantes dans l’affaire T‑713/22,

Nova Ship Invest, Unipessoal, Lda (Zona Franca da Madeira), établie à Funchal, représentée par Mes Muñoz Pérez et Casillas Vázquez,

partie requérante dans l’affaire T‑720/22,

contre

Commission européenne, représentée par MM. I. Barcew et P. Caro de Sousa, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de MM. J. Svenningsen, président, J. Martín y Pérez de Nanclares et Mme M. Stancu (rapporteure), juges,

greffier : M. L. Ramette, administrateur,

vu la phase écrite de la procédure, notamment les décisions du 16 janvier 2023 de ne pas suspendre la procédure dans l’attente de la décision de la Cour mettant fin à l’instance dans l’affaire ayant donné lieu, depuis lors, à l’arrêt du 4 juillet 2024, Portugal/Commission (Zone Franche de Madère) (C‑736/22 P, non publié, EU:C:2024:579),

à la suite de l’audience du 21 février 2024,

rend le présent

Arrêt

1        Par leurs recours fondés sur l’article 263 TFUE, les requérantes, Portumo – Madeira – Montagem e Manutenção de Tubaria, SA (Zona Franca da Madeira), Ponticelli – Consultadoria Técnica, SA (Zona Franca da Madeira) et Ponticelli Angoil – Serviços Para a Indústria Petrolífera, SA (Zona Franca da Madeira) ainsi que Nova Ship Invest, Unipessoal, Lda (Zona Franca da Madeira), demandent l’annulation de la décision (UE) 2022/1414 de la Commission, du 4 décembre 2020, relative au régime d’aides SA.21259 (2018/C) (ex 2018/NN) mis en œuvre par le Portugal en faveur de la zone franche de Madère (Zona Franca da Madeira – ZFM) – Régime III (JO 2022, L 217, p. 49, ci-après la « décision attaquée »).

 Antécédents du litige

2        Le régime de la zone franche de Madère (Portugal, ci-après la « ZFM ») prend la forme de divers avantages fiscaux accordés dans le cadre du Centro Internacional de Negócios da Madeira (centre international d’affaires de Madère), du Registo Internacional de Navios da Madeira (registre international des navires de Madère) et de la Zona Franca Industrial (zone franche industrielle).

3        Ce régime a initialement été approuvé en 1987 par la décision de la Commission du 27 mai 1987 rendue dans l’affaire N 204/86 [SG(87) D/6736] en tant qu’aide à finalité régionale compatible avec le marché unique. Sa prorogation a ensuite été autorisée par la décision de la Commission du 27 janvier 1992 rendue dans l’affaire E 13/91 [SG(92) D/1118], puis par la décision de la Commission du 3 février 1995 rendue dans l’affaire E 19/94 [SG(95) D/1287].

4        Le régime qui lui a succédé (ci-après le « régime II ») a été autorisé par une décision de la Commission du 11 décembre 2002 rendue dans l’affaire N 222A/01 (ci-après la « décision de 2002 »).

5        Sur le fondement des lignes directrices concernant les aides d’État à finalité régionale pour la période 2007-2013 (JO 2006, C 54, p. 13, ci-après les « lignes directrices de 2007 »), un troisième régime (ci‑après le « régime III ») a été autorisé par la décision de la Commission du 27 juin 2007 rendue dans l’affaire N 421/2006 (ci-après la « décision de 2007 »), pour la période du 1er janvier 2007 au 31 décembre 2013. La Commission a autorisé ce régime en tant qu’aide au fonctionnement compatible avec le marché intérieur visant à promouvoir le développement régional et la diversification de la structure économique de Madère, en tant que région ultrapériphérique au sens de l’article 299, paragraphe 2, CE (devenu article 349 TFUE).

6        Le régime III prend la forme d’une réduction de l’impôt sur le revenu applicable aux personnes morales (ci-après l’« IRPM ») sur les bénéfices résultant d’activités effectivement et matériellement réalisées à Madère (3 % de 2007 à 2009, 4 % de 2010 à 2012 et 5 % de 2013 à 2020), d’une exonération de taxes municipales et locales ainsi que d’une exonération de l’impôt sur la transmission de biens immobiliers pour la création d’une entreprise dans la ZFM, jusqu’à des montants d’aide maximaux basés sur les plafonds de la base d’imposition applicables à la base imposable annuelle des bénéficiaires. Ces plafonds sont fixés en fonction du nombre de postes de travail maintenus par le bénéficiaire au cours de chaque exercice. Dans certaines conditions, les sociétés enregistrées dans la zone franche industrielle de la ZFM peuvent bénéficier d’une réduction supplémentaire de 50 % de l’IRPM.

7        L’accès au régime III a été restreint aux activités qui figuraient sur une liste incluse dans la décision de 2007. De plus, toutes les activités d’intermédiation financière et d’assurances et les activités auxiliaires financières et d’assurances ainsi que toutes les activités du type « services intragroupe » (centres de coordination, trésorerie et distribution), en tant que « services fournis à des entreprises, principalement », ont été exclues du champ d’application du régime III.

8        Une version modifiée du régime III a été autorisée par la décision de la Commission du 2 juillet 2013 rendue dans l’affaire SA.34160 (2011/N) (ci-après la « décision de 2013 »), pour la période du 1er janvier au 31 décembre 2013. Celle-ci maintient les mêmes conditions que celles prévues par le régime III, sous réserve d’une augmentation de 36,7 % des plafonds de la base imposable à laquelle est applicable la réduction de l’IRPM.

9        Par la suite, la prorogation jusqu’au 30 juin 2014 du régime III modifié a été autorisée par la décision rendue par la Commission le 26 novembre 2013 dans l’affaire SA.37668 (2013/N). La prorogation dudit régime jusqu’à la fin de l’année 2014 a été autorisée par la décision de la Commission du 8 mai 2014 rendue dans l’affaire SA.38586 (2014/N).

10      Le 12 mars 2015, la Commission a engagé, sur le fondement de l’article 108, paragraphe 1, TFUE et de l’article 17, paragraphe 1, du règlement (CE) no 659/1999 du Conseil, du 22 mars 1999, portant modalités d’application de l’article [108 TFUE] (JO 1999, L 83, p. 1), un exercice de surveillance du régime III portant sur les années 2012 et 2013.

11      Par lettre du 6 juillet 2018, la Commission a informé la République portugaise de sa décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen prévue à l’article 108, paragraphe 2, TFUE à l’égard du régime III (JO 2019, C 101, p. 7, ci-après la « décision d’ouverture de la procédure formelle »).

12      Cette procédure a été ouverte en raison des doutes de la Commission concernant, d’une part, l’application des exonérations fiscales sur les revenus provenant d’activités effectivement et matériellement réalisées dans la région autonome de Madère (ci-après la « RAM ») et, d’autre part, le lien entre le montant de l’aide et la création ou le maintien de postes de travail effectifs à Madère.

13      À l’issue de ladite procédure, la Commission a adopté la décision attaquée, dont le dispositif est libellé comme suit :

« Article premier

Le régime d’aides “Zone Franche de Madère (ZFM) – Régime III”, dans la mesure où il a été mis en œuvre par le Portugal en violation de la décision [de 2007] et de la décision [de 2013], a été illégalement mis à exécution par le Portugal en violation de l’article 108, paragraphe 3, [TFUE], et est incompatible avec le marché intérieur.

Article 2

Les aides individuelles octroyées au titre du régime visé à l’article 1er ne constituent pas des aides si, au moment de leur octroi, elles satisfont aux conditions définies dans un règlement adopté en vertu de l’article 2 du règlement (UE) 2015/1588, applicable au moment où l’aide est octroyée.

Article 3

Les aides individuelles octroyées au titre du régime visé à l’article 1er qui, au moment de leur octroi, satisfont aux conditions définies dans les décisions visées à l’article 1er ou dans un règlement adopté en vertu de l’article 1er du règlement […] 2015/1588 sont compatibles avec le marché intérieur, à concurrence de l’intensité d’aide maximale applicable à ce type d’aide.

Article 4

1.      Le Portugal est tenu de récupérer auprès des bénéficiaires les aides incompatibles octroyées au titre du régime visé à l’article 1er.

[...]

4.      Le Portugal est tenu d’abroger le régime d’aides incompatible dans la mesure visée à l’article 1er et d’annuler tous les paiements en cours concernant les aides, à compter de la date de notification de la présente décision.

Article 5

1.      La récupération des aides octroyées au titre du régime prévu à l’article 1er est immédiate et effective.

2.      Le Portugal veille à ce que la présente décision soit exécutée dans un délai de huit mois à compter de la date de notification.

[…] »

 Conclusions des parties

14      Les requérantes concluent, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision attaquée ;

–        à titre subsidiaire, annuler l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée et l’ordre de récupération qui y est énoncé ;

–        condamner la Commission aux dépens.

15      La Commission conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter les recours ;

–        condamner les requérantes aux dépens.

 En droit

16      Les parties ayant été entendues, le Tribunal décide de joindre les affaires T‑713/22 et T‑720/22 aux fins du présent arrêt, conformément à l’article 68, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal.

17      Au soutien de leur recours, les requérantes avancent quatre moyens, tirés, en substance, d’erreurs de droit commises par la Commission en ce qu’elle a estimé que le régime III avait été mis en œuvre par la République portugaise en violation des décisions de 2007 et de 2013, des lignes directrices de 2007 et de l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE ainsi qu’en ce qu’elle a retenu une interprétation restrictive et contraire aux articles 21, 45, 49, 54 et 56 TFUE des conditions d’accès audit régime (premier moyen), d’une erreur de droit commise par la Commission en ce que l’examen de la compatibilité du régime III n’a pas été effectué directement et uniquement sur la base de l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE, est fondé sur une interprétation erronée des lignes directrices de 2007 en contradiction avec cette disposition et méconnaît les principes de libre circulation des citoyens et des travailleurs, de libre établissement ainsi que de libre prestation des services (deuxième moyen) et de l’illégalité de l’ordre de récupération figurant à l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée (troisième et quatrième moyens).

 Sur le premier moyen, tiré d’erreurs de droit commises par la Commission en ce qu’elle a estimé que le régime III avait été mis en œuvre par la République portugaise en violation des décisions de 2007 et de 2013, des lignes directrices de 2007 et de l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE ainsi quen ce qu’elle a retenu une interprétation restrictive et contraire aux articles 21, 45, 49, 54 et 56 TFUE des conditions d’accès audit régime

 Sur l’objet du premier moyen

18      Par leur premier moyen, les requérantes font valoir, en substance, que les autorités portugaises ont correctement interprété et mis en œuvre le régime III, tel qu’autorisé par la Commission à l’occasion des décisions de 2007 et de 2013, et, partant, que la Commission a commis des erreurs de droit en estimant que, dans le cadre de la mise en œuvre dudit régime, les autorités portugaises n’avaient pas correctement appliqué, d’une part, la condition relative à l’origine des bénéfices auxquels s’applique la réduction de l’IRPM et, d’autre part, la condition relative à la création ou au maintien de postes de travail dans la RAM, toutes deux introduites par le régime II. Les requérantes considèrent en outre que la Commission a commis une erreur de droit en estimant que les autorités portugaises n’avaient pas mis en œuvre des contrôles fiscaux adaptés et efficaces pour vérifier le respect, par les bénéficiaires, de ces deux conditions.

19      À cet égard, il convient de rappeler que, lorsqu’une partie requérante estime que la Commission a, à tort, considéré que les modalités de versement d’aides individuelles au titre d’un régime d’aides préalablement autorisé n’étaient pas conformes à cette autorisation préalable, l’argumentation de cette partie doit être comprise comme critiquant le fait que la Commission a refusé de reconnaître auxdites aides la qualification juridique d’« aide existante », au sens de l’article 1er, sous b), ii), du règlement (UE) 2015/1589 du Conseil, du 13 juillet 2015, portant modalités d’application de l’article 108 TFUE (JO 2015, L 248, p. 9), à savoir celles de régimes d’aides ou d’aides individuelles autorisées par la Commission ou le Conseil de l’Union européenne [arrêt du 21 septembre 2022, Portugal/Commission (Zone Franche de Madère), T‑95/21, EU:T:2022:567, point 100].

20      Par conséquent, il convient de comprendre le premier moyen comme visant, en substance, à contester le fait que, aux considérants 150 à 180 et 228 ainsi qu’à l’article 1er de la décision attaquée, la Commission n’a pas assimilé le régime III, tel que mis en œuvre, à une « aide existante » au sens de l’article 1er, sous b), ii), du règlement 2015/1589, dont la compatibilité aurait dû être appréciée dans le cadre de l’examen permanent des régimes d’aides existants, prévus à l’article 108, paragraphe 1, TFUE, mais l’a qualifié, au considérant 180 de la décision attaquée, d’« aide illégale » et, partant, d’« aide nouvelle » au sens de l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589, en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

 Sur le bien-fondé du premier moyen

21      En ce qui concerne, en premier lieu, la condition relative à l’origine des bénéfices auxquels s’applique la réduction de l’IRPM, les requérantes soutiennent que la Commission a commis une erreur de droit dans l’interprétation de cette condition en considérant que les activités réalisées en dehors de la RAM par des sociétés enregistrées dans la ZFM ne pouvaient pas bénéficier de la réduction de l’IRPM. Cette interprétation des termes « activités effectivement et matériellement réalisées à Madère » retenue par la Commission dans la décision attaquée serait trop restrictive et contraire au sens habituel de cette expression lorsqu’elle est utilisée dans le cadre d’un régime fiscal ainsi qu’au contexte et aux objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie. En outre, une telle interprétation méconnaîtrait les articles 49 et 56 TFUE, en ce qu’elle introduit des restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services qui ne seraient ni appropriées ni proportionnées aux fins de la réalisation de l’objectif poursuivi par les décisions de 2007 et de 2013.

22      Ainsi, premièrement, les requérantes estiment que l’interprétation des termes « activités effectivement et matériellement réalisées à Madère » doit tenir compte de la portée donnée à ces termes dans le domaine de la fiscalité internationale, notamment dans le plan d’action de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) concernant la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices ainsi que dans les principes d’orientation généraux relatifs à l’évaluation des mesures dans le cadre dudit plan d’action. Or, dans ce domaine, il serait largement admis que les revenus provenant d’une activité exercée par une entité sont imputables au lieu de résidence fiscale ou au lieu de direction effective de l’entité, à condition qu’elle y exerce une activité substantielle.

23      Deuxièmement, s’agissant du contexte dans lesquels les termes « activités effectivement et matériellement réalisées à Madère » ont été utilisés, les requérantes relèvent que, contrairement aux aides régionales à l’investissement, dans le cas d’aides régionales au fonctionnement, telles que le régime III, les lignes directrices de 2007 n’établissent pas de lien explicite entre les activités éligibles à l’aide et la zone géographique de la région en question.

24      Troisièmement, s’agissant des objectifs poursuivis par la réglementation dans laquelle s’insèrent ces termes, les requérantes soutiennent que l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE conditionne l’admissibilité des aides régionales aux régions ultrapériphériques au seul fait de contribuer à leur développement, indépendamment de la question de la compensation des surcoûts résultant de l’éloignement desdites régions. En outre, l’interprétation restrictive des termes « activités effectivement et matériellement réalisées à Madère » serait contraire à l’effet utile de la décision de 2007 et à l’objectif poursuivi par celle-ci dès lors qu’il y aurait tout un ensemble d’activités qui, bien que répertoriées dans cette décision comme étant susceptibles de bénéficier du régime III, en pratique ne pourraient pas en bénéficier.

25      Quatrièmement, les requérantes font valoir que l’interprétation des termes « activités effectivement et matériellement réalisées à Madère » retenue par la Commission dans la décision attaquée implique des restrictions à la liberté d’établissement et à la libre prestation des services, contraires aux articles 49 et 56 TFUE, en ce qu’elle décourage les entités enregistrées dans la ZFM d’exercer leur activité en dehors de la RAM. Or, de telles restrictions ne seraient ni appropriées ni proportionnées aux fins de la réalisation de l’objectif que doivent poursuivre les décisions de 2007 et de 2013, à savoir celui de contribuer au développement économique de la RAM.

26      En ce qui concerne, en deuxième lieu, la condition relative à la création ou au maintien de postes de travail dans la RAM, les requérantes soutiennent que la Commission a commis plusieurs erreurs de droit dans l’interprétation de cette condition.

27      Premièrement, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir estimé, dans la décision attaquée, que, aux fins du calcul du nombre de postes de travail créés ou maintenus pour chaque bénéficiaire du régime III, les autorités portugaises auraient dû recourir à la méthodologie de la définition des postes de travail en « équivalent temps-plein » (ETP) et en « unité de travail par année » (UTA).

28      En l’absence de définition des termes « poste de travail » dans les décisions de 2007 et de 2013, le sens desdits termes aurait dû être entendu selon leur signification habituelle, à savoir comme se référant à tout type de relation de travail qui fait naître sur le plan fiscal l’obligation de payer des cotisations de sécurité sociale et de pratiquer des retenues sur le paiement de salaires, indépendamment de l’investissement en termes de temps que ladite relation suppose et donc indépendamment de l’équivalent en UTA du travail effectué. Une telle signification habituelle serait, par ailleurs, conforme au contexte des décisions de 2007 et de 2013 ainsi qu’à leur objectif, à savoir de contribuer au développement économique de la RAM. Les requérantes indiquent en outre que, en l’absence d’une notion uniforme au niveau de l’Union européenne, les autorités portugaises avaient pu valablement recourir à la notion de « poste de travail » au sens du droit portugais qui constituait un critère clair et objectif pour déterminer si les bénéficiaires avaient ou non créé les emplois. Enfin, la création ou le maintien de postes de travail dans la RAM ne constituerait, selon les requérantes, qu’une finalité accessoire par rapport au but premier du régime III, à savoir contribuer au développement économique de cette région.

29      Deuxièmement, les requérantes contestent l’appréciation de la Commission selon laquelle seuls les postes de travail créés et maintenus dans la RAM doivent être pris en compte afin de vérifier la bonne application de la condition relative à la création ou au maintien de postes de travail, faisant valoir qu’une telle appréciation est contraire aux principes de libre circulation, notamment à la libre circulation des travailleurs, tels que prévus aux articles 21 et 45 TFUE, en rendant plus difficile la possibilité soit pour un travailleur engagé par une entreprise établie dans la ZFM de pouvoir résider et exercer son activité professionnelle ailleurs que dans la RAM, soit pour une telle entreprise de recruter des travailleurs ne résidant pas ou ne souhaitant pas résider dans cette région.

30      Troisièmement, Nova Ship Invest, Unipessoal (Zona Franca da Madeira) ajoute que les sociétés de gestion de participations sociales (ci-après la ou les « SGPS ») ne sont pas soumises à la condition de création et de maintien des postes de travail dans la RAM, de sorte que la Commission a commis une erreur de droit dans la décision attaquée en n’ayant pas établi, lors de l’analyse du respect de cette condition, la moindre limitation en fonction des entreprises bénéficiaires.

31      En ce qui concerne, en troisième lieu, les contrôles fiscaux mis en œuvre par les autorités portugaises afin de vérifier la bonne application des conditions relatives, d’une part, à l’origine des bénéfices auxquels s’applique la réduction de l’IRPM et, d’autre part, à la création ou au maintien de postes de travail dans la RAM, les requérantes font valoir une erreur de droit commise par la Commission en ce qu’elle a estimé, dans la décision attaquée, que les contrôles fiscaux effectués n’avaient pas permis de vérifier le respect, par les bénéficiaires, de ces deux conditions d’accès au régime III.

32      La Commission conteste cette argumentation.

–       Sur la condition relative à l’origine des bénéfices auxquels s’applique la réduction de l’IRPM

33      L’argumentation des requérantes implique de déterminer si, en dépit du libellé du régime III ainsi que des décisions de 2007 et de 2013, qui subordonnent l’octroi des aides autorisées à la condition que les bénéfices des sociétés enregistrées dans la ZFM soient issus d’activités « effectivement et matériellement réalisées à Madère », les autorités portugaises pouvaient, sans violer ces décisions, octroyer les aides prévues par ce régime également pour des bénéfices issus d’activités réalisées en dehors de la RAM.

34      À cet égard, il est de jurisprudence constante que la détermination de la signification et de la portée des termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doit être établie conformément au sens habituel de ceux-ci, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (voir arrêt du 27 janvier 2022, Zinātnes parks, C‑347/20, EU:C:2022:59, point 42 et jurisprudence citée).

35      Or, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, les termes « activités effectivement et matériellement réalisées à Madère », dans leur sens habituel, ne peuvent être interprétés comme visant des activités réalisées en dehors de la RAM, même par des sociétés enregistrées dans la ZFM.

36      Une telle conclusion est corroborée par le contexte de la décision attaquée ainsi que par les objectifs poursuivis par la réglementation de l’Union en matière d’aides d’État et, en particulier, celle applicable aux aides à finalité régionale.

37      Tout d’abord, il ressort des décisions autorisant les régimes II et III que, au cours des procédures administratives ayant abouti à celles-ci, la Commission et les autorités portugaises ont toujours partagé l’interprétation à donner aux termes « activités effectivement et matériellement réalisées à Madère ». Or, le juge de l’Union ne saurait ignorer cet élément pour définir avec précision le champ d’application d’un régime d’aides notifié, même s’il n’a pas été porté à la connaissance des requérantes (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2010, Kahla Thüringen Porzellan/Commission, C‑537/08 P, EU:C:2010:769, point 45).

38      Il ressort en effet de la décision de 2002 que, au cours de la procédure administrative ayant abouti à celle-ci, les autorités portugaises ont indiqué que les « avantages fiscaux ser[aie]nt limités aux activités effectivement et matériellement réalisées à Madère, ce qui permettra[it] d’exclure les activités qui seraient exercées hors de Madère ».

39      De même, ainsi que cela ressort du considérant 226 de la décision attaquée, la Commission « avait demandé l’introduction dans le projet de loi notifié par [la République portugaise] le 28 juin 2006 d’une disposition expresse selon laquelle les réductions d’impôts ne s’appliqueraient qu’aux bénéfices tirés d’activités menées à Madère » et la République portugaise a refusé de procéder à cette introduction au motif qu’« une telle disposition n’était pas nécessaire, car la restriction en cause découlait de la base juridique de la ZFM ».

40      Ensuite, les termes des décisions de 2007 et de 2013, à supposer qu’ils puissent être considérés comme ambigus, doivent être interprétés en conformité avec leurs bases juridiques, à savoir, respectivement, l’article 87, paragraphe 3, sous a), CE [devenu article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE] et l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE, ainsi qu’avec les lignes directrices de 2007.

41      Or, toutes les dérogations au principe général d’incompatibilité des aides d’État avec le marché intérieur, énoncé à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte (voir arrêt du 29 avril 2004, Allemagne/Commission, C‑277/00, EU:C:2004:238, point 20 et jurisprudence citée).

42      De plus, comme l’a relevé à juste titre la Commission aux considérants 153 et 154 de la décision attaquée, les lignes directrices de 2007, et plus particulièrement leurs points 6 et 76, énoncent que des aides au fonctionnement peuvent être octroyées exceptionnellement dans les régions bénéficiant de la dérogation de l’article 87, paragraphe 3, sous a), CE [devenu article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE], telles que la RAM, dont le statut de région ultrapériphérique est reconnu par la Commission, à condition qu’elles soient justifiées par leur contribution au développement régional et par leur nature et que leur niveau soit proportionnel aux handicaps qu’elles visent à pallier.

43      Or, ainsi que cela ressort du considérant 156 de la décision attaquée, les aides au fonctionnement à finalité régionale en faveur des régions ultrapériphériques ont été conçues pour compenser les coûts additionnels supportés par les entreprises de ces régions dus aux handicaps dont souffrent ces dernières, tels que ceux énumérés au considérant 155 de la décision attaquée. Cela implique que seules les activités affectées par les handicaps, et donc les surcoûts propres à ces régions, doivent être susceptibles de bénéficier de telles aides au fonctionnement.

44      Ainsi peuvent être exclues du bénéfice de ces mêmes aides les activités exercées en dehors desdites régions qui, de ce fait, ne sont pas affectées par ces surcoûts, et cela même si elles sont exercées par des sociétés établies dans ces mêmes régions.

45      Enfin, ainsi que la Commission l’a indiqué à juste titre au considérant 157 de la décision attaquée, l’appréciation de la compatibilité du régime III, dans la décision de 2007, a été réalisée sur la base des coûts additionnels supportés par des entreprises exerçant leur activité dans la RAM, et non en dehors de celle-ci.

46      Il ressort, en effet, des considérants 44 à 53 de la décision de 2007 que la Commission a pris appui sur une étude, fournie par les autorités portugaises, quantifiant les « surcoûts encourus par le secteur privé dans la [RAM] ». De plus, les surcoûts pris en considération, à savoir notamment les frais de transport, de stock, de ressources humaines, de financement ou de commercialisation, sont ceux auxquels sont exposées les activités exercées effectivement et matériellement dans la RAM, et non les activités exercées en dehors de celle-ci par des sociétés enregistrées dans cette région. Enfin, ce constat est corroboré par le fait que, au considérant 48 de la décision de 2007, la Commission a appréhendé les surcoûts en cause en pourcentage de la seule valeur ajoutée brute du secteur privé ou du seul produit intérieur brut de la RAM.

47      En conséquence, en plus de ne pas trouver de fondement dans le libellé et le contexte des décisions de 2007 et de 2013, l’interprétation large des termes « activités effectivement et matériellement réalisées à Madère », soutenue par les requérantes, s’avère contraire non seulement aux objectifs poursuivis par l’article 87, paragraphe 3, sous a), CE et par l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE, qui ont servi de fondement juridique, respectivement, aux décisions de 2007 et de 2013, mais également aux lignes directrices de 2007.

48      À cet égard, le fait que l’interprétation retenue par la Commission puisse, comme le soutiennent les requérantes, différer de celle retenue dans le plan d’action de l’OCDE concernant la lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices et, en particulier, dans les principes d’orientation généraux relatifs à l’évaluation des mesures dans le cadre dudit plan ne saurait modifier cette conclusion.

49      En effet, si la Commission est susceptible de prendre en considération des textes adoptés dans le cadre de l’OCDE, elle ne saurait aucunement être liée par ceux-ci, notamment dans l’application des règles du traité FUE et, en particulier, celles relatives aux aides d’État [voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2021, Luxembourg et Amazon/Commission, T‑816/17 et T‑318/18, EU:T:2021:252, point 154, et conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire État luxembourgeois (Informations sur un groupe de contribuables), C‑437/19, EU:C:2021:450, point 67].

50      C’est donc sans commettre d’erreur de droit que la Commission a pu conclure, au considérant 167 de la décision attaquée, que le régime III, tel que mis en œuvre, en ce qui concerne la condition tenant à l’origine des bénéfices auxquels la réduction de l’IRPM était appliquée, était contraire aux décisions de 2007 et de 2013.

51      Une telle conclusion ne saurait davantage être remise en cause par l’argumentation des requérantes selon laquelle, en interprétant les termes « activités effectivement et matériellement réalisées à Madère » comme ne visant pas les activités exercées en dehors de cette région par des sociétés enregistrées dans la ZFM, la Commission aurait insuffisamment pris en considération le fait que le régime III, en tant qu’aide au fonctionnement à finalité régionale en faveur des régions ultrapériphériques, avait pour objectif essentiellement de contribuer au développement économique de la région, cette contribution pouvant être obtenue par des entreprises indépendamment du lieu où elles exercent matériellement leurs activités, ou encore aurait violé les principes de libre établissement et de libre prestation des services.

52      Premièrement, s’agissant de l’allégation tirée d’une prise en considération insuffisante de l’objectif allégué du régime III qui, en tant qu’aide au fonctionnement à finalité régionale en faveur des régions ultrapériphériques, consisterait essentiellement à contribuer au développement économique de ces régions et non à compenser les coûts additionnels supportés par les entreprises implantées dans ces régions compte tenu des handicaps structurels dont souffrent ces dernières, il convient de relever que, par celle-ci, les requérantes ne tendent pas à remettre en cause l’appréciation effectuée par la Commission quant à la non‑conformité du régime III, tel que mis en œuvre, aux décisions de 2007 et de 2013 et, partant, la qualification juridique de ce régime d’« aide nouvelle » au sens de l’article 1er, sous c), du règlement 2015/1589, octroyée en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

53      Au contraire, les requérantes tendent implicitement à remettre en cause l’appréciation de la compatibilité du régime III effectuée à l’occasion des décisions de 2007 et de 2013, lesquelles sont devenues définitives, sans pour autant que leur argumentation puisse être interprétée comme soulevant une exception d’illégalité desdites décisions au sens de l’article 277 TFUE.

54      En tout état de cause, l’argumentation des requérantes se fonde sur une prémisse erronée, selon laquelle l’objectif du régime III, en tant qu’aide au fonctionnement à finalité régionale en faveur d’une région ultrapériphérique, serait essentiellement de contribuer au développement économique de la RAM et uniquement accessoirement de compenser les coûts additionnels propres à la RAM.

55      Or, ainsi que cela a déjà été relevé aux points 35 à 47 ci‑dessus, il ressort sans ambiguïté tant du libellé des décisions de 2007 et de 2013 que des objectifs de la réglementation de l’Union en matière d’aides d’État à finalité régionale dans les régions ultrapériphériques, sur laquelle ces décisions sont fondées, que la compensation à due proportion des coûts additionnels propres à la RAM constitue un élément central ayant conduit la Commission à constater la compatibilité du régime III.

56      Deuxièmement, s’agissant de l’allégation de violation des principes de libre circulation des citoyens, de libre établissement et de libre prestation des services, il convient de relever que celle-ci ne saurait prospérer.

57      En effet, le Tribunal ayant constaté au point 47 ci-dessus que, dans la décision attaquée, la condition relative à l’origine des bénéfices avait été interprétée par la Commission conformément au libellé et au contexte des décisions de 2007 et de 2013, mais également conformément aux objectifs poursuivis par la réglementation de l’Union en matière d’aides d’État, les requérantes remettent en cause, en définitive, non l’interprétation de cette condition dans la décision attaquée, mais l’interprétation de ladite condition retenue par la Commission dans les décisions de 2007 et de 2013 afin de constater la compatibilité du régime III.

58      Or, les requérantes n’ont ni implicitement, ni explicitement soulevé une exception d’illégalité des décisions de 2007 et de 2013. En effet, elles n’ont pas expliqué en quoi ces deux décisions violeraient les principes de libre circulation des citoyens, de libre établissement et de libre prestation des services.

59      Pour autant que cette argumentation puisse être comprise comme visant à contester, sur le fondement des principes évoqués au point 58 ci-dessus, le constat d’incompatibilité du régime III, tel que mis en œuvre, cette critique sera examinée, aux points 98 à 105 ci-après, dans le cadre de l’appréciation du bien-fondé du deuxième moyen soulevé par les requérantes.

60      Au vu de ce qui précède, la Commission n’a commis aucune erreur de droit dans l’interprétation de la condition, prévue dans les décisions de 2007 et de 2013, selon laquelle les réductions de l’IRPM prévues par le régime III ne pouvaient porter que sur les bénéfices résultant d’activités « effectivement et matériellement réalisées à Madère ».

–       Sur la condition relative à la création ou au maintien d’emplois dans la RAM

61      Les requérantes font essentiellement grief à la Commission d’avoir, à tort, imposé à la République portugaise de recourir aux méthodes ETP et UTA, à l’exclusion de la notion de « poste de travail » au sens du droit portugais, ou à tout le moins de lui avoir imposé un mode de calcul objectif du temps de travail effectivement consacré par chaque titulaire d’un poste de travail ouvrant droit au bénéfice du régime III, pour vérifier le respect de la condition tenant à la création ou au maintien de postes de travail dans la RAM, en violation des objectifs du régime III ainsi que des principes de libre circulation.

62      Toutefois, le premier argument des requérantes procède d’une lecture erronée de la décision attaquée.

63      En effet, la conclusion selon laquelle le régime III, tel que mis en œuvre, méconnaît les décisions de 2007 et de 2013 n’est pas fondée sur le fait que les autorités portugaises auraient omis de recourir aux méthodes ETP et UTA pour vérifier si la condition tenant à la création ou au maintien de postes de travail dans la RAM était remplie. Cette conclusion repose sur le constat, figurant au considérant 176 de la décision attaquée, que la méthode retenue par les autorités portugaises pour calculer le nombre de postes de travail créés ou maintenus dans la RAM ne permettait pas de vérifier la réalité et la permanence des postes de travail déclarés par les bénéficiaires dudit régime.

64      Or, cette conclusion est étayée à suffisance de droit par les considérants 28 et 175 de la décision attaquée, selon lesquels, en application de la méthode retenue par les autorités portugaises, constituait un poste de travail aux fins de l’application du régime III tout emploi, de quelque nature juridique qu’il soit, indépendamment du nombre d’heures, de jours et de mois de travail actif par année, déclaré par les bénéficiaires, y compris les emplois à temps partiel ou ceux de membres de conseil d’administration qui exercent leur activité dans plus d’une société bénéficiaire du régime III.

65      La décision attaquée n’étant pas fondée sur le constat que les autorités portugaises auraient omis de recourir aux méthodes ETP et UTA pour calculer le nombre de postes de travail, les arguments des requérantes tendant à reprocher à la Commission d’avoir imposé, à tort, le recours à de telles méthodes doivent être écartés.

66      En outre, doit également être écarté l’argument des requérantes aux termes duquel la Commission n’était pas en droit, aux fins de vérifier la satisfaction de cette condition, d’imposer à la République portugaise l’obligation de recourir à un mode de calcul objectif du temps de travail effectivement consacré par chaque titulaire d’un poste de travail ouvrant droit au bénéfice du régime III, compte tenu notamment du fait que la création ou le maintien de postes de travail dans la RAM ne constituerait qu’une finalité accessoire du régime III.

67      En effet, d’une part, comme la Commission l’a relevé, à juste titre, au considérant 169 de la décision attaquée, il ressort expressément de la décision de 2007 (voir, en particulier, son considérant 64) et de la décision de 2013 (voir, en particulier, son considérant 28) que cette condition était une condition d’accès au régime III et qu’elle constituait un paramètre de calcul des montants de l’aide versée en vertu du régime de la ZFM, tel que notifié par la République portugaise et approuvé par ces deux décisions [voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2022, Portugal/Commission (Zone Franche de Madère), T‑95/21, EU:T:2022:567, point 160].

68      D’autre part, ainsi que cela a déjà été relevé au point 41 ci‑dessus, les dérogations au principe général d’incompatibilité des aides d’État avec le marché intérieur, énoncé à l’article 107, paragraphe 1, TFUE, doivent faire l’objet d’une interprétation stricte. Cette exigence implique que l’interprétation des conditions d’octroi d’un régime d’aides autorisé par la Commission ne saurait demeurer à l’entière discrétion de l’État membre concerné, au prétexte notamment du respect du principe d’autonomie institutionnelle et procédurale.

69      Il doit en aller d’autant plus ainsi que, en l’espèce, il ne saurait être valablement soutenu que l’obligation de recourir à un mode de calcul objectif du temps de travail effectivement consacré par chaque titulaire d’un poste de travail ouvrant droit au bénéfice du régime III interférerait avec le droit portugais. En effet, cette obligation de recourir à un mode de calcul objectif n’empêche pas que toute forme de relation de travail prévue par le droit portugais puisse être prise en considération. De plus, ladite obligation de recourir à un tel mode de calcul s’impose aux seules fins de l’appréciation de la compatibilité du régime III ainsi que de la bonne exécution des décisions de 2007 et de 2013.

70      Pour les mêmes motifs que ceux mentionnés aux points 56 et 58 ci‑dessus, l’allégation selon laquelle l’interprétation retenue par la Commission de la condition relative à la création ou au maintien de postes de travail dans la RAM serait contraire aux principes de libre circulation des citoyens et des travailleurs doit être écartée.

71      Pour autant, s’il convient de comprendre cet argument comme visant à contester, sur le fondement des principes évoqués au point 70 ci-dessus, le constat d’incompatibilité du régime III, tel que mis en œuvre, cette critique sera examinée, aux points 98 à 105 ci-après, dans le cadre de l’appréciation du bien-fondé du deuxième moyen soulevé par les requérantes.

72      Enfin, doit être écarté comme inopérant l’argument supplémentaire ayant été soulevé par Nova Ship Invest, Unipessoal (Zona Franca da Madeira), selon lequel la Commission aurait commis une erreur de droit dans la décision attaquée en n’ayant pas établi, lors de l’analyse du respect de la condition relative à la création ou au maintien de postes de travail dans la RAM, la moindre limitation en fonction du type d’entreprise bénéficiaire, alors que les SGPS  ne seraient pas soumises à une telle condition.

73      En effet, à cet égard, il convient de relever, d’une part, que, dans sa requête, Nova Ship Invest, Unipessoal (Zona Franca da Madeira) se limite à formuler un tel argument sans prétendre pour autant constituer elle-même une SGPS.

74      D’autre part, si en réponse à une question du Tribunal sur ce point lors de l’audience, Nova Ship Invest, Unipessoal (Zona Franca da Madeira) a affirmé constituer elle-même une SGPS, force est de constater qu’elle n’a produit aucun élément de nature à étayer une telle allégation, se contentant de renvoyer à l’annexe A.3 de la requête, à savoir une autorisation, datée du 29 décembre 2000, d’exercer dans la ZFM ayant été délivrée à une entreprise à laquelle elle aurait succédé et dont l’objet social comprendrait, notamment, la gestion de parts sociales.

75      Cependant, ce document ne démontre pas que Nova Ship Invest, Unipessoal (Zona Franca da Madeira) aurait pour objet social exclusif la gestion de parts sociales et qu’elle constituerait donc une SGPS.

76      Dès lors, la Commission n’a commis aucune erreur de droit en estimant, au considérant 179 de la décision attaquée, que le régime III, tel que mis en œuvre, violait la condition de création et de maintien de postes de travail dans la RAM.

–       Sur l’efficacité des contrôles fiscaux effectués aux fins de la vérification de la bonne application des conditions relatives à l’origine des bénéfices auxquels s’applique la réduction de l’IRPM et à la création ou au maintien de postes de travail dans la RAM

77      Les requérantes font, en substance, grief à la Commission d’avoir estimé, dans la décision attaquée, que les contrôles effectués par les autorités fiscales étaient inadaptés à la vérification de la bonne application des conditions relatives à l’origine des bénéfices auxquels s’appliquait la réduction de l’IRPM et à la création ou au maintien de postes de travail dans la RAM, prévues par le régime III. Cette inadaptation serait la conséquence directe du fait que les autorités portugaises auraient interprété et appliqué ces conditions en violation des décisions de 2007 et de 2013, des lignes directrices de 2007 et de l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE, ce que les requérantes contestent.

78      À cet égard, il suffit de constater que, aux points 60 et 76 ci-dessus, le Tribunal a estimé que les critiques de la Commission relatives à l’interprétation et à la mise en œuvre par les autorités portugaises des deux conditions mentionnées au point 77 ci-dessus étaient fondées.

79      Par conséquent, la Commission n’a pas commis une erreur de droit en constatant, au considérant 178 de la décision attaquée, que les contrôles fiscaux effectués par les autorités portugaises auprès des bénéficiaires du régime III ainsi que les données recueillies dans le cadre de ces contrôles ne permettaient pas de contrôler efficacement le respect des conditions du régime III relatives à l’origine des bénéfices auxquels s’appliquait la réduction de l’IRPM et à la création ou au maintien de postes de travail dans la RAM, dès lors que lesdites autorités interprétaient ou appliquaient lesdites conditions d’accès au régime III en violation des décisions de 2007 et de 2013.

80      Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, c’est à juste titre que la Commission a constaté que le régime III, tel que mis en œuvre, ne respectait pas plusieurs des conditions requises par les décisions de 2007 et de 2013.

81      Ce régime ayant été mis à exécution en méconnaissance des décisions de 2007 et de 2013, de sorte qu’il a été substantiellement modifié par rapport au régime autorisé par lesdites décisions, c’est également à juste titre que, au considérant 180 de la décision attaquée, la Commission a conclu à l’existence d’une aide nouvelle illégale (voir, en ce sens, arrêt du 25 octobre 2017, Commission/Italie, C‑467/15 P, EU:C:2017:799, point 48).

82      Il en découle que le premier moyen doit être rejeté comme étant non fondé.

 Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur de droit commise par la Commission en ce que l’examen de la compatibilité du régime III, tel que mis en œuvre, n’a pas été effectué directement et uniquement sur la base de l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE, est fondé sur une interprétation erronée des lignes directrices de 2007 en contradiction avec l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE et méconnaît les principes de libre circulation des citoyens et des travailleurs, de libre établissement ainsi que de libre prestation des services

83      Par leur deuxième moyen, les requérantes reprochent à la Commission d’avoir, dans la décision attaquée, effectué l’examen de la compatibilité du régime d’aides en cause non pas directement et uniquement au regard de l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE, mais en tenant compte, dans son analyse, des exigences et des conditions qui ont été introduites par les lignes directrices de 2007. En outre, les requérantes estiment que les considérants 191 à 198 de la décision attaquée, à l’occasion desquels la Commission constate l’incompatibilité du régime III, tel que mis en œuvre, sont fondés sur une lecture erronée des lignes directrices de 2007 et sont en outre contraires au traité FUE, et notamment à son article 107, paragraphe 3, sous a), qui conditionnerait la compatibilité des aides régionales destinées à favoriser le développement des régions ultrapériphériques uniquement au fait que ces aides soient destinées à promouvoir le développement desdites régions, compte tenu de la situation structurelle, économique et sociale de celles-ci, sans exiger que les aides soient nécessaires pour compenser les désavantages intrinsèques de ces régions.

84      La Commission conteste cette argumentation.

85      Il convient de rappeler qu’il ressort d’une jurisprudence constante que, dans le cadre de l’appréciation de la compatibilité de mesures d’aide avec le marché intérieur au titre de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, la Commission bénéficie d’un large pouvoir d’appréciation dont l’exercice implique des évaluations complexes d’ordre économique et social (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Bayerische Motoren Werke et Freistaat Sachsen/Commission, C‑654/17 P, EU:C:2019:634, points 79 et 80 et jurisprudence citée).

86      Dans l’exercice de ce pouvoir d’appréciation, la Commission peut adopter des lignes directrices afin d’établir les critères sur la base desquels elle entend évaluer la compatibilité, avec le marché intérieur, de mesures d’aide envisagées par les États membres (voir arrêt du 29 juillet 2019, Bayerische Motoren Werke et Freistaat Sachsen/Commission, C‑654/17 P, EU:C:2019:634, point 81 et jurisprudence citée).

87      En adoptant de telles règles de conduite et en annonçant par leur publication qu’elle les appliquera aux cas concernés par celles-ci, la Commission s’autolimite dans l’exercice dudit pouvoir d’appréciation et ne saurait, en principe, se départir de ces règles sous peine de se voir sanctionner, le cas échéant, au titre d’une violation de principes généraux du droit, tels que l’égalité de traitement ou la protection de la confiance légitime (voir arrêt du 29 juillet 2019, Bayerische Motoren Werke et Freistaat Sachsen/Commission, C‑654/17 P, EU:C:2019:634, point 82 et jurisprudence citée).

88      Certes, la Commission ne saurait renoncer, au moyen de l’adoption de règles de conduite, à l’exercice du pouvoir d’appréciation que l’article 107, paragraphe 3, TFUE lui confère. Partant, l’adoption des lignes directrices de 2007 n’affranchit pas la Commission de son obligation d’examiner les circonstances spécifiques exceptionnelles que l’État membre invoque, dans un cas particulier, afin de solliciter l’application directe de l’article 107, paragraphe 3, TFUE (voir, par analogie, arrêt du 29 juillet 2019, Bayerische Motoren Werke et Freistaat Sachsen/Commission, C‑654/17 P, EU:C:2019:634, point 83 et jurisprudence citée).

89      En l’occurrence, comme cela a été constaté au considérant 190 de la décision attaquée, la République portugaise n’a pas invoqué de circonstances exceptionnelles justifiant une application directe de l’article 107, paragraphe 3, TFUE aux fins d’apprécier la compatibilité du régime III, tel que mis en œuvre. En outre, il n’est pas contesté que le régime III, en tant qu’aide au fonctionnement à finalité régionale, entre dans le champ d’application des lignes directrices de 2007, de sorte que, conformément à la jurisprudence citée au point 87 ci-dessus, la Commission était tenue de suivre ces lignes directrices dans le cadre de l’appréciation de la compatibilité du régime III, tel que mis en œuvre.

90      C’est donc sans commettre d’erreur de droit que, dans la décision attaquée, la Commission a examiné le régime III, tel que mis en œuvre, au regard des lignes directrices de 2007 et non pas directement et uniquement sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, TFUE, examen qu’elle a, par ailleurs, effectué aux considérants 188 à 198 de la décision attaquée.

91      En outre, il n’apparaît pas que, dans le cadre de l’examen de la compatibilité du régime III, tel que mis en œuvre, effectué aux considérants 181 à 207 de la décision attaquée, la Commission a méconnu la réglementation de l’Union en matière d’aides d’État à finalité régionale, en particulier les lignes directrices de 2007 ou l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE.

92      S’agissant des lignes directrices de 2007, contrairement à ce qu’allèguent les requérantes et ainsi que cela a été déjà relevé au point 42 ci-dessus, la compatibilité des aides régionales au fonctionnement dans les régions ultrapériphériques n’est pas conditionnée uniquement au fait que ces aides soient destinées à promouvoir le développement desdites régions, mais suppose également que leur niveau soit proportionnel aux handicaps qu’elles visent à pallier.

93      En effet, ainsi que cela a été rappelé au point 43 ci-dessus, les aides au fonctionnement à finalité régionale en faveur des régions ultrapériphériques ont été conçues pour compenser les coûts additionnels supportés par les entreprises de ces régions dus aux handicaps dont souffrent ces dernières.

94      Or, c’est à bon droit que, aux considérants 184 à 186 de la décision attaquée, la Commission a relevé que l’application du régime III, tel que mis en œuvre, n’était pas conforme aux conditions prévues aux points 76 et 80 des lignes directrices de 2007, dont les requérantes n’ont pas remis en cause la légalité.

95      Une telle conclusion ne peut être remise en cause par l’argument des requérantes selon lequel l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE conditionnerait la compatibilité des aides régionales aux régions ultrapériphériques uniquement au fait que ces aides soient destinées à promouvoir le développement desdites régions, sans exiger que les aides soient nécessaires pour compenser les désavantages intrinsèques de ces régions.

96      En effet, si, certes, l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE ne mentionne pas expressément que les aides aux régions ultrapériphériques doivent être nécessaires pour compenser les désavantages intrinsèques de ces régions, il n’en demeure pas moins que le constat de la compatibilité d’une aide d’État avec le marché intérieur – en particulier celles accordées sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE – suppose par nature que cette dernière respecte notamment l’exigence générale de nécessité (voir, en ce sens, arrêts du 17 septembre 1980, Philip Morris Holland/Commission, 730/79, EU:C:1980:209, point 17 ; du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, point 78, et du 12 juillet 2018, Autriche/Commission, T‑356/15, EU:T:2018:439, point 370).

97      Or, c’est à juste titre que, aux considérants 191 à 198 de la décision attaquée, la Commission a constaté que le régime III, tel que mis en œuvre, n’était pas appliqué de manière à lutter contre les difficultés structurelles auxquelles les entreprises pouvaient effectivement devoir faire face dans le cadre de l’exercice de leur activité à Madère et, de ce fait, n’était ni adéquat ni proportionné à l’objectif d’intérêt commun qu’était le développement régional de cette région.

98      En ce qui concerne les arguments des requérantes tirés de la violation des principes de libre circulation des citoyens et des travailleurs, de libre établissement et de libre prestation des services, il convient de relever qu’ils visent, en substance, à remettre en cause le constat, figurant au considérant 198 de la décision attaquée, effectué par la Commission sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE, quant au caractère incompatible avec le marché intérieur du régime III, tel que mis en œuvre, au motif que ce constat aurait pour conséquence de rendre plus difficile ou plus coûteux l’exercice desdites libertés par les entreprises ayant bénéficié de ce régime ou par leurs salariés.

99      À cet égard, il est de jurisprudence constante qu’une aide qui, en tant que telle ou par certaines de ses modalités, viole des dispositions ou des principes généraux du droit de l’Union ne peut être déclarée compatible avec le marché intérieur (voir arrêt du 23 novembre 2023, Ryanair/Commission, C‑209/21 P, EU:C:2023:905, point 71 et jurisprudence citée).

100    Toutefois, cette jurisprudence implique uniquement que, lorsque la Commission entend déclarer une aide compatible avec le marché intérieur, elle doit s’assurer que cette déclaration de compatibilité, qui autorise l’État membre à verser l’aide concernée, n’emportera pas violation d’autres dispositions du droit de l’Union, en particulier des principes de libre circulation.

101    En revanche, ladite jurisprudence ne saurait, comme le suggèrent en substance les requérantes, imposer à la Commission, qui entend déclarer une aide incompatible et donc interdire à l’État membre concerné de la verser, de déclarer cette aide compatible et donc en autoriser le versement, au motif qu’une éventuelle décision d’incompatibilité aurait des effets restrictifs sur les entreprises bénéficiaires de ladite aide, que ce soit en empêchant le versement de celle-ci ou en imposant sa récupération.

102    S’il devait en aller autrement, l’interdiction des aides d’État incompatibles serait mise en échec par les principes de la libre circulation des citoyens et des travailleurs, de libre établissement et de libre prestation des services, et cela alors même que les dispositions du traité FUE en matière de concurrence, et tout particulièrement celles relatives aux aides d’État, ont un caractère fondamental et constituent l’expression de l’une des missions essentielles conférées à l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 17 novembre 2011, Commission/Italie, C‑496/09, EU:C:2011:740, point 60).

103    Dès lors, les requérantes ne peuvent pas utilement invoquer les principes de libre circulation des citoyens et des travailleurs, de libre établissement et de libre prestation des services à l’encontre de la décision attaquée en ce qu’elle constate, sur le fondement de l’article 107, paragraphe 3, sous a), TFUE, le caractère incompatible du régime III, tel que mis en œuvre, et en ordonne la récupération.

104    En tout état de cause, à supposer même que ces principes – y compris ceux de libre circulation des citoyens et des travailleurs – puissent, en l’occurrence, être invoqués par les requérantes et que la décision attaquée produise un effet restrictif sur les libertés invoquées par ces dernières, force est de constater que cet effet restrictif est inhérent à la déclaration d’incompatibilité du régime III, tel que mis en œuvre, et à l’ordre de récupération, contenus dans la décision attaquée.

105    De plus, lesdits effets restrictifs sont justifiés par un objectif légitime et sont proportionnés à celui-ci, ainsi que cela ressort du point 97 ci-dessus. Au demeurant, le constat d’incompatibilité avec le marché intérieur du régime III, tel que mis en œuvre, tout comme la récupération des aides illégalement versées en application de ce régime, n’empêchent pas les sociétés enregistrées dans la ZFM de s’établir ou de prester des services en dehors de la RAM, voire de recruter des travailleurs résidant ou exerçant leur activité en dehors de cette région. Ils visent simplement à garantir que les bénéfices issus d’activités effectivement et matériellement réalisées en dehors de la RAM ne puissent pas être pris en compte dans la base imposable à laquelle s’applique la mesure fiscale en cause.

106    Du reste, s’agissant du régime d’aides alternatif proposé par les requérantes, fondé sur « la gradation de la proportionnalité du montant de l’aide dans les cas où l’activité génératrice de revenus est exercée dans une zone géographique différente », il convient de relever que, selon la jurisprudence, la Commission n’a pas à se prononcer abstraitement sur toutes les mesures alternatives susceptibles d’être envisagées, puisque, si l’État membre concerné doit exposer de façon circonstanciée les raisons ayant présidé à l’adoption du régime d’aides en cause, en particulier quant aux conditions d’éligibilité retenues, il n’est pas tenu de démontrer, de manière positive, qu’aucune autre mesure imaginable, par définition hypothétique, ne pourrait permettre d’assurer l’objectif poursuivi de meilleure manière. Si ledit État membre n’est pas soumis à une telle obligation, les requérantes ne sauraient être fondées à demander au Tribunal d’imposer à la Commission de se substituer aux autorités nationales dans cette tâche de prospection normative afin d’examiner toute mesure alternative envisageable (voir, en ce sens, arrêt du 6 mai 2019, Scor/Commission, T‑135/17, non publié, EU:T:2019:287, point 94 et jurisprudence citée).

107    Au vu de ce qui précède, il y a donc lieu de rejeter le deuxième moyen comme étant non fondé.

 Sur les troisième et quatrième moyens, tirés de l’illégalité de l’ordre de récupération figurant à l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée

108    Par leurs troisième et quatrième moyens, soulevés à titre subsidiaire et qu’il convient d’examiner ensemble, les requérantes contestent la légalité de l’ordre de récupération figurant à l’article 4, paragraphe 1, de la décision attaquée.

109    L’argumentation des requérantes s’articule, en substance, en trois branches, tirées de ce que l’ordre de récupération, premièrement, serait contraire au principe de protection de la confiance légitime, deuxièmement, irait à l’encontre du principe de sécurité juridique et, troisièmement, ferait reposer le montant des aides à rembourser sur une méthode de calcul inappropriée.

 Sur la première branche, tirée de la violation du principe de protection de la confiance légitime

110    Par cette première branche, les requérantes font valoir que les bénéficiaires du régime III, tel que mis en œuvre, n’avaient aucune raison de croire que la réduction de l’IRPM prévue par ce régime dépendait d’une interprétation restrictive des conditions relatives, d’une part, à l’origine des bénéfices auxquels s’appliquait la réduction de l’IRPM et, d’autre part, à la création ou au maintien de postes de travail dans la RAM, dès lors que ces deux conditions ont d’abord été introduites dans des termes similaires dans la décision de 2002, sans qu’il soit précisé que celles-ci devaient faire l’objet d’une interprétation géographiquement restreinte. De plus, depuis leur introduction, les autorités portugaises n’auraient nullement modifié l’interprétation de la portée de ces conditions. Or, le fait que la Commission n’a pas estimé nécessaire de préciser la signification de ces conditions à l’occasion de l’approbation, à deux reprises, du régime III aurait été de nature à faire naître, à l’égard des bénéficiaires, une confiance légitime sur le fait que la mise en œuvre du régime III par les autorités portugaises n’était pas considérée par la Commission comme constituant une aide d’État nouvelle.

111    La Commission conteste cette argumentation.

112    S’agissant du principe général de protection de la confiance légitime, il y a lieu de rappeler que le droit de se prévaloir de celui‑ci suppose que des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables, ont été fournies à l’intéressé par les autorités compétentes de l’Union (voir arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, point 97 et jurisprudence citée).

113    De plus, dans le domaine des aides d’État, il est de jurisprudence constante que, compte tenu du caractère impératif du contrôle de ce type d’aides opéré par la Commission au titre de l’article 108 TFUE, d’une part, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle‑ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue à cet article et, d’autre part, un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que cette procédure a été respectée (voir arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar, C‑349/17, EU:C:2019:172, point 98 et jurisprudence citée).

114    Or, en l’occurrence, les requérantes ne démontrent pas que, s’agissant des aides versées en violation des décisions de 2007 et de 2013, qui, de ce fait, l’ont été en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, la Commission leur aurait fourni des assurances précises, inconditionnelles et concordantes, mais également conformes aux normes applicables, de nature à faire naître une attente légitime dans leur esprit, comme l’exige la jurisprudence.

115    En effet, lorsqu’un régime d’aides n’a pas été notifié à la Commission, l’inaction alléguée de celle-ci est dépourvue de signification (arrêt du 11 novembre 2004, Demesa et Territorio Histórico de Álava/Commission, C‑183/02 P et C‑187/02 P, EU:C:2004:701, point 52 ; voir également, en ce sens, ordonnance du 7 décembre 2017, Aughinish Alumina/Commission, C‑373/16 P, non publiée, EU:C:2017:953, point 54). Ainsi, en l’absence de notification préalable à la Commission du régime III, tel que mis en œuvre, les requérantes ne sauraient utilement se prévaloir, au soutien de leur grief tiré d’une violation du principe de protection de la confiance légitime, d’une quelconque inaction de la part de la Commission.

116    Est également dépourvu de pertinence le fait que le régime III, tel que notifié, a été approuvé à deux reprises par la Commission étant donné que ce régime a été mis en œuvre selon des modalités substantiellement différentes de celles prévues par le projet de régime d’aides notifié par la République portugaise.

117    Quant à l’argument des requérantes selon lequel il aurait été impossible de comprendre que la réduction de l’IRPM prévue par ce régime dépendait d’une interprétation restrictive des conditions relatives, d’une part, à l’origine des bénéfices auxquels s’appliquait la réduction de l’IRPM et, d’autre part, à la création ou au maintien de postes de travail dans la RAM, toutes deux introduites par le régime II, il y a lieu de réitérer le constat effectué au point 47 ci-dessus, selon lequel tant le libellé des décisions de 2007 et de 2013 que le contexte dans lequel elles s’insèrent, mais également les objectifs poursuivis par la réglementation applicable aux aides à finalité régionale ne laissaient pas de place au doute quant à l’interprétation de la condition relative à l’origine des bénéfices auxquels s’appliquait la réduction de l’IRPM.

118    De même, en ce qui concerne la condition relative à la création ou au maintien d’emplois dans la RAM, il ressort des décisions de 2002, de 2007 et de 2013 que l’accès aux avantages fiscaux prévus par le régime II, dans le prolongement duquel s’inscrit le régime III, était limité aux sociétés qui créaient une activité réellement nouvelle et satisfaisaient à des conditions d’éligibilité particulières, reposant sur le nombre de nouveaux emplois créés à titre permanent (et pendant les six premiers mois d’activité) par celles-ci (voir section II de la décision de 2002). Ainsi, le plafond d’assiette faisant l’objet de l’avantage fiscal au titre de l’IRPM dépendait du nombre d’emplois créés par le bénéficiaire (voir section II de la décision de 2002 ; considérants 18, 19 et 60 de la décision de 2007 ; considérants 10 et 11 de la décision de 2013). Toute autre interprétation aurait pour conséquence de décorréler l’intensité du soutien aux entreprises prévu par le régime III de la contribution de celles-ci à la création d’activités réellement nouvelles dans la RAM, alors même que cet objectif est une des conditions d’accès à ce régime et que l’appréciation de la proportionnalité dudit régime par la Commission a été effectuée à la lumière de cette condition.

119    Au vu de ce qui précède, aucune violation du principe de protection de la confiance légitime ne saurait être constatée et, partant, la première branche doit être écartée.

 Sur la deuxième branche, tirée d’une violation du principe de sécurité juridique

120    Dans le cadre de cette deuxième branche, les requérantes insistent sur le manque de diligence et l’inaction de la Commission dans le contrôle de l’application du régime de la ZFM pendant une période prolongée, la Commission n’ayant décidé d’ouvrir la procédure de surveillance requise par l’article 108, paragraphe 1, TFUE que plus de huit ans après l’approbation du régime III et plus de deux ans après l’expiration de sa durée initiale et n’ayant informé les autorités portugaises de son intention d’engager la procédure formelle d’examen que onze ans après l’approbation dudit régime et plus de cinq ans après l’expiration de sa durée initiale.

121    La Commission conteste cette argumentation.

122    S’agissant du principe de sécurité juridique, qui se distingue du principe de protection de la confiance légitime (voir, en ce sens, arrêt du 2 février 2023, Espagne e.a./Commission, C‑649/20 P, C‑658/20 P et C‑662/20 P, EU:C:2023:60, point 83), il convient de relever que, en matière d’aides d’État, les arguments visant à s’opposer à l’obligation de récupération sur le fondement d’une violation du principe de sécurité juridique ne sont accueillis que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles [voir, en ce sens, arrêts du 22 avril 2008, Commission/Salzgitter, C‑408/04 P, EU:C:2008:236, point 106, et du 21 septembre 2022, Portugal/Commission (Zone Franche de Madère), T‑95/21, EU:T:2022:567, point 204].

123    À cet égard, il ressort de la jurisprudence qu’il convient d’examiner une série d’éléments afin de rechercher l’existence d’une violation du principe de sécurité juridique, notamment l’absence de clarté du régime juridique applicable (voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2010, Nuova Agricast et Cofra/Commission, C‑67/09 P, EU:C:2010:607, point 77) ou l’inaction de la Commission pendant une période prolongée sans justification (voir, en ce sens, arrêts du 24 novembre 1987, RSV/Commission, 223/85, EU:C:1987:502, points 14 et 15, et du 22 avril 2008, Commission/Salzgitter, C‑408/04 P, EU:C:2008:236, points 106 et 107).

124    En l’occurrence, les requérantes ne se prévalent pas, à l’appui de la présente branche, d’un quelconque défaut de clarté du régime juridique applicable.

125    S’agissant de l’allégation de l’existence de périodes d’inaction prolongées de la Commission permettant aux entreprises concernées de se prévaloir du principe de sécurité juridique, il importe de rappeler que cette institution est tenue d’agir dans un délai raisonnable dans le cadre d’une procédure d’examen d’aides d’État et qu’elle n’est pas autorisée à perpétuer un état d’inaction pendant la phase préliminaire d’examen. Il convient d’ajouter que le caractère raisonnable du délai de la procédure doit être apprécié en fonction des circonstances propres à chaque affaire, telles que la complexité de celle-ci et le comportement des parties (arrêt du 13 juin 2013, HGA e.a./Commission, C‑630/11 P à C‑633/11 P, EU:C:2013:387, points 81 et 82).

126    Or, premièrement, en ce qui concerne le temps écoulé entre les décisions de 2002, de 2007 et de 2013, d’une part, et l’engagement, le 12 mars 2015, de l’exercice de surveillance du régime III, voire la décision d’ouverture de la procédure formelle, signifiée à la République portugaise le 6 juillet 2018 et publiée au Journal officiel de l’Union européenne le 15 mars 2019, d’autre part, celui-ci ne saurait être considéré comme étant déraisonnable.

127    En effet, tout d’abord, conformément à l’article 13, paragraphe 2, du règlement no 659/1999 et à l’article 15, paragraphe 2, du règlement 2015/1589, la Commission n’était pas liée par des délais spécifiques, tels que ceux prévus au chapitre II de ces règlements, relatif à la procédure concernant les aides notifiées (voir, en ce sens, ordonnance du 20 janvier 2021, KC/Commission, T‑580/20, non publiée, EU:T:2021:14, point 26).

128    Ensuite, s’agissant des exercices de surveillance portant sur des aides ou des régimes d’aides autorisés, comme en l’espèce, il ne saurait être considéré que la Commission devait faire preuve d’une diligence particulière, dans la mesure où le principe de coopération loyale, énoncé à l’article 4, paragraphe 3, TUE, impose aux États membres de prendre toutes les mesures propres à garantir la portée et l’efficacité du droit de l’Union.

129    Dans le domaine des aides d’État, cela implique, en particulier, que ces États doivent veiller à ne pas mettre à exécution des aides ou des régimes d’aides en violation de décisions d’autorisation préalable, tout particulièrement lorsque, comme en l’espèce, la compréhension des conditions de mise à exécution de ces aides ou de ces régimes d’aides est initialement partagée par la Commission et l’État membre concerné, comme cela a été constaté aux points 38 et 39 ci-dessus.

130    Enfin, eu égard à la description de la procédure préalable à la décision d’ouverture de la procédure formelle, effectuée aux considérants 1 et 2 de la décision attaquée, aucune inaction de la Commission pendant une période prolongée et dépourvue de justification ne peut être identifiée en l’espèce.

131    Deuxièmement, en ce qui concerne la durée de 29 mois de la procédure formelle d’examen, celle-ci ne peut pas non plus être considérée comme déraisonnable, compte tenu, ainsi que cela ressort des considérants 3 à 9 et 96 de la décision attaquée, de la nécessité pour la Commission de traiter la demande des autorités portugaises portant sur la confidentialité de la décision d’ouverture de cette procédure, de demander plusieurs fois à ces autorités la communication d’informations manquantes ainsi que de traiter les observations du très grand nombre de parties intéressées ayant pris part à la procédure.

132    En ce sens, la procédure ayant débouché sur la décision attaquée se distingue nettement de celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 24 novembre 1987, RSV/Commission (223/85, EU:C:1987:502), dont les requérantes ne peuvent donc valablement se prévaloir.

133    Même prises ensemble, les périodes tant préalables que postérieures à la décision d’ouverture de la procédure formelle ne peuvent être considérées comme déraisonnables dès lors que les requérantes – comme toutes les entreprises ayant bénéficié du régime III, tel que mis en œuvre – ont été dûment mises en mesure de prendre connaissance, au plus tard le 15 mars 2019, de la décision d’ouverture de la procédure formelle par sa publication au Journal officiel de l’Union européenne et des risques de récupération auxquels elles s’exposaient.

134    Dès lors, aucune violation du principe de sécurité juridique ne saurait être constatée. Par conséquent, la deuxième branche doit être écartée.

 Sur la troisième branche, tirée du recours à une méthode manifestement inadéquate s’agissant du calcul du montant de l’aide à récupérer

135    Par leur troisième branche, les requérantes estiment que le montant des aides à restituer repose sur une méthode de calcul manifestement inadéquate. Les requérantes font ainsi valoir que la méthode de calcul en UTA du nombre d’emplois créés ou maintenus ne peut pas être appliquée pour déterminer les montants des aides à récupérer étant donné qu’elle ne constitue pas une méthode valable pour déterminer la création effective d’emplois dans la mesure où elle ne résulte d’aucune réglementation inscrite dans le droit de l’Union ni d’aucune règle établie dans la législation nationale portugaise.

136    La Commission conteste cette argumentation.

137    À cet égard, il y a lieu de constater qu’il ressort, en substance, des considérants 168 à 171 de la décision attaquée que la condition de la création ou du maintien de postes de travail dans la RAM constitue non seulement une condition d’accès au régime III, mais également un paramètre du calcul du montant de l’aide, lequel doit reposer sur une méthode objective, vérifiable et éprouvée. En outre, l’appréciation de la proportionnalité du régime III, par rapport aux surcoûts que ce régime était censé compenser, a été effectuée à la lumière de cette condition.

138    Dès lors, bien que les décisions de 2007 et de 2013 n’imposent pas l’application d’une méthode déterminée de calcul du nombre de postes de travail créés ou maintenus dans la RAM par chaque bénéficiaire, il n’en demeure pas moins que ces décisions exigeaient l’utilisation d’une méthode objective à même de permettre de vérifier la réalité et la permanence des postes de travail déclarés par les bénéficiaires du régime III.

139    Or, dans la mesure où la méthode utilisée par les autorités portugaises (voir points 63 à 65 ci-dessus) ne remplissait manifestement pas cette condition et où ces autorités n’ont pas proposé une autre méthode objective permettant une vérification de la réalité et de la permanence des postes de travail déclarés par les bénéficiaires, à la seule fin de la récupération des aides versées au titre du régime III, tel que mis en œuvre, la Commission, au considérant 216 de la décision attaquée, a exigé que le calcul du montant de l’aide à récupérer soit effectué conformément à la méthode UTA.

140    Dans ces circonstances, le fait d’avoir imposé le recours à une telle méthode, qui relève seulement de l’obligation pour la Commission de fournir à l’État membre concerné les indications lui permettant de déterminer lui-même, sans difficultés excessives, le montant des aides à récupérer, ne saurait être considéré comme inadéquate.

141    En conséquence, la troisième branche doit être rejetée comme étant non fondée.

142    Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu d’écarter les troisième et quatrième moyens et, partant, de rejeter les recours dans leur ensemble.

 Sur les dépens

143    Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

144    Les requérantes ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens, conformément aux conclusions de la Commission.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      Les affaires T713/22 et T720/22 sont jointes aux fins de l’arrêt.

2)      Les recours sont rejetés.

3)      Portumo – Madeira – Montagem e Manutenção de Tubaria, SA (Zona Franca da Madeira), Ponticelli – Consultadoria Técnica, SA (Zona Franca da Madeira), Ponticelli Angoil – Serviços Para a Indústria Petrolífera, SA (Zona Franca da Madeira) et Nova Ship Invest, Unipessoal, Lda (Zona Franca da Madeira) sont condamnées aux dépens.

Svenningsen

Martín y Pérez de Nanclares

Stancu

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 6 novembre 2024.

Signatures


*      Langue de procédure : le portugais.

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