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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Ordre des avocats à la cour de Paris and Couturier v Council (Common foreign and security policy - Restrictive measures taken in view of Russia's actions destabilising the situation in Ukraine - Judgment) FR [2024] EUECJ T-798/22 (02 October 2024) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/T79822.html Cite as: EU:T:2024:671, [2024] EUECJ T-798/22, ECLI:EU:T:2024:671 |
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ARRÊT DU TRIBUNAL (grande chambre)
2 octobre 2024 (*)
« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine – Interdiction de fournir des services de conseil juridique au gouvernement russe et aux entités établies en Russie – Obligation de motivation – Mission fondamentale des avocats dans une société démocratique – Droit des avocats de fournir des services de conseil juridique – Droit de se faire conseiller par un avocat – Articles 7, 47 et article 52, paragraphe 2, de la charte des droits fondamentaux – Indépendance de l’avocat »
Dans l’affaire T-798/22,
Ordre des avocats à la cour de Paris, établi à Paris (France),
Julie Couturier, demeurant à Paris,
représentés par Me L. Donnedieu de Vabres, avocate,
parties requérantes,
soutenus par
Ordre des avocats de Genève, établi à Genève (Suisse), représenté par Me F. Zimeray, avocat,
partie intervenante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mme D. Laurent, M. V. Piessevaux et Mme M.-C. Cadilhac, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
soutenu par
République d’Estonie, représentée par Mme M. Kriisa, en qualité d’agent,
par
Commission européenne, représentée par MM. J.-F. Brakeland, C. Giolito, Mmes M. Carpus Carcea et C. Georgieva, en qualité d’agents,
et par
Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, représenté par MM. F. Hoffmeister, L. Havas et Mme M. Almeida Veiga, en qualité d’agents,
parties intervenantes,
LE TRIBUNAL (grande chambre),
composé de MM. M. van der Woude, président, S. Papasavvas, R. da Silva Passos, A. Kornezov, L. Truchot, S. Gervasoni (rapporteur), Mme N. Półtorak, MM. P. Nihoul, U. Öberg, C. Mac Eochaidh, Mme T. Pynnä, M. J. Martín y Pérez de Nanclares, Mme M. Brkan, MM. P. Zilgalvis et I. Gâlea, juges,
greffier : M. V. Di Bucci,
vu la phase écrite de la procédure, notamment :
– la requête déposée au greffe du Tribunal le 28 décembre 2022,
– les mémoires en intervention déposés au greffe du Tribunal par la Commission, par le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, par la République d’Estonie et par l’Ordre des avocats de Genève, respectivement, le 4 mai, le 12 mai, le 28 juin et le 21 août 2023,
– le mémoire en adaptation de la requête déposé au greffe du Tribunal le 22 mai 2023,
– la question écrite du Tribunal aux requérants et leur réponse à cette question déposée au greffe du Tribunal le 27 février 2024,
à la suite de l’audience commune du 12 mars 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par leur recours fondé sur l’article 263 TFUE, les requérants, l’Ordre des avocats à la cour de Paris et Mme Julie Couturier, demandent l’annulation, premièrement, de l’article 1er, point 12, du règlement (UE) 2022/1904 du Conseil, du 6 octobre 2022, modifiant le règlement (UE) no 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 259 I, p. 3), en tant qu’il remplace et modifie l’article 5 quindecies, paragraphes 2 et 4 à 12, du règlement (UE) no 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1), en ce qui concerne les services de conseil juridique, deuxièmement, de l’article 1er, point 13, du règlement (UE) 2022/2474 du Conseil, du 16 décembre 2022, modifiant le règlement no 833/2014 (JO 2022, L 322 I, p. 1), en tant qu’il remplace et modifie l’article 5 quindecies, paragraphes 2 et 4 à 11, du règlement no 833/2014 en ce qui concerne les services de conseil juridique, et, troisièmement, de l’article 1er, point 13, du règlement (UE) 2023/427 du Conseil, du 25 février 2023, modifiant le règlement no 833/2014 (JO 2023, L 59 I, p. 6), en tant qu’il insère un article 12 ter, paragraphe 2 bis, dans le règlement no 833/2014 en ce qui concerne les services de conseil juridique.
I. Antécédents du litige
2 Les requérants sont un ordre d’avocats et une avocate inscrite à cet ordre.
3 En mars 2014, la Fédération de Russie a illégalement annexé la République autonome de Crimée, ainsi que la ville de Sébastopol (Ukraine), et elle mène depuis lors des actions de déstabilisation continues dans l’est de l’Ukraine. En réponse à ces agissements, l’Union européenne a instauré des mesures restrictives eu égard aux actions de la Fédération de Russie compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que des mesures restrictives en réaction à l’annexion illégale de la République autonome de Crimée et de la ville de Sébastopol par la Fédération de Russie.
4 Le 17 mars 2014, ont ainsi été adoptés la décision 2014/145/PESC du Conseil concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16), et le règlement (UE) no 269/2014 du Conseil concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).
5 Par la suite, la décision 2014/512/PESC du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 13), a été adoptée pour introduire des mesures restrictives ciblées dans les domaines de l’accès aux marchés des capitaux, de la défense, des biens à double usage et des technologies sensibles, notamment dans le secteur énergétique. Estimant que ces dernières mesures relevaient du champ d’application du traité FUE et que leur mise en œuvre nécessitait une action réglementaire à l’échelle de l’Union, le Conseil de l’Union européenne a adopté le règlement no 833/2014, qui contient des dispositions plus détaillées pour donner effet, tant au niveau de l’Union que dans les États membres, aux prescriptions de la décision 2014/512.
6 Le 15 février 2022, la Gosudarstvennaya Duma Federal’nogo Sobrania Rossiskoï Federatsii (Douma d’État de l’Assemblée fédérale de la Fédération de Russie) a voté en faveur de l’envoi d’une résolution demandant au président de la Fédération de Russie de reconnaître les parties de l’est de l’Ukraine revendiquées par des séparatistes comme étant des États indépendants. Le 21 février 2022, le président de la Fédération de Russie a signé un décret reconnaissant l’indépendance et la souveraineté de la « République populaire de Donetsk » et de la « République populaire de Lougansk », autoproclamées, et a ordonné le déploiement des forces armées russes dans ces zones. Le 24 février 2022, le président de la Fédération de Russie a annoncé une opération militaire en Ukraine et, le même jour, les forces armées russes ont attaqué l’Ukraine à plusieurs endroits du pays.
7 À la même date, le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité a publié une déclaration au nom de l’Union condamnant l’« invasion non provoquée » de l’Ukraine par les forces armées de la Fédération de Russie et a indiqué que la riposte de l’Union comprendrait des mesures restrictives à la fois sectorielles et individuelles. Dans ses conclusions adoptées lors de sa réunion extraordinaire du même jour, le Conseil européen a condamné avec la plus grande fermeté cette « agression non provoquée et injustifiée », en estimant que, par ses actions militaires illégales, dont elle devrait répondre, la Fédération de Russie violait de façon flagrante le droit international et les principes de la charte des Nations unies et portait atteinte à la sécurité et à la stabilité européennes et mondiales.
8 Dans ses conclusions des 23 et 24 juin 2022, le Conseil européen a déclaré que les travaux sur les « sanctions » se poursuivraient, notamment pour renforcer leur mise en œuvre et empêcher qu’elles ne soient contournées.
9 Le 21 septembre 2022, la Fédération de Russie a décidé d’intensifier encore son agression contre l’Ukraine en soutenant l’organisation de « référendums » illégaux dans les parties des régions de Donetsk, de Kherson, de Louhansk et de Zaporijjia occupées par la Russie, en annonçant une mobilisation en Russie et par de nouvelles menaces de recourir à des armes de destruction massive. À la suite de ces « référendums », le président de la Fédération de Russie a officialisé l’annexion, par la Russie, des régions ukrainiennes de Donetsk, de Louhansk, de Zaporijjia et de Kherson.
10 Le 30 septembre 2022, les membres du Conseil européen ont adopté une déclaration condamnant l’annexion illégale par la Russie des régions ukrainiennes de Donetsk, de Louhansk, de Zaporijjia et de Kherson et affirmant que la Russie mettait en péril la sécurité mondiale. Les membres du Conseil européen ont déclaré qu’ils renforceraient leurs mesures restrictives en réponse aux actions illégales de la Russie et intensifieraient encore la pression exercée sur la Russie pour qu’elle mette un terme à sa guerre d’agression.
11 Le 6 octobre 2022, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/1909 modifiant la décision 2014/512 (JO 2022, L 259 I, p. 122). À cette même date, le Conseil a, sur le fondement de l’article 215 TFUE, adopté le règlement 2022/1904.
12 Le considérant 19 du règlement 2022/1904 délimite les services de conseil juridique prohibés par ce même règlement comme suit :
« [L]a décision (PESC) 2022/1909 étend l’interdiction actuelle de fournir certains services à la Fédération de Russie en interdisant la fourniture de services d’architecture et d’ingénierie ainsi que de services de conseil informatique et de conseil juridique […] Les “services de conseil juridique” couvrent la fourniture de conseils juridiques aux clients en matière gracieuse, y compris les transactions commerciales, impliquant une application ou une interprétation du droit ; la participation à des opérations commerciales, à des négociations et à d’autres transactions avec des tiers, avec des clients ou pour le compte de ceux-ci ; et la préparation, l’exécution et la vérification des documents juridiques. Les “services de conseil juridique” ne comprennent pas la représentation, les conseils, la préparation de documents ou la vérification des documents dans le cadre des services de représentation juridique, à savoir dans des affaires ou des procédures devant des organes administratifs, des cours ou d’autres tribunaux officiels dûment constitués, ou dans des procédures d’arbitrage et de médiation. »
13 L’article 1er, point 12, du règlement 2022/1904 a inséré un nouvel article 5 quindecies dans le règlement no 833/2014, remplaçant l’ancien, et prévoyant, notamment, une interdiction de fournir des services de conseil juridique (ci-après l’« interdiction litigieuse ») dans les termes suivants :
« 2. Il est interdit de fournir, directement ou indirectement, des services d’architecture et d’ingénierie, des services de conseil juridique et des services de conseil informatique :
a) au gouvernement russe ; ou
b) à des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie.
[…]
4. Le paragraphe 2 ne s’applique pas à la prestation de services strictement nécessaires à la résiliation avant le 8 janvier 2023 de contrats non conformes au présent article conclus avant le 7 octobre 2022 ou de contrats accessoires nécessaires à l’exécution de ces contrats.
5. Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas à la prestation de services qui sont strictement nécessaires à l’exercice des droits de la défense dans le cadre d’une procédure judiciaire et du droit à un recours effectif.
6. Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas à la prestation de services qui sont strictement nécessaires pour garantir l’accès aux procédures judiciaires, administratives ou d’arbitrage dans un État membre, ou pour la reconnaissance ou l’exécution d’un jugement ou d’une sentence arbitrale rendu dans un État membre, à condition qu’une telle prestation de services soit compatible avec les objectifs du présent règlement et du règlement [...] no 269/2014 du Conseil.
7. Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas à la fourniture de services destinés à l’usage exclusif de personnes morales, d’entités ou d’organismes établis en Russie qui sont détenus, ou contrôlés exclusivement ou conjointement, par une personne morale, une entité ou un organisme établi ou constitué selon le droit d’un État membre, d’un pays membre de l’Espace économique européen, de la Suisse ou d’un pays partenaire énuméré à l’annexe VIII.
8. Le paragraphe 2 ne s’applique pas à la prestation de services qui sont nécessaires à des urgences de santé publique, à la prévention ou à l’atténuation à titre urgent d’un événement susceptible d’avoir des effets graves et importants sur la santé et la sécurité humaines ou sur l’environnement, ou en réaction à des catastrophes naturelles.
9. Le paragraphe 2 ne s’applique pas à la fourniture de services nécessaires aux mises à jour de logiciels à des fins non militaires ou pour un utilisateur final non militaire, autorisée par l’article 2, paragraphe 3, point d), et l’article 2 bis, paragraphe 3, point d)[,] en liaison avec les biens énumérés à l’annexe VII.
10. Par dérogation aux paragraphes 1 et 2, les autorités compétentes peuvent autoriser les services qui y sont visés, dans les conditions qu’elles jugent appropriées, après avoir établi que cela est nécessaire :
a) à des fins humanitaires, telles que l’acheminement d’une assistance ou la facilitation de cet acheminement, y compris en ce qui concerne les fournitures médicales et les denrées alimentaires ou le transfert de travailleurs humanitaires et de l’aide connexe, ou à des fins d’évacuation ;
b) à des activités de la société civile qui promeuvent directement la démocratie, les droits de l’homme ou l’État de droit en Russie ; ou
c) au fonctionnement des représentations diplomatiques et consulaires de l’Union et des États membres ou des pays partenaires en Russie, y compris les délégations, les ambassades et les missions, ou les organisations internationales en Russie jouissant d’immunités conformément au droit international.
11. Par dérogation aux paragraphes 1 et 2, les autorités compétentes peuvent autoriser les services qui y sont visés, dans les conditions qu’elles jugent appropriées, après avoir établi que cela est nécessaire :
a) pour assurer un approvisionnement énergétique critique dans l’Union et à l’achat, à l’importation ou au transport dans l’Union de titane, d’aluminium, de cuivre, de nickel, de palladium et de minerai de fer ;
b) pour assurer le fonctionnement continu d’infrastructures, de matériels et de logiciels qui sont critiques pour la santé et la sécurité humaines ou pour la sécurité de l’environnement ;
c) à l’établissement, à l’exploitation, à l’entretien, à l’approvisionnement en combustible et au retraitement du combustible et à la sûreté des capacités nucléaires civiles, et à la poursuite de la conception, de la construction et de la mise en service exigées pour la réalisation d’installations nucléaires civiles, à la fourniture de matériaux précurseurs pour la production de radio-isotopes médicaux et d’applications médicales similaires, ou de technologies critiques pour la surveillance des rayonnements dans l’environnement, ainsi que pour une coopération nucléaire civile, en particulier dans le domaine de la recherche et du développement ; ou
d) à la fourniture, par les opérateurs de télécommunications de l’Union, de services de communications électroniques nécessaires au fonctionnement, à l’entretien et à la sécurité, y compris la cybersécurité, des services de communications électroniques, en Russie, en Ukraine, dans l’Union, entre la Russie et l’Union, et entre l’Ukraine et l’Union, ainsi qu’aux services de centres de données dans l’Union.
12. L’État membre concerné informe les autres États membres et la Commission de toute autorisation accordée en vertu des paragraphes 10 et 11 dans un délai de deux semaines suivant l’autorisation. »
14 Le 16 décembre 2022, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/2478 modifiant la décision 2014/512 (JO 2022, L 322 I, p. 614), et, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement 2022/2474.
15 L’article 1er, point 13, du règlement 2022/2474 a, pour ce qui concerne l’interdiction de fournir des services de conseil juridique, modifié l’article 5 quindecies du règlement no 833/2014 sur un plan uniquement formel. L’article 5 quindecies, paragraphe 10, du règlement no 833/2014 a ainsi opéré une fusion des anciens paragraphes 10 et 11 de ce même règlement, sans que le contenu normatif de ces paragraphes ait été modifié.
16 Le 25 février 2023, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2023/434 modifiant la décision 2014/512 (JO 2023, L 59 I, p. 593), et, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement 2023/427.
17 Le règlement 2023/427 n’a pas modifié le libellé de l’article 5 quindecies du règlement no 833/2014. Toutefois, l’article 1er, point 13, du règlement 2023/427 a introduit une nouvelle dérogation à l’interdiction litigieuse, par l’intermédiaire d’un nouveau paragraphe 2 bis, inséré au sein de l’article 12 ter du règlement no 833/2014 et libellé comme suit :
« 2 bis. Par dérogation à l’article 5 quindecies [du règlement no 833/2014], les autorités compétentes peuvent autoriser la poursuite de la fourniture des services qui y sont énumérés jusqu’au 31 décembre 2023, lorsque la fourniture de ces services est strictement nécessaire à la cession d’actifs en Russie ou à la liquidation d’activités en Russie, pour autant que les conditions suivantes soient remplies :
a) ces services sont fournis aux personnes morales, entités ou organismes résultant de la cession, et à leur bénéfice exclusif ; et
b) les autorités compétentes statuant sur les demandes d’autorisation n’ont pas de motifs raisonnables de croire que les services pourraient être fournis, directement ou indirectement, au gouvernement russe ou à un utilisateur final militaire ou faire l’objet d’une utilisation finale militaire en Russie. »
II. Conclusions des parties
18 Les requérants, soutenus par l’Ordre des avocats de Genève, concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler l’article 1er, point 12, du règlement 2022/1904 en ce qu’il remplace et modifie l’article 5 quindecies, paragraphes 2 et 4 à 12, du règlement no 833/2014 pour ce qui concerne les services de conseil juridique, l’article 1er, point 13, du règlement 2022/2474 en ce qu’il remplace et modifie l’article 5 quindecies, paragraphes 2 et 4 à 11, du règlement no 833/2014 pour ce qui concerne les services de conseil juridique et l’article 1er, point 13, du règlement 2023/427 en ce qu’il insère un article 12 ter, paragraphe 2 bis, au règlement no 833/2014 pour ce qui concerne les services de conseil juridique ;
– condamner le Conseil aux dépens.
19 Le Conseil, soutenu par la République d’Estonie, par la Commission européenne et par le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours comme étant irrecevable en ce qu’il tend à l’annulation de l’article 5 quindecies, paragraphe 10, et de l’article 12 ter, paragraphe 2 bis, du règlement no 833/2014 (ci-après les « dispositions d’exemption ») ;
– rejeter le recours ;
– condamner les requérants aux dépens.
20 La République d’Estonie, la Commission et le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité concluent, en outre, à ce qu’il plaise au Tribunal de rejeter le recours comme étant intégralement irrecevable.
III. En droit
A. Sur la recevabilité
21 Le Conseil considère que le recours est recevable en ce qu’il vise l’article 5 quindecies, paragraphes 2, 4 à 9 et 11, du règlement no 833/2014. En revanche, il conteste la recevabilité du recours en ce que celui-ci tend à l’annulation des dispositions d’exemption. Seuls la République d’Estonie, la Commission et le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité considèrent que le recours est irrecevable dans son intégralité.
22 Le Conseil, soutenu par la République d’Estonie, par la Commission et par le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, estime en outre que le mémoire en adaptation déposé par les requérants pour contester la légalité de l’article 12 ter, paragraphe 2 bis, du règlement no 833/2014, introduit par le règlement 2023/427, est irrecevable.
23 Il y a lieu de rappeler que le juge de l’Union est en droit d’apprécier, selon les circonstances de chaque espèce, si une bonne administration de la justice justifie de rejeter au fond le recours, sans statuer préalablement sur sa recevabilité (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2002, Conseil/Boehringer, C-23/00 P, EU:C:2002:118, point 52).
24 Dans les circonstances du cas d’espèce, et dans un souci d’économie de la procédure, il y a lieu d’examiner au fond le recours, sans statuer préalablement sur la recevabilité de celui-ci, le recours étant, en tout état de cause et pour les motifs exposés ci-après, dépourvu de fondement.
B. Sur le fond
25 À l’appui de leur recours, les requérants soulèvent deux moyens, tirés, le premier, d’une violation de l’obligation de motivation prévue par l’article 296 TFUE et, le second, d’une violation de l’article 7, de l’article 47, paragraphe 2, et de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
1. Sur le premier moyen, tiré de la violation de l’obligation de motivation
26 Les requérants, soutenus par l’Ordre des avocats de Genève, considèrent que le Conseil a violé l’obligation de motivation qui lui incombe en vertu de l’article 296 TFUE et telle qu’elle est interprétée par la jurisprudence de la Cour et du Tribunal, notamment en matière de mesures restrictives.
27 Selon les requérants, le Conseil n’aurait, en effet, pas justifié en quoi l’interdiction litigieuse permettrait d’atteindre les objectifs poursuivis par les règlements 2022/1904, 2022/2474 et 2023/427.
28 En particulier, les requérants ne seraient pas en mesure de comprendre les raisons qui ont conduit le Conseil à adopter l’interdiction litigieuse. Le lien entre la mesure prise et l’objectif à atteindre ne serait pas établi. Les règlements 2022/1904, 2022/2474 et 2023/427 ne contiendraient aucune motivation de l’interdiction litigieuse. La motivation proposée par le Conseil a posteriori dans ses écritures, à savoir celle selon laquelle l’interdiction litigieuse viserait principalement à accroître la difficulté pour le gouvernement russe et les entreprises russes de se procurer des biens et des services ou des capitaux dans l’Union, en les privant de l’assistance technico-juridique nécessaire, ne saurait être admise.
29 Le Conseil, soutenu par la République d’Estonie, par la Commission et par le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, conteste l’argumentation des requérants.
30 Il convient de rappeler que la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit faire apparaître d’une façon claire et non équivoque le raisonnement du Conseil, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications des mesures prises et au juge de l’Union d’exercer son contrôle. Le respect de l’obligation de motivation doit, par ailleurs, être apprécié au regard non seulement du libellé de l’acte, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 6 mars 2024, BSW – management company of « BMC » holding/Conseil, T-258/22, non publié, EU:T:2024:150, point 71 et jurisprudence citée).
31 Selon une jurisprudence constante, toutefois, la portée de l’obligation de motivation dépend de la nature de l’acte en cause et, s’agissant d’actes destinés à une application générale, la motivation peut se borner à indiquer, d’une part, la situation d’ensemble qui a conduit à son adoption et, d’autre part, les objectifs généraux qu’il se propose d’atteindre (voir arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C-72/15, EU:C:2017:236, point 120 et jurisprudence citée, et du 13 septembre 2023, Venezuela/Conseil, T-65/18 RENV, EU:T:2023:529, point 49 et jurisprudence citée).
32 Il convient également de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une forme substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux (arrêt du 13 septembre 2023, Venezuela/Conseil, T-65/18 RENV, EU:T:2023:529, point 50).
33 En l’espèce, l’interdiction litigieuse vise, sous réserve de certaines exceptions et exemptions, à empêcher toute personne susceptible de fournir des services de conseil juridique exerçant, notamment, sur le territoire de l’Union de fournir de tels services au gouvernement russe et aux personnes morales, aux entités ou aux organismes établis en Russie. Cette interdiction s’applique ainsi indifféremment à toutes les personnes et entités ainsi qu’à tous les organismes fournissant des services de conseil juridique. Partant, l’interdiction litigieuse constitue un acte de portée générale.
34 Il convient, dès lors, d’examiner si les décisions relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) ou les règlements 2022/1904, 2022/2474 et 2023/427 ayant instauré l’interdiction litigieuse indiquent, d’une part, la situation d’ensemble ayant conduit à son adoption et, d’autre part, les objectifs généraux que le Conseil lui a assignés.
35 S’agissant de la situation d’ensemble ayant conduit à l’adoption de l’interdiction litigieuse, il ressort du considérant 2 de la décision 2022/1909 que « [l]’Union continue d’apporter un soutien sans réserve à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine ». Les considérants 3 à 8 de cette même décision exposent la gravité de la situation en Ukraine et concluent que les « membres du Conseil européen ont affirmé qu’ils allaient renforcer les mesures restrictives de l’Union en réponse aux actions illégales de la Russie et intensifier encore la pression exercée sur la Russie pour qu’elle mette un terme à sa guerre d’agression ». Il est également précisé, au considérant 9 de la décision 2022/1909, que, « [c]ompte tenu de la gravité de la situation [en Ukraine], il convient d’instaurer de nouvelles mesures restrictives », parmi lesquelles figure l’interdiction litigieuse, conformément aux considérants 12 et 13 de cette même décision.
36 Il ressort, par ailleurs, du considérant 3 du règlement 2022/1904 que l’adoption de ces nouvelles mesures restrictives constitue une « réponse à l’intensification de l’agression de la Fédération de Russie contre l’Ukraine ». Le considérant 19 de ce même règlement, reprenant le considérant 13 de la décision 2022/1909, expose, en outre, les types de services de conseil juridique faisant l’objet d’une interdiction.
37 Les considérants susmentionnés établissent, ainsi, la situation d’ensemble ayant conduit à l’adoption de l’interdiction litigieuse.
38 S’agissant, en outre, des objectifs généraux que cette interdiction vise à atteindre, le Conseil soutient qu’il ressort des considérants susmentionnés de la décision 2022/1909 et du règlement 2022/1904 que l’interdiction litigieuse doit permettre d’intensifier encore la pression exercée sur la Fédération de Russie pour qu’elle mette un terme à sa guerre d’agression contre l’Ukraine. Pour ce faire, l’interdiction litigieuse viserait à accroître la difficulté pour le gouvernement russe et les entreprises russes de se procurer des biens et des services ou des capitaux dans l’Union, en les privant de l’assistance technico-juridique nécessaire à de telles opérations.
39 Il ressort, en effet, des considérants susmentionnés que, au regard de l’aggravation de la situation en Ukraine, les membres du Conseil européen et, par la suite, le Conseil ont entendu augmenter la pression exercée sur la Fédération de Russie par le biais de mesures restrictives additionnelles, dont l’objectif était de contribuer à mettre un terme à la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie contre l’Ukraine. Parmi ces mesures restrictives additionnelles figure l’interdiction litigieuse.
40 Les considérants susmentionnés établissent donc, également, les objectifs généraux visés par l’interdiction litigieuse.
41 En conclusion, il convient de considérer que l’interdiction litigieuse est suffisamment motivée et, partant, que le premier moyen n’est pas fondé.
2. Sur le second moyen, tiré de la violation de l’article 7, de l’article 47, paragraphe 2, et de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte
42 Le second moyen est subdivisé en trois branches concernant la violation de la Charte, la première étant tirée d’une violation de son article 7, la deuxième, d’une violation de son article 47, paragraphe 2, et, la troisième, d’une violation de son article 52, paragraphe 1.
43 Le Tribunal estime opportun d’examiner la deuxième branche, puis la première branche.
44 Par ailleurs, la troisième branche sera examinée dans le cadre de la réponse apportée par le Tribunal aux première et deuxième branches.
a) Sur la deuxième branche, tirée de la violation du droit d’être conseillé par un avocat, consacré par l’article 47, paragraphe 2, de la Charte
45 Les requérants, soutenus par l’Ordre des avocats de Genève, soulignent que le droit d’être conseillé par un avocat est consacré par l’article 47, paragraphe 2, de la Charte, de même que le droit de se faire défendre et représenter par un avocat. Le droit à un recours effectif engloberait le conseil juridique, qui, en amont d’une procédure juridictionnelle, éclairerait le justiciable sur l’intérêt qu’il a d’engager une telle procédure. Le conseil juridique ne serait pas limité à la défense du justiciable dans le cadre d’une procédure judiciaire. Le droit de demander des conseils juridiques en matière gracieuse pourrait s’avérer indissociable du droit d’accès à un avocat dans un contexte contentieux. La protection accordée à la mission de l’avocat serait, en outre, liée à son rôle de collaborateur de la justice, mais pas à la nature des services que les avocats fournissent.
46 L’Ordre des avocats de Genève ajoute que, dans les faits, la qualification des conseils juridiques comme relevant d’un contentieux ou comme étant « gracieux » ne peut s’effectuer qu’a posteriori. L’enjeu serait plus généralement celui de l’accès au droit, qui serait en l’espèce restreint du fait de l’ambiguïté du libellé de l’interdiction litigieuse, laquelle conduirait en pratique les avocats à se censurer et à refuser d’emblée toute prestation de conseil à des personnes morales établies en Russie, sans même envisager de solliciter une quelconque autorisation à cet effet.
47 En outre, pour les requérants, la présente affaire, en ce qu’elle concerne une interdiction générale, se distingue de la situation dans laquelle un avocat doit seulement transmettre ponctuellement des informations déterminantes à l’administration fiscale.
48 Les requérants ajoutent que la profession d’avocat constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique, ainsi que de l’État de droit, au sens de l’article 2 TUE. L’article 47, paragraphe 2, de la Charte devrait être lu à la lumière de ce principe. L’interdiction de fournir des services juridiques porterait nécessairement atteinte à la mission des avocats.
49 Le Conseil, soutenu par la République d’Estonie, par la Commission et par le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, conteste les arguments des requérants.
50 Conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, qui vise à assurer la cohérence nécessaire entre les droits figurant dans celle-ci et les droits correspondants garantis par la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), sans porter atteinte à l’autonomie du droit de l’Union, le Tribunal doit tenir compte, dans l’interprétation des droits garantis par l’article 47 de la Charte, des droits correspondants garantis par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, tels qu’interprétés par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), en tant que seuil de protection minimale (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C-694/20, EU:C:2022:963, point 26 et jurisprudence citée).
51 Pour la Cour, le droit fondamental prévu à l’article 47 de la Charte revêt une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment la valeur de l’État de droit (arrêt du 20 avril 2021, Repubblika, C-896/19, EU:C:2021:311, point 51). Le principe de l’État de droit énoncé à l’article 2 TUE exige un accès libre au droit de l’Union pour toutes les personnes physiques ou morales de l’Union, ainsi que la possibilité, pour les justiciables, de connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations (arrêt du 5 mars 2024, Public.Resource.Org et Right to Know/Commission e.a., C-588/21 P, EU:C:2024:201, point 81).
52 Le droit à un procès équitable comprend, selon l’article 47, deuxième alinéa, deuxième phrase, de la Charte, la possibilité pour toute personne de se faire conseiller, défendre et représenter par un avocat. Ce droit est constitué de divers éléments. Il comprend, notamment, les droits de la défense, le principe de l’égalité des armes, le droit d’accès aux tribunaux et le droit d’accès à un avocat, tant en matière civile qu’en matière pénale (arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C-694/20, EU:C:2022:963, point 60).
53 Il convient de relever que l’article 47 de la Charte est intitulé « Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial ». Le troisième alinéa de cet article prévoit une aide juridictionnelle visant à « assurer l’effectivité de l’accès à la justice ». Dans ce contexte, la possibilité de se faire conseiller, défendre et représenter, prévue par le deuxième alinéa de cet article, ne doit être reconnue que s’il existe un lien avec une procédure juridictionnelle (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C-694/20, EU:C:2022:963, point 61).
54 La Cour n’a, en ce sens, reconnu la mission fondamentale des avocats dans un État de droit qu’en tant que ceux-ci concourent au bon fonctionnement de la justice et assurent la protection et la défense des intérêts du client. La Cour a, en effet, souligné que « tout justiciable », c’est-à-dire toute personne désireuse de faire reconnaître et exercer ses droits en justice, devait avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même comportait la tâche de donner, de façon indépendance, des avis juridiques à tous ceux qui en avaient besoin (voir, en ce sens, arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission, 155/79, EU:C:1982:157, point 18). La Cour a plus largement reconnu la mission des avocats, appelés à fournir, en toute indépendance, et dans l’intérêt supérieur de la justice, l’assistance légale dont le client avait besoin (arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission, 155/79, EU:C:1982:157, point 24). La Cour a également jugé que, si la mission de représentation par un avocat devait s’exercer dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, cette mission consistait surtout à protéger et à défendre au mieux les intérêts de son mandant, pour permettre à celui-ci d’exercer son droit à un recours effectif (voir, en ce sens, arrêt du 4 février 2020, Uniwersytet Wrocławski et Pologne/REA, C-515/17 P et C-561/17 P, EU:C:2020:73, point 62). L’avocat accomplit ainsi une mission fondamentale dans une société démocratique, à savoir la défense des justiciables (arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C-694/20, EU:C:2022:963, point 28).
55 Le droit fondamental d’accéder à un avocat et de bénéficier de ses conseils, consacré par l’article 47 de la Charte, est par conséquent pleinement reconnu s’il existe un lien avec une procédure juridictionnelle, qu’une telle procédure soit déjà ouverte ou qu’elle puisse être prévenue ou anticipée, sur la base d’éléments tangibles, à l’occasion de la phase d’évaluation par l’avocat de la situation juridique de son client.
56 En l’espèce, l’interdiction litigieuse énoncée à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 prohibe la fourniture directe ou indirecte de services de conseil juridique au gouvernement russe et aux personnes morales, aux entités et aux organismes établis en Russie.
57 Selon le considérant 19 du règlement 2022/1904, les services de conseil juridique interdits ne comprennent pas « la représentation, les conseils, la préparation de documents ou la vérification des documents dans le cadre des services de représentation juridique, à savoir dans des affaires ou des procédures devant des organes administratifs, des cours ou d’autres tribunaux officiels dûment constitués, ou dans des procédures d’arbitrage et de médiation ». En revanche, les services de conseil juridique interdits recouvrent « la fourniture de conseils juridiques aux clients en matière gracieuse, y compris les transactions commerciales, impliquant une application ou une interprétation du droit », « la participation à des opérations commerciales, à des négociations et à d’autres transactions avec des tiers, avec des clients ou pour le compte de ceux-ci » et « la préparation, l’exécution et la vérification des documents juridiques ».
58 Bien que le préambule d’un acte de l’Union n’ait pas de valeur juridique contraignante et ne puisse être invoqué pour déroger aux dispositions mêmes de l’acte concerné (arrêt du 19 novembre 1998, Nilsson e.a., C-162/97, EU:C:1998:554, point 54), le considérant 19 du règlement 2022/1904 permet de clarifier une première délimitation de l’interdiction litigieuse. Il ressort de son libellé que les services de conseil juridique, fournis à l’occasion d’une procédure judiciaire, administrative ou arbitrale, ne sont pas visés par ladite interdiction.
59 L’article 5 quindecies, paragraphes 5 et 6, du règlement no 833/2014 circonscrit plus précisément la portée de l’interdiction litigieuse, à la lumière du considérant 19 du règlement 2022/1904. Les paragraphes 5 et 6 susmentionnés disposent que l’interdiction litigieuse ne s’applique pas, respectivement, à la prestation de services qui « sont strictement nécessaires à l’exercice des droits de la défense dans le cadre d’une procédure judiciaire et du droit à un recours effectif » et à la prestation de services qui « sont strictement nécessaires pour garantir l’accès aux procédures judiciaires, administratives ou d’arbitrage dans un État membre, ou pour la reconnaissance ou l’exécution d’un jugement ou d’une sentence arbitrale rendu dans un État membre, à condition qu’une telle prestation de services soit compatible avec les objectifs du présent règlement et du règlement [...] no 269/2014 du Conseil ».
60 Il ressort ainsi du libellé de l’article 5 quindecies, paragraphe 6, du règlement no 833/2014, notamment en ce qu’il se réfère aux services de conseil juridique « strictement nécessaires pour garantir l’accès aux procédures judiciaires, administratives ou d’arbitrage », que l’interdiction litigieuse ne s’applique pas aux services de conseil juridique intervenant dès le moment où l’assistance de l’avocat est sollicitée pour l’exercice d’une mission de défense ou de représentation en justice ou pour l’obtention de conseils sur la manière d’engager ou d’éviter une procédure juridictionnelle (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a., C-305/05, EU:C:2007:383, point 34). Il ne s’oppose donc pas à la fourniture des services de conseil juridique qui, à ce stade préliminaire, visent uniquement à évaluer la situation juridique de la personne concernée, dans le seul but de déterminer si une procédure, notamment juridictionnelle, doit, compte tenu de la situation de cette personne, être écartée ou si, au contraire, elle s’avère probable, voire inévitable. Sans une telle évaluation préliminaire, il ne serait d’ailleurs pas possible de savoir quel pourrait être l’objet de la consultation et de déterminer si le conseil juridique sollicité peut ou non avoir un lien avec une procédure juridictionnelle et relever, par conséquent, du droit fondamental d’accéder à un avocat, ainsi que cela a été rappelé au point 55 ci-dessus.
61 En revanche, l’interdiction litigieuse s’applique, notamment, lorsque, en matière gracieuse, un avocat assiste un client ou agit au nom et pour le compte de celui-ci dans la préparation ou la réalisation de certaines transactions essentiellement d’ordre financier et commercial. En règle générale, ces activités, en raison de leur nature même, se situent dans un contexte dépourvu de lien avec une procédure juridictionnelle et, partant, se situent en dehors du champ d’application du droit à un recours effectif et du droit à un procès équitable garantis par l’article 47 de la Charte. À cet égard, lorsqu’un avocat fournit un service juridique à un stade aussi précoce et n’agit pas en tant que défenseur de son client dans un litige, la seule circonstance selon laquelle les conseils de l’avocat ou l’objet de sa consultation peuvent donner lieu à un contentieux à un stade ultérieur ne signifie pas que l’intervention de l’avocat s’est opérée dans le cadre ou aux fins du droit de la défense de son client (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C-694/20, EU:C:2022:963, points 63 et 64).
62 Il convient, en outre, de rappeler qu’un acte de l’Union doit être interprété, dans la mesure du possible, d’une manière qui ne remette pas en cause sa validité et en conformité avec l’ensemble du droit primaire et, notamment, avec les dispositions de la Charte. En effet, lorsqu’un texte du droit dérivé de l’Union est susceptible de plus d’une interprétation, il convient de donner la préférence à celle qui rend la disposition conforme au droit primaire plutôt qu’à celle conduisant à constater son incompatibilité avec celui-ci (voir arrêts du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a., C-305/05, EU:C:2007:383, point 28 et jurisprudence citée, et du 21 juin 2022, Ligue des droits humains, C-817/19, EU:C:2022:491, point 86 et jurisprudence citée).
63 Il convient dès lors d’examiner si l’interdiction litigieuse peut être interprétée dans un sens respectueux du droit de se faire conseiller, défendre et représenter par un avocat garanti à l’article 47 de la Charte.
64 Selon les précisions apportées par le Conseil dans ses écritures et lors de l’audience, le critère de stricte nécessité inscrit à l’article 5 quindecies, paragraphes 5 et 6, du règlement no 833/2014 a pour unique objet d’éviter le recours abusif aux exceptions prévues par ces mêmes paragraphes et ne saurait être retenu pour soutenir que ladite interdiction porte atteinte au droit d’accéder à un avocat pour les besoins d’une procédure juridictionnelle.
65 Le libellé de l’article 5 quindecies, paragraphe 5, du règlement no 833/2014 permet de considérer que les services de conseil juridique relatifs à une procédure précontentieuse, à savoir une procédure administrative, ou à l’étape initiale d’une procédure judiciaire par laquelle les parties devraient nécessairement passer en vertu du droit national applicable, échappent à l’interdiction litigieuse.
66 De même, le libellé de l’article 5 quindecies, paragraphe 6, du règlement no 833/2014 ne fait pas obstacle à la conduite d’une évaluation juridique préliminaire concluant à la nécessité, ou à l’absence de nécessité, d’entamer une procédure judiciaire, administrative ou arbitrale, de même qu’à la prestation des services de conseil permettant d’éviter une telle procédure, notamment par l’intermédiaire d’un règlement amiable. Le Conseil souligne, à juste titre, que cette interprétation s’inscrit logiquement dans la continuité de l’arrêt du 26 juin 2007, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a. (C-305/05, EU:C:2007:383).
67 Ainsi, l’article 5 quindecies, paragraphes 5 et 6, du règlement no 833/2014 permet à un avocat de procéder à une évaluation préalable de la situation juridique des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie qui le consultent, dans le but de déterminer si les conseils qui sont sollicités de sa part sont strictement nécessaires pour garantir l’accès, notamment, à une procédure juridictionnelle, afin de prévenir ou d’anticiper une telle procédure ou afin d’en assurer la bonne conduite si elle est déjà ouverte.
68 Il résulte de ce qui précède que l’interdiction litigieuse ne méconnaît pas le droit de se faire conseiller, défendre et représenter par un avocat en matière contentieuse, tel que protégé par l’article 47 de la Charte.
69 Par conséquent, la deuxième branche du second moyen doit être écartée.
70 Aucune ingérence n’ayant été constatée, du fait de l’interdiction litigieuse, dans le droit de se faire conseiller, défendre et représenter par un avocat pour bénéficier de conseils juridiques, garanti par l’article 47 de la Charte, la troisième branche du second moyen, en ce qu’elle est tirée de ce que ladite interdiction constituerait une telle ingérence, insusceptible d’être justifiée au sens de l’article 52, paragraphe 1, de cette même Charte, doit être écartée.
b) Sur la première branche, tirée de l’ingérence dans le secret professionnel de l’avocat, consacré par l’article 7 de la Charte
71 Les requérants, soutenus par l’Ordre des avocats de Genève, arguent que la jurisprudence de la Cour a étendu la protection de la confidentialité, nécessaire pour l’exercice en toute indépendance de la profession d’avocat, à la délivrance d’avis juridiques, même en dehors de toute affaire contentieuse.
72 Les requérants soutiennent que les dispositions d’exemption portent atteinte au secret professionnel de l’avocat garanti par l’article 7 de la Charte et à l’indépendance de l’avocat.
73 Les requérants relèvent qu’il n’existe pas de procédure d’exemption spécifique en France et que, en tout état de cause, il est inconcevable qu’un avocat demande l’autorisation d’une autorité gouvernementale pour déterminer s’il peut conseiller un client et révéler des informations confidentielles à cette occasion, en violation de l’article 7 de la Charte. Les dispositifs de dérogation, qui impliqueraient que soit révélée l’existence même de la consultation, pourraient ainsi conduire un client à renoncer à son droit de s’adresser en toute confidentialité à un avocat. En particulier, il ressortirait de l’article 12 ter, paragraphe 2 bis, sous b), du règlement no 833/2014 que l’avocat serait nécessairement tenu de communiquer l’identité de son client et l’objet de la consultation aux fins d’obtenir une dérogation.
74 Les requérants ajoutent que l’interdiction litigieuse ne crée pas une simple obligation de réserve, contrairement aux allégations de la Commission. Elle limiterait l’indépendance des avocats, qui serait pourtant protégée en matière tant contentieuse que non contentieuse.
75 L’Ordre des avocats de Genève ajoute que l’indépendance de l’avocat envers l’autorité publique, les tiers et ses clients est protégée par l’article 47 de la Charte et par l’article 2 TUE. L’interdiction litigieuse y porterait une atteinte injustifiée, alors même que l’avocat doit pouvoir choisir librement de conduire ou non un dossier, de manière à ne pas restreindre la capacité de toute personne à faire valoir ses droits.
76 Le Conseil, soutenu par la République d’Estonie, par la Commission et par le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, conteste l’argumentation des requérants.
77 Il convient, dans un premier temps, d’examiner si l’interdiction litigieuse conduit à une ingérence dans le secret professionnel de l’avocat garanti à l’article 7 de la Charte, puis, dans un second temps, si cette même interdiction restreint l’indépendance de l’avocat, qui serait liée au droit garanti par l’article 7 de la Charte.
1) Sur le grief tiré de la violation du secret professionnel de l’avocat
78 L’article 7 de la Charte reconnaît à toute personne le droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. Conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, le Tribunal doit tenir compte, dans l’examen de ce droit, de l’interprétation de l’article 8, paragraphe 1, de la CEDH opérée par la Cour EDH.
79 À l’instar de cette disposition de la CEDH, l’article 7 de la Charte garantit nécessairement le secret de la consultation juridique, et ce à l’égard tant de son contenu que de son existence. Partant, hormis des situations exceptionnelles, toute personne doit pouvoir légitimement avoir confiance dans le fait que son avocat ne divulguera à personne, sans son accord, qu’elle le consulte (arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C-694/20, EU:C:2022:963, point 27).
80 Pour autant, ni l’article 7 de la Charte ni l’article 8 de la CEDH n’interdisent d’imposer aux avocats un certain nombre d’obligations susceptibles de concerner les relations avec leurs clients, notamment s’il existe des indices plausibles de participation d’un avocat à une infraction, ou encore dans le cadre de la lutte contre certaines pratiques. De telles mesures doivent cependant être strictement encadrées et offrir des garanties procédurales suffisantes contre l’arbitraire (voir, en ce sens, Cour EDH, 16 novembre 2021, Särgava c. Estonie, CE:ECHR:2021:1116JUD000069819, point 89 et jurisprudence citée).
81 La Cour a déjà jugé qu’une obligation de déclaration, imposant à un avocat de révéler à une personne intermédiaire tierce qui n’était pas son client, son identité, son appréciation quant à l’obligation de déclaration en cause ainsi que le fait même qu’il ait été consulté, entraînait une ingérence dans le droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients, garanti à l’article 7 de la Charte (arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C-694/20, EU:C:2022:963, points 29 et 30). Par ailleurs, cette même obligation de déclaration, en ce qu’elle contraint la personne intermédiaire tierce à notifier à l’administration l’identité et l’existence de la consultation de l’avocat concerné, induit une ingérence supplémentaire dans le droit garanti à l’article 7 de la Charte (arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C-694/20, EU:C:2022:963, point 31). Il s’ensuit que la divulgation par un avocat, notamment, de son identité ou de l’existence d’une consultation dont il a la charge, dès lors qu’elle est contrainte et intervient sans le consentement de son client, caractérise une ingérence dans le droit garanti à l’article 7 de la Charte.
82 L’article 5 quindecies, paragraphe 10, du règlement no 833/2014 dispose que les autorités compétentes « peuvent » autoriser les services de conseil juridique « dans les conditions qu’elles jugent appropriées, après avoir établi que cela est nécessaire » à des fins limitativement énumérées à ce même paragraphe.
83 L’article 12 ter, paragraphe 2 bis, du règlement no 833/2014 prévoit, quant à lui, que les autorités compétentes « peuvent » autoriser la fourniture de services soumis à l’interdiction litigieuse, lorsque ceux-ci sont strictement nécessaires à la cession d’actifs en Russie ou à la liquidation d’activités en Russie, sous réserve que deux conditions cumulatives soient remplies. Ces conditions consistent, en substance, à ce que la fourniture des conseils en cause soit restreinte aux seules entités résultant de la cession et à ce qu’il n’existe pas « de motifs raisonnables de croire que les services pourraient être fournis, directement ou indirectement, au gouvernement russe ou à un utilisateur final militaire ou faire l’objet d’une utilisation finale militaire en Russie ».
84 Les dispositions d’exemption permettent ainsi aux autorités compétentes de lever l’interdiction litigieuse dans certaines situations précisément identifiées.
85 Ces dispositions d’exemption laissent une marge d’appréciation aux autorités compétentes quant aux modalités selon lesquelles une demande d’exemption doit être formulée, déposée et traitée. Ainsi, à titre d’exemple, les dispositions d’exemption ne régissent pas l’identité de l’auteur de la demande présentée aux autorités nationales compétentes. Les États membres sont donc libres de prévoir que ladite demande peut être présentée par l’avocat, par une personne tierce, ou par le gouvernement russe ou l’entité établie en Russie concernée eux-mêmes, lesquels, dans ce dernier cas, conservent la faculté de bénéficier de l’assistance, même informelle, d’un avocat, conformément à l’article 5 quindecies, paragraphe 6, du règlement no 833/2014.
86 De même, les dispositions litigieuses ne suggèrent pas, ni de manière explicite ni même de manière implicite, que l’avocat soit tenu de partager avec les autorités compétentes, sans le consentement de son client, de telles informations relevant du secret professionnel garanti par l’article 7 de la Charte.
87 De la même manière, s’agissant des informations nécessaires au traitement de la demande d’exemption, les dispositions d’exemption ne font pas mention des éléments dont doit disposer l’autorité compétente pour mener son examen. Certes, les conditions générales dans lesquelles les exemptions peuvent être accordées requièrent de cette autorité, dans le cadre de l’application de l’article 5 quindecies, paragraphe 10, du règlement no 833/2014, un examen attentif de la situation qui lui est soumise, puisque, pour accorder une autorisation, l’autorité compétente doit « établir » que celle-ci est nécessaire à l’une des finalités énumérées par les dispositions d’exemption. Il en va de même en ce qui concerne l’article 12 ter, paragraphe 2 bis, dudit règlement, dans la mesure où il prévoit que l’autorité compétente doit s’assurer que la fourniture des services est strictement nécessaire aux activités définies et remplit les conditions prévues à cet effet.
88 Pour autant, il convient de rappeler que, conformément à l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, les États membres sont tenus de respecter les droits consacrés par la Charte lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Il leur appartient, dès lors, lorsqu’ils définissent les modalités de la mise en œuvre des procédures d’exemption, de veiller au respect de l’article 7 de la Charte, dans le respect des conditions de l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2020, Privacy International, C-623/17, EU:C:2020:790, points 62 et 63).
89 Par conséquent, les dispositions d’exemption n’entraînent pas, par elles-mêmes, d’ingérence dans le droit garanti à l’article 7 de la Charte.
90 En conclusion, le grief tiré d’une violation du secret professionnel de l’avocat doit être écarté.
91 En tout état de cause, à supposer qu’une ingérence dans le secret professionnel de l’avocat, garanti à l’article 7 de la Charte, découle des dispositions d’exemption, il importe de rappeler que l’article 52, paragraphe 1, de la Charte admet des limitations à l’exercice des droits consacrés par celle-ci, pour autant que les limitations concernées soient prévues par la loi. Ces limitations doivent également respecter le contenu essentiel du droit fondamental en cause et, dans le respect du principe de proportionnalité, elles doivent être nécessaires et répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union (voir, en ce sens, arrêts du 28 mars 2017, Rosneft, C-72/15, EU:C:2017:236, point 148 ; du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C-694/20, EU:C:2022:963, point 34, et du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T-125/22, EU:T:2022:483, points 77 et 144).
92 En premier lieu, en ce qui concerne l’exigence selon laquelle toute limitation de l’exercice des droits fondamentaux doit être prévue par la loi, celle-ci implique que l’acte qui permet l’ingérence dans ces droits doit définir lui-même la portée de la limitation de l’exercice du droit concerné, étant précisé, d’une part, que cette exigence n’exclut pas que la limitation en cause soit formulée dans des termes suffisamment ouverts pour pouvoir s’adapter à des cas de figure différents ainsi qu’aux changements de situations et, d’autre part, que la Cour peut, le cas échéant, préciser, par voie d’interprétation, la portée concrète de la limitation au regard tant des termes mêmes de la réglementation de l’Union en cause que de son économie générale et des objectifs qu’elle poursuit, tels qu’interprétés à la lumière des droits fondamentaux garantis par la Charte (voir arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C-694/20, EU:C:2022:963, point 35 et jurisprudence citée).
93 À cet égard, l’article 5 quindecies, paragraphes 4 à 9, du règlement no 833/2014 (ci-après les « dispositions d’exception ») et les dispositions d’exemption délimitent le périmètre de l’interdiction pour les avocats de fournir des services de conseil juridique au gouvernement russe et aux entités établies en Russie, telle qu’édictée à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014. Contrairement à ce que soutient l’Ordre des avocats de Genève, il ressort des points 56 à 67 ci-dessus que les services de conseil juridique soumis à l’interdiction litigieuse sont expressément identifiés.
94 Dans ces conditions, il convient de considérer que l’interdiction litigieuse est prévue par la loi, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.
95 En deuxième lieu, en ce qui concerne le respect du contenu essentiel du droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients, garanti à l’article 7 de la Charte, il convient de relever que les dispositions d’exemption ne prévoient ni l’obligation ni même l’autorisation, pour l’avocat, de partager avec l’autorité compétente, sans le consentement de son client, des informations relatives à la teneur de leurs communications ou au contenu précis de la consultation sollicitée. Au demeurant, les dispositions d’exemption ne sont invocables que dans des situations ne présentant aucun lien avec une procédure judiciaire, administrative ou arbitrale, de sorte qu’elles ne seraient en aucune mesure susceptibles d’entraîner la divulgation d’informations liées à de telles procédures, actuelles ou probables.
96 Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que les dispositions d’exemption portent atteinte au contenu essentiel du droit au respect des communications entre les avocats et leurs clients, consacré à l’article 7 de la Charte.
97 En troisième lieu, s’agissant du caractère approprié des dispositions d’exemption, il convient d’examiner si les restrictions au secret professionnel qu’elles sont susceptibles d’entraîner sont justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et si elles répondent effectivement auxdits objectifs d’intérêt général.
98 L’examen de la proportionnalité des dispositions d’exemption est intrinsèquement lié à l’examen de la proportionnalité de l’interdiction litigieuse elle-même. En effet, les dispositions d’exemption ne font que circonscrire l’interdiction litigieuse.
99 À cet égard, le Tribunal a jugé que l’importance des objectifs poursuivis par les règlements 2022/1904, 2022/2474 et 2023/427, à savoir la protection de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’indépendance de l’Ukraine ainsi que la promotion d’un règlement pacifique de la crise dans ce pays, qui s’inscrivaient dans l’objectif plus large du maintien de la paix et de la sécurité internationale, conformément aux objectifs de l’action extérieure de l’Union énoncés à l’article 21 TUE, était de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs qui n’avaient aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des sanctions (arrêt du 13 septembre 2018, Gazprom Neft/Conseil, T-735/14 et T-799/14, EU:T:2018:548, point 171 ; voir, également, en ce sens, arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T-125/22, EU:T:2022:483, point 202).
100 Ainsi qu’il ressort de l’examen du premier moyen, l’interdiction litigieuse participe à l’objectif de mettre un terme à la guerre d’agression menée par la Fédération de Russie en Ukraine.
101 Les services de conseil juridique fournis par des juristes de l’Union étant un élément essentiel à la conduite des activités économiques opérées dans l’Union par le gouvernement russe ainsi que par toute entité établie en Russie, une interdiction concernant ces services est, en effet, apte à restreindre l’exercice de telles activités. Cette restriction peut donc permettre de limiter les ressources économiques et financières du régime russe et, par suite, d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
102 À cet égard, il convient de souligner que l’interdiction litigieuse est assortie des dispositions d’exception et des dispositions d’exemption, qui permettent d’en atténuer la portée en ce qui concerne son champ d’application tant matériel que personnel.
103 Tout d’abord, les dispositions d’exception limitent la portée de l’interdiction générale de fournir des services de conseil juridique, en excluant du champ d’application matériel de celle-ci, notamment, les services de conseil juridique fournis en lien avec une procédure judiciaire, administrative ou arbitrale. Ne restent ainsi soumis à cette interdiction que les conseils juridiques en matière gracieuse.
104 Ensuite, d’une part, l’article 5 quindecies, paragraphe 10, du règlement no 833/2014 prévoit la possibilité de déroger à l’interdiction litigieuse pour certains services de conseil juridique qui, au regard des domaines qui y sont énumérés, peuvent, notamment, s’avérer nécessaires ou utiles pour l’Union et sont en cohérence avec les finalités de l’action extérieure de l’Union en ce que des secteurs non visés par des mesures restrictives sectorielles y sont mentionnés.
105 D’autre part, l’article 12 ter, paragraphe 2 bis, du règlement no 833/2014 prévoit également la possibilité de déroger à l’interdiction litigieuse pour certains services de conseil juridique, lorsqu’ils sont strictement nécessaires à la cession d’actifs en Russie ou à la liquidation d’activités en Russie, pour autant que deux conditions soient remplies. D’ailleurs, il y a lieu de relever que, si cette exemption était limitée dans le temps (initialement jusqu’au 31 décembre 2023), elle a fait l’objet d’une prorogation jusqu’au 31 mars 2024, par le règlement (UE) 2023/1214 du Conseil, du 23 juin 2023, modifiant le règlement no 833/2014 (JO 2023, L 159 I, p. 1), puis jusqu’au 31 juillet 2024, par le règlement (UE) 2023/2878 du Conseil, du 18 décembre 2023, modifiant le règlement no 833/2014 (JO L, 2023/2878).
106 Enfin, le champ d’application personnel de l’interdiction litigieuse est, lui aussi, limité. En effet, celle-ci ne concerne que les services juridiques fournis au gouvernement russe et à des personnes morales, des entités et des organismes établis en Russie. Ainsi, les conseils juridiques fournis à des personnes physiques, notamment, ne tombent pas dans le champ de ladite interdiction.
107 Partant, l’interdiction litigieuse répond de manière appropriée et cohérente à l’objectif d’intensifier encore la pression exercée sur la Fédération de Russie pour qu’elle mette un terme à sa guerre d’agression contre l’Ukraine. Les dispositions d’exemption, en ce qu’elles permettent de lever l’interdiction litigieuse dans des situations précisément identifiées, poursuivent elles-mêmes cet objectif d’intérêt général.
108 En quatrième lieu, il convient d’examiner si l’ingérence dans le droit fondamental au respect des communications entre les avocats et leurs clients qui est susceptible de résulter des dispositions d’exemption est limitée à ce qui est nécessaire pour atteindre les buts poursuivis par les règlements 2022/1904, 2022/2474 et 2023/427.
109 À cet égard, il convient de souligner que les dispositions d’exemption visent à lever l’interdiction litigieuse pour des raisons politiques, humanitaires, stratégiques et économiques, notamment dans des situations pouvant s’avérer bénéfiques pour l’Union, ainsi qu’il a été exposé, notamment, au point 104 ci-dessus. En cela, ces dispositions d’exemption restreignent la portée de l’interdiction litigieuse, ainsi que cela ressort des points 104 et 105 ci-dessus, et permettent donc d’en assurer la proportionnalité. Il est par ailleurs vrai que ces dispositions, en ce qu’elles atténuent la rigueur de l’interdiction litigieuse, sont susceptibles d’affecter la poursuite de l’objectif légitime global poursuivi par ladite interdiction, consistant à limiter les ressources économiques et financières du régime russe, pour que ce dernier cesse sa guerre d’agression contre l’Ukraine. C’est pourquoi il est justifié que les autorités compétentes puissent lever l’interdiction litigieuse uniquement après avoir établi que cela est nécessaire et sous réserve que les conditions énumérées dans les dispositions d’exemption soient respectées.
110 Les dispositions d’exemption peuvent ainsi être considérées comme n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire afin d’atteindre efficacement les objectifs de l’interdiction litigieuse tout en garantissant la proportionnalité de celle-ci.
111 Le grief de la première branche du second moyen, tiré de la violation du secret professionnel de l’avocat, n’est ainsi, en tout état de cause, pas fondé.
2) Sur le grief tiré de l’ingérence dans l’indépendance de l’avocat
112 Il découle de l’article 2 TUE que l’Union est fondée sur des valeurs, telles que l’État de droit, qui sont communes aux États membres dans une société caractérisée, notamment, par la justice (arrêt du 20 avril 2021, Repubblika, C-896/19, EU:C:2021:311, point 62). Toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal, un contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect des dispositions du droit de l’Union étant inhérent à l’existence d’un État de droit (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C-72/15, EU:C:2017:236, point 73 et jurisprudence citée).
113 Il ressort de la jurisprudence de la Cour que l’avocat est un auxiliaire de la justice qui apporte l’assistance légale dont ses clients ont besoin en toute indépendance. La Cour a, en effet, reconnu la mission des avocats, appelés à fournir, en toute indépendance et dans l’intérêt supérieur de la justice, l’assistance légale dont le client a besoin (arrêt du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission, 155/79, EU:C:1982:157, point 24). La Cour souligne également que la mission fondamentale de l’avocat comporte, d’une part, l’exigence, dont l’importance est reconnue dans tous les États membres, selon laquelle tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même englobe, par essence, la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin et, d’autre part, l’exigence, corrélative, de loyauté de l’avocat envers son client (arrêt du 8 décembre 2022, Orde van Vlaamse Balies e.a., C-694/20, EU:C:2022:963, point 28).
114 En outre, la Cour considère que l’indépendance de l’avocat revêt une importance particulière, aux fins de la protection du droit de son client à un recours effectif, en subordonnant la recevabilité des recours formés par des particuliers au respect de l’exigence selon laquelle le requérant doit être représenté par un tiers indépendant. L’objectif de la mission de représentation par un avocat, visée par l’article 19 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, consiste, en effet, surtout à assurer la protection et la défense des intérêts du client, dans le respect de la loi et des règles professionnelles et déontologiques applicables. L’exigence d’indépendance se définit non seulement de manière négative, c’est-à-dire par l’absence d’un rapport d’emploi, mais également de manière positive, à savoir par une référence à la discipline professionnelle. À ce dernier égard, l’indépendance doit être comprise comme l’absence non de tout lien quelconque de l’avocat avec son client, mais uniquement de ceux qui portent manifestement atteinte à sa capacité à assurer sa mission de défense en servant au mieux les intérêts de son client, dans le respect de la loi et des règles professionnelles et déontologiques (voir, en ce sens, arrêt du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO, C-529/18 P et C-531/18 P, EU:C:2022:218, points 65, 66 et 69 et jurisprudence citée). Le droit du justiciable de bénéficier de conseils juridiques donnés en toute indépendance par un avocat est donc inhérent au droit à un recours effectif.
115 Enfin, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a. (C-309/99, EU:C:2002:98), la Cour, constatant l’absence de règles de l’Union en matière d’indépendance des avocats, s’est référée au cadre juridique national applicable, à savoir la Samenwerkingsverordening 1993 (règlement sur la collaboration de 1993), adoptée par le Nederlandse Orde van Advocaten (Ordre néerlandais des avocats), pour déterminer les contours de l’indépendance de l’avocat (voir, en ce sens, arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a., C-309/99, EU:C:2002:98, points 99 à 102).
116 Il ressort des considérations qui précèdent que, nonobstant l’inexistence d’une norme de droit primaire consacrant et définissant l’indépendance de l’avocat, la Cour a reconnu l’importance d’une telle indépendance aux fins de garantir le droit des justiciables à un recours effectif, dans des contextes incluant un lien avec une procédure juridictionnelle.
117 Certes, il ressort des dispositions du code de déontologie des avocats européens, rédigé par le Conseil des barreaux européens, selon lesquelles l’indépendance de l’avocat « est nécessaire pour l’activité juridique comme judiciaire », que l’indépendance peut s’étendre également aux activités de conseil juridique n’ayant aucun lien avec une procédure juridictionnelle.
118 Toutefois, les dispositions du code de déontologie des avocats européens ne constituent pas des règles de droit de l’Union et ne sauraient constituer une base juridique fondant la reconnaissance de l’indépendance de l’avocat à l’échelle de l’Union. Au surplus, ces dispositions n’altèrent pas la liberté de chaque État membre de réglementer l’exercice de la profession d’avocat sur son territoire. Les règles applicables à cette profession peuvent, de ce fait, différer substantiellement d’un État membre à l’autre (arrêt du 19 février 2002, Wouters e.a., C-309/99, EU:C:2002:98, point 99). Il est au demeurant constant que les requérants n’ont pas fait état de la conception spécifique que revêtirait l’indépendance de l’avocat en France. En tout état de cause, il résulte des dispositions du code de déontologie des avocats européens que l’indépendance qui y est défendue en matière juridique vise à assurer que l’avocat conseille son client sans complaisance, en dehors de tout intérêt personnel et en l’absence de toute pression extérieure. Ces dispositions visent donc la manière dont l’avocat doit exercer son activité de conseil. Les dispositions du code de déontologie des avocats européens ne sont, dès lors, pas de nature à justifier que l’indépendance de l’avocat, reconnue par la Cour comme étant nécessaire à la protection du droit à un recours effectif, puisse garantir aux avocats une totale liberté dans le choix de leur mandat dans tous les champs du conseil juridique.
119 En l’espèce, il découle de l’analyse de la deuxième branche du second moyen que l’interdiction litigieuse ne s’applique pas aux services de conseil juridique fournis par un avocat et présentant un lien avec une procédure juridictionnelle et qu’elle n’emporte donc aucune ingérence dans le droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte.
120 Ainsi, il n’est pas établi que l’interdiction litigieuse est susceptible de conduire à une ingérence dans l’indépendance de l’avocat, telle qu’elle est reconnue par la jurisprudence de la Cour aux fins de la protection de ce droit.
121 Au surplus, à supposer que l’indépendance de l’avocat doive, au même titre que la protection du secret professionnel découlant de l’article 7 de la Charte, également être reconnue en dehors d’un contexte contentieux, et qu’il soit constaté une ingérence dans cette indépendance, il convient de rappeler qu’une telle indépendance n’implique pas que la profession d’avocat ne peut pas être soumise à des limitations. Cette indépendance peut, en effet, faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union, à condition que de telles restrictions ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même de l’indépendance des avocats (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C-72/15, EU:C:2017:236, point 148).
122 Or, d’une part, il ressort des points 100 à 107 ci-dessus que l’interdiction litigieuse, telle que délimitée, notamment, par les dispositions d’exemption, poursuit des objectifs d’intérêt général.
123 D’autre part, si les dispositions d’exemption accordent aux autorités compétentes la faculté de lever l’interdiction litigieuse à l’égard de certains services de conseil juridique, ces dispositions ne permettent pas aux autorités compétentes d’avoir une influence sur le contenu même du conseil pouvant, le cas échéant, être fourni par l’avocat au gouvernement russe ou à une entité établie en Russie concernée. Il en va de même s’agissant de l’interdiction litigieuse elle-même. Dans le cas où l’avocat bénéficie d’une exemption, il demeure libre dans l’exercice de son activité de conseil auprès de son client. L’interdiction litigieuse et, en particulier, les dispositions d’exemption ne constituent donc pas une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même de l’indépendance des avocats.
124 Partant, à supposer même qu’il y ait une ingérence dans l’indépendance des avocats, celle-ci serait justifiée et proportionnée.
125 Par conséquent le grief tiré de l’ingérence dans l’indépendance de l’avocat n’est pas fondé. Partant, la première branche du second moyen doit être écartée et ce moyen doit être rejeté dans son intégralité.
126 Les deux moyens invoqués par les requérants à l’appui de leur recours ayant été écartés, ce dernier doit, en tout état de cause, être rejeté, sans qu’il soit besoin de statuer sur sa recevabilité.
IV. Sur les dépens
127 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
128 Les requérants ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter leurs propres dépens ainsi que ceux du Conseil, conformément aux conclusions de ce dernier.
129 Conformément à l’article 138, paragraphes 1 et 3, du règlement de procédure, l’Ordre des avocats de Genève, la République d’Estonie, la Commission et le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (grande chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) L’Ordre des avocats à la cour de Paris et Mme Julie Couturier supporteront leurs propres dépens ainsi que ceux du Conseil de l’Union européenne.
3) L’Ordre des avocats de Genève, la République d’Estonie, la Commission européenne et le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité supporteront leurs propres dépens.
Van der Woude | Papasavvas | da Silva Passos |
Kornezov | Truchot | Gervasoni |
Półtorak | Nihoul | Öberg |
Mac Eochaidh | Pynnä | Martín y Pérez de Nanclares |
Brkan | Zilgalvis | Gâlea |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 2 octobre 2024.
Le greffier | Le président |
V. Di Bucci | S. Papasavvas |
* Langue de procédure : le français.
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