Engie Romania ( Energy - Internal market in natural gas - Protection of consumers - Judgment) French Text [2025] EUECJ C-205/23 (30 January 2025)

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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2025/C20523.html
Cite as: ECLI:EU:C:2025:43, [2025] EUECJ C-205/23, EU:C:2025:43

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ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

30 janvier 2025 (*)

« Renvoi préjudiciel - Énergie - Marché intérieur du gaz naturel - Directive 2009/73/CE - Article 3, paragraphe 1 - Obligations des États membres à l’égard des entreprises de gaz naturel - Protection des consommateurs - Articles 40 et 41 - Compétences de l’autorité de régulation - Violation, par une entreprise de gaz naturel, de son obligation de transparence à l’égard des clients - Cumul de sanctions pour un même comportement infractionnel - Article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne - Droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction - Ne bis in idem - Article 52, paragraphe 1 - Limitations à l’exercice de ce droit fondamental - Principe de proportionnalité »

Dans l’affaire C‑205/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie), par décision du 24 février 2023, parvenue à la Cour le 28 mars 2023, dans la procédure

Engie România SA

contre

Autoritatea Naţională de Reglementare în Domeniul Energiei,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de la deuxième chambre, faisant fonction de président de la troisième chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la troisième chambre, MM. N. Jääskinen, M. Gavalec et N. Piçarra (rapporteur), juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : Mme R. Şereş, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 24 avril 2024,

considérant les observations présentées :

–        pour Engie România SA, par Mes L. Chiurtu, N.‑V. Dinu, M. R. Iancu, I. Katona et A. Radu, avocați,

–        pour l’Autoritatea Naţională de Reglementare în Domeniul Energiei, par M. G.‑S. Niculescu, Mme A.‑M. Riling, M. C. Vernea et Mme A. Zorzoană, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement roumain, par Mmes R. Antonie, E. Gane, R. I. Haţieganu et A. Rotăreanu, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement hellénique, par M. K. Boskovits et Mme C. Kokkosi, en qualité d’agents,

–        pour la Commission européenne, par Mmes O. Beynet, L. Nicolae et M. T. Scharf, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 11 juillet 2024,

rend le présent

Arrêt

1        La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE (JO 2009, L 211, p. 94), ainsi que des articles 50 et 52 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Engie România SA (ci‑après « Engie »), une entreprise de gaz naturel, à l’Autoritatea Națională de Reglementare în Domeniul Energiei (Autorité nationale de régulation de l’énergie, Roumanie) (ci‑après l’« ANRE ») au sujet d’un procès‑verbal, établi par cette dernière, constatant et sanctionnant une infraction administrative imputée à Engie.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La Charte

3        L’article 50 de la Charte, intitulé « Droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction », dispose :

« Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union [européenne] par un jugement pénal définitif conformément à la loi. »

4        L’article 52 de la Charte, intitulé « Portée et interprétation des droits et des principes », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. »

 La directive 2009/73

5        Le considérant 48 de la directive 2009/73 énonce :

« Il convient que les intérêts des consommateurs soient au cœur de la présente directive et que la qualité du service constitue une responsabilité centrale pour les entreprises de gaz naturel. Les droits existants des consommateurs doivent être renforcés et garantis, et ils devraient inclure une plus grande transparence. La protection du consommateur devrait garantir, dans le contexte de la Communauté au sens large, que tous les consommateurs bénéficient d’un marché compétitif. Les États membres ou, si un État membre le prévoit, les autorités de régulation, devraient veiller au respect des droits des consommateurs. »

6        Aux termes de l’article 2 de cette directive :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

25.      “client résidentiel”, un client achetant du gaz naturel pour sa propre consommation domestique ;

[...]

27.      “client final”, un client achetant du gaz naturel pour sa consommation propre ;

[...] »

7        L’article 3 de ladite directive, intitulé « Obligations de service public et protection des consommateurs », est ainsi libellé :

« 1.      Les États membres, sur la base de leur organisation institutionnelle et dans le respect du principe de subsidiarité, veillent à ce que les entreprises de gaz naturel, sans préjudice du paragraphe 2, soient exploitées conformément aux principes de la présente directive, en vue de réaliser un marché du gaz naturel concurrentiel, sûr et durable sur le plan environnemental, et s’abstiennent de toute discrimination pour ce qui est des droits et des obligations de ces entreprises.

2.      En tenant pleinement compte des dispositions pertinentes du traité, en particulier de [l’article 106 TFUE], les États membres peuvent imposer aux entreprises opérant dans le secteur du gaz, dans l’intérêt économique général, des obligations de service public qui peuvent porter sur la sécurité, y compris la sécurité d’approvisionnement, la régularité, la qualité et le prix de la fourniture, ainsi que la protection de l’environnement, y compris l’efficacité énergétique, l’énergie produite à partir de sources d’énergie renouvelables et la protection du climat. [...]

3.      Les États membres prennent les mesures appropriées pour protéger les clients finals et veillent en particulier à garantir une protection adéquate aux consommateurs vulnérables. [...] Ils garantissent un niveau de protection élevé des consommateurs, notamment en ce qui concerne la transparence des termes et conditions des contrats, l’information générale et les mécanismes de règlement des litiges. [...] En ce qui concerne au moins les clients résidentiels, ces mesures incluent celles figurant à l’annexe I.

[...] »

8        L’article 40 de la même directive, intitulé « Objectifs généraux de l’autorité de régulation », dispose :

« Aux fins des tâches de régulation définies dans la présente directive, l’autorité de régulation prend toutes les mesures raisonnables pour atteindre les objectifs suivants dans le cadre de ses missions et compétences définies à l’article 41, en étroite concertation, le cas échéant, avec les autres autorités nationales concernées, y compris les autorités de concurrence, et sans préjudice de leurs compétences :

[...]

g)      assurer que les clients bénéficient du fonctionnement efficace des marchés nationaux, promouvoir une concurrence effective et contribuer à garantir la protection des consommateurs ;

[...] »

9        L’article 41 de la directive 2009/73, intitulé « Missions et compétences de l’autorité de régulation », prévoit, à ses paragraphes 1 et 4 :

« 1.      L’autorité de régulation est investie des missions suivantes :

[...]

i)      surveiller le degré de transparence, y compris des prix de gros, et veiller au respect des obligations de transparence par les entreprises de gaz naturel ;

[...]

o)      contribuer à garantir, en collaboration avec d’autres autorités compétentes, l’effectivité et la mise en œuvre des mesures de protection des consommateurs, y compris celles énoncées à l’annexe I ;

[...]

4.      Les États membres veillent à ce que les autorités de régulation disposent des pouvoirs nécessaires pour s’acquitter des missions visées aux paragraphes 1, 3 et 6 d’une manière efficace et rapide. À cet effet, l’autorité de régulation se voit confier au moins les compétences suivantes :

a)      prendre des décisions contraignantes à l’égard des entreprises de gaz naturel ;

b)      procéder à des enquêtes sur le fonctionnement des marchés du gaz et arrêter et imposer les mesures proportionnées et nécessaires afin de promouvoir une concurrence effective et d’assurer le bon fonctionnement du marché. [...] ;

[...]

d)      infliger des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives à l’encontre des entreprises de gaz naturel qui ne respectent pas les obligations qui leur incombent en vertu de la présente directive ou des décisions juridiquement contraignantes applicables de l’autorité de régulation ou de l’agence, ou proposer qu’une juridiction compétente inflige de telles sanctions. [...] ;

[...] »

10      L’annexe I de cette directive, intitulée « Mesures relatives à la protection des consommateurs », énonce, à son point 1 :

« Sans préjudice de la réglementation communautaire sur la protection des consommateurs [...], les mesures visées à l’article 3 ont pour objet de faire en sorte que les clients :

[...]

c)      reçoivent des informations transparentes relatives aux prix et aux tarifs pratiqués, ainsi qu’aux conditions générales applicables, en ce qui concerne l’accès aux services de gaz et l’utilisation de ces services ;

[...] »

 Le droit roumain

 La loi no 363/2007

11      La Legea nr. 363/2007 privind combaterea practicilor incorecte ale comercianților în relația cu consumatorii și armonizarea reglementărilor cu legislația europeană privind protecția consumatorilor (loi n° 363/2007 sur la lutte contre les pratiques déloyales des commerçants à l’égard des consommateurs et l’harmonisation de la réglementation avec la législation européenne relative à la protection des consommateurs), du 21 décembre 2007 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 899, du 28 décembre 2007), transpose dans le droit roumain la directive 2005/29/CE du Parlement et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis‑à‑vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales ») (JO 2005, L 149, p. 22) .

 La loi n123/2012

12      Aux termes de l’article 143, paragraphe 1, sous k), de la Legea energiei electrice și a gazelor naturale nr. 123/2012 (loi no 123/2012 sur l’électricité et le gaz naturel), du 10 juillet 2012 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 485, du 16 juillet 2012), dans sa version applicable au litige au principal :

« Le fournisseur de gaz naturel a notamment les obligations suivantes :

[...]

k)      transmettre aux clients finals des informations transparentes relatives aux prix/tarifs pratiqués, selon le cas, ainsi qu’aux conditions générales d’accès aux services qu’il propose et d’utilisation de ces services. »

13      L’article 194, point 24 bis, de cette loi dispose :

« Constituent des infractions aux dispositions régissant les activités dans le secteur du gaz naturel les faits suivants : [...] le non‑respect par les participants au marché du gaz naturel des obligations qui leur incombent en vertu de l’article 143, paragraphe 1, de l’article 144 bis et de l’article 145, paragraphe 4, sous g). »

14      En vertu de l’article 195, paragraphe 1, point 2, sous c), de ladite loi, ces infractions sont passibles d’une amende allant de 20 000 à 400 000 lei roumains (RON) (environ 4 000 à 80 000 euros).

 Le litige au principal et les questions préjudicielles

15      Le 14 septembre 2021, par un procès‑verbal de constatation et de sanction d’une infraction administrative, l’Autoritatea Națională pentru Protecția Consumatorilor (Autorité nationale de protection des consommateurs, Roumanie) (ci‑après l’« ANPC ») a imputé à Engie des pratiques commerciales trompeuses et agressives dans l’exercice de son activité économique, sur le fondement de la loi nº 363/2007. Elle y a constaté que Engie avait induit les consommateurs en erreur en leur notifiant unilatéralement un changement du prix fixé dans l’offre initiale après un délai de trois mois, alors même que ce prix était valable pour une période de douze mois.

16      Par une décision du même jour, cette autorité a enjoint à Engie de cesser ces pratiques, de suspendre son activité jusqu’à la cessation de celles‑ci et de ne pas modifier le prix du gaz naturel fourni aux clients résidentiels.

17      Le 11 octobre 2021, l’ANRE a dressé un procès‑verbal de constatation et de sanction d’une infraction administrative (ci‑après le « procès-verbal de l’ANRE »). Elle y a constaté que Engie avait, en tant que fournisseur autorisé de gaz naturel, violé notamment son obligation de transparence, énoncée à l’article 143, paragraphe 1, sous k), de la loi no 123/2012, qui transpose dans le droit roumain la directive 2009/73, et lui a infligé une série d’amendes administratives d’un montant total de 800 000 RON (environ 160 000 euros). Cette autorité a estimé que Engie avait, d’une part, commis des irrégularités concernant le contenu de certaines offres de gaz naturel et, d’autre part, n’avait pas suffisamment mis en évidence le droit qu’elle se réservait de modifier ultérieurement le prix de fourniture de gaz naturel figurant dans les contrats conclus avec ses clients.

18      L’ANRE a ainsi ordonné à Engie de notifier aux douze clients finals identifiés dans le procès‑verbal de l’ANRE le maintien du prix fixe du gaz naturel auquel elle s’était engagée dans l’offre préalable de contrat et d’annuler les avenants transmis à ces clients. En outre, elle a ordonné à Engie d’identifier tous les clients finals ayant accepté des offres standards à un prix fixe valable pour la période prévue dans ces offres et auxquels des notifications et des avenants ont été envoyés ultérieurement augmentant le prix du gaz naturel fourni avant la fin de cette période, de notifier à ces clients le maintien du prix fixe du gaz, conformément auxdites offres, et d’annuler ces avenants.

19      Engie a saisi la Judecătoria Sectorului 4 București (tribunal de première instance du 4e arrondissement de Bucarest, Roumanie) d’un recours contre le procès‑verbal de l’ANRE. Ce recours a été rejeté comme étant non fondé par un jugement du 14 mars 2022.

20      Engie a interjeté appel de ce jugement devant le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie), qui est la juridiction de renvoi.

21      Cette juridiction se demande, en premier lieu, si l’ANRE peut exiger d’une entreprise de gaz naturel, à laquelle elle reproche une violation de son obligation de transparence à l’égard des consommateurs, qu’elle applique un prix différent du prix de marché déterminé sur le fondement du principe de la libre formation du prix qui, selon ladite juridiction, ressort de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/73.

22      En second lieu, la juridiction de renvoi fait observer, d’une part, que tant l’ANRE que l’ANPC ont constaté le même fait, la première autorité l’ayant qualifié de « violation de l’obligation de transparence » énoncée à l’article 143, paragraphe 1, sous k), de la loi nº 123/2012 et la seconde de « pratique commerciale trompeuse et agressive à l’égard des consommateurs », au sens de la loi nº 363/2007. D’autre part, elle constate que tant l’ANRE que l’ANPC ont imposé à Engie, par des actes distincts, la même obligation de réparation, à savoir celle de revenir au prix fixé par l’offre « standard en avril 2021 », qui était nettement inférieur au prix d’achat du gaz naturel sur le marché libre.

23      Cette juridiction demande ainsi à la Cour d’interpréter l’article 50 et l’article 52, paragraphes 1 et 3, de la Charte dans le contexte de l’application de la loi nº 363/2007 et de la loi nº 123/2012, afin de clarifier l’applicabilité de cet article 50 « en cas de double peine pour les mêmes faits sur des fondements juridiques différents ».

24      Dans ces conditions, le Tribunalul București (tribunal de grande instance de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Une violation présumée de l’obligation de transparence, transposée dans la législation nationale, incombant aux fournisseurs de gaz naturel dans leurs relations avec les clients résidentiels, violation qui est considérée comme une infraction administrative en vertu de cette législation, peut‑elle également amener l’autorité nationale compétente à exiger d’un fournisseur de gaz naturel qu’il applique aux consommateurs un prix imposé par voie administrative qui ne tient pas compte du principe de la libre formation du prix sur le marché du gaz naturel, principe énoncé à l’article 3, paragraphe 1, de la [directive 2009/73] ?

2)      Le fait qu’un fournisseur de gaz naturel soit sanctionné par deux procès‑verbaux d’infraction distincts, établis l’un par l’autorité de protection des consommateurs et l’autre par l’autorité de régulation de l’énergie, qui lui imposent les mêmes mesures (duplication des actes administratifs imposant des mesures) peut‑il être considéré comme une limitation justifiée du [droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction] énoncé à l’article [50] de la [Charte] ou est‑il contraire à ce [droit] ?

Un tel cumul d’actes par lesquels des autorités différentes imposent les mêmes mesures pour des faits identiques respecte‑t‑il le principe de proportionnalité ? »

 Sur la demande de réouverture de la phase orale de la procédure

25      À la suite de la lecture des conclusions de M. l’avocat général le 11 juillet 2024, Engie a demandé, par acte déposé au greffe de la Cour le 28 août 2024, la réouverture de la phase orale de la procédure, en application de l’article 83 du règlement de procédure de la Cour, afin de soumettre des arguments juridiques supplémentaires qui, selon elle, seraient susceptibles d’avoir une influence décisive sur l’interprétation de l’article 50 de la Charte, rendant ainsi nécessaire de nuancer les critères d’appréciation consacrés dans la jurisprudence relative à cette disposition.

26      En vertu de l’article 83 de son règlement de procédure, la Cour peut, à tout moment, l’avocat général entendu, ordonner l’ouverture ou la réouverture de la phase orale de la procédure, notamment si elle se considère insuffisamment éclairée, lorsqu’une partie a soumis un fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur le jugement de la Cour, ou lorsque l’affaire doit être tranchée sur la base d’un argument qui n’a pas été débattu entre les parties ou les intéressés visés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

27      En l’occurrence, la Cour constate, l’avocat général entendu, que Engie ne fait état d’aucun fait nouveau de nature à exercer une influence décisive sur la décision que la Cour est appelée à rendre dans la présente affaire. Par ailleurs, la Cour estime qu’elle dispose de tous les éléments nécessaires pour statuer et que ladite affaire ne doit pas être tranchée sur le fondement d’un argument qui n’a pas été débattu devant elle.

28      Dans ces conditions, il n’y a pas lieu d’ordonner la réouverture de la phase orale de la procédure.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

 Sur la recevabilité

29      L’ANRE et le gouvernement roumain soulèvent l’irrecevabilité de la première question, au motif que celle‑ci reposerait sur des appréciations factuelles ne correspondant pas à la situation en cause au principal. En effet, le procès‑verbal de l’ANRE n’imposerait pas un prix spécifique de fourniture de gaz naturel aux clients de Engie ni ne sanctionnerait celle‑ci en raison du prix pratiqué. Il se limiterait à lui ordonner de rétablir le prix de fourniture de gaz pratiqué avant la violation alléguée de l’obligation de transparence à l’égard de ses clients.

30      Dans le cadre de la procédure préjudicielle prévue à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal. La Cour est uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité du droit de l’Union applicable au cadre factuel et juridique décrit par la juridiction de renvoi, afin de donner à cette dernière les éléments utiles à la solution du litige dont elle est saisie. Partant, il n’appartient pas à la Cour de mettre en doute les appréciations factuelles sur lesquelles repose la demande de décision préjudicielle (voir, en en sens, arrêt du 20 décembre 2017, Schweppes, C‑291/16, EU:C:2017:990, points 21 et 22).

31      En outre, les questions préjudicielles portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation d’une règle du droit de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique, ou lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de manière utile aux questions qui lui sont posées (arrêt du 2 avril 2020, Coty Germany, C‑567/18, EU:C:2020:267, point 24 et jurisprudence citée).

32      Or, tel n’est pas le cas en l’occurrence. En effet, il ressort de la demande de décision préjudicielle que les dispositions de la directive 2009/73 dont l’interprétation est demandée ont un rapport direct avec le litige au principal, qui concerne des mesures imposées par une autorité de régulation nationale à une entreprise de gaz naturel, en application de la législation nationale transposant cette directive dans le droit roumain. Cette demande contient, par ailleurs, suffisamment d’éléments pour appréhender la portée de la première question et y apporter une réponse utile.

33      Il s’ensuit que cette question est recevable.

 Sur le fond

34      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphes 1 et 3, de la directive 2009/73 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une autorité de régulation nationale de l’énergie, lorsqu’elle constate qu’un fournisseur de gaz naturel a manqué à son obligation de transparence à l’égard de ses clients, à l’occasion de la modification du prix de fourniture de ce produit, impose à ce fournisseur de maintenir le prix fixé dans les contrats initialement conclus avec ces clients.

35      L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/73 énonce que les États membres, sur la base de leur organisation institutionnelle et dans le respect du principe de subsidiarité, veillent à ce que les entreprises de gaz naturel soient exploitées conformément aux principes de cette directive, en vue de réaliser un marché du gaz naturel concurrentiel, sûr et durable sur le plan environnemental, et s’abstiennent de toute discrimination pour ce qui est des droits et des obligations de ces entreprises.

36      Bien qu’il ne résulte expressément d’aucune disposition de la directive 2009/73 que le prix de fourniture de gaz naturel doit être fixé par le jeu de l’offre et de la demande, cette exigence découle de la finalité même et de l’économie générale de cette directive, qui a pour objectif la réalisation d’un marché intérieur du gaz naturel entièrement et effectivement ouvert et concurrentiel, dans lequel tous les consommateurs peuvent choisir librement leurs fournisseurs et dans lequel tous les fournisseurs peuvent fournir librement leurs produits à leurs clients (voir, en ce sens, arrêt du 7 septembre 2016, ANODE, C‑121/15, EU:C:2016:637, point 26 et jurisprudence citée).

37      L’article 3, paragraphe 2, de ladite directive permet néanmoins aux États membres d’imposer aux entreprises opérant dans le secteur du gaz des « obligations de service public » qui peuvent notamment porter sur « le prix de la fourniture ». De telles mesures doivent être adoptées dans l’intérêt économique général et être clairement définies, transparentes, non discriminatoires, contrôlables, afin d’assurer aux entreprises de gaz de l’Union un égal accès aux consommateurs nationaux, en tenant « pleinement compte » des dispositions pertinentes du traité FUE et en particulier de l’article 106 de ce traité (voir, par analogie, arrêt du 20 avril 2010, Federutility e.a., C‑265/08, EU:C:2010:205, points 21 et 22).

38      En outre, l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2009/73 impose aux États membres de prendre les mesures appropriées pour protéger les clients finals, au sens de l’article 2, point 27, de cette directive, et d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, notamment en ce qui concerne la transparence des termes et des conditions des contrats ainsi que l’information générale. En ce qui concerne, au moins, les clients résidentiels, au sens de l’article 2, point 25, de ladite directive, ces mesures doivent inclure celles prévues à l’annexe I de la même directive.

39      En vertu du point 1, sous c), de cette annexe, les mesures visées à l’article 3 de la directive 2009/73 doivent garantir que les clients reçoivent des informations transparentes relatives aux prix et aux tarifs appliqués ainsi qu’aux conditions générales applicables, en ce qui concerne l’accès aux services de gaz et l’utilisation de ces services, afin de leur permettre, conformément à l’objectif de protection des consommateurs, en particulier, d’exercer le droit de dénoncer le contrat ou de contester la modification du prix de la fourniture (voir, par analogie, arrêt du 2 avril 2020, Stadtwerke Neuwied, C‑765/18, EU:C:2020:270, point 29).

40      À cette fin, conformément à l’article 41, paragraphe 1, sous i) et o), de la directive 2009/73, l’autorité de régulation nationale est investie des missions consistant à veiller au respect des obligations de transparence par les entreprises de gaz naturel et à contribuer à garantir, en collaboration avec d’autres autorités compétentes, la mise en œuvre et l’effectivité des mesures de protection des consommateurs, y compris celles énoncées à l’annexe I de cette directive.

41      Par ailleurs, il ressort de l’article 40, sous g), de la directive 2009/73 que l’autorité de régulation nationale est tenue de prendre, dans le cadre de ses missions et de ses compétences définies à l’article 41 de cette directive, toutes les mesures raisonnables pour assurer que les clients bénéficient du fonctionnement efficace des marchés nationaux et pour contribuer à garantir la protection des consommateurs, dont les intérêts sont au cœur de ladite directive, ainsi que l’énonce le considérant 48 de celle‑ci.

42      Enfin, il résulte de l’article 41, paragraphe 4, de la directive 2009/73 que les autorités de régulation doivent pouvoir prendre, en particulier, des décisions contraignantes à l’égard des entreprises de gaz naturel [point a)], procéder à des enquêtes sur le fonctionnement des marchés du gaz, arrêter et imposer les mesures proportionnées et nécessaires afin de promouvoir une concurrence effective et d’assurer le bon fonctionnement du marché [point b)], ainsi qu’infliger des sanctions effectives, proportionnées et dissuasives à l’encontre des entreprises de gaz naturel qui ne respectent pas les obligations qui leur incombent en vertu de cette directive [point d)].

43      En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’ANRE a constaté une violation, par Engie, de son obligation de transparence, visée à l’article 143, paragraphe 1, sous k), de la loi no 123/2012, au motif que cette société n’avait pas suffisamment informé ses clients du pouvoir qu’elle se réservait de modifier le prix de fourniture de gaz naturel figurant dans les contrats conclus avec ceux‑ci, sur la base d’une « offre standard », au cours de la période initiale de douze mois. Par conséquent, l’ANRE, d’une part, a infligé une amende à Engie et, d’autre part, a obligé celle‑ci, à titre de mesure corrective, à revenir au prix fixé au mois d’avril 2021 dans le cadre du contrat initial.

44      Or, il y a lieu de constater que de telles mesures, dont le choix relève, comme il ressort des points 35 et 42 du présent arrêt, de la marge d’appréciation des États membres, s’inscrivent dans l’exercice des prérogatives qui sont conférées aux autorités de régulation nationales, conformément aux articles 40 et 41 de la directive 2009/73, visant à garantir la transparence des termes et des conditions des contrats conclus avec les consommateurs. Partant, ces mesures visent à assurer l’effectivité de la protection des consommateurs.

45      En outre, la mesure relative au rétablissement du prix fixé dans le contrat initial de fourniture n’est pas de nature à contrevenir à l’exigence, rappelée au point 36 du présent arrêt, que le prix de fourniture de gaz naturel soit fixé par le jeu de l’offre et de la demande. En effet, par cette mesure, l’autorité de régulation nationale n’a pas fait usage de ses prérogatives pour fixer un prix dans les contrats de fourniture du gaz, mais elle a contraint le fournisseur à rétablir, dans ces contrats, un prix qui avait été convenu, d’un commun accord, entre le fournisseur et le client concerné.

46      Eu égard aux motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 3, paragraphes 1 et 3, de la directive 2009/73 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’une autorité de régulation nationale de l’énergie, lorsqu’elle constate qu’un fournisseur de gaz naturel a manqué à son obligation de transparence à l’égard de ses clients, à l’occasion de la modification du prix de fourniture de ce produit, impose à ce fournisseur de maintenir le prix fixé dans les contrats initialement conclus avec ces clients.

 Sur la seconde question

47      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 50 de la Charte, lu en combinaison avec l’article 52, paragraphe 1, de celle‑ci, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un fournisseur de gaz naturel se voie imposer, sur le fondement de législations nationales différentes transposant, respectivement, la directive 2009/73 et la directive 2005/29, deux sanctions pour des faits identiques.

48      Aux termes de l’article 50 de la Charte, « [n]ul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi ». Ce droit fondamental, expression du principe ne bis in idem, interdit un cumul tant de poursuites que de sanctions présentant une nature pénale pour les mêmes faits et contre une même personne (voir, en ce sens, arrêts du 20 mars 2018, Menci, C‑524/15, EU:C:2018:197, point 25, et du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 22 ainsi que jurisprudence citée).

49      En premier lieu, l’article 50 de la Charte ne se limite pas aux seules poursuites et sanctions qui sont qualifiées de « pénales » par le droit national, mais s’étend – indépendamment d’une telle qualification en droit national – à des poursuites et à des sanctions qui doivent être considérées comme revêtant une nature pénale en raison de la nature même de l’infraction ou du degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, points 25 et 26 ainsi que jurisprudence citée). Ce degré de sévérité doit être apprécié en fonction de la peine maximale prévue par les dispositions pertinentes (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2023, Volkswagen Group Italia et Volkswagen Aktiengesellschaft, C‑27/22, EU:C:2023:663, point 53 ainsi que jurisprudence citée).

50      Le critère tenant à la nature de l’infraction implique de vérifier que la sanction en cause poursuit, notamment, une finalité répressive, sans égard à la circonstance qu’elle poursuit également une finalité préventive. En effet, il est dans la nature même des sanctions pénales qu’elles tendent tant à la répression qu’à la prévention de comportements illicites. En revanche, des mesures qui se limitent à réparer le préjudice causé par l’infraction en cause ne présentent pas de nature pénale (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2023, Volkswagen Group Italia et Volkswagen Aktiengesellschaft, C‑27/22, EU:C:2023:663, point 49 ainsi que jurisprudence citée).

51      En l’occurrence, parmi les mesures évoquées aux points 16 et 43 du présent arrêt, il apparaît, d’une part, que la mesure correctrice imposant au fournisseur de revenir au prix fixé au mois d’avril 2021 dans le cadre du contrat initial constitue une mesure qui a priori se limite à réparer le préjudice causé par l’infraction en cause, au sens de la jurisprudence rappelée au point précédent, ce qu’il revient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

52      D’autre part, pour ce qui est des sanctions pécuniaires infligées à Engie par l’ANPC et par l’ANRE, il ressort de la demande de décision préjudicielle que, en vertu de l’article 194, point 24 bis, et de l’article 195, paragraphe 1, point 2, sous c), de la loi nº 123/2012, une violation de l’obligation de transparence prévue à l’article 143, paragraphe 1, sous k), de cette loi est passible d’une amende comprise entre 20 000 et 400 000 RON. Sur cette base et compte tenu des différentes infractions administratives qui sont reprochées à Engie, l’ANRE l’a condamnée à une amende d’un montant total de 800 000 RON (environ 160 000 euros). En outre, le gouvernement roumain et Engie ont précisé, dans leurs observations écrites respectives, que l’ANPC a condamné Engie à une amende d’un montant de 150 000 RON (environ 30 000 euros).

53      Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si, compte tenu de l’ensemble des éléments dont elle dispose ainsi que des montants maximaux prévus par les dispositions nationales pertinentes appliquées à Engie par l’ANPC et l’ANRE, ces sanctions sont suffisamment sévères pour être qualifiées de « sanctions de nature pénale ».

54      En deuxième lieu, l’application de l’article 50 de la Charte est soumise à une double condition, à savoir, d’une part, qu’il y ait une décision antérieure définitive (condition « bis ») et, d’autre part, que cette décision vise les mêmes faits qui font l’objet des poursuites ou des décisions postérieures (condition « idem ») (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 28).

55      En ce qui concerne la condition « bis », pour qu’une décision judiciaire puisse être regardée comme ayant statué définitivement sur les faits soumis à une seconde procédure, il est nécessaire non seulement que cette décision soit devenue définitive, conformément à la législation nationale applicable, mais également qu’elle ait été rendue à la suite d’une appréciation portant sur le fond de l’affaire (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 29 et jurisprudence citée). Lorsqu’une telle décision existe, l’article 50 de la Charte exclut qu’une poursuite pénale pour les mêmes faits puisse être entamée ou maintenue (voir, en ce sens, arrêt du 14 septembre 2023, Volkswagen Group Italia et Volkswagen Aktiengesellschaft, C‑27/22, EU:C:2023:663, point 59).

56      En l’occurrence, le dossier dont dispose la Cour contient des éléments indiquant que la sanction infligée à Engie par l’ANPC a été contestée devant les juridictions roumaines et définitivement annulée en raison de l’incompétence de cette autorité. Si la juridiction de renvoi devait confirmer ces éléments, la condition « bis », examinée au point précédent, ne serait pas remplie.

57      En revanche, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi devrait constater que la condition « bis » est remplie en l’occurrence, il importerait de relever, s’agissant de la condition « idem », qu’il découle des termes mêmes de l’article 50 de la Charte que celui‑ci interdit de poursuivre ou de sanctionner pénalement une même personne plus d’une fois pour une même infraction. Le critère pertinent à cette fin est celui de l’identité des faits matériels, compris comme l’existence d’un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles, qui ont conduit à l’acquittement ou à la condamnation définitive de la personne concernée. La qualification juridique en droit national des faits et l’intérêt juridique protégé ne sont pas pertinents aux fins de la constatation de l’existence d’une même infraction, dans la mesure où la portée de la protection conférée à l’article 50 de la Charte ne saurait varier d’un État membre à l’autre (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, points 31, 33 et 34).

58      Dès lors que la condition « idem » requiert que les faits matériels soient identiques, l’article 50 de la Charte n’a pas vocation à s’appliquer lorsque les faits en cause sont seulement similaires. En effet, l’identité des faits matériels s’entend comme un ensemble de circonstances concrètes découlant d’événements qui sont, en substance, les mêmes, en ce qu’ils impliquent le même auteur et sont indissociablement liés entre eux dans le temps et dans l’espace (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, points 36 et 37).

59      En l’occurrence, ainsi qu’il ressort du point 22 du présent arrêt, la juridiction de renvoi considère, d’une part, que, à la suite des procédures administratives respectives, tant l’ANRE que l’ANPC ont constaté les même faits, la première autorité les ayant qualifiés de « violation de l’obligation de transparence » énoncée à l’article 143, paragraphe 1, sous k), de la loi nº 123/2012 et la seconde de « pratique commerciale trompeuse et agressive à l’égard des consommateurs », au sens de la loi nº 363/2007.

60      En troisième lieu, une limitation de l’exercice du droit fondamental à ne pas être poursuivi ou puni pénalement deux fois pour une même infraction, garanti à l’article 50 de la Charte et, partant, un cumul de poursuites ou de sanctions pénales peuvent être justifiés sur le fondement du paragraphe 1 de l’article 52 de celle‑ci. Conformément à la première phrase de ce paragraphe, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par la Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel de ces droits et libertés. Selon la seconde phrase dudit paragraphe, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées auxdits droits et auxdites libertés que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

61      S’agissant, premièrement, du respect du contenu essentiel du droit fondamental garanti à l’article 50 de la Charte, ce contenu est en principe respecté lorsque le droit national se limite à prévoir la seule possibilité d’un cumul de poursuites et de sanctions au titre de réglementations différentes (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 43). Tel est le cas en l’occurrence, les sanctions imposées à Engie ayant été adoptées sur le fondement des législations nationales différentes transposant, respectivement, la directive 2009/73 et la directive 2005/29.

62      S’agissant, deuxièmement, du respect du principe de proportionnalité, il importe de rappeler que ce principe exige que le cumul de poursuites et de sanctions prévu par la réglementation nationale ne dépasse pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par cette réglementation. Lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, les inconvénients causés par celle‑ci ne devant pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêt du 20 mars 2018, Menci, C‑524/15, EU:C:2018:197, point 46 et jurisprudence citée).

63      Un cumul de sanctions peut toutefois se justifier lorsque les poursuites engagées par deux autorités différentes visent des buts complémentaires, ayant pour objet des aspects différents du même comportement infractionnel. En effet, les autorités publiques peuvent légitimement opter pour des réponses juridiques complémentaires face à certains comportements nuisibles pour la société au moyen de différentes procédures formant un tout cohérent de manière à traiter sous ses différents aspects le problème social en question, pourvu que ces réponses juridiques combinées ne représentent pas une charge excessive pour la personne en cause (voir, en ce sens, arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, points 49 et 50).

64      Ainsi qu’il a été rappelé aux points 38 à 41 du présent arrêt, les mesures relatives à la transparence des termes et des conditions des contrats conclus avec les consommateurs que les autorités de régulation nationales peuvent adopter, conformément à la directive 2009/73, visent à assurer l’effectivité de la protection des consommateurs. Partant, comme il a été rappelé au point 36 du présent arrêt, lesdites mesures assurent la réalisation d’un marché intérieur du gaz naturel entièrement et effectivement ouvert et concurrentiel, dans lequel tous les consommateurs peuvent notamment choisir librement, grâce à cette transparence, leurs fournisseurs.

65      Toutefois, il ressort de l’annexe I, point 1, de cette directive que ces mesures sont sans préjudice de la réglementation de l’Union sur la protection des consommateurs. Il est ainsi loisible à un État membre de sanctionner les violations, d’une part, à la réglementation sectorielle visant à libéraliser le marché du gaz naturel et, d’autre part, aux règles relatives aux pratiques commerciales déloyales, visées par la directive 2005/29, afin d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs dans ce secteur (voir, par analogie, arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 47).

66      Afin de déterminer le caractère nécessaire d’un tel cumul de poursuites et de sanctions, il convient d’apprécier s’il existe des règles claires et précises permettant de prévoir les actes et les omissions qui sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul de poursuites et de sanctions ainsi que la coordination entre les différentes autorités, si les deux procédures ont été menées de manière suffisamment coordonnée et rapprochée dans le temps et si la sanction, le cas échéant, infligée à l’occasion de la première procédure sur le plan chronologique a été prise en compte lors de l’évaluation de la seconde sanction, de telle sorte que les charges résultant, pour la personne concernée, d’un tel cumul sont limitées au strict nécessaire et que l’ensemble des sanctions imposées corresponde à la gravité des infractions commises (arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, EU:C:2022:202, point 51).

67      Ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 49 de ses conclusions, il n’est pas inhabituel qu’une société active sur le marché de la production ou de la distribution de l’énergie doive se conformer à diverses réglementations sectorielles poursuivant des objectifs différents ou complémentaires et puisse, le cas échéant, être confrontée à diverses sanctions pour un même comportement, sur la base de ces réglementations sectorielles.

68      En l’occurrence, le dossier dont dispose la Cour contient des indices d’une connexité temporelle étroite entre les deux procédures administratives en cause au principal et les décisions adoptées à l’issue de ces procédures, l’une engagée au titre de la réglementation sectorielle dans le domaine de l’énergie et l’autre au titre de la réglementation visant la protection des consommateurs, ainsi que de la coopération et de l’échange d’informations entre les autorités concernées, ce qu’il appartient toutefois à la juridiction de renvoi de vérifier.

69      Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 50 de la Charte, lu en combinaison avec l’article 52, paragraphe 1, de celle‑ci, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un fournisseur de gaz naturel se voie imposer, sur le fondement de législations nationales différentes transposant, respectivement, la directive 2009/73 et la directive 2005/29, deux sanctions devant être qualifiées de « sanctions de nature pénale pour des faits identiques », à condition :

–        qu’il existe des règles claires et précises permettant de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul des poursuites et des sanctions ainsi que d’assurer la coordination entre les deux autorités compétentes ;

–        que les deux procédures concernées aient été menées de manière suffisamment coordonnée dans un laps de temps rapproché, et

–        que l’ensemble des sanctions imposées corresponde à la gravité des infractions.

 Sur les dépens

70      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

1)      L’article 3, paragraphes 1 et 3, de la directive 2009/73/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 juillet 2009, concernant des règles communes pour le marché intérieur du gaz naturel et abrogeant la directive 2003/55/CE,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à ce qu’une autorité de régulation nationale de l’énergie, lorsqu’elle constate qu’un fournisseur de gaz naturel a manqué à l’obligation de transparence à l’égard de ses clients, à l’occasion de la modification du prix de fourniture de ce produit, impose à ce fournisseur de maintenir le prix fixé dans les contrats initialement conclus avec ces clients.

2)      L’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lu en combinaison avec l’article 52, paragraphe 1, de celleci,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à ce qu’un fournisseur de gaz naturel se voie imposer, sur le fondement de législations nationales différentes transposant, respectivement, la directive 2009/73 et la directive 2005/29/CE du Parlement et du Conseil, du 11 mai 2005, relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales »), deux sanctions devant être qualifiées de « sanctions de nature pénale pour des faits identiques », à condition :

–        qu’il existe des règles claires et précises permettant de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul des poursuites et des sanctions ainsi que d’assurer la coordination entre les deux autorités compétentes ;

–        que les deux procédures concernées aient été menées de manière suffisamment coordonnée dans un laps de temps rapproché, et

–        que l’ensemble des sanctions imposées corresponde à la gravité des infractions.

Signatures


*      Langue de procédure : le roumain.

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