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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Vinokurov v Council (Common foreign and security policy - Restrictive measures taken in view of actions undermining or threatening the territorial integrity, sovereignty and independence of Ukraine - Judgment) French Text [2025] EUECJ T-1106/23 (29 January 2025) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2025/T110623.html Cite as: EU:T:2025:106, ECLI:EU:T:2025:106, [2025] EUECJ T-1106/23 |
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ARRÊT DU TRIBUNAL (première chambre)
29 janvier 2025 (*)
« Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine - Gel des fonds - Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques - Maintien du nom du requérant sur la liste - Exception d’illégalité - Article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145/PESC - Notion d’« homme d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement russe » - Proportionnalité - Sécurité juridique - Erreur d’appréciation »
Dans l’affaire T‑1106/23,
Alexander Semenovich Vinokurov, demeurant à Moscou (Russie), représenté par Mes E. Épron, C. Gimbert et J.-F. Quievy, avocats,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes K. Pavlaki et S. Lejeune, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (première chambre),
composé de Mme M. Brkan (rapporteure), faisant fonction de présidente, MM. I. Gâlea et T. Tóth, juges,
greffier : M. V. Di Bucci,
vu la phase écrite de la procédure,
vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, le requérant, M. Alexander Semenovich Vinokurov, demande l’annulation, premièrement, de la décision (PESC) 2023/1767 du Conseil, du 13 septembre 2023, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 104), et du règlement d’exécution (UE) 2023/1765 du Conseil, du 13 septembre 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2023, L 226, p. 3) (ci-après, pris ensemble, les « actes de septembre 2023 »), et, deuxièmement, de la décision (PESC) 2024/847 du Conseil, du 12 mars 2024, modifiant la décision 2014/145/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO L, 2024/847), et du règlement d’exécution (UE) 2024/849 du Conseil, du 12 mars 2024, mettant en œuvre le règlement (UE) no 269/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO L, 2024/849) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2024 »), en tant que l’ensemble de ces actes (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués ») le concernent.
Antécédents du litige
2 Le requérant est un ressortissant de nationalité russe.
3 La présente affaire s’inscrit dans le contexte des mesures restrictives décidées par l’Union européenne eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
4 Le 17 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté, sur le fondement de l’article 29 TUE, la décision 2014/145/PESC, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16). Le même jour, il a adopté, sur le fondement de l’article 215 TFUE, le règlement (UE) no 269/2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6).
5 Le 25 février 2022, au vu de la gravité de la situation en Ukraine, le Conseil a adopté, d’une part, la décision (PESC) 2022/329, modifiant la décision 2014/145 (JO 2022, L 50, p. 1), et, d’autre part, le règlement (UE) 2022/330, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2022, L 51, p. 1), afin, notamment, d’amender les critères en application desquels des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes pouvaient être visés par les mesures restrictives en cause.
6 L’article 2, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/145, dans sa version modifiée par la décision 2022/329, se lisait comme suit :
« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :
a) à des personnes physiques qui sont responsables d’actions ou de politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ou la stabilité ou la sécurité en Ukraine, ou qui font obstruction à l’action d’organisations internationales en Ukraine, à des personnes physiques qui soutiennent ou mettent en œuvre de telles actions ou politiques ;
[…]
g) à des femmes et hommes d’affaires influents ou des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine,
[…]
2. Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »
7 Les modalités de ce gel de fonds sont définies aux paragraphes suivants de l’article 2 de la décision 2014/145 modifiée par la décision 2022/329.
8 Le règlement no 269/2014, dans sa version modifiée par le règlement 2022/330, imposait l’adoption des mesures de gel de fonds et définissait les modalités de ce gel en des termes identiques, en substance, à ceux de la décision 2014/145, dans sa version modifiée par la décision 2022/329. En effet, l’article 3, paragraphe 1, sous a) à g), de ce règlement reprenait pour l’essentiel l’article 2, paragraphe 1, sous a) à g), de ladite décision.
9 Dans ce contexte, par la décision (PESC) 2022/397 du Conseil, du 9 mars 2022, modifiant la décision 2014/145 ainsi que par le règlement d’exécution (UE) 2022/396 du Conseil, du 9 mars 2022, mettant en œuvre le règlement no 269/2014, le Conseil a ajouté le nom du requérant sur les listes des personnes, entités et organismes faisant l’objet de mesures restrictives qui figuraient à l’annexe de la décision 2014/145 et à l’annexe I du règlement no 269/2014 (ci-après les « listes litigieuses »). Par la décision (PESC) 2022/1530 du Conseil, du 14 septembre 2022, modifiant la décision 2014/145, ainsi que par le règlement d’exécution (UE) 2022/1529 du Conseil, du 14 septembre 2022, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (ci-après, pris ensemble, les « actes de septembre 2022 »), le nom du requérant a été maintenu sur les listes litigieuses.
10 Les motifs de l’inscription et du maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses étaient les suivants :
« [Le requérant] est un homme d’affaires russe ayant des intérêts commerciaux dans le commerce de détail alimentaire, les produits pharmaceutiques, l’agriculture et les infrastructures. Il occupe des postes de direction au sein du groupe Marat[h]on, une société d’investissement, et de Magnit, le plus grand détaillant russe de produits alimentaires. [Le requérant] est marié à Ekaterina Sergueïevna Vinokourova, fille de Sergueï Lavrov, le ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie. Son père est Semen Vinokurov, qui a dirigé l’entreprise unitaire d’État “Pharmacies de la capitale” (“Stolitchnye apteki” ou “Capital Pharmacies”) et est considéré comme l’un des principaux entrepreneurs de l’industrie pharmaceutique russe. [Le requérant] a donc des liens étroits avec le gouvernement russe et est actif dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine.
Le 24 février 2022, à la suite des premières phases de l’agression russe contre l’Ukraine, [le requérant], ainsi que 36 autres hommes d’affaires, ont rencontré le président Vladimir Poutine et d’autres membres du gouvernement russe pour discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales. Le fait qu’il a été invité à participer à cette réunion montre qu’il fait partie du cercle le plus proche de Vladimir Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine. Cela montre également qu’il fait partie des hommes d’affaires influents ayant une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. Cela est également corroboré par les liens personnels étroits entre [le requérant] et le ministre des affaires étrangères S. Lavrov, qui est responsable de l’agression et des politiques menées par la Russie qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. »
11 Par lettre du 17 mai 2022, le Conseil a communiqué au requérant le dossier portant la référence WK 2950/2022 (ci-après le « premier dossier de preuves »).
12 Par lettre du 22 décembre 2022, le Conseil a informé le requérant de son intention de maintenir les mesures restrictives à son égard en modifiant les motifs d’inscription et lui a communiqué le dossier portant la référence WK 17686/2022 INIT (ci-après le « deuxième dossier de preuves »).
13 Par la décision (PESC) 2023/572 du Conseil, du 13 mars 2023, modifiant la décision 2014/145 (JO 2023, L 75 I, p. 134), et le règlement d’exécution (UE) 2023/571 du Conseil, du 13 mars 2023, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2023, L 75 I, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2023 »), ainsi que par la décision (PESC) 2023/811 du Conseil, du 13 avril 2023, modifiant la décision 2014/145 (JO 2023, L 101, p. 67), et le règlement d’exécution (UE) 2023/806 du Conseil, du 13 avril 2023, mettant en œuvre le règlement no 269/2014 (JO 2023, L 101, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes d’avril 2023 »), le Conseil a maintenu le nom du requérant sur les listes litigieuses en modifiant les motifs d’inscription.
14 La décision 2022/397, le règlement d’exécution 2022/396, les actes de septembre 2022, de mars 2023 et d’avril 2023 ont fait l’objet d’un recours en annulation, rejeté par l’arrêt du 29 mai 2024, Vinokurov/Conseil (T‑302/22, non publié, EU:T:2024:325).
15 Le 5 juin 2023, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2023/1094, modifiant la décision 2014/145 (JO 2023, L 146, p. 20) et le règlement (UE) 2023/1089, modifiant le règlement no 269/2014 (JO 2023, L 146, p. 1).
16 La décision 2023/1094 a modifié les critères de désignation des personnes visées par des mesures restrictives. L’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 telle que modifiée par la décision 2023/1094 (ci-après le « critère g) modifié ») est libellé comme s’ensuit :
« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant :
[…]
« g) à des femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie et aux membres de leur famille proche ou à d’autres personnes physiques, qui en tirent avantage, ou à des femmes et hommes d’affaires, des personnes morales, des entités ou des organismes ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine […] »
17 Le règlement 2023/1089 a modifié de façon similaire le règlement no 269/2014.
18 Par lettre du 19 juin 2023, le Conseil a informé le requérant de son intention de maintenir les mesures restrictives à son égard et lui a transmis un projet d’exposé des motifs modifié, ainsi que le dossier de preuves portant la référence WK 7915/2023 INIT (ci-après le « troisième dossier de preuves »).
19 Par lettres du 10 juillet 2023 et du 18 août 2023, le Conseil a transmis au requérant les dossiers de preuves portant, respectivement, les références WK 5142/2023 INIT et WK 5142/2023 ADD 1.
20 Le 13 septembre 2023, le Conseil a adopté les actes de septembre 2023, prolongeant les mesures restrictives à l’encontre du requérant jusqu’au 15 mars 2024. Les motifs du maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses ont été modifiés comme suit :
« [Le requérant] est un homme d’affaires russe ayant des intérêts commerciaux dans le commerce de détail alimentaire, les produits pharmaceutiques, l’agriculture et les infrastructures. Il occupe des postes de direction au sein du groupe Marat[h]on, une société d’investissement, et de Magnit, le plus grand détaillant russe de produits alimentaires. Il détient également des parts dans Demetra Holding, l’un des plus grands négociants de céréales de Russie ayant des activités d’exportation de céréales, la Russie étant le plus grand exportateur mondial de blé. Il est marié à Ekaterina Sergeevna Vinokurova, fille de Sergueï Lavrov, le ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie. Son père est Semen Vinokurov, qui a dirigé l’entreprise unitaire d’État “Pharmacies de la capitale” (Capital Pharmacies) et est considéré comme l’un des principaux entrepreneurs de l’industrie pharmaceutique russe. [Le requérant] a donc des liens étroits avec le gouvernement de la Fédération de Russie et a une activité dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour ledit gouvernement, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine.
Le 24 février 2022, après les premières phases de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine, [le requérant] ainsi que 36 autres femmes et hommes d’affaires ont rencontré le président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine et d’autres membres du gouvernement russe pour discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales. Le fait qu’il ait été invité à participer à cette réunion montre qu’il appartient au cercle le plus proche du président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine. Cela montre également qu’il est un homme d’affaires influent exerçant des activités en Russie ainsi qu’un homme d’affaires intervenant dans des secteurs économiques constituant une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. Cela est également corroboré par les liens personnels étroits entre [le requérant] et le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov, qui est responsable de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine et des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de cet État. »
21 Par lettre du 15 septembre 2023, le Conseil a informé le requérant du maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses.
Faits postérieurs à l’introduction du recours
22 Par lettres du 8 février 2024 et du 21 février 2024, le Conseil a informé le requérant de son intention de maintenir les mesures restrictives à son égard. Il lui a adressé le document portant la référence WK 5142/2023 ADD 2 ainsi qu’un projet d’exposé des motifs modifié.
23 Par les actes de mars 2024, les mesures restrictives à l’égard du requérant ont été prorogées jusqu’au 15 septembre 2024.
24 Les motifs du maintien du nom du requérant ont été modifiés comme suit :
« [Le requérant] est un homme d’affaires russe ayant des intérêts dans le commerce de détail alimentaire, les produits pharmaceutiques, l’agriculture et les infrastructures. Il occupe des postes de direction au sein du groupe Marat[h]on, une société d’investissement, et était, jusqu’à récemment, membre du conseil d’administration de Magnit, le plus grand détaillant russe de produits alimentaires, ayant aussi des activités de vente de produits pharmaceutiques. Il détient également des parts dans Demetra Holding, l’un des plus grands négociants de céréales de Russie ayant des activités d’exportation de céréales, la Russie étant le plus grand exportateur mondial de blé. Il est marié à Ekaterina Vinokurova, fille de Sergueï Lavrov, le ministre des affaires étrangères de la Fédération de Russie. Son père est Semen Vinokurov, connu pour son activité dans l’industrie pharmaceutique russe.
[Le requérant] a donc des liens étroits avec le gouvernement de la Fédération de Russie et est un homme d’affaires influent ayant des activités en Russie ainsi qu’un homme d’affaires intervenant dans des secteurs économiques qui constituent une source substantielle de revenus pour ledit gouvernement, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine.
Le 24 février 2022, après les premières phases de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine, [le requérant] ainsi que 36 autres femmes et hommes d’affaires ont rencontré le président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine et d’autres membres du gouvernement russe pour discuter de l’incidence des choix à opérer à la suite des sanctions occidentales. Le fait qu’il ait été invité à participer à cette réunion montre qu’il appartient au cercle le plus proche du président de la Fédération de Russie Vladimir Poutine et qu’il soutient ou met en œuvre des actions ou des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que la stabilité et la sécurité en Ukraine. Cela montre également qu’il est un homme d’affaires influent exerçant des activités en Russie ainsi qu’un homme d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, qui est responsable de l’annexion de la Crimée et de la déstabilisation de l’Ukraine. Cela est également corroboré par les liens personnels étroits entre [le requérant] et le ministre des affaires étrangères Sergueï Lavrov, qui est responsable de la guerre d’agression menée par la Russie contre l’Ukraine et des politiques qui compromettent ou menacent l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de cet État. »
25 Par lettre du 13 mars 2024, le Conseil a informé le requérant que les mesures restrictives à son égard avaient été maintenues.
Conclusions des parties
26 Le requérant conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler les actes attaqués en tant qu’ils le concernent ;
– condamner le Conseil aux dépens.
27 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner le requérant aux dépens.
En droit
28 À l’appui du recours, le requérant invoque quatre moyens. Le premier est tiré d’une exception d’illégalité visant l’article 1er de la décision 2023/1094 et l’article 1er du règlement 2023/1089. Le deuxième est tiré d’une erreur d’appréciation. Le troisième est tiré d’une violation du principe de proportionnalité et le quatrième est tiré d’une violation du principe de sécurité juridique.
Sur le premier moyen, tiré d’exceptions d’illégalité
29 Le requérant soulève, sur le fondement de l’article 277 TFUE, une exception d’illégalité dirigée contre le critère g) modifié en tant qu’il vise, d’une part, les « femmes et hommes d’affaires influents exerçant des activités en Russie » [ci-après le « premier volet du critère g) modifié »] et, d’autre part, les « femmes et hommes d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie » [ci-après le « troisième volet du critère g) modifié »].
Sur l’illégalité, soulevée par la voie de l’exception, du troisième volet du critère g) modifié
30 Le requérant soutient que le troisième volet du critère g) modifié viole le principe de sécurité juridique ainsi que le principe de proportionnalité.
31 En premier lieu, le requérant soutient que le troisième volet du critère g) modifié porte atteinte au principe de sécurité juridique en ce qu’il ne revêt pas un caractère distinctif et conduit à l’arbitraire dans sa mise en œuvre par le Conseil.
32 Selon le requérant, en l’absence de définition de la notion « d’homme d’affaires » et dès lors qu’il n’est pas exigé que la personne visée par ce critère soit influente, le troisième volet du critère g) modifié est susceptible de permettre l’inscription sur les listes litigieuses de toute personne qui exerce des fonctions dans une ou plusieurs entreprises, y compris à l’égard de dirigeants d’une petite entreprise, et ce quel que soit son chiffre d’affaires. Par conséquent, le requérant considère que ce critère est susceptible d’être appliqué à n’importe quel individu en Russie, de sorte qu’il ne serait pas distinctif et que les mesures restrictives imposées sur ce fondement ne satisfont pas à l’exigence de prévisibilité.
33 En outre, le requérant considère que la notion de « source de revenus substantiels », interprétée par le Tribunal comme visant des revenus « non négligeables », ne limite d’aucune manière le champ d’application du troisième volet du critère g) modifié.
34 De plus, le requérant invoque une contradiction entre, d’une part, le considérant 4 de la décision 2023/1094 dans lequel le terme « influent » est employé pour justifier l’adoption du troisième volet du critère g) modifié et, d’autre part, le libellé de ce critère qui ne vise pas spécifiquement des personnes influentes.
35 Par ailleurs, dans la réplique, le requérant considère que l’emploi par le Conseil du terme « actif » dans un secteur qui fournit une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie ou des expressions « être impliqué » ou « avoir des activités » dans un tel secteur ne permet pas de comprendre la nature et la temporalité des relations d’une personne avec une entreprise ou un secteur économique susceptibles de justifier l’application de mesures restrictives à son égard sur le fondement du troisième volet du critère g) modifié.
36 En deuxième lieu, le requérant considère que le troisième volet du critère g) modifié viole le principe de proportionnalité au motif que les personnes qu’il vise n’exercent pas nécessairement une influence sur un secteur économique et ne peuvent donc pas indirectement et collectivement faire pression sur le gouvernement russe.
37 Dans la réplique, le requérant fait valoir que, dès lors que ce sont les secteurs économiques qui doivent apporter une source substantielle de revenus et non l’importance propre d’une personne, ce critère permet de sanctionner des hommes d’affaires d’envergure modeste. Il considère que, dans la mesure où le troisième volet du critère g) modifié permet l’application de mesures restrictives à l’égard de personnes n’ayant aucune influence sur le gouvernement, ce critère est manifestement inapproprié pour atteindre les objectifs de la réglementation et pour influencer le gouvernement de la Fédération de Russie. De même, le requérant estime qu’il y a une rupture du lien logique entre la désignation d’homme d’affaires d’une quelconque importance qui intervient dans un secteur économique dépourvu d’une réelle importance et l’objectif de mesures restrictives, à savoir faire pression sur le gouvernement de la Fédération de Russie.
38 Le Conseil conteste cette argumentation.
39 À titre liminaire, il convient de rappeler que, selon l’article 277 TFUE, toute partie peut, à l’occasion d’un litige mettant en cause un acte de portée générale adopté par une institution, un organe ou un organisme de l’Union, se prévaloir des moyens prévus à l’article 263, deuxième alinéa, TFUE pour invoquer devant la Cour de justice de l’Union européenne l’inapplicabilité de cet acte.
40 L’article 277 TFUE constitue l’expression d’un principe général assurant à toute partie le droit de contester, par voie incidente, en vue d’obtenir l’annulation d’un acte contre lequel elle peut former un recours, la validité des actes institutionnels antérieurs, qui constituent la base juridique de l’acte attaqué, si cette partie ne disposait pas du droit d’introduire, en vertu de l’article 263 TFUE, un recours direct contre ces actes, dont elle subit ainsi les conséquences sans avoir été en mesure d’en demander l’annulation. L’acte général dont l’illégalité est excipée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours et il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question (voir arrêt du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 55 et jurisprudence citée).
41 En outre, il convient de rappeler que les juridictions de l’Union doivent, conformément aux compétences dont elles sont investies en vertu du traité FUE, assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard du droit primaire de l’Union et des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union. Cette exigence est expressément consacrée à l’article 275, second alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, point 58, et du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 65 et jurisprudence citée).
42 Il n’en demeure pas moins que le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation en ce qui concerne la définition générale et abstraite des critères juridiques et des modalités d’adoption des mesures restrictives (voir, en ce sens, arrêt du 21 avril 2015, Anbouba/Conseil, C‑605/13 P, EU:C:2015:248, point 41 et jurisprudence citée). Par conséquent, les règles de portée générale définissant ces critères et ces modalités, telles que les dispositions des actes attaqués prévoyant les critères pertinents visés par le présent moyen, font l’objet d’un contrôle juridictionnel restreint, se limitant à la vérification du respect des règles de procédure et de motivation, de l’exactitude matérielle des faits, de l’absence d’erreur de droit ainsi que de l’absence d’erreur manifeste dans l’appréciation des faits et de détournement de pouvoir (voir, en ce sens, arrêt du 9 juillet 2009, Melli Bank/Conseil, T‑246/08 et T‑332/08, EU:T:2009:266, points 44 et 45).
43 C’est à l’aune de ces considérations qu’il convient d’examiner l’exception d’illégalité soulevée par le requérant.
44 En premier lieu, il y a lieu de rappeler que le principe de sécurité juridique implique que la législation de l’Union soit claire et précise et que son application soit prévisible pour les justiciables (voir arrêts du 5 mars 2015, Europäisch-Iranische Handelsbank/Conseil, C‑585/13 P, EU:C:2015:145, point 93 et jurisprudence citée, et du 17 février 2017, Islamic Republic of Iran Shipping Lines e.a./Conseil, T‑14/14 et T‑87/14, EU:T:2017:102, point 192 et jurisprudence citée).
45 En l’espèce, le requérant considère que le troisième volet du critère g) modifié ne répond pas à l’exigence de prévisibilité au motif, en substance, que ce critère est susceptible de faire l’objet d’une application arbitraire en tant qu’il peut être appliqué à tout individu en Russie exerçant une activité économique dans ce pays.
46 À cet égard, il y a lieu de relever que le troisième volet du critère g) modifié s’inscrit dans un cadre juridique clairement délimité par les objectifs poursuivis par la réglementation régissant les mesures restrictives en cause, à savoir la nécessité, compte tenu de la gravité de la situation, d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays.
47 Certes, ainsi que le relève le requérant, à la différence de l’article 2, paragraphe 1, sous g), de la décision 2014/145 dans sa version initiale résultant de la décision 2022/329 [ci-après le « critère g) initial »] et du premier volet du critère g) modifié, lesquels désignent spécifiquement les femmes et hommes d’affaires « influents », à savoir des personnes influentes du fait de leur importance dans le secteur dans lequel elles exercent leur activité (voir, en ce sens, arrêts du 20 septembre 2023, Mordashov/Conseil, T‑248/22, non publié, EU:T:2023:573, point 124, et du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 45), le troisième volet du critère g) modifié étend le champ d’application personnel des mesures restrictives en n’exigeant plus que les femmes et les hommes d’affaires soient « influents ».
48 Toutefois, contrairement à ce que fait valoir le requérant, la notion de « femmes ou d’hommes d’affaires » ne saurait viser des personnes de statut modeste, voire l’ensemble des individus en Russie exerçant une activité économique. En effet, cette notion vise uniquement les « femmes et hommes d’affaires » qui exercent une activité économique qualitativement ou quantitativement non négligeable dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie et dont l’inscription du nom sur la liste en cause est ainsi susceptible d’accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et, par conséquent, d’accroître la pression exercée sur la Fédération de Russie responsable de l’invasion de l’Ukraine.
49 De plus, en ce qui concerne les secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, il ressort sans équivoque du libellé du troisième volet du critère g) modifié que c’est le secteur économique et non la personne physique ou morale dont le nom est inscrit sur les listes litigieuses qui doit fournir une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie (arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 156). Certes, la décision 2014/145 telle que modifiée ne définit pas la notion de « source substantielle de revenus ». Cela étant, il n’en demeure pas moins que l’emploi de l’adjectif qualificatif « substantielle », qui se rapporte au groupe nominal « source de revenus », implique que cette source de revenus doit être significative et donc non négligeable. Dès lors, le requérant ne saurait faire valoir que cette délimitation des secteurs économiques concernés par troisième volet du critère g) modifié ne serait pas de nature à limiter son champ d’application. En effet, les femmes et les hommes d’affaires qui exercent une activité économique dans un secteur qui fournit une source de revenus négligeable au gouvernement de la Fédération de Russie ne sont pas susceptibles de faire l’objet de mesures restrictives sur le fondement du troisième volet du critère g) modifié.
50 Il résulte de ce qui précède que, contrairement à ce que soutient le requérant, le troisième volet du critère g) modifié ne saurait être appliqué de manière arbitraire par le Conseil à n’importe quel individu en Russie exerçant une activité économique. En effet, il vise uniquement les femmes et hommes d’affaires qui exercent une activité économique qualitativement ou quantitativement non négligeable dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.
51 Il s’ensuit également que, compte tenu du caractère suffisamment clair et précis du libellé du troisième volet du critère g) modifié, son application est prévisible pour les justiciables, lesquels sont en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure de l’Union de nature à affecter leurs intérêts.
52 Les autres arguments du requérant ne sauraient remettre en cause cette conclusion.
53 D’une part, en ce qui concerne l’argument tiré de l’incohérence entre le libellé du considérant 4 de la décision 2023/1094, lequel viserait les hommes d’affaires influents, alors qu’une telle exigence d’influence ne figurerait pas dans le libellé du troisième volet du critère g) modifié, il y a lieu de relever, ainsi que cela a été souligné par le Conseil, que dans la version française, la référence effectuée dans le considérant 4 de cette décision au caractère « influent » des femmes et hommes d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie constituait une erreur matérielle qui concernait uniquement le texte en langue française, lequel a fait ultérieurement l’objet d’un rectificatif publié au Journal officiel (JO L, 2024/90153). Conformément à ce rectificatif, le considérant 4 de la décision 2023/1094 en langue française vise, à l’instar des autres versions linguistiques, spécifiquement « d’autres femmes et hommes d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie ». Par conséquent, le requérant ne saurait se fonder sur cette erreur de traduction de la version française de la décision 2023/1094 pour soutenir qu’il existait une incohérence entre le préambule de cette décision et le libellé du troisième volet du critère g) modifié.
54 D’autre part, s’agissant de l’argumentation selon laquelle le terme « actif » dans un secteur économique qui fournit une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie ou l’expression « être impliquée » dans un tel secteur ne seraient pas définis et ne permettraient pas de comprendre la nature et la temporalité des relations d’une personne avec un secteur économique, il y a lieu de relever que le troisième volet du critère g) modifié n’emploie pas plus ce terme que cette expression, lesquels ont été utilisés par le Conseil dans son mémoire en défense. En effet, le troisième volet du critère g) modifié vise les femmes et les hommes d’affaires « ayant une activité » dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus. Or, il y a lieu de relever que cette expression est suffisamment claire et précise en ce qu’elle désigne des femmes et des hommes d’affaires qui, au jour de l’adoption des actes attaqués, exercent une activité dans un secteur qui fournit une source substantielle de revenus. De même, dès lors que la notion de femmes ou d’hommes d’affaires au sens dudit critère vise, ainsi que cela a été relevé au point 48 ci-dessus, ceux qui exercent une activité économique qualitativement ou quantitativement non négligeable dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, le requérant n’est pas fondé à soutenir que ce critère permettrait d’appliquer des mesures restrictives à toute personne qui relève de la population active ou à toute personne qui n’est pas à la retraite ou au chômage. Par ailleurs, il y a lieu de considérer qu’une personne qui effectue des investissements dans un secteur économique est susceptible d’être qualifiée de femme ou d’homme d’affaires ayant des activités dans ce secteur, de sorte que, en fonction des circonstances, une telle personne est susceptible de relever du troisième volet du critère g) modifié lorsqu’elle investit dans des secteurs qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.
55 Eu égard aux considérations qui précèdent, le requérant ne saurait soutenir que les dispositions prévoyant le troisième volet du critère g) modifié violent le principe de sécurité juridique.
56 En second lieu, il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les moyens mis en œuvre par une disposition du droit de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation concernée et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (arrêt du 13 mars 2012, Melli Bank/Conseil, C‑380/09 P, EU:C:2012:137, point 52).
57 À cet égard, le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation dans des domaines qui impliquent de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale et dans lesquels il est appelé à effectuer des appréciations complexes et seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée dans ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure (arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil, C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 77).
58 En l’espèce, le requérant soutient que le troisième volet du critère g) modifié, en tant qu’il n’exige pas que soit établi le caractère influent des femmes ou des hommes d’affaires visés par des mesures restrictives, est manifestement inapproprié pour atteindre les objectifs poursuivis et dépourvu de lien logique avec ces objectifs, de sorte qu’il viole le principe de proportionnalité.
59 Il convient de considérer que la suppression, par rapport au libellé du critère g) initial, du terme « influent » pour caractériser les femmes et les hommes d’affaires visés dans le troisième volet du critère g) modifié n’a pas pour conséquence de priver ce critère modifié de son caractère nécessaire et approprié pour atteindre l’objectif des mesures restrictives en cause ni d’imposer des charges disproportionnées à ces personnes.
60 En effet, premièrement, il y a lieu d’observer que le troisième volet du critère g) modifié s’inscrit dans un cadre juridique clairement délimité par les objectifs poursuivis par la réglementation régissant les mesures restrictives en cause, à savoir la nécessité, compte tenu de la gravité de la situation, d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays. Dans cette perspective, les mesures restrictives en cause sont conformes à l’objectif visé à l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE de préserver la paix, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale, conformément aux buts et aux principes de la charte des Nations unies signée à San Francisco (États-Unis) le 26 juin 1945 (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 46 et jurisprudence citée).
61 En outre, il convient de rappeler qu’il ressort du considérant 2 de la décision 2023/1094 que « [l]’Union continue d’apporter un soutien sans réserve à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine » et du considérant 4 de la même décision, tel que rectifié dans sa version en langue française, que le Conseil a estimé qu’il convenait d’élargir les critères de désignation en incluant « d’autres femmes et hommes d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie » afin d’accroître la pression exercée sur ce gouvernement pour qu’il mette un terme à sa guerre d’agression contre l’Ukraine.
62 C’est donc en raison de la persistance, voire de l’aggravation, de la situation en Ukraine que le Conseil a estimé devoir élargir le cercle des personnes visées par le critère g) initial, afin d’atteindre les objectifs poursuivis. Or, il résulte d’une telle démarche fondée sur une approche progressive et adaptée en fonction de l’effectivité des mesures que leur proportionnalité est établie (voir, par analogie, arrêt du 25 janvier 2017, Almaz-Antey Air and Space Defence/Conseil, T‑255/15, non publié, EU:T:2017:25, point 104).
63 Deuxièmement, le fait de cibler des femmes et des hommes d’affaires qui exercent des activités « dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie » est de nature à accroître les coûts des actions de ce gouvernement, dès lors que de tels secteurs, en apportant une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, alimentent, directement ou indirectement, la capacité de ce gouvernement à mener ses actions et ses politiques visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine. À cet égard, le requérant ne saurait soutenir que les secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, à savoir ceux qui fournissent une source de revenus significative et donc non négligeable, seraient dépourvus d’une réelle importance.
64 Dès lors, le troisième volet du critère g) modifié répond à la volonté du Conseil d’exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 49).
65 Par conséquent, il existe toujours un lien logique entre, d’une part, le fait de cibler les femmes et les hommes d’affaires exerçant leurs activités dans des secteurs économiques fournissant une source substantielle de revenus au gouvernement russe, au vu de l’importance que revêtent ces secteurs pour l’économie russe, et, d’autre part, l’objectif des mesures restrictives en l’espèce, qui est d’accroître la pression sur la Fédération de Russie ainsi que le coût de ses actions visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (voir, par analogie, arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 49 et jurisprudence citée).
66 Ainsi, une telle approche visant à accroître la pression sur le gouvernement de la Fédération de Russie en augmentant les coûts économiques de ses activités n’apparaît pas manifestement disproportionnée au regard des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation de l’espèce.
67 Troisièmement, le troisième volet du critère g) modifié et les mesures restrictives qui en découlent sont appropriés et nécessaires afin de réaliser et de mettre en œuvre les objectifs visés à l’article 21 TUE. En effet, il ressort du considérant 4 de la décision 2023/1094 que, par l’élargissement du champ d’application personnel des mesures restrictives en ciblant les « femmes et hommes d’affaires ayant une activité dans des secteurs économiques qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie », le Conseil pouvait valablement considérer que lesdites mesures contribuaient à accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et, par conséquent, à accroître la pression exercée sur le gouvernement de la Fédération de Russie responsable de l’invasion de l’Ukraine. En outre, il y a lieu de relever que le requérant n’a pas démontré qu’un critère de désignation alternatif, dont le champ d’application serait moins étendu, permettrait d’atteindre aussi efficacement les objectifs poursuivis.
68 Il résulte des considérations qui précèdent que le troisième volet du critère g) modifié n’apparaît pas manifestement disproportionné, conformément à l’article 21 TUE, au vu des objectifs poursuivis visant la cessation de la violation flagrante de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’indépendance de l’Ukraine.
69 À la lumière des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter l’exception d’illégalité soulevée par le requérant en tant qu’elle vise le troisième volet du critère g) modifié.
Sur l’illégalité, soulevée par la voie de l’exception, du premier volet du critère g) modifié
70 Le requérant soutient que le premier volet du critère g) modifié viole le principe de sécurité juridique ainsi que le principe de proportionnalité.
71 Le Conseil conteste cette argumentation.
72 Il ressort des points 112 et 127 ci-après que, pour justifier l’adoption des actes attaqués, le Conseil a apporté un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants susceptible de mettre en évidence que le requérant était un homme d’affaires ayant une activité dans un secteur économique qui fournissait une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, au sens du troisième volet du critère g) modifié.
73 Or, il y a lieu de rappeler que, eu égard à la nature préventive des décisions adoptant des mesures restrictives, si le juge de l’Union considère que, à tout le moins, l’un des motifs mentionnés est suffisamment précis et concret, qu’il est étayé et qu’il constitue en soi une base suffisante pour soutenir cette décision, la circonstance que d’autres de ces motifs ne le seraient pas ne saurait justifier l’annulation de ladite décision [voir arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 et jurisprudence citée, et du 18 mai 2022, Foz/Conseil, T‑296/20, EU:T:2022:298, point 178 (non publié) et jurisprudence citée].
74 Il s’ensuit que, dès lors que le troisième volet du critère g) modifié, comme il a été relevé au point 69 ci-dessus, n’est pas entaché des illégalités invoquées par le requérant à son égard, l’exception d’illégalité dirigée contre les dispositions de la décision 2014/145 telle que modifiée et du règlement no 269/2014 tel que modifié prévoyant le premier volet du critère g) modifié doit être écartée comme étant inopérante.
75 Partant, il y a lieu d’écarter le premier moyen dans son intégralité.
Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation
76 Le requérant conteste le bien-fondé du maintien de son nom sur les listes litigieuses en vertu des actes attaqués.
77 Premièrement, le requérant soutient que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en maintenant l’inscription de son nom sur les listes litigieuses sur le fondement du critère prévu par l’article 2, paragraphe 1, sous a), de la décision 2014/145 telle que modifiée, en tant qu’il a considéré qu’il soutenait ou mettait en œuvre des actions ou des politiques qui compromettaient ou menaçaient l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine ainsi que la stabilité et la sécurité de l’Ukraine.
78 Deuxièmement, le requérant fait valoir que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en maintenant l’inscription de son nom sur les listes litigieuses sur le fondement du premier volet du critère g) modifié.
79 Troisièmement, le requérant considère que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en maintenant l’inscription de son nom sur les listes litigieuses sur le fondement du troisième volet du critère g) modifié.
80 Le Conseil conteste cette argumentation.
Considérations liminaires
81 Il y a lieu de rappeler que s’il est vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer, au cas par cas, si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 121).
82 L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») exige, notamment, que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision sont étayés (voir, en ce sens, arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119, et du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 122).
83 Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne ou l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 20 juillet 2017, Badica et Kardiam/Conseil, T‑619/15, EU:T:2017:532, point 99 et jurisprudence citée ; arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 124).
84 C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (voir arrêt du 15 novembre 2023, OT/Conseil, T‑193/22, EU:T:2023:716, point 123 et jurisprudence citée). À cette fin, il n’est pas requis que le Conseil produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée (arrêts du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, points 121 et 122, et du 28 novembre 2013, Conseil/Fulmen et Mahmoudian, C‑280/12 P, EU:C:2013:775, points 66 et 67).
85 Dans cette hypothèse, il incombe au juge de l’Union de vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et d’apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).
86 S’agissant, plus particulièrement, du contrôle de légalité exercé sur les actes de maintien du nom de la personne concernée sur les listes litigieuses, il convient de rappeler que les mesures restrictives ont une nature conservatoire et, par définition, provisoire, dont la validité est toujours subordonnée à la perpétuation des circonstances de fait et de droit ayant présidé à leur adoption ainsi qu’à la nécessité de leur maintien en vue de la réalisation de l’objectif qui leur est associé. C’est ainsi qu’il incombe au Conseil, lors du réexamen périodique de ces mesures, de procéder à une appréciation actualisée de la situation et d’établir un bilan de l’impact de telles mesures, en vue de déterminer si elles ont permis d’atteindre les objectifs visés par l’inscription initiale des noms des personnes et des entités concernées sur la liste litigieuse ou s’il est toujours possible de tirer la même conclusion concernant lesdites personnes et entités (voir arrêt du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 55 et jurisprudence citée ; arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 67).
87 Il en résulte que, pour justifier le maintien du nom d’une personne sur une liste des personnes et des entités faisant l’objet de mesures restrictives, il n’est pas interdit au Conseil de se fonder sur les mêmes éléments de preuve ayant justifié l’inscription initiale, la réinscription ou le maintien précédent du nom de la partie requérante sur ladite liste, pour autant que, d’une part, les motifs d’inscription demeurent inchangés et, d’autre part, le contexte n’a pas évolué d’une manière telle que ces éléments de preuve seraient devenus obsolètes (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 99). À ce titre, l’évolution du contexte inclut la prise en considération, d’une part, de la situation du pays à l’égard duquel le système de mesures restrictives a été établi ainsi que de la situation particulière de la personne concernée (arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 78 ; voir également, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2020, Kaddour/Conseil, T‑510/18, EU:T:2020:436, point 101), et, d’autre part, de l’ensemble des circonstances pertinentes et, notamment, de l’absence de réalisation des objectifs visés par les mesures restrictives (arrêt du 27 avril 2022, Ilunga Luyoyo/Conseil, T‑108/21, EU:T:2022:253, point 56 ; voir également, en ce sens, arrêt du 12 février 2020, Amisi Kumba/Conseil, T‑163/18, EU:T:2020:57, points 82 à 84 et jurisprudence citée).
88 C’est à la lumière de ces considérations liminaires qu’il convient d’examiner le bien-fondé du maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses, en commençant par l’examen de l’application à celui-ci du troisième volet du critère g) modifié.
Sur l’application au requérant du troisième volet du critère g) modifié
89 Il ressort des points 20 et 24 ci-dessus que, par les actes de septembre 2023 et de mars 2024, le nom du requérant a été maintenu sur les listes litigieuses, notamment, sur le fondement du troisième volet du critère g) modifié.
– Sur les actes de septembre 2023
90 Le requérant considère que l’application du troisième volet du critère g) implique la démonstration de la capacité de la personne concernée d’exercer une influence dans un secteur économique qui fournit une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie. Selon lui, si tel n’était pas le cas, ce critère ne permettrait pas d’atteindre l’objectif consistant à faire pression sur le gouvernement de la Fédération de Russie.
91 Le requérant conteste exercer une activité dans les secteurs de l’agriculture, des infrastructures, du détail alimentaire et pharmaceutiques. Selon lui, le fait que son activité consiste à réaliser des investissements minoritaires passifs à court terme n’implique pas l’exercice d’une activité dans des secteurs dans lesquels ces investissements sont effectués. Dès lors, il fait valoir que le Conseil a commis une erreur d’appréciation en constatant qu’il exerçait une activité dans les secteurs économiques visés par les motifs d’inscription.
92 Premièrement, le requérant considère que, compte tenu de sa participation minoritaire indirecte dans la société Magnit et de l’absence totale d’influence sur les décisions adoptées par les organes de cette société, il ne peut pas être considéré comme ayant une activité dans le secteur du détail alimentaire.
93 Deuxièmement, étant donné qu’il n’a jamais exercé de fonctions dans Demetra Holding, le requérant soutient qu’il n’exerce pas une activité dans le secteur de l’agriculture et des infrastructures.
94 Troisièmement, en ce qui concerne l’activité dans le secteur pharmaceutique, le requérant fait valoir que sa participation indirecte dans Bentus n’implique pas l’exercice d’une activité dans ce secteur. Selon lui, c’est à tort que le Conseil considère que les « gels hydroalcooliques » fabriqués par cette entreprise constituent des produits pharmaceutiques. Le requérant soutient également qu’il a cédé ses participations dans Fort, Sintez et Biocom, de sorte que ces anciennes participations ne peuvent être prises en compte pour établir qu’il exerce une activité dans le secteur pharmaceutique. Quant au rapprochement avec la société publique Rostekh, il indique que cette opération n’a pas eu lieu. Par ailleurs, pour établir qu’il exerce une activité dans le secteur pharmaceutique, le requérant estime que le Conseil ne peut pas se fonder sur les activités passées de son père dans ce secteur. Au surplus, le requérant considère que Magnit n’exerce pas d’activité dans le secteur pharmaceutique et produit dans la réplique un avis juridique relatif aux activités exercées par cette société.
95 Le Conseil conteste cette argumentation.
96 En premier lieu, il convient de relever que c’est à tort que le requérant considère que l’application du troisième volet du critère g) modifié nécessite la démonstration de la capacité de la personne concernée d’exercer une influence dans un secteur économique qui fournit une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, au motif que seules des personnes influentes seraient capables d’exercer une pression sur ce gouvernement.
97 En effet, il convient de relever que l’exigence d’une capacité d’influence des femmes et des hommes d’affaires ne ressort pas du libellé du troisième volet du critère g) modifié. En effet, la notion de « femmes ou d’homme d’affaires », au sens du troisième volet du critère g) modifié, doit être comprise, ainsi que cela a été relevé au point 48 ci-dessus, comme visant les personnes qui exercent une activité économique qualitativement ou quantitativement non négligeable dans des secteurs qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie. Or, l’application de mesures restrictives à l’égard de personnes physiques qui ne relèvent pas de la catégorie des personnes influentes au sens du critère g) initial ou du premier volet du critère g) modifié, mais qui exercent une activité non négligeable dans un secteur économique qui fournit une source substantielle de revenus à ce gouvernement vise à accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (voir point 63 ci-dessus). Ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, de telles mesures restrictives sont de nature à accroître la pression exercée sur le gouvernement de la Fédération de Russie pour qu’il mette un terme à sa guerre d’agression contre l’Ukraine.
98 En deuxième lieu, s’agissant du contexte général lié à la situation de l’Ukraine, il y a lieu de constater que, à la date d’adoption des actes de septembre 2023 par lesquels le nom du requérant a été maintenu sur les listes litigieuses, la gravité de la situation en Ukraine demeurait. De même, les mesures restrictives étaient toujours justifiées au regard de l’objectif poursuivi, à savoir exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays, et accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
99 En troisième lieu, en ce qui concerne la situation personnelle du requérant, il ressort en substance des motifs des actes de septembre 2023 que le Conseil le considère comme étant un homme d’affaires russe ayant des intérêts commerciaux dans des secteurs qui fournissent une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, à savoir le secteur du commerce de détail alimentaire, le secteur des produits pharmaceutiques et le secteur de l’agriculture et des infrastructures.
100 En l’espèce, en ce qui concerne l’activité du requérant dans le secteur du commerce de détail alimentaire, pour étayer le maintien de son nom sur les listes litigieuses, le Conseil s’est fondé sur des dossiers de preuves comportant des éléments d’information publiquement accessibles, à savoir des liens vers des sites Internet, des captures d’écran et des articles de sites Internet d’information.
101 Dans le premier dossier de preuves, il s’agit en particulier des éléments suivants :
– de captures d’écran du compte Twitter d’un journaliste du Financial Times indiquant la liste des participants à la réunion qui s’est tenue au Kremlin le 24 février 2022 entre le président Poutine et les milieux d’affaires russes (pièce no 1) ;
– une capture d’écran de la biographie du requérant figurant sur le site Internet officiel de Marathon Group, consulté le 27 février 2022 (pièce no 2) ;
– une capture d’écran de la biographie du requérant figurant sur le site Internet officiel de Magnit, consulté le 27 février 2022 (pièce no 3) ;
– un lien vers un article intitulé « Joint treatment : why Rostekh and Marathon Group combine assets » (traitement conjoint : pourquoi Rostekh et Marathon Group combinent-ils leurs actifs ?), publié le 5 août 2017 sur le site Internet d’information sur les acteurs du marché de l’acier et des matières premières (steelland.org), consulté le 3 mars 2022 (pièce no 5) ;
– de captures d’écran de la page du site Internet officiel de Marathon Group, consultée le 3 mars 2022 (pièce no 6) ;
– une capture d’écran de la page du site Internet officiel de Magnit, consultée le 3 mars 2022 (pièce no 7).
102 Dans le deuxième dossier de preuves, il s’agit en particulier de l’élément suivant : un lien et des captures d’écran d’une liste publiée le 26 juillet 2022 sur le site Internet russe du journal Forbes, consulté le 13 novembre 2022, relative aux 50 plus grandes entreprises de Russie au titre de la contribution à l’impôt sur le revenu (pièce no 1).
103 Dans le troisième dossier de preuves, il s’agit en particulier des éléments suivants :
– un lien et des captures d’écran d’une page Internet du site TA Adviser, relative à Marathon Group, consultée le 18 mai 2023 (pièce no 1) ;
– un lien et des captures d’écran d’une page Internet du site TA Adviser, relative à Magnit, consultée le 18 mai 2023 (pièce no 2).
104 Il y a lieu de relever que, ainsi que cela ressort des motifs d’inscription, le Conseil a considéré que le requérant était un homme d’affaires russe ayant des intérêts commerciaux notamment dans le secteur du commerce de détail alimentaire.
105 Ainsi, il convient de vérifier si le Conseil pouvait valablement considérer que le requérant remplissait les conditions prévues au troisième volet du critère g) modifié, en raison de sa qualité d’homme d’affaires ayant des intérêts commerciaux dans ce secteur économique.
106 À cet égard, il ressort des pièces nos 2 et 5 du premier dossier de preuves que le requérant est le fondateur et le président de la société d’investissement Marathon Group, laquelle a été créée en 2017. En ce qui concerne les intérêts commerciaux dans le secteur du commerce de détail alimentaire, il y a lieu de relever que, ainsi que cela ressort de la pièce no 6 dudit dossier, cette société détient dans ses actifs des participations dans Magnit, considéré comme étant le plus grand détaillant russe de produits alimentaires.
107 Selon des pièces nos 1 et 2 du troisième dossier de preuves, le requérant détient indirectement, par le biais de Marathon Group, une participation de 29,2 % dans Magnit, ce qu’il ne conteste pas. En outre, il ressort de la pièce no 7 du premier dossier de preuves que 66,7 % du capital de Magnit est flottant. Par conséquent, compte tenu de la structure du capital de Magnit, il y a lieu de constater que le requérant détient indirectement, à lui seul, une part significative du capital de cette société. Dès lors, le Conseil pouvait valablement considérer que le requérant était un homme d’affaires et qu’une telle participation significative impliquait l’exercice d’une activité dans le secteur dans lequel Magnit était active, au sens du troisième volet du critère g) modifié.
108 En outre, il ressort de la pièce no 7 du premier dossier de preuves que Magnit est une grande entreprise et l’une des principales chaînes de distribution de produits alimentaires en Russie. De plus, la pièce no 1 du deuxième dossier de preuves met en évidence que, en Russie, Magnit figure parmi les principales entreprises contributrices au titre de l’impôt sur le revenu. Dès lors, le Conseil pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation, considérer que l’activité du requérant dans le secteur du commerce de détail alimentaire était quantitativement non négligeable.
109 Au surplus, ainsi que le relève le Conseil, la participation du requérant, en sa qualité de membre du conseil d’administration de Magnit et de président de Marathon group, à la réunion du 24 février 2022 organisée par le président de la Fédération de Russie et réunissant plusieurs hommes d’affaires russes (pièce no 1 du premier dossier de preuves), constitue un fait pertinent de nature à établir que l’activité du requérant dans le secteur du commerce de détail alimentaire ne saurait être considérée comme étant négligeable.
110 Par ailleurs, en l’espèce, il convient de relever que le requérant ne conteste pas que le secteur du commerce de détail alimentaire fournissait une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.
111 En tout état de cause, il ressort de la pièce no 7 du premier dossier de preuves que le chiffre d’affaires de Magnit était, en 2021, de 1 856 milliards de roubles russes (RUB) (environ 18 milliards d’euros) et son bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciations et amortissements (EBITDA) était de 214,2 milliards de RUB (environ 2 milliards d’euros). En outre, selon la pièce no 1 du deuxième dossier de preuves, en Russie, Magnit figurait à la 31e position dans le classement des 50 plus grandes entreprises contributrices au titre de l’impôt sur le revenu. S’il est vrai que ces chiffres concernent uniquement Magnit, il n’en demeure pas moins que, à partir de ces données, le Conseil pouvait considérer que les impôts payés par l’ensemble des entreprises actives dans le secteur du commerce de détail alimentaire constituaient une source substantielle de revenus pour le gouvernement de la Fédération de Russie. En particulier, dans un secteur tel que celui de la distribution alimentaire, lequel se caractérise par une très importante clientèle, ainsi que cela ressort notamment de la pièce no 7 du premier dossier de preuves indiquant que les magasins de Magnit comptabilisaient quatorze millions de clients quotidiens, il importe de tenir compte également, ainsi que le soutient à juste titre le Conseil, des impôts indirects payés par les consommateurs dans ce secteur. En effet, quand bien même ces impôts seraient payés uniquement par les consommateurs, il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent être une source substantielle de revenus, étant donné que, dans le libellé du troisième volet du critère g) modifié, rien ne permet d’exclure la prise en compte de tels impôts (voir, en ce sens, arrêt du 29 mai 2024, Vinokurov/Conseil, T‑302/22, non publié, EU:T:2024:325, point 138).
112 Il s’ensuit que le Conseil pouvait sans commettre d’erreur d’appréciation considérer que, du seul fait de la détention de participations dans Magnit par l’intermédiaire de Marathon Group, le requérant était un homme d’affaires ayant des intérêts commerciaux dans le secteur du commerce de détail alimentaire et que, par voie de conséquence, il exerçait une activité économique quantitativement non négligeable dans ce secteur économique qui fournissait une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.
113 Les arguments soulevés par le requérant ne sont pas susceptibles de remettre en cause ce constat.
114 Premièrement, le requérant ne saurait soutenir qu’il ne pouvait pas être considéré comme exerçant une activité dans les secteurs économiques, notamment celui du commerce de détail alimentaire, dans lesquels Marathon Group investissait, au motif que lesdits investissements se limitaient à des participations minoritaires.
115 En effet, il y a lieu de relever que, selon la pièce no 6 du premier dossier de preuves, Marathon Group se présentait comme une société dont « la philosophie d’investissement [était] de rechercher les futurs leaders sur le marché en croissance et de développer leur efficacité grâce à des outils de planification efficaces, en développant des équipes de gestion, en établissant des systèmes de contrôles et en utilisant les meilleures pratiques de gestion d’entreprises ». En outre, selon les informations sur ses activités, dans le cadre des projets achevés, Marathon Group se prévalait d’avoir restructuré et amélioré le fonctionnement de CIA group, d’avoir modernisé et amélioré les performances et l’efficience de Biocom, d’avoir mis en œuvre une nouvelle stratégie dans le producteur de produits pharmaceutiques et de matériel médical Sintez, ou encore d’avoir accru et modernisé les capacités de Fort. Compte tenu de la stratégie d’investissement de Marathon Group, caractérisée par une intervention dans la stratégie ou l’organisation des sociétés dans lesquelles des investissements étaient réalisés, le Conseil pouvait valablement considérer que le requérant, en vertu de sa participation significative dans Magnit par l’intermédiaire de Marathon Group, dont il était, au surplus, le fondateur, exerçait une activité notamment dans le secteur du commerce de détail alimentaire.
116 Certes, la participation indirecte du requérant dans Magnit est minoritaire. Toutefois, la détention d’une participation de 29,2 % dans le capital de cette grande entreprise n’en demeure pas moins significative. En effet, une telle participation, alors que plus de 66 % du capital est flottant, était de nature à permettre au Conseil de considérer que le requérant exerçait une activité dans le secteur dans lequel cette entreprise était active. À cet égard, il y a lieu de relever que la circonstance invoquée par le requérant selon laquelle Magnit est une société cotée avec une proportion importante de capital flottant, dont une part significative du capital social était détenue par des investisseurs étrangers, est dénuée de pertinence, dès lors que la détention de 29,2 % du capital de Magnit, dont le reste du capital est flottant et dispersé entre de multiples investisseurs, est suffisante en soi afin de démontrer l’exercice d’une activité dans le secteur du commerce de détail alimentaire.
117 En outre, le requérant ne saurait soutenir que les investissements réalisés par l’intermédiaire de Marathon Group étaient passifs au motif qu’il n’exerçait aucune fonction exécutive dans les sociétés dans lesquels sa société d’investissement détenait des participations. En effet, le requérant ne se prévaut d’aucun élément tendant à démontrer qu’il avait renoncé aux droits rattachés aux participations qu’il détenait dans Magnit, en particulier aux droits de vote au sein des assemblées générales des actionnaires.
118 À cet égard, à supposer que le requérant entende se fonder sur l’avis juridique relatif à son rôle dans Magnit (annexe C.3) pour soutenir qu’il n’avait pas la capacité d’exercer une influence sur cette société par le biais de la participation de 29,2 % détenue par Marathon Group, il convient de relever qu’un tel avis ne serait pas de nature à étayer ladite argumentation. En effet, sans qu’il y ait lieu de statuer sur la recevabilité de cette preuve produite pour la première fois au stade de la réplique, d’une part, il convient de relever que cet avis juridique a été élaboré à la demande du requérant et sur le fondement d’informations fournies par Magnit, de sorte que la valeur probante de cet avis doit être relativisée, et ce d’autant plus que les sources citées ne sont pas annexées à l’avis et qu’il est impossible de vérifier le bien-fondé des affirmations de son auteur. D’autre part, il y a lieu de constater que l’auteur de cet avis a expressément précisé que son analyse concernait uniquement l’engagement personnel du requérant dans Magnit et que toute relation du requérant avec cette société pouvant découler de sa participation indirecte n’entrait pas dans le champ d’application de l’avis juridique.
119 Deuxièmement, ne saurait également prospérer l’argument selon lequel, pour déterminer la capacité d’influence d’une personne ou d’une entité sur une société, le Conseil serait tenu d’appliquer les critères de « propriété et de contrôle » figurant dans les meilleures pratiques de l’Union en ce qui concerne la mise en œuvre effective de mesures restrictives mises à jour le 27 juin 2022 (document ST 10572/22). À cet égard, il y a lieu de rappeler qu’il ressort du point 3 de ce document que ces pratiques doivent être considérées comme comportant des recommandations non exhaustives à caractère général, destinées à la mise en œuvre effective de mesures restrictives conformément au droit de l’Union en vigueur et à la législation nationale applicable. Ces recommandations n’ont pas d’effet juridique contraignant et ne doivent pas être comprises comme des dispositions recommandant une action qui serait incompatible avec le droit de l’Union. Ainsi, les critères de propriété et de contrôle n’ont ni pour objet d’interpréter le troisième volet du critère g) modifié ni pour effet de restreindre son champ d’application. Il s’ensuit que le requérant ne saurait reprocher au Conseil de ne pas s’être fondé sur ces recommandations pour déterminer s’il relevait de la catégorie des hommes d’affaires ayant une activité dans un secteur qui fournissait une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.
120 Troisièmement, il y a lieu de relever que l’argumentation du requérant tendant à faire valoir que, depuis le 30 juin 2022, il n’était plus membre du conseil d’administration en exercice de Magnit est inopérante. En effet, le seul fait que, par l’intermédiaire de Marathon Group, le requérant détenait 29,2 % de cette entreprise était suffisant pour prouver une participation significative dans Magnit et donc l’existence d’intérêts commerciaux de nature à démontrer l’exercice d’une activité dans le secteur du commerce de détail alimentaire.
121 Il résulte des considérations qui précèdent que le motif tiré des intérêts commerciaux du requérant dans le secteur du commerce de détail alimentaire était de nature à justifier à suffisance de droit, à lui seul, le maintien de son nom sur les listes litigieuses sur le fondement du troisième volet du critère g) modifié. Il en résulte que les autres arguments soulevés par le requérant sont inopérants. En effet, les erreurs qui pourraient éventuellement entacher d’autres motifs des actes de septembre 2023 sont, en tout état de cause, sans influence sur le dispositif de ces actes (voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 72 et jurisprudence citée).
122 Partant, le deuxième moyen doit être écarté en tant qu’il vise les actes de septembre 2023.
– Sur les actes de mars 2024
123 Le requérant soutient que c’est à tort que le Conseil a considéré qu’il exerçait une activité notamment dans le secteur agroalimentaire au motif qu’il ne disposait d’aucune fonction dans Magnit et qu’il ne détenait dans cette société que des participations capitalistiques minoritaires indirectes et passives. En outre, il relève que, dans les actes de mars 2024, le Conseil a tenu compte du fait qu’il n’exerçait plus de fonctions au sein du conseil d’administration de Magnit, mais indiquait qu’il avait exercé ces fonctions jusqu’à une période récente. Selon le requérant, c’est à tort que le Conseil s’est fondé sur ces anciennes fonctions pour justifier le maintien de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, et ce d’autant plus que, à partir du 30 juin 2022, ce conseil disposait uniquement de prérogatives de nature administrative. Ainsi, au jour de l’adoption des actes de mars 2024, le requérant considère que le Conseil ne pouvait plus tenir compte de son mandat passé dans le conseil d’administration de Magnit étant donné que cette fonction passée n’était accompagnée d’aucune autre fonction opérationnelle ou de direction ni d’aucune participation capitalistique directe majoritaire.
124 Le Conseil conteste cette argumentation.
125 S’agissant du contexte général lié à la situation de l’Ukraine, force est de constater que, à la date d’adoption des actes de mars 2024, la gravité de la situation en Ukraine demeurait. De même, les mesures restrictives étaient toujours justifiées au regard de l’objectif poursuivi, à savoir exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays, et accroître le coût des actions de la Fédération de Russie visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine.
126 En ce qui concerne la situation personnelle du requérant, s’agissant de son activité dans le secteur du commerce de détail alimentaire, il convient de relever que, pour justifier le maintien de son nom sur les listes litigieuses, le Conseil s’est fondé sur les mêmes preuves que celles mentionnées au point 101 ci-dessus. Il y a lieu de constater que le requérant n’a pas soulevé d’argument tendant à contester le fait qu’il détenait, au moment de l’adoption des actes de mars 2024, une participation de 29,2 % dans le capital de Magnit par l’intermédiaire de Marathon Group. En outre, il n’est également pas contesté que le secteur du commerce de détail alimentaire fournissait une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie.
127 Il s’ensuit que, pour les mêmes raisons que celles exposées aux points 104 à 112 ci-dessus, le Conseil pouvait valablement considérer que, du fait de son activité économique quantitativement non négligeable dans le secteur du commerce de détail alimentaire, le requérant était un homme d’affaires ayant une activité dans un secteur qui fournissait une source substantielle de revenus au gouvernement de la Fédération de Russie, au sens du troisième volet du critère g) modifié.
128 Pour les mêmes raisons que celles exposées au point 120 ci-dessus, l’argumentation selon laquelle il n’exerçait plus de fonction au sein du conseil d’administration de Magnit doit être rejetée comme étant inopérante.
129 Par conséquent, il convient d’écarter le deuxième moyen en tant qu’il vise les actes de mars 2024.
130 Partant, le deuxième moyen doit être écarté dans son intégralité.
Sur le troisième moyen, tiré d’une violation du principe de proportionnalité et d’une atteinte disproportionnée aux droits fondamentaux
131 Le requérant soutient que les mesures restrictives restreignent son droit de propriété, son droit au respect de sa vie privée et sa liberté d’entreprise. Il considère que la modification des critères d’inscription permettant l’édiction de sanctions telle qu’opérée par la décision 2023/1094 affaiblit l’objectif de ces sanctions en supprimant tout lien direct entre les motifs de celles-ci et la participation directe ou indirecte des personnes sanctionnées aux actions de la Fédération de Russie en Ukraine et en Crimée. Selon lui, la suppression de l’exigence d’une influence sur les secteurs économiques permet la désignation de personnes qui ne sont pas susceptibles de peser dans les décisions des entreprises pouvant peser économiquement et qui, par conséquent, ne peuvent avoir un pouvoir de pression direct ou indirect sur le gouvernement de la Fédération de Russie. Ainsi, le requérant considère que l’élargissement des critères de désignation à la suite de l’adoption de la décision 2023/1094 et du règlement 2023/1089 ne permet pas de considérer l’objectif des sanctions comme un moyen de pression sur les autorités russes en vue d’influer sur leurs décisions relatives à l’Ukraine. Il estime donc qu’il n’est pas proportionné de priver temporairement une personne de ses droits fondamentaux.
132 Le Conseil conteste cette argumentation.
133 En premier lieu, s’agissant des arguments qui visent en substance à contester la légalité du troisième volet du critère g) modifié au regard du principe de proportionnalité, force est de constater que ces arguments se recoupent avec ceux soulevés dans le premier moyen. Or, ainsi que cela ressort des points 59 à 68 ci-dessus, ledit critère ne viole pas le principe de proportionnalité. Il s’ensuit que ces arguments doivent être rejetés pour les mêmes raisons que celles exposées dans le cadre du premier moyen.
134 En deuxième lieu, s’agissant de l’atteinte aux droits fondamentaux du requérant, et en particulier au droit au droit au respect de sa vie privée consacré à l’article 7 de la Charte, il y a lieu de constater que le requérant n’a aucunement explicité de quelle manière les mesures restrictives adoptées à son égard porteraient atteinte à ce droit. Cet argument doit donc être écarté comme étant non étayé.
135 En troisième lieu, certes, les mesures restrictives découlant des actes attaqués limitent la liberté d’entreprise et le droit de propriété dont le requérant bénéficie en vertu, respectivement, des articles 16 et 17 de la Charte. Toutefois, la liberté d’entreprise et le droit de propriété ne sont pas des prérogatives absolues et leur exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union (arrêt du 25 juin 2020, VTB Bank/Conseil, C‑729/18 P, non publié, EU:C:2020:499, point 80 ; voir également, en ce sens, arrêt du 12 mai 2016, Bank of Industry and Mine/Conseil, C‑358/15 P, non publié, EU:C:2016:338, point 55).
136 Pour être conforme au droit de l’Union, une atteinte à la liberté d’entreprise et au droit de propriété doit répondre à quatre conditions. Premièrement, la limitation en cause doit être « prévue par la loi », en ce sens que l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de restreindre la liberté d’entreprise et le droit de propriété d’une personne, physique ou morale doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, la limitation en cause doit respecter le contenu essentiel de la liberté d’entreprise et du droit de propriété. Troisièmement, elle doit répondre effectivement à un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Quatrièmement, la limitation en cause doit être proportionnée (voir, en ce sens, arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 145 et jurisprudence citée).
137 Or, en l’espèce, force est de constater que ces quatre conditions sont remplies.
138 Premièrement, les mesures restrictives en cause sont « prévues par la loi » en ce qu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale, à savoir la décision 2014/145 telle que modifiée et le règlement no 269/2014 tel que modifié, et disposant d’une base légale claire en droit de l’Union, à savoir, respectivement, l’article 29 TUE et l’article 215 TFUE.
139 Deuxièmement, il ressort de la jurisprudence que les mesures restrictives ne portent pas atteinte au contenu essentiel du droit de propriété et de la liberté d’entreprise dès lors qu’elles présentent, par nature, un caractère temporaire et réversible (voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 2016, Yanukovych/Conseil, T‑346/14, EU:T:2016:497, point 169 et jurisprudence citée, et du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 225). En l’espèce, le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses est soumis à un réexamen régulier visant à vérifier que ce maintien demeure compatible avec les critères d’inscription. Partant, il y a lieu de conclure que la nature et l’étendue du gel temporaire des fonds respectent le contenu essentiel du droit de propriété et de la liberté d’entreprise et ne remettent pas en cause ces droits en tant que tels.
140 Troisièmement, les mesures restrictives en cause répondent à un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union, de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 150). En effet, elles visent à exercer une pression sur les autorités russes afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et à leurs politiques déstabilisant l’Ukraine. Dans cette perspective, les mesures restrictives en cause sont conformes à l’objectif visé à l’article 21, paragraphe 2, sous c), TUE, qui est de préserver la paix, de prévenir les conflits et de renforcer la sécurité internationale, conformément aux buts et aux principes de la charte des Nations unies (voir, en ce sens, arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 163).
141 Quatrièmement, il y a lieu de vérifier si la limitation en cause est proportionnée au but recherché.
142 Tout d’abord, il convient de vérifier si les mesures restrictives en cause sont appropriées pour atteindre les objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union. En l’espèce, il importe de relever que le gel des fonds du requérant, en tant que mesure s’inscrivant dans le cadre d’une riposte rapide, unifiée, graduée et coordonnée, mise en place au titre d’une série de mesures restrictives, constitue une mesure appropriée pour atteindre l’objectif d’exercer une pression maximale sur les autorités russes, afin que celles-ci mettent fin à leurs actions et politiques déstabilisant l’Ukraine ainsi qu’à l’agression militaire de ce pays.
143 Ensuite, en ce qui concerne leur caractère nécessaire, il convient de constater que des mesures moins contraignantes, telles qu’un système d’autorisation préalable ou une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas d’atteindre aussi efficacement l’objectif poursuivi, à savoir l’exercice d’une pression sur les personnes visées par les mesures restrictives en cause, notamment eu égard à la possibilité de contourner les restrictions imposées (voir, en ce sens, arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 178).
144 Enfin, une mise en balance des intérêts en jeu démontre que les inconvénients que comporte le gel temporaire des fonds ne sont pas démesurés par rapport aux objectifs poursuivis. En effet, l’importance des objectifs poursuivis par les actes attaqués, qui s’inscrivent dans l’objectif plus large du maintien de la paix et de la sécurité internationale, conformément aux objectifs de l’action extérieure de l’Union énoncés à l’article 21 TUE, est de nature à prévaloir sur des conséquences négatives, même considérables, pour certains opérateurs. En outre, le maintien du nom du requérant sur les listes litigieuses fait l’objet d’un suivi constant et est soumis à un réexamen régulier visant à vérifier que ce maintien demeure compatible avec les critères d’inscription. De même, il y a lieu de relever que des dérogations spécifiques aux mesures peuvent être accordées par les autorités des États membres conformément à l’article 2, paragraphes 3 et 4, de la décision 2014/145 telle que modifiée et aux articles 4 à 6 du règlement no 269/2014 tel que modifié, notamment pour répondre aux besoins fondamentaux ou essentiels des personnes en cause ou pour faire face aux dépenses nécessaires.
145 Il s’ensuit que les mesures de gel des fonds du requérant impliquent une ingérence proportionnée, de sorte que sa liberté d’entreprise et son droit de propriété n’ont pas été violés.
146 Partant, le troisième moyen doit être écarté.
Sur le quatrième moyen, tiré d’une violation du principe de sécurité juridique
147 Le requérant soutient que la nouvelle rédaction du critère g) modifié n’est ni claire ni précise et est imprévisible. Selon lui, la lecture des motifs ne permet pas de comprendre les actions attendues par le Conseil pour mettre un terme aux mesures restrictives le concernant.
148 Le Conseil conteste cette argumentation.
149 Il convient de relever que l’argumentation du requérant exposée dans le cadre du présent moyen se recoupe avec les arguments soulevés dans le premier moyen tendant à soutenir que le troisième volet du critère g) modifié viole le principe de sécurité juridique. Dès lors, ces arguments doivent être rejetés pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 46 à 51 ci-dessus.
150 Quant à l’argumentation du requérant selon laquelle les motifs ne permettent pas de comprendre les actions qui pourraient mettre un terme aux mesures restrictives le concernant au motif qu’il ne peut se défaire de ses liens familiaux ni changer les évènements s’étant déroulés dans le passé, il convient de relever que les motifs d’inscription ne se limitent pas à des faits ayant eu lieu dans le passé ni aux relations familiales du requérant qui ne constituent que des éléments de contexte. En effet, les motifs d’inscription des actes attaqués se rapportent notamment à des faits contemporains, à savoir ses intérêts commerciaux dans certains secteurs économiques. Ainsi, les motifs d’inscription sont rédigés de manière suffisamment claire et précise pour permettre au requérant de comprendre les raisons pour lesquelles son nom a été maintenu sur les listes litigieuses. Dès lors que de tels motifs visent à justifier l’inscription ou le maintien du nom d’une personne, entité ou organisme sur les listes litigieuses, il ne saurait être reproché au Conseil de ne pas y indiquer les actions qui permettraient de justifier le non-renouvellement des mesures restrictives à l’égard d’une personne, d’une entité ou d’un organisme.
151 Ainsi, le requérant n’est pas fondé à soutenir que les motifs d’inscription des actes attaqués portent atteinte au principe de sécurité juridique.
152 Eu égard aux considérations qui précèdent, le quatrième moyen doit être écarté.
153 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours doit être rejeté.
Sur les dépens
154 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure du Tribunal, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le requérant ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (première chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) M. Alexander Semenovich Vinokurov est condamné aux dépens.
Brkan | Gâlea | Tóth |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 janvier 2025.
Le greffier | Le président |
V. Di Bucci | S. Papasavvas |
* Langue de procédure : le français.
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