[Home] [Databases] [World Law] [Multidatabase Search] [Help] [Feedback] | ||
Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
||
You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Ben Ali v Council (Common foreign and security policy - Restrictive measures directed against certain persons, entities and bodies in view of the situation in Tunisia - Judgment) French Text [2025] EUECJ T-178/23 (29 January 2025) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2025/T17823.html Cite as: ECLI:EU:T:2025:114, EU:T:2025:114, [2025] EUECJ T-178/23 |
[New search] [Contents list] [Help]
ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre)
29 janvier 2025 (*)
« Politique étrangère et de sécurité commune - Mesures restrictives prises à l’encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Tunisie - Gel des fonds - Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds - Maintien du nom du requérant sur la liste - Notions de “personnes responsables du détournement de fonds publics tunisiens” et de “personnes physiques ou morales, entités ou organismes associés aux personnes responsables du détournement de fonds publics tunisiens” - Moyen nouveau - Obligation de motivation - Liberté d’entreprise - Droit de travailler »
Dans l’affaire T‑178/23,
Halima Bent Zine El Abidine Ben Haj Hamda Ben Ali, demeurant à Abu Dhabi (Émirats arabes unis), représentée par Me É. Deprez, avocat,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes L. Vétillard et S. Lejeune, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (neuvième chambre),
composé de MM. L. Truchot, président, M. Sampol Pucurull et Mme T. Perišin (rapporteure), juges,
greffier : M. V. Di Bucci,
vu la phase écrite de la procédure, notamment :
– la mesure l’organisation de la procédure du 21 mars 2024 et les réponses de la requérante et du Conseil déposées au greffe du Tribunal le 5 avril 2024,
– la mesure d’organisation de la procédure du 20 novembre 2024 et la réponse du Conseil déposée au greffe du Tribunal le 29 novembre 2024,
vu l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure et ayant décidé, en application de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure du Tribunal, de statuer sans phase orale de la procédure,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours fondé sur l’article 263 TFUE, la requérante, Mme Halima Bent Zine El Abidine Ben Haj Hamda Ben Ali, demande, d’une part, l’annulation de la décision (PESC) 2023/159 du Conseil, du 23 janvier 2023, modifiant la décision 2011/72/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie (JO 2023, L 22, p. 18, ci-après la « décision attaquée »), en tant que cet acte la concerne, et, d’autre part, du règlement d’exécution (UE) 2023/156 du Conseil, du 23 janvier 2023, mettant en œuvre le règlement no 101/2011 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Tunisie (JO 2023, L 22, p. 8).
Antécédents du litige
2 La requérante est une ressortissante de nationalité tunisienne, fille de Mme Leïla Bent Mohammed Trabelsi, épouse de l’ancien président de la République tunisienne.
3 Le 31 janvier 2011, à la suite des événements politiques survenus en Tunisie au cours des mois de décembre 2010 et de janvier 2011, le Conseil de l’Union européenne, sur le fondement de l’article 29 TUE, a adopté la décision 2011/72/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie (JO 2011, L 28, p. 62).
4 Ainsi qu’il ressort de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72, le nom des personnes responsables de détournement de fonds publics tunisiens, ainsi que celui des personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés, dont les capitaux et ressources économiques sont gelés, figurent en annexe de ladite décision.
5 Le 4 février 2011, sur le fondement de l’article 2, paragraphe 1, de la décision 2011/72 et de l’article 31, paragraphe 2, TUE, le Conseil a adopté la décision d’exécution 2011/79/PESC, mettant en œuvre la décision 2011/72 (JO 2011, L 31, p. 40). L’article 1er de cette décision d’exécution prévoyait que l’annexe de la décision 2011/72 était remplacée par la liste figurant à son annexe (ci-après la « liste litigieuse »). Celle-ci mentionnait le nom de 48 personnes physiques, dont, à la septième ligne, le nom de la requérante. Toujours à la septième ligne de cette liste, figuraient des informations d’identification relatives à la nationalité tunisienne de cette dernière, à sa date de naissance, à sa filiation et à l’adresse de son domicile en Tunisie ainsi que les motifs de l’inscription de son nom sur cette liste, ainsi libellés :
« Personne faisant l’objet d’une enquête judiciaire des autorités tunisiennes pour acquisition de biens immobiliers et mobiliers, ouverture de comptes bancaires et détention d’avoirs financiers dans plusieurs pays dans le cadre d’opérations de blanchiment d’argent ».
6 Sur le fondement de l’article 215, paragraphe 2, TFUE et de la décision 2011/72, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 101/2011, du 4 février 2011, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Tunisie (JO 2011, L 31, p. 1). Ce règlement reprend, en substance, les dispositions de la décision 2011/72 et la liste figurant à son annexe I est identique à la liste litigieuse.
7 En application de l’article 5 de la décision 2011/72, le Conseil a prorogé plusieurs fois ladite décision, pour une période d’un an, en adoptant successivement plusieurs décisions.
8 La désignation de la requérante sur la liste litigieuse ainsi que, par voie de conséquence, sur la liste figurant à l’annexe I du règlement no 101/2011 a été maintenue au cours de ces prorogations successives. Les motifs de cette désignation ont toutefois subi plusieurs modifications.
9 Le 27 janvier 2022, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/118 modifiant la décision 2011/72 (JO 2022, L 19, p. 67). Par la décision 2022/18, les motifs de désignation de la requérante ont été, à nouveau, modifiés comme suit :
« Personne faisant l’objet, de la part des autorités tunisiennes, d’une procédure judiciaire ou d’une procédure de recouvrement d’avoirs engagée à la suite d’une décision de justice définitive pour complicité dans le détournement de fonds publics par un fonctionnaire public, complicité dans l’abus de qualité par un fonctionnaire public pour procurer à un tiers un avantage injustifié et causer un préjudice à l’administration, et abus d’influence auprès d’un fonctionnaire public en vue de l’obtention, directement ou indirectement, d’avantages au profit d’autrui, et associée à Leïla Trabelsi (no 2). »
10 Par la décision attaquée, les mesures concernant la requérante ont été prorogées jusqu’au 31 janvier 2024.
11 Le jour de l’adoption de la décision attaquée, le Conseil a également adopté le règlement d’exécution 2023/156.
Conclusions des parties
12 La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée pour autant que cet acte la concerne ainsi que le règlement d’exécution 2023/156 ;
– condamner le Conseil à lui verser la somme de 30 000 euros au titre de la prise en charge de ses frais de défense ;
– condamner le Conseil aux dépens.
13 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal ;
– rejeter le recours ;
– à titre subsidiaire, en cas d’annulation de la décision attaquée, maintenir l’effet de celle-ci à l’égard de la requérante jusqu’à l’expiration du délai de pourvoi, ou, si un pourvoi est introduit, jusqu’à la décision statuant sur celui-ci ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur la recevabilité des conclusions tendant à l’annulation du règlement d’exécution 2023/156
14 Il y a lieu de constater que les conclusions en annulation figurant dans la requête sont uniquement dirigées contre la décision attaquée. Ce n’est qu’au stade de la réplique que la requérante a également demandé l’annulation du règlement d’exécution 2023/156.
15 Or, à supposer que la requérante ait entendu introduire un nouveau recours tendant à l’annulation du règlement d’exécution 2023/156 dans le cadre de la réplique, il suffit de rappeler que, aux termes de l’article 21 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53 du même statut, la Cour de justice de l’Union européenne est saisie par une requête adressée au greffier et non, comme en l’espèce, par le dépôt d’un acte dans le cadre d’une procédure qui est déjà pendante.
16 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 76, sous d), du règlement de procédure du Tribunal, toute requête doit contenir l’objet du litige, cette indication devant être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la justice, il faut ainsi, pour qu’un recours soit recevable, que la requête indique avec un certain degré de précision quels sont les actes dont la partie requérante demande l’annulation (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 28 et jurisprudence citée).
17 Ainsi, le contrôle du Tribunal ne peut porter que sur les actes d’ores et déjà adoptés par le Conseil, identifiés avec suffisamment de précision par la partie requérante et attaqués dans la requête (voir arrêt du 18 mai 2017, Makhlouf/Conseil, T‑410/16, non publié, EU:T:2017:349, point 29 et jurisprudence citée).
18 En l’occurrence, il y a lieu d’observer que le règlement d’exécution 2023/156 n’est pas cité dans la requête, qui se concentre uniquement et sans ambiguïté sur l’annulation de la décision attaquée.
19 À la lumière des constatations qui précèdent, il ne ressort pas d’une façon cohérente et compréhensible du texte de la requête que, au regard des éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels se fonde le présent recours, ce dernier a pour objet d’obtenir à la fois l’annulation de la décision attaquée et celle du règlement d’exécution 2023/156.
20 Il s’ensuit que les conclusions en annulation du règlement d’exécution 2023/156 sont manifestement irrecevables et doivent être rejetées.
Sur la demande d’annulation de la décision attaquée
21 À l’appui du recours, la requérante invoque formellement cinq moyens, tirés, le premier, de son irresponsabilité pénale en Tunisie pour les actes de détournement de fonds publics qui lui sont reprochés en raison de sa minorité à la date des faits, le deuxième, d’une erreur manifeste d’appréciation du Conseil quant à l’existence d’une condamnation pénale pour les actes de détournement de fonds publics qui lui sont reprochés portant atteinte à ses droits de la défense et à son droit à une protection juridictionnelle effective, le troisième, d’une atteinte à sa présomption d’innocence en l’absence de condamnation pénale pour les actes de détournement de fonds publics qui lui sont reprochés, le quatrième, d’une atteinte à sa liberté d’entreprise en raison de l’inscription de son nom sur la liste litigieuse et, enfin, le cinquième, d’une atteinte à son droit de travailler en raison de cette inscription.
22 À titre liminaire, il convient de rappeler que l’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») exige notamment que le juge de l’Union européenne s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur le point de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).
23 C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée, et non à ces dernières d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121).
24 Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).
25 Une telle appréciation doit être effectuée en examinant les éléments de preuve et d’information non de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent. En effet, le Conseil satisfait à la charge de la preuve qui lui incombe s’il fait état devant le juge de l’Union d’un faisceau d’indices suffisamment concrets, précis et concordants permettant d’établir l’existence d’un lien suffisant entre la personne ou l’entité sujette à une mesure de gel de ses fonds et le régime ou, en général, les situations combattues (voir arrêt du 12 février 2020, Kanyama/Conseil, T‑167/18, non publié, EU:T:2020:49, point 93 et jurisprudence citée).
26 En l’espèce, il convient de relever que le Conseil a maintenu le nom de la requérante sur la liste litigieuse pour deux motifs distincts, à savoir, en substance, d’une part, le détournement de fonds publics tunisiens (ci-après le « premier motif d’inscription ») et, d’autre part, l’association à une personne, en l’espèce, Mme Leïla Bent Mohammed Trabelsi, sa mère, à laquelle de tels faits de détournement de fonds publics tunisiens sont également reprochés (ci-après le « second motif d’inscription »). Au demeurant, ces deux motifs correspondent aux deux critères d’inscription établis par l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72.
27 D’emblée, il convient d’observer que les trois premiers moyens soulevés par la requérante visent uniquement à contester le bien-fondé du premier motif d’inscription, alors que les quatrième et cinquième moyens visent indistinctement le premier ou le second motif d’inscription. Aucun moyen n’est expressément dirigé contre le seul second motif d’inscription.
28 Interrogée sur cet aspect du litige par le Tribunal dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, la requérante a reconnu que le second motif d’inscription était certes « autonome et distinct » du premier motif d’inscription, mais elle a fait valoir que ce second motif d’inscription n’était pas suffisamment motivé.
29 Le Tribunal estime donc opportun d’examiner tout d’abord la question de la motivation de la décision attaquée, en particulier s’agissant du second motif d’inscription, avant d’examiner ensuite les quatrième et cinquième moyens, qui visent indistinctement le premier ou le second motif d’inscription, et, enfin, d’examiner les premier, deuxième et troisième moyens.
Sur la motivation de la décision attaquée en ce qui concerne le second motif d’inscription
30 En réponse à la mesure d’organisation de la procédure adoptée par le Tribunal le 21 mars 2024, la requérante soutient que le second motif d’inscription, relatif à son association à Mme Leïla Bent Mohammed Trabelsi, repose uniquement sur leur lien de parenté et n’est, par conséquent, pas suffisamment motivé.
31 Selon la requérante, conformément à la jurisprudence, le seul fait qu’elle soit la fille de Mme Leïla Bent Mohammed Trabelsi ne saurait permettre de lui attribuer la qualité d’associée à cette personne, au sens de l’article 1er de la décision 2011/72.
32 La requérante souligne également que la référence faite, au point 12 du mémoire en défense, aux procédures judiciaires engagées en Tunisie contre l’ancien président, son épouse et leurs héritiers, parmi lesquels la requérante, concernant l’acquisition de biens immobiliers, ne permet pas d’établir un lien d’association entre elle et sa mère. À cet égard, la requérante précise que les noms des autres héritiers de l’ancien président sont inscrits sur la liste litigieuse uniquement au motif qu’ils font l’objet de procédures judiciaires en Tunisie, sans qu’ils soient considérés comme « associés » à des personnes responsables de détournement de fonds publics, au sens de l’article 1er de la décision 2011/72.
33 Le Conseil conteste les arguments de la requérante.
34 À titre liminaire, il convient de préciser qu’un défaut ou une insuffisance de motivation constitue un moyen d’ordre public devant être soulevé d’office par le juge de l’Union et dont l’examen peut avoir lieu à tout stade de la procédure (voir ordonnance du 22 octobre 2019, Azarov/Conseil, C‑58/19 P, non publiée, EU:C:2019:890, point 44 et jurisprudence citée).
35 Il découle d’une jurisprudence constante que l’obligation de motiver un acte faisant grief, telle que prévue à l’article 296, deuxième alinéa, TFUE et consacrée à l’article 41, paragraphe 2, sous c), de la Charte, constitue un corollaire du principe du respect des droits de la défense et a pour but, d’une part, de fournir à l’intéressé une indication suffisante pour savoir si l’acte est bien fondé ou s’il est éventuellement entaché d’un vice permettant d’en contester la validité devant le juge de l’Union et, d’autre part, de permettre à ce dernier d’exercer son contrôle sur la légalité de cet acte (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 60 et jurisprudence citée).
36 En outre, la motivation exigée par l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. La motivation d’un acte du Conseil imposant une mesure de gel de fonds doit ainsi permettre que soient identifiées les raisons spécifiques et concrètes pour lesquelles celui-ci considère, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’appréciation, que l’intéressé doit faire l’objet d’une telle mesure (voir arrêt du 12 juin 2024, Shammout/Conseil, T‑649/22, non publié, EU:T:2024:376, point 27 et jurisprudence citée).
37 Par ailleurs, l’exigence de motivation doit être appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte en cause, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par ledit acte peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est notamment pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, ni qu’elle réponde de manière détaillée aux considérations formulées par l’intéressé lors de sa consultation avant l’adoption du même acte, dans la mesure où le caractère suffisant d’une motivation doit être apprécié au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 53 et jurisprudence citée).
38 En particulier, un acte faisant grief est suffisamment motivé dès lors qu’il est intervenu dans un contexte connu de l’intéressé, qui lui permet de comprendre la portée de la mesure prise à son égard (voir arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 54 et jurisprudence citée).
39 C’est au regard de ces principes qu’il convient d’examiner si la décision attaquée, et notamment le second motif d’inscription, est suffisamment motivée.
40 En l’espèce, s’agissant du second motif d’inscription, il convient d’observer que celui-ci repose sur la circonstance que la requérante est associée à Mme Leïla Bent Mohammed Trabelsi, dont le nom figure également sur la liste litigieuse à la deuxième ligne de celle-ci, en tant que responsable de détournement de fonds publics tunisiens. Dans la colonne de la liste litigieuse intitulée « Information d’identification » figure également l’information selon laquelle la requérante est la fille de Mme Leïla Bent Mohammed Trabelsi.
41 Il convient de relever qu’une telle motivation expose de façon claire et non équivoque le raisonnement qui a conduit le Conseil à inscrire le nom de la requérante sur la liste litigieuse.
42 En effet, une telle motivation, bien que succincte, identifie les raisons spécifiques et concrètes, au sens de la jurisprudence visée au point 36 ci-dessus, qui ont justifié une telle inscription, à savoir le lien de la requérante avec Mme Leïla Bent Mohammed Trabelsi, dont le nom est également inscrit sur la liste litigieuse et, partant, son association à celle-ci.
43 Ces considérations de fait sur lesquelles le Conseil a fondé le second motif d’inscription sont ainsi suffisamment circonstanciées pour que la requérante puisse en contester l’exactitude devant le Conseil, puis devant le juge de l’Union.
44 S’agissant du contexte dans lequel s’inscrit la décision attaquée, il convient de relever, d’une part, que, aux considérants 1 à 3 de la décision 2011/72 ainsi qu’aux considérants 1 à 3 de la décision attaquée, le Conseil expose le contexte général l’ayant conduit à adopter et à proroger des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes et entités au regard de la situation en Tunisie. Il en ressort que la décision 2011/72 vise à soutenir les « efforts déployés [par le peuple tunisien] pour établir une démocratie stable, l’État de droit, le pluralisme démocratique et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Partant, cette décision s’inscrit dans le cadre d’une politique de soutien aux nouvelles autorités tunisiennes, destinée à favoriser la stabilisation tant politique qu’économique de la Tunisie. Elle vise, plus spécialement, à aider les autorités de ce pays dans leur lutte contre le détournement de fonds publics (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 68 et jurisprudence citée).
45 Par conséquent, il y a lieu de conclure que le second motif d’inscription est suffisamment motivé, au sens de la jurisprudence visée aux points 36 et 38 ci-dessus, au regard non seulement du libellé de la décision attaquée, mais également du contexte dans lequel elle a été adoptée ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée.
46 Par ailleurs, il y a lieu de rappeler que l’obligation de motiver un acte constitue une forme substantielle qui doit être distinguée de la question du bien-fondé des motifs, celui-ci relevant de la légalité au fond de l’acte litigieux. En effet, la motivation d’un acte consiste à exprimer formellement les motifs sur lesquels repose cet acte. Si ces motifs sont entachés d’erreurs, celles-ci entachent la légalité au fond dudit acte, mais non la motivation de celui-ci, qui peut être suffisante tout en exprimant des motifs erronés (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 96 et jurisprudence citée).
47 Il s’ensuit que les griefs et arguments visant à contester le bien-fondé d’un acte sont dénués de pertinence dans le cadre d’un moyen tiré du défaut ou de l’insuffisance de motivation (voir arrêt du 18 juin 2015, Ipatau/Conseil, C‑535/14 P, EU:C:2015:407, point 37 et jurisprudence citée).
48 En l’espèce, il convient de constater que l’argument invoqué par la requérante dans sa réponse à la mesure d’organisation de la procédure, selon lequel le motif tenant à son lien d’association avec Mme Leïla Bent Mohammed Trabelsi fait défaut, se rattache, en réalité, à l’analyse du bien-fondé du second motif d’inscription et doit faire l’objet d’un examen distinct, en particulier quant à sa recevabilité.
49 Il résulte de l’ensemble de ce qui précède que les arguments de la requérante visant à contester la motivation de la décision attaquée, s’agissant du second motif d’inscription, doivent être rejetés.
Sur la recevabilité de la contestation au fond du second motif d’inscription contenue dans la réponse à la mesure d’organisation de la procédure
50 Dans sa réponse à la mesure d’organisation de la procédure, la requérante cherche à contester le bien-fondé du second motif d’inscription, relatif à son lien d’association avec sa mère, en faisant valoir que ce lien d’association repose uniquement sur le lien de parenté avec celle-ci, ce qui ne saurait suffire à justifier l’inscription de son nom sur la liste litigieuse.
51 Or, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 84, paragraphe 1, du règlement de procédure, la production de moyens nouveaux en cours d’instance est interdite à moins que ces moyens ne se fondent sur des éléments de droit et de fait qui se sont révélés pendant la procédure.
52 L’article 84, paragraphe 2, du règlement de procédure dispose ce qui suit :
« S’il y a lieu, les moyens nouveaux sont produits lors du deuxième échange de mémoires et identifiés en tant que tels. Lorsque les éléments de droit et de fait qui justifient la production des moyens nouveaux sont connus après le deuxième échange de mémoires ou après qu’il a été décidé de ne pas autoriser un tel échange de mémoires, la partie principale concernée produit les moyens nouveaux dès qu’elle a connaissance de ces éléments. »
53 En l’espèce, il y a lieu de relever que la contestation par la requérante du second motif d’inscription, relatif à son lien d’association avec sa mère, a été présentée pour la première fois au stade de la réponse à la mesure d’organisation de la procédure, sans pour autant qu’elle résulte d’éléments de droit ou de fait révélés durant la procédure ni qu’elle constitue l’ampliation d’un moyen exposé dans la requête ou la réplique.
54 Par conséquent, il y a lieu de rejeter la contestation du second motif d’inscription, soulevée pour la première fois en réponse à la mesure d’organisation de la procédure adressée par le Tribunal aux parties après le deuxième échange de mémoires, comme étant tardive et, par conséquent, manifestement irrecevable en application de l’article 84 du règlement de procédure.
Sur les quatrième et cinquième moyens, tirés d’une violation du droit de travailler et de la liberté d’entreprise
55 Par ses quatrième et cinquième moyens, que le Tribunal estime opportun d’examiner conjointement, la requérante fait valoir que, en maintenant son nom sur la liste litigieuse, le Conseil porte atteinte à son droit de travailler et à sa liberté d’entreprise, respectivement consacrés aux articles 15 et 16 de la Charte. Dans la réplique, elle précise qu’elle ne détient aucun bien dans l’Union de sorte que l’inscription et le maintien de son nom sur la liste litigieuse ne constituent aucunement une garantie pour l’État tunisien de recouvrer des fonds publics qu’elle a prétendument perçus.
56 Le Conseil conteste les arguments de la requérante.
57 En premier lieu, il convient de relever que la requérante n’établit pas que son droit de travailler et sa liberté d’entreprise dans l’Union, tels que consacrés aux articles 15 et 16 de la Charte, seraient affectés par le gel de ses avoirs dans l’Union.
58 En effet, d’une part, cette mesure est seulement susceptible, le cas échéant, d’affecter la capacité de la requérante à disposer librement des revenus issus de son activité professionnelle, mais ne fait pas obstacle, en tant que tel, à ce qu’elle occupe un emploi ou exerce une activité professionnelle dans l’Union. Il résulte, en effet, du libellé de l’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2011/72, interprété à la lumière de l’article 1er du règlement no 101/2011, que ces dispositions se limitent à empêcher tout mouvement de fonds détenus par les personnes visées dans l’Union ou toute utilisation des ressources économiques qu’elles y possèdent ainsi qu’à interdire toute mise à disposition de capitaux ou de ressources économiques au bénéfice de ces personnes sur le territoire de l’Union. En revanche, ces dispositions ne comportent aucune limitation à l’entrée de ces personnes sur le territoire de l’Union et, le cas échéant, à leurs droits d’y circuler et d’y résider ainsi que d’y exercer une activité professionnelle.
59 D’autre part, la requérante ne prétend pas qu’elle n’est pas en mesure d’exercer des activités professionnelles et de subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille dans son pays de résidence actuel. Elle ne prétend pas non plus qu’elle a envisagé ou qu’elle envisage, dans un futur proche, d’exercer les droits qui lui sont reconnus par les articles 15 et 16 de la Charte en exerçant une activité professionnelle sur le territoire de l’Union. Par conséquent, même dans l’hypothèse où le gel de ses avoirs dans l’Union serait, en principe, susceptible de limiter les droits qu’elle tire de ces dispositions de la Charte, la requérante ne démontre pas son incidence concrète sur l’exercice de ces droits (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2018, Mabrouk/Conseil, T‑216/17, non publié, EU:T:2018:779, point 100 et jurisprudence citée).
60 En second lieu et en tout état de cause, il convient de relever que les limitations dans l’exercice par la requérante de son droit de travailler et de sa liberté d’entreprise, à les supposer établies, ne sont pas contraires aux articles 15 et 16 de la Charte.
61 À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le libre exercice d’une activité professionnelle, le droit au travail et la liberté d’entreprise n’apparaissent pas comme des prérogatives absolues, mais doivent être pris en considération par rapport à leur fonction dans la société. Par conséquent, des restrictions peuvent être apportées à l’exercice de ces libertés et de ce droit, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union et ne constituent pas, compte tenu du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à leur substance même (voir, en ce sens, arrêts du 15 novembre 2018, Mabrouk/Conseil, T‑216/17, non publié, EU:T:2018:779, point 103 et jurisprudence citée, et du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 220 et jurisprudence citée).
62 En particulier, l’article 52, paragraphe 1, de la Charte prévoit que toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par cette dernière doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.
63 Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une atteinte à un droit ou à une liberté consacrés par la Charte doit répondre à quatre conditions. Premièrement, la limitation en cause doit être “prévue par la loi”, en ce sens que l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de restreindre le droit ou la liberté d’une personne, physique ou morale, doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, la limitation en cause doit respecter le contenu essentiel du droit ou de la liberté en cause. Troisièmement, elle doit répondre effectivement à un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Quatrièmement, la limitation en cause doit être proportionnée (voir, en ce sens, arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 145 et jurisprudence citée).
64 Premièrement, les mesures restrictives en cause doivent être regardées comme étant prévues par la loi, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, puisqu’elles sont énoncées dans des actes ayant notamment une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union ainsi que d’une prévisibilité suffisante (voir, en ce sens, arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 224).
65 Deuxièmement, dès lors que lesdites mesures sont temporaires et réversibles, il y a lieu de considérer qu’elles ne portent pas atteinte au contenu essentiel du droit de travailler et de la liberté d’entreprise, et ce d’autant plus que la requérante n’a apporté aucun élément susceptible de remettre en cause cette conclusion (voir, en ce sens, arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 225).
66 Troisièmement, selon une jurisprudence constante, en matière de politique étrangère et de sécurité commune (PESC), le Conseil dispose d’un large pouvoir d’appréciation, s’agissant d’un domaine qui implique de sa part des choix de nature politique, économique et sociale, et dans lequel il est appelé à effectuer des appréciations complexes, de sorte que seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée en ce domaine par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre peut affecter la légalité d’une telle mesure (arrêt du 5 octobre 2017, Mabrouk/Conseil, T‑175/15, EU:T:2017:694, point 129 et jurisprudence citée).
67 En l’espèce, la décision 2011/72 s’inscrit dans le cadre général d’une politique de l’Union de soutien aux autorités tunisiennes destinée à favoriser la stabilisation tant politique qu’économique de la République tunisienne et répond ainsi aux objectifs de l’article 21, paragraphe 2, sous b) et d), TUE, en vertu duquel l’Union met en œuvre une coopération internationale en vue, d’une part, de consolider et de soutenir la démocratie, l’État de droit, les droits de l’homme et les principes du droit international et, d’autre part, de soutenir le développement durable, notamment économique, des pays en développement. Plus concrètement, le gel des avoirs des personnes désignées sur la liste litigieuse a pour seul objet de faciliter la constatation par les autorités tunisiennes des détournements de fonds publics commis et de préserver la possibilité, pour ces autorités, de recouvrer le produit de ces détournements (voir arrêt du 5 octobre 2017, Mabrouk/Conseil, T‑175/15, EU:T:2017:694, points 33 et 128 et jurisprudence citée).
68 De tels objectifs finaux et un tel objet, qui s’inscrivent pleinement dans le cadre des compétences du Conseil en matière de coopération internationale, sont de nature à justifier des restrictions, même considérables, pour les personnes visées (voir, en ce sens, arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 226).
69 Quatrièmement, s’agissant du caractère approprié, nécessaire et proportionné des mesures restrictives en cause, il y a lieu de rappeler que le principe de proportionnalité, en tant que principe général du droit de l’Union, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 243 et jurisprudence citée).
70 S’agissant du contrôle juridictionnel du respect du principe de proportionnalité, la Cour a jugé qu’il convenait de reconnaître un large pouvoir d’appréciation au législateur de l’Union dans des domaines qui impliquaient de la part de ce dernier des choix de nature politique, économique et sociale et dans lesquels il était appelé à effectuer des appréciations complexes. Elle en a déduit que seul le caractère manifestement inapproprié d’une mesure adoptée en ces domaines, par rapport à l’objectif que l’institution compétente entend poursuivre, pouvait affecter la légalité d’une telle mesure (voir arrêt du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, EU:C:2013:776, point 120 et jurisprudence citée).
71 En l’espèce, il ne ressort d’aucun élément du dossier que le Conseil pouvait envisager d’adopter des mesures moins contraignantes, mais tout autant appropriées que celles prévues par la décision 2011/72 et le règlement no 101/2011, tels que modifiés respectivement par la décision attaquée et par le règlement d’exécution 2023/156. La requérante n’établit, par ailleurs, aucunement que de telles mesures auraient pu être envisagées (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 247 et jurisprudence citée).
72 Par ailleurs, conformément à l’article 1er, paragraphe 3, de la décision 2011/72 et aux articles 4 et 5 du règlement no 101/2011, tels que modifiés, des dérogations aux mesures en cause peuvent être autorisées afin de répondre, par exemple, aux « besoins fondamentaux » des intéressés, au remboursement de dépenses correspondant à la prestation de services juridiques ou, encore, à des « dépenses extraordinaires » (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 249 et jurisprudence citée).
73 Il résulte de ce qui précède que la décision attaquée n’a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de travailler et à la liberté d’entreprise de la requérante.
74 Dès lors, les quatrième et cinquième moyens doivent être écartés.
Sur les premier, deuxième et troisième moyens, tirés d’erreurs d’appréciation et de la violation du droit à une protection juridictionnelle effective, des droits de la défense et de la présomption d’innocence
75 Par son premier moyen, la requérante fait valoir que le Conseil aurait dû prendre en compte sa minorité au moment des actes qui lui sont reprochés dans le cadre des procédures judiciaires en Tunisie, afin de vérifier si ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective avaient été respectés dans le cadre desdites procédures. Par son deuxième moyen, la requérante reproche, en substance, au Conseil de ne pas avoir vérifié le respect, par les autorités tunisiennes, de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, dont résulterait une erreur manifeste d’appréciation commise lors de l’adoption de la décision attaquée. Par son troisième moyen, la requérante fait valoir qu’en ne prenant pas en compte l’absence de condamnation définitive à son égard en Tunisie, le Conseil a violé le principe de présomption d’innocence.
76 Il convient de relever qu’en matière de mesures restrictives, il a déjà été jugé qu’il suffit qu’un seul de plusieurs motifs retenus par le Conseil soit valable pour que l’inscription du nom de la partie requérante dans les annexes des actes litigieux soit légalement justifiée (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2017, Ben Ali/Conseil, T‑149/15, non publié, EU:T:2017:693, point 104 et jurisprudence citée).
77 En l’espèce, l’inscription du nom de la requérante sur la liste litigieuse repose sur deux motifs distincts et autonomes, exposés au point 9 ci-dessus.
78 Chacun de ces deux motifs, pris isolément, correspond à chacun des deux critères d’inscription prévus à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72.
79 En effet, il ressort de la lecture de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72 que celui-ci établit deux critères juridiques distincts et autonomes pour l’application des mesures restrictives en cause. Le premier critère vise les personnes responsables du détournement de fonds publics tunisiens. Le second critère vise les personnes physiques ou morales, entités ou organismes associés aux personnes responsables du détournement de fonds publics tunisiens.
80 Ainsi, la qualité de « personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui [...] sont associés [aux personnes responsables du détournement de fonds publics tunisiens] » constitue, conformément à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2011/72, un critère juridique autonome et distinct de celui relatif aux « personnes responsables du détournement de fonds publics tunisiens » pour l’application des mesures restrictives en cause et, par conséquent, pour l’inscription du nom des personnes ou entités concernées sur la liste litigieuse.
81 Partant, il y a lieu de constater que, en l’espèce, chacun des deux motifs d’inscription du nom de la requérante sur la liste litigieuse, pris isolément, correspond à chacun des deux critères d’inscription établis par la décision 2011/72 et suffit, chacun à lui seul, à justifier l’inscription de son nom sur cette liste.
82 Or, en l’espèce, il y a lieu de constater que les arguments invoqués par la requérante dans le cadre des premier, deuxième et troisième moyens visent à contester uniquement le premier motif d’inscription.
83 En effet, ainsi qu’il ressort du point 75 ci-dessus, par les premier, deuxième et troisième moyens, la requérante reproche, en substance, au Conseil de ne pas avoir vérifié le respect, par les autorités tunisiennes, de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective et d’avoir violé le principe de présomption d’innocence en ne prenant pas en compte l’absence de condamnation définitive à son égard en Tunisie. Les arguments soulevés par la requérante dans le cadre de ces moyens se rattachent aux procédures judiciaires dont elle fait l’objet en tant que responsable de détournement de fonds publics tunisiens, servant de base factuelle au premier motif d’inscription exposé au point 9 ci-dessus. En revanche, l’argumentation relative aux premier, deuxième et troisième moyens, développée par la requérante dans la requête ainsi que dans la réplique, ne contient aucune contestation du second motif d’inscription, fondé sur le lien d’association avec Mme Leïla Bent Mohammed Trabelsi.
84 Or, ainsi qu’il ressort du point 54 ci-dessus, la contestation du second motif d’inscription, soulevée pour la première fois au stade des réponses à la mesure d’organisation de la procédure après le deuxième échange de mémoires, est tardive et, par conséquent, irrecevable en application de l’article 84 du règlement de procédure du Tribunal. En outre, ainsi qu’il ressort du point 74 ci-dessus, les quatrième et cinquième moyens ont été écartés par le Tribunal.
85 Au vu des considérations qui précèdent, les premier, deuxième et troisième moyens soulevés par la requérante, dirigés uniquement contre le premier motif d’inscription, doivent être écartés comme inopérants, de sorte qu’il convient de rejeter la demande d’annulation de la décision attaquée dans son ensemble.
Sur le chef de conclusions visant à condamner le Conseil à verser à la requérante une somme de 30 000 euros au titre de la prise en charge de ses « frais de défense »
86 S’agissant du deuxième chef de conclusions présenté par la requérante, il suffit de relever que les « frais de défense » prétendument exposés par celle-ci à l’appui de la requête constituent des frais exposés aux fins de la procédure qui, dans la mesure où ils étaient indispensables, sont considérés, conformément à l’article 140, sous b), du règlement de procédure, comme des dépens récupérables. Il s’ensuit que ledit chef de conclusions ne constitue pas une demande en indemnité, mais relève de la question des dépens de l’affaire (voir, en ce sens, arrêt du 14 avril 2016, Ben Ali/Conseil, T‑200/14, non publié, EU:T:2016:216, point 308 et jurisprudence citée).
Sur les dépens
87 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
88 La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (neuvième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Mme Halima Bent Zine El Abidine Ben Haj Hamda Ben Ali est condamnée aux dépens.
Truchot | Sampol Pucurull | Perišin |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 29 janvier 2025.
Le greffier | Le président |
V. Di Bucci | S. Papasavvas |
* Langue de procédure : le français.
© European Union
The source of this judgment is the Europa web site. The information on this site is subject to a information found here: Important legal notice. This electronic version is not authentic and is subject to amendment.
BAILII: Copyright Policy | Disclaimers | Privacy Policy | Feedback | Donate to BAILII
URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2025/T17823.html