Arbuzov v Council (Judgment) French Text [2020] EUECJ T-289/19 (23 September 2020)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2020/T28919.html
Cite as: [2020] EUECJ T-289/19, ECLI:EU:T:2020:445, EU:T:2020:445

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DOCUMENT DE TRAVAIL

ARRÊT DU TRIBUNAL (cinquième chambre)

23 septembre 2020 (*)

« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises au regard de la situation en Ukraine – Gel des fonds – Liste des personnes, entités et organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques – Maintien du nom du requérant sur la liste – Obligation du Conseil de vérifier que la décision d’une autorité d’un État tiers a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective »

Dans l’affaire T‑289/19,

Sergej Arbuzov, demeurant à Kiev (Ukraine), représenté par Me M. Mleziva, avocat,

partie requérante,

contre

Conseil de l’Union européenne, représenté par M. R. Pekař et Mme P. Mahnič, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision (PESC) 2019/354 du Conseil, du 4 mars 2019, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2019, L 64, p. 7), et du règlement d’exécution (UE) 2019/352 du Conseil, du 4 mars 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2019, L 64, p. 1), dans la mesure où ces actes maintiennent le nom du requérant sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre),

composé de M. D. Spielmann, président, Mme O. Spineanu‑Matei et M. R. Mastroianni (rapporteur), juges,

greffier : M. E. Coulon,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige

1        La présente affaire s’inscrit dans le cadre du contentieux lié aux mesures restrictives adoptées à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, à la suite de la répression des manifestations de la place de l’Indépendance à Kiev (Ukraine) en février 2014.

2        Le requérant, M. Sergej Arbuzov, a, notamment, occupé les fonctions de gouverneur de la Banque nationale d’Ukraine ainsi que de Premier ministre de l’Ukraine.

3        Le 5 mars 2014, le Conseil de l’Union européenne a adopté la décision 2014/119/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 26). À la même date, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 208/2014, concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine (JO 2014, L 66, p. 1).

4        Les considérants 1 et 2 de la décision 2014/119 précisent ce qui suit :

« (1)      Le 20 février 2014, le Conseil a condamné dans les termes les plus fermes tout recours à la violence en Ukraine. Il a demandé l’arrêt immédiat de la violence en Ukraine et le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Il a demandé au gouvernement ukrainien de faire preuve d’une extrême retenue et aux responsables de l’opposition de se désolidariser de ceux qui mènent des actions extrêmes, et notamment recourent à la violence.

(2)      Le 3 mars 2014, le Conseil [est] convenu d’axer les mesures restrictives sur le gel et la récupération des avoirs des personnes identifiées comme étant responsables du détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien, et des personnes responsables de violations des droits de l’homme, en vue de renforcer et de soutenir l’[É]tat de droit et le respect des droits de l’homme en Ukraine. » 

5        L’article 1er, paragraphes 1 et 2, de la décision 2014/119 dispose ce qui suit :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et à des personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’à des personnes physiques ou morales, à des entités ou à des organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

2.      Aucun fonds ni aucune ressource économique n’est, directement ou indirectement, mis à la disposition des personnes physiques ou morales, des entités ou des organismes dont la liste figure à l’annexe, ou mis à leur profit. »

6        Les modalités de ce gel des fonds sont définies à l’article 1er, paragraphes 3 à 6, de la décision 2014/119.

7        Conformément à la décision 2014/119, le règlement no 208/2014 impose l’adoption des mesures restrictives en cause et définit les modalités de celles-ci en des termes identiques, en substance, à ceux de ladite décision.

8        Les noms des personnes visées par la décision 2014/119 et par le règlement no 208/2014 apparaissent sur la liste figurant à l’annexe de ladite décision et à l’annexe I dudit règlement (ci-après la « liste ») avec, notamment, la motivation de leur inscription. À l’origine, le nom du requérant n’apparaissait pas sur la liste.

9        La décision 2014/119 et le règlement no 208/2014 ont été modifiés par la décision d’exécution 2014/216/PESC du Conseil, du 14 avril 2014, mettant en œuvre la décision 2014/119 (JO 2014, L 111, p. 91), et par le règlement d’exécution (UE) no 381/2014 du Conseil, du 14 avril 2014, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2014, L 111, p. 33).

10      Par la décision d’exécution 2014/216 et par le règlement d’exécution no 381/2014, le nom du requérant a été ajouté sur la liste, avec les informations d’identification « ancien Premier ministre d’Ukraine » et la motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une enquête en Ukraine pour participation à des infractions liées au détournement de fonds publics ukrainiens et à leur transfert illégal hors d’Ukraine. »

11      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 juin 2014, le requérant a introduit un recours sous le numéro d’affaire T‑434/14, ayant pour objet, notamment, l’annulation de la décision 2014/119, telle que modifiée par la décision d’exécution 2014/216, en ce qu’elle le visait.

12      Le 29 janvier 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/143, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 24, p. 16), et le règlement (UE) 2015/138, modifiant le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 24, p. 1).

13      La décision 2015/143 a précisé, à partir du 31 janvier 2015, les critères d’inscription des personnes visées par le gel des fonds. En particulier, l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119 a été remplacé par le texte suivant :

« 1.      Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes ayant été identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien et aux personnes responsables de violations des droits de l’homme en Ukraine, ainsi qu’aux personnes physiques ou morales, aux entités ou aux organismes qui leur sont liés, dont la liste figure à l’annexe, de même que tous les fonds et ressources que ces personnes, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.

Aux fins de la présente décision, les personnes identifiées comme étant responsables de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien incluent des personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes :

a)      pour détournement de fonds ou d’avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel détournement ; ou

b)      pour abus de pouvoir en qualité de titulaire de charge publique dans le but de se procurer à lui-même ou de procurer à un tiers un avantage injustifié, causant ainsi une perte pour les fonds ou avoirs publics ukrainiens, ou pour complicité dans un tel abus. »

14      Le règlement 2015/138 a modifié le règlement no 208/2014 conformément à la décision 2015/143.

15      Le 5 mars 2015, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2015/364, modifiant la décision 2014/119 (JO 2015, L 62, p. 25), et le règlement d’exécution (UE) 2015/357, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2015, L 62, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2015 »). La décision 2015/364 a, d’une part, remplacé l’article 5 de la décision 2014/119, en étendant l’application des mesures restrictives, en ce qui concernait le requérant, jusqu’au 6 mars 2016, et, d’autre part, modifié l’annexe de cette dernière décision. Le règlement d’exécution 2015/357 a modifié en conséquence l’annexe I du règlement no 208/2014.

16      Par les actes de mars 2015, le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec les informations d’identification « ancien Premier ministre de l’Ukraine » et la nouvelle motivation qui suit :

« Personne faisant l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour détournement de fonds ou d’avoirs publics. »

17      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 5 mai 2015, le requérant a introduit un recours enregistré sous le numéro d’affaire T‑221/15, tendant, notamment, à l’annulation des actes de mars 2015, en ce qu’ils le visaient.

18      Par arrêt du 28 janvier 2016, Arbuzov/Conseil (T‑434/14, non publié, EU:T:2016:46), le Tribunal a annulé la décision 2014/119, telle que modifiée par la décision d’exécution 2014/216, en tant qu’elle visait le requérant.

19      Le 4 mars 2016, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2016/318, modifiant la décision 2014/119 (JO 2016, L 60, p. 76), et le règlement d’exécution (UE) 2016/311, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2016, L 60, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2016 »).

20      Par les actes de mars 2016, l’application des mesures restrictives a été prorogée, en ce qui concerne, notamment, le requérant, jusqu’au 6 mars 2017, et ce sans que la motivation de sa désignation ait été modifiée par rapport à celle des actes de mars 2015.

21      Par mémoire déposé au greffe du Tribunal le 28 avril 2016, le requérant a adapté la requête relative à l’affaire T‑221/15, conformément à l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, afin de demander également l’annulation des actes de mars 2016, en ce qu’ils le visaient.

22      Le 3 mars 2017, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2017/381, modifiant la décision 2014/119 (JO 2017, L 58, p. 34), et le règlement d’exécution (UE) 2017/374, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2017, L 58, p. 1).

23      Par la décision 2017/381 et par le règlement d’exécution 2017/374, l’application des mesures restrictives a été prorogée jusqu’au 6 mars 2018, et ce sans que la motivation de la désignation du requérant ait été modifiée par rapport à celle des actes de mars 2015.

24      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 mai 2017, le requérant a introduit un recours ayant pour objet une demande d’annulation de la décision 2017/381, en tant qu’elle le concernait. Ce recours a été enregistré au greffe du Tribunal sous le numéro d’affaire T‑258/17.

25      Par arrêt du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil (T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478), le Tribunal a rejeté l’intégralité des demandes du requérant à l’égard tant des actes de mars 2015 que des actes de mars 2016.

26      Le 5 mars 2018, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2018/333, modifiant la décision 2014/119 (JO 2018, L 63, p. 48), et le règlement d’exécution (UE) 2018/326, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2018, L 63, p. 5) (ci-après, pris ensemble, les « actes de mars 2018 »).

27      Par les actes de mars 2018, l’application des mesures restrictives a été prorogée jusqu’au 6 mars 2019, et ce sans que la motivation de la désignation du requérant ait été modifiée par rapport à celle des actes de mars 2015.

28      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 3 mai 2018, le requérant a introduit un recours enregistré sous le numéro d’affaire T‑284/18, tendant, notamment, à l’annulation des actes de mars 2018, en ce qu’ils le visaient.

29      Par arrêt du 6 juin 2018, Arbuzov/Conseil (T‑258/17, EU:T:2018:331), le Tribunal a annulé la décision 2017/381, en ce qu’elle visait le requérant.

30      Entre novembre 2018 et février 2019, le Conseil et le requérant ont échangé plusieurs courriers au sujet de la possible prorogation des mesures restrictives en cause à l’égard de ce dernier. En particulier, le Conseil a transmis plusieurs lettres du bureau du procureur général d’Ukraine (ci-après le « BPG ») au requérant concernant les procédures pénales dont ce dernier faisait l’objet et sur lesquelles il se fondait pour envisager ladite prorogation.

31      Le 4 mars 2019, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2019/354, modifiant la décision 2014/119 (JO 2019, L 64, p. 7), et le règlement d’exécution (UE) 2019/352, mettant en œuvre le règlement no 208/2014 (JO 2019, L 64, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »).

32      Par les actes attaqués, l’application des mesures restrictives en cause a été prorogée jusqu’au 6 mars 2020 et le nom du requérant a été maintenu sur la liste, avec la même motivation que celle rappelée au point 16 ci-dessus, assortie d’une précision libellée dans les termes suivants :

« Il ressort des informations figurant dans le dossier du Conseil que les droits de la défense de M. Arbuzov et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé. En témoignent notamment un certain nombre de décisions de justice portant sur des saisies de biens, ainsi que l’annulation des saisies de biens. »

33      Par courrier du 5 mars 2019, le Conseil a informé le requérant du maintien des mesures restrictives à son égard. Il a répondu aux observations du requérant formulées dans les correspondances des 23 octobre, 27 et 29 novembre, 19 et 28 décembre 2018 ainsi que des 25 janvier, 1er et 19 février 2019. En outre, il lui a transmis les actes attaqués en lui indiquant le délai pour lui présenter des observations avant la prise de la décision concernant l’éventuel maintien de son nom sur la liste.

34      Par courrier du 6 mars 2019, le requérant a présenté une demande d’accès à certains documents du Conseil et lui a demandé, notamment, de préciser quelles étaient les décisions judiciaires témoignant, selon les actes attaqués, du respect, par les autorités ukrainiennes, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective le concernant.

35      Par courrier du 8 avril 2019, le Conseil a répondu à cette demande d’accès et a également indiqué quelles étaient les décisions judiciaires mentionnées dans les actes attaqués.

 Faits postérieurs à l’introduction du présent recours 

36      Par arrêt du 11 juillet 2019, Arbuzov/Conseil (T‑284/18, non publié, EU:T:2019:511), le Tribunal a annulé les actes de mars 2018 en ce qu’ils visaient le requérant.

 Procédure et conclusions des parties

37      Par requête déposée au greffe du Tribunal le 1er mai 2019, le requérant a introduit le présent recours, tendant à l’annulation des actes attaqués.

38      Le 18 juillet 2019, le Conseil a déposé le mémoire en défense.

39      La réplique a été déposée au greffe du Tribunal le 6 septembre 2019.

40      Le 30 septembre 2019, le Conseil a présenté une demande motivée, conformément à l’article 66 du règlement de procédure, visant à obtenir que le contenu de certains documents annexés au mémoire en défense ne soit pas cité dans les documents afférents à cette affaire auxquels le public a accès.

41      La composition des chambres du Tribunal ayant été modifiée, en application de l’article 27, paragraphe 5, du règlement de procédure, l’affaire a été attribuée à la cinquième chambre, à laquelle un nouveau juge rapporteur a été affecté.

42      La duplique a été déposée au greffe du Tribunal le 21 octobre 2019. À cette même date, la phase écrite de la procédure a été close.

43      En vertu de l’article 106, paragraphe 3, du règlement de procédure, en l’absence de demande de fixation d’une audience présentée par les parties dans le délai de trois semaines à compter de la signification de la clôture de la phase écrite de la procédure, le Tribunal peut décider de statuer sur le recours sans phase orale de la procédure. En l’espèce, le Tribunal, s’estimant suffisamment éclairé par les pièces du dossier, a décidé, en l’absence d’une telle demande, de statuer sans phase orale de la procédure.

44      Le requérant conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler les actes attaqués, en ce qu’ils le concernent ;

–        condamner le Conseil aux dépens.

45      Le Conseil conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner le requérant aux dépens ;

–        à titre subsidiaire, si les actes attaqués devaient être annulés en ce qu’ils concernent le requérant, ordonner le maintien des effets de la décision 2019/354 jusqu’à ce que l’annulation partielle du règlement d’exécution 2019/352 prenne effet.

 En droit

46      Bien que la requête ne soit pas explicitement structurée par moyens, il y a lieu de considérer que, ainsi que le fait remarquer le Conseil dans le mémoire en défense, sans être contredit par le requérant, ce dernier invoque à l’appui de son recours, en substance, quatre moyens, tirés, le premier, de la violation du droit d’être entendu, le deuxième, de la violation de l’obligation de motivation, le troisième, de la violation du droit à une bonne administration consistant en une erreur manifeste d’appréciation et, le quatrième, de la violation du droit de propriété.

47      Il convient d’examiner tout d’abord le troisième moyen.

48      Dans le cadre de ce moyen et, plus généralement, dans d’autres parties de son recours, le requérant, en s’appuyant sur l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), fait valoir, notamment, que le Conseil a omis de vérifier si la décision émanant des autorités ukrainiennes, sur laquelle il s’était appuyé afin de maintenir les mesures restrictives à son égard, avait été adoptée dans le respect de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective et que le Conseil n’a pas apprécié les éléments factuels qu’il lui avait communiqués dans ce contexte. Le Conseil n’aurait, notamment, pas tenu compte de la violation des droits de la défense du requérant prétendument commise par le BPG en rejetant, sans une véritable motivation, sa demande visant à ce que des témoins soient auditionnés dans le cadre de la procédure pénale [confidentiel](1).

49      À cet égard, le requérant avance également que la procédure [confidentiel], menée à son égard depuis cinq ans, demeure au stade de l’enquête préliminaire, et ce en dépit de l’autorisation, obtenue par le BPG dès le début de l’année 2016, qu’il soit jugé par défaut. Par ailleurs, dans la mesure où, le 15 janvier 2019, le BPG aurait émis de nouveaux soupçons dans le cadre de ladite procédure, il conviendrait de procéder à un réexamen en ce qui concerne la conduite d’une procédure spéciale in absentia, pour laquelle, du reste, il manquerait l’une des deux conditions devant être établies par le procureur lorsqu’il demande l’autorisation de pouvoir procéder par défaut, à savoir que le nom de la personne concernée soit inscrit sur une liste interétatique ou internationale des personnes recherchées.  Selon le requérant, la clôture de l’enquête communiquée par le BPG dans cette procédure aurait été fictive et aurait eu uniquement pour but de créer les conditions nécessaires pour renouveler les mesures restrictives à son égard.  Sur la base des informations fournies par le requérant, le Conseil aurait donc dû demander à l’administration judiciaire ukrainienne des explications additionnelles sur son inaction de longue durée. 

50      S’agissant des décisions de justice portant sur des saisies de biens ainsi que sur l’annulation des saisies de biens, invoquées par le Conseil à titre de justification du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant, celui-ci fait observer que, à la lumière de la réponse fournie par le Conseil dans sa lettre du 8 avril 2019, les décisions auxquelles celui-ci se réfère sont la décision du tribunal de district de Petchersk à Kiev (ci-après le « tribunal de Petchersk »), du 1er août 2018, concernant la levée de la saisie des droits de participation (equity rights) d’une société à responsabilité limitée ainsi que les décisions du même tribunal des 22 mai, 3 et 30 août 2018, concernant l’annulation des saisies des avoirs, respectivement, du père, de la mère et du frère du requérant.

51      Ainsi, lors de l’adoption de la décision de prorogation des mesures restrictives à l’encontre du requérant, le Conseil aurait été guidé par des décisions de justice qui n’avaient, de manière générale, aucun rapport avec lui et qui ne protégeaient et ne rétablissaient en aucune manière ses droits, dès lors qu’elles concernaient d’autres personnes, à savoir une société et des membres de sa famille.

52      Par ailleurs, le requérant souligne que le Conseil ne conclut au respect de ses droits qu’en ce qui concerne la procédure [confidentiel] et qu’il n’a pas accordé d’attention au respect de ceux-ci dans le cadre des autres procédures pénales mentionnées par le BPG.

53      Le Conseil rejette les allégations du requérant concernant la violation des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci et renvoie au texte des actes attaqués ainsi qu’à son courrier du 8 avril 2019.

54      À cet égard, le Conseil rappelle, tout d’abord, que, dans la première partie, d’ordre général, de la section B des actes attaqués, sont indiquées les garanties générales des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective prévues par le droit ukrainien et que, selon les informations dont il dispose, ces droits ont été respectés en l’espèce. Il ressortirait, en effet, des documents rassemblés au cours des années par le Conseil que, dans le cadre de toutes les procédures pénales concernant le requérant, celui-ci a reçu des notifications de suspicion et a eu connaissance de leur contenu précis. Le Conseil n’aurait pas non plus connaissance de cas où le requérant se serait vu refuser le droit de présenter des demandes concernant des actes de procédure prévus par le code de procédure pénale ukrainien (ci-après le « code de procédure pénale ») ou du fait qu’il se soit servi d’un des actes de procédure prévus par ce code pour influer sur le déroulement de l’enquête.

55      Ensuite, le Conseil fait valoir que les mesures de saisie conservatoire des avoirs du requérant, prises dans le cadre de l’enquête pénale préliminaire menée contre lui, ont été adoptées conformément à la législation, à savoir sur la base de décisions de justice contre lesquelles il était possible d’introduire un recours.

56      S’agissant de l’argument selon lequel le Conseil aurait été guidé par des décisions de justice qui n’avaient aucun rapport avec le requérant, le Conseil rétorque qu’il a toujours apprécié les informations relatives auxdites décisions dans leur ensemble, y compris les décisions concernant directement les avoirs du requérant. Par ailleurs, le fait que les juridictions ukrainiennes aient annulé la saisie des avoirs de certaines personnes dans le cadre de l’enquête pénale préliminaire menée contre le requérant, alors que les demandes d’annulation de la saisie présentées par celui-ci auraient été rejetées, indiquerait, contrairement à ce que prétend le requérant, que ces juridictions ne statuent pas de manière automatique et ne se laissent pas guider exclusivement par l’avis de l’autorité qui mène l’enquête.

57      Par ailleurs, le Conseil rejette l’argument selon lequel il aurait examiné le respect des droits du requérant uniquement en ce qui concerne la procédure [confidentiel]. En effet, les informations concernant les mesures prises dans le cadre d’une procédure concrète, explicitement mentionnées dans la lettre du 8 avril 2019, prouveraient le respect des droits du requérant au cours de ladite procédure. La vérification du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant concernerait toutes les procédures menées contre lui.

58      Enfin, s’agissant de l’argument du requérant concernant l’absence de progression de la procédure pénale le concernant, le Conseil fait valoir qu’il a demandé et obtenu des éclaircissements des autorités ukrainiennes et qu’il les a communiqués au requérant. S’agissant, plus particulièrement, de la procédure [confidentiel], il ressortirait d’un courrier du BPG du 18 janvier 2019  que l’enquête préliminaire avait été clôturée et que [confidentiel], ce qui démontre, selon le Conseil, qu’il y a eu une progression suffisante dans cette procédure.  À cet égard, le Conseil estime également que, le requérant n’ayant soumis aucun élément de preuve pouvant étayer l’argument selon lequel une procédure préliminaire in absentia ne pourrait être menée à son égard dès lors qu’il ne ferait l’objet d’aucune recherche interétatique ou internationale, il pouvait légitimement s’appuyer sur les décisions des autorités judiciaires ukrainiennes indiquant que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant avaient été respectés.

59      L’allégation du requérant selon laquelle il y a eu une erreur d’appréciation de la part du Conseil devrait dès lors être rejetée comme non fondée.

60      Il ressort d’une jurisprudence bien établie que, lors du contrôle de mesures restrictives, les juridictions de l’Union européenne doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union au regard des droits fondamentaux faisant partie intégrante de l’ordre juridique de l’Union, au rang desquels figurent, notamment, le droit à une protection juridictionnelle effective et les droits de la défense, tels que consacrés par les articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Arbuzov/Conseil, T‑284/18, non publié, EU:T:2019:511, point 45 et jurisprudence citée).

61      L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que, au titre du contrôle de la légalité des motifs sur lesquels est fondée la décision d’inscrire ou de maintenir le nom d’une personne sur la liste des personnes faisant l’objet de mesures restrictives, le juge de l’Union s’assure que cette décision, qui revêt une portée individuelle pour cette personne, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir lesdits actes, sont étayés (voir arrêt du 11 juillet 2019, Arbuzov/Conseil, T‑284/18, non publié, EU:T:2019:511, point 46 et jurisprudence citée).

62      L’adoption et le maintien de mesures restrictives, telles que celles prévues par la décision 2014/119 et le règlement no 208/2014, tels que modifiés, prises à l’encontre d’une personne ayant été identifiée comme étant responsable d’un détournement de fonds appartenant à un État tiers, reposent, en substance, sur la décision d’une autorité de celui-ci, compétente à cet égard, d’engager et de mener une procédure d’enquête pénale concernant cette personne et portant sur une infraction de détournement de fonds publics (voir arrêt du 11 juillet 2019, Arbuzov/Conseil, T‑284/18, non publié, EU:T:2019:511, point 47 et jurisprudence citée).

63      Aussi, si, en vertu du critère d’inscription, tel que celui rappelé au point 13 ci-dessus, le Conseil peut fonder des mesures restrictives sur la décision d’un État tiers, l’obligation, pesant sur cette institution, de respecter les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective implique qu’il doive s’assurer du respect desdits droits par les autorités de l’État tiers ayant adopté ladite décision (voir arrêt du 11 juillet 2019, Arbuzov/Conseil, T‑284/18, non publié, EU:T:2019:511, point 48 et jurisprudence citée).

64      L’exigence de vérification, par le Conseil, du fait que les décisions des États tiers sur lesquelles il entend se fonder ont été prises dans le respect desdits droits vise à assurer que l’adoption ou le maintien des mesures de gel des fonds n’ait lieu que sur une base factuelle suffisamment solide et, de telle sorte, à protéger les personnes ou les entités concernées. Ainsi, le Conseil ne saurait considérer que l’adoption ou le maintien de telles mesures repose sur une base factuelle suffisamment solide qu’après avoir vérifié lui-même si les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés lors de l’adoption de la décision de l’État tiers concerné sur laquelle il entend se fonder (voir arrêt du 11 juillet 2019, Arbuzov/Conseil, T‑284/18, non publié, EU:T:2019:511, point 49 et jurisprudence citée).

65      Par ailleurs, s’il est vrai que la circonstance que l’État tiers compte au nombre des États ayant adhéré à la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), implique un contrôle, par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH »), des droits fondamentaux garantis par la CEDH, lesquels, conformément à l’article 6, paragraphe 3, TUE, font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux, une telle circonstance ne saurait toutefois rendre superflue l’exigence de vérification rappelée au point 64 ci-dessus (voir arrêt du 11 juillet 2019, Arbuzov/Conseil, T‑284/18, non publié, EU:T:2019:511, point 50 et jurisprudence citée).

66      Selon la jurisprudence, le Conseil est tenu de faire état, dans l’exposé des motifs relatifs à l’adoption ou au maintien des mesures restrictives à l’égard d’une personne ou d’une entité, ne serait-ce que de manière succincte, des raisons pour lesquelles il considère que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend se fonder a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective. Ainsi, il incombe au Conseil, afin de satisfaire à son obligation de motivation, de faire apparaître, dans la décision imposant des mesures restrictives, qu’il a vérifié si la décision de l’État tiers sur laquelle il fonde ces mesures a été adoptée dans le respect de ces droits (voir arrêt du 11 juillet 2019, Arbuzov/Conseil, T‑284/18, non publié, EU:T:2019:511, point 51 et jurisprudence citée).

67      En définitive, lorsqu’il fonde l’adoption ou le maintien de mesures restrictives, telles que celles en l’espèce, sur la décision d’un État tiers d’engager et de mener une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics de la part de la personne concernée, le Conseil doit, d’une part, s’assurer que, au moment de l’adoption de ladite décision, les autorités de cet État tiers ont respecté les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective de la personne faisant l’objet de la procédure pénale en cause et, d’autre part, mentionner, dans la décision imposant des mesures restrictives, les raisons pour lesquelles il considère que ladite décision de l’État tiers a été adoptée dans le respect de ces droits (arrêt du 11 juillet 2019, Arbuzov/Conseil, T‑284/18, non publié, EU:T:2019:511, point 52).

68      C’est à l’aune de ces principes jurisprudentiels qu’il convient d’établir si le Conseil a respecté ces obligations.

69      À titre liminaire, il y a lieu de relever que, s’il est vrai que le Conseil a mentionné, dans les actes attaqués (voir point 32 ci-dessus), les raisons pour lesquelles il avait considéré que la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener une procédure pénale pour détournement de fonds ou d’avoirs publics à l’égard du requérant avait été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective, il convient néanmoins de vérifier si c’est à juste titre que le Conseil a considéré que lesdites autorités avaient respecté, dans le cadre des procédures sur lesquelles les actes attaqués sont fondés, lesdits droits du requérant.

70      En effet, l’examen du bien-fondé de la motivation, qui relève de la légalité au fond des actes attaqués et consiste, en l’occurrence, à vérifier si les éléments invoqués par le Conseil sont établis et s’ils sont de nature à démontrer la vérification du respect de ces droits par les autorités ukrainiennes, doit être distingué de la question de la motivation, qui concerne une formalité substantielle (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, points 60 et 61) et ne constitue que le corollaire de l’obligation du Conseil de s’assurer, au préalable, du respect desdits droits.

71      Or, le requérant a fait l’objet de nouvelles mesures restrictives adoptées par les actes attaqués sur le fondement du critère d’inscription énoncé à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision 2014/119, tel qu’il a été précisé dans la décision 2015/143, et à l’article 3 du règlement no 208/2014, tel qu’il a été précisé dans le règlement 2015/138 (voir points 13 et 14 ci-dessus). Ce critère prévoit le gel des fonds des personnes qui ont été identifiées comme étant responsables de faits de détournement de fonds publics appartenant à l’État ukrainien, y compris les personnes faisant l’objet d’une enquête des autorités ukrainiennes.

72      Il convient de constater que le Conseil s’est fondé, pour décider du maintien du nom du requérant sur la liste, sur la circonstance que celui‑ci faisait l’objet d’une procédure pénale de la part des autorités ukrainiennes pour des infractions constitutives d’un détournement de fonds ou d’avoirs publics, qui était établie par les lettres du BPG dont le requérant avait reçu copie (voir point 30 ci‑dessus).

73      Le maintien des mesures restrictives prises à l’encontre du requérant reposait donc, tout comme dans les affaires ayant donné lieu à l’arrêt du 19 décembre 2018, Azarov/Conseil (C‑530/17 P, EU:C:2018:1031), et à l’arrêt du 11 juillet 2019, Arbuzov/Conseil (T‑284/18, non publié, EU:T:2019:511), sur la décision des autorités ukrainiennes d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur une infraction de détournement de fonds appartenant à l’État ukrainien.

74      Il y a également lieu de relever que, en modifiant, par les actes attaqués, l’annexe de la décision 2014/119 et l’annexe I du règlement no 208/2014, le Conseil a ajouté une nouvelle section, entièrement consacrée aux droits de la défense et au droit à une protection juridictionnelle effective, qui se subdivise en deux parties.

75      Dans la première partie, figure un simple rappel, d’ordre général, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective en vertu du code de procédure pénale. En particulier, tout d’abord, sont rappelés les différents droits procéduraux dont jouit toute personne soupçonnée ou poursuivie dans le cadre d’une procédure pénale en vertu de l’article 42 du code de procédure pénale. Ensuite, d’une part, il est rappelé que, en vertu de l’article 306 de ce même code, toute plainte contre des décisions, des actes ou des omissions de l’enquêteur ou du procureur doit être examinée par le juge d’instruction d’un tribunal local, en présence du plaignant, de son avocat ou de son représentant légal. D’autre part, il est indiqué, notamment, que l’article 309 dudit code précise les décisions du juge d’instruction qui peuvent être contestées par la voie d’un recours. Enfin, il est précisé qu’un certain nombre de mesures d’enquête, telles que la saisie des avoirs et les mesures de détention, ne sont possibles que sous réserve d’une décision du juge d’instruction ou d’un tribunal.

76      La seconde partie de ladite section concerne l’application des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective à chacune des personnes inscrites sur la liste. S’agissant plus particulièrement du requérant, il est précisé que, selon les informations figurant dans le dossier du Conseil, ses droits de la défense et son droit à une protection juridictionnelle effective ont été respectés au cours de la procédure pénale sur laquelle le Conseil s’est fondé, ainsi qu’en témoignaient, notamment, un certain nombre de décisions de justice portant sur des saisies de biens ainsi que l’annulation des saisies de biens (voir point 32 ci‑dessus).

77      Il convient également de relever que, dans la lettre du 5 mars 2019 (voir point 33 ci‑dessus), le Conseil s’est borné à indiquer qu’il ressortait du dossier que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective du requérant avaient été respectés dans le cadre des procédures pénales sur lesquelles il s’était fondé.

78      Toutefois, à la suite d’une demande explicite du requérant, le Conseil a, dans sa lettre du 8 avril 2019 (voir points 34 et 35 ci-dessus), précisé que les décisions de justice portant sur des saisies de biens ainsi que sur l’annulation des saisies de biens, auxquelles se référaient les actes attaqués, étaient celles indiquées soit dans ses lettres des 30 novembre 2018 et 15 janvier 2019, soit dans les lettres du BPG qui y étaient annexées. En outre, le Conseil a indiqué, d’une part, qu’il ressortait de la lettre du BPG du 2 janvier 2019 que les saisies des avoirs de l’épouse du requérant demeuraient en vigueur nonobstant les tentatives réitérées de celle-ci d’en obtenir la levée et, d’autre part, que les décisions de justice annexées à la lettre du requérant, datée du 27 novembre 2018, démontraient que ce dernier avait pu exercer ses droits dans le cadre de la procédure [confidentiel].

79      Il ressort d’une lecture combinée des motifs figurant dans les actes attaqués et des lettres du Conseil des 5 mars et 8 avril 2019 ainsi que des lettres du Conseil et de leurs annexes mentionnées dans la lettre du 8 avril 2019 que, contrairement à ce que prétend celui-ci, la procédure [confidentiel] est, de fait, la seule pour laquelle il atteste avoir effectivement vérifié le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant.

80      À cet égard, il doit être observé, à titre liminaire, que le Conseil reste en défaut de démontrer dans quelle mesure les décisions de justice portant sur des saisies de biens ou sur leur annulation témoigneraient du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant au cours de la procédure [confidentiel]. En effet, ainsi qu’il a été rappelé aux points 62 et 63 ci-dessus, en l’espèce, le Conseil était tenu de vérifier, avant de décider le maintien des mesures restrictives en cause, si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener des procédures d’enquêtes pénales portant sur les infractions inhérentes au détournement de fonds ou d’avoirs publics prétendument commises par le requérant avait été adoptée dans le respect desdits droits de celui-ci.

81      Or, dans cette perspective, les décisions de justice mentionnées au point 80 ci-dessus ne sauraient être identifiées comme étant une décision d’engager et de mener la procédure d’enquête justifiant le maintien des mesures restrictives.

82      En effet, il suffit de relever, d’une part, que les seules décisions de saisie des biens du requérant sont celles mentionnées dans la lettre du BPG du 2 novembre 2018 et ont été adoptées, dans le cadre de la procédure [confidentiel], entre 2014 et 2015, et, d’autre part, que les quatre décisions de justice mentionnées dans la lettre du BPG du 2 janvier 2019, qui ont été adoptées entre le 22 mai et le 30 août 2018, ne concernent pas le requérant, mais l’annulation, toujours par le tribunal de Petchersk, de la saisie des droits de participation d’une société à responsabilité limitée ainsi que des saisies des avoirs des membres de la famille du requérant.

83      Dans la mesure où elles concernent des personnes physiques ou juridiques autres que le requérant, ces quatre décisions du tribunal de Petchersk ne sauraient dès lors témoigner du respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci. Du reste, contrairement à ce que prétend le Conseil, le fait que, dans ces décisions, il ait été décidé d’annuler les saisies des avoirs des personnes concernées ne saurait être interprété a contrario comme une démonstration du respect desdits droits du requérant.

84      S’agissant des décisions de saisie des avoirs du requérant, prises entre 2014 et 2015, elles ne sauraient être invoquées afin d’établir que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne, sur laquelle le Conseil entend se fonder pour maintenir, en 2019, les mesures restrictives en cause à l’égard du requérant, a été adoptée dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci.

85      En tout état de cause, toutes ces décisions de justice s’insèrent dans le cadre de la procédure pénale ayant justifié l’inscription et le maintien du nom du requérant sur la liste et ne sont qu’incidentes au regard de celle-ci, dans la mesure où elles sont de nature purement conservatoire. De telles décisions, qui peuvent servir tout au plus à établir l’existence d’une base factuelle suffisamment solide, à savoir le fait que, conformément au critère d’inscription, le requérant faisait l’objet d’une procédure pénale portant, notamment, sur une infraction de détournement de fonds ou d’avoirs appartenant à l’État ukrainien, ne sont pas ontologiquement susceptibles, à elles seules, de démontrer que la décision de l’administration judiciaire ukrainienne d’engager et de mener lesdites procédures pénales, sur laquelle repose, en substance, le maintien des mesures restrictives à l’encontre du requérant, a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Arbuzov/Conseil, T‑284/18, non publié, EU:T:2019:511, point 83).

86      Au demeurant, il ne résulte ni de la lettre du 8 avril 2019 ni d’autres pièces du dossier que le Conseil, au-delà de la simple mention de l’existence desdites décisions concernant le requérant, a examiné le contenu de ces dernières et a pu en conclure que les droits de la défense et le droit à une protection juridictionnelle effective de celui-ci avaient été respectés dans leur substance.

87      À cet égard, il doit également être observé que, contrairement à ce qu’il prétend (voir point 58 ci-dessus), le Conseil était tenu d’effectuer une telle vérification indépendamment de tout élément de preuve apporté par le requérant pour démontrer que, en l’espèce, celui-ci avait subi une violation de ses droits de la défense et de son droit à une protection juridictionnelle effective, la simple existence de dispositions du code de procédure pénale n’étant pas suffisante en soi pour démontrer le respect de ces droits par l’administration judiciaire ukrainienne (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Klyuyev/Conseil, T‑305/18, non publié, EU:T:2019:506, point 72).

88      D’ailleurs, le Conseil n’explique pas non plus comment l’existence de ces décisions judiciaires permet de considérer que la protection des droits en question a été garantie, alors que, comme le requérant l’avait fait valoir à maintes reprises dans les lettres envoyées au Conseil, la procédure [confidentiel], qui a été ouverte en 2014, se trouvait encore au stade de l’enquête préliminaire et l’affaire en cause n’avait pas été soumise à un tribunal ukrainien sur le fond, en dépit de l’adoption par le tribunal de Petchersk d’une décision, datée du 15 février 2016, autorisant le BPG à procéder par défaut (voir, en ce sens, arrêt du 6 juin 2018, Arbuzov/Conseil, T‑258/17, EU:T:2018:331, point 98).

89      Or, l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui constitue le paramètre à l’aune duquel le Conseil apprécie le respect du droit à une protection juridictionnelle effective, prévoit que toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Klymenko/Conseil, T‑274/18, EU:T:2019:509, point 84 et jurisprudence citée).

90      Dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, tels que ceux prévus par l’article 6 de celle-ci, leur sens et leur portée sont, aux termes de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère la CEDH.

91      À cet égard, il convient de rappeler que, en interprétant l’article 6 de la CEDH, d’une part, la Cour EDH a relevé que l’objectif du principe du délai raisonnable était, notamment, de protéger la personne inculpée contre les lenteurs excessives de la procédure et d’éviter qu’elle ne demeure trop longtemps dans l’incertitude de son sort ainsi que les retards propres à compromettre l’efficacité et la crédibilité de l’administration de la justice (voir Cour EDH, 7 juillet 2015, Rutkowski et autres c. Pologne, CE:ECHR:2015:0707JUD007228710, point 126 et jurisprudence citée). D’autre part, la Cour EDH a considéré que la violation de ce principe pouvait être constatée notamment lorsque la phase d’instruction d’une procédure pénale se caractérisait par un certain nombre de phases d’inactivité imputables aux autorités compétentes pour cette instruction (voir, en ce sens, Cour EDH, 6 janvier 2004, Rouille c. France, CE:ECHR:2004:0106JUD005026899, points 29 à 31 ; 27 septembre 2007, Reiner et autres c. Roumanie, CE:ECHR:2007:0927JUD000150502, points 57 à 59, et 12 janvier 2012, Borisenko c. Ukraine, CE:ECHR:2012:0112JUD002572502, points 58 à 62).

92      Par ailleurs, il résulte de la jurisprudence que, lorsqu’une personne fait l’objet de mesures restrictives depuis plusieurs années, et ce en raison de l’existence, en substance, de la même enquête préliminaire menée par le BPG, le Conseil est tenu d’approfondir la question de la violation éventuelle des droits fondamentaux de cette personne par les autorités ukrainiennes (voir, en ce sens, arrêt du 30 janvier 2019, Stavytskyi/Conseil, T‑290/17, EU:T:2019:37, point 132).

93      Dès lors, en l’espèce, le Conseil aurait dû à tout le moins indiquer les raisons pour lesquelles, en dépit des arguments du requérant repris au point 49 ci-dessus, il pouvait considérer que le droit de celui‑ci à une protection juridictionnelle effective devant l’administration judiciaire ukrainienne, qui est, à l’évidence, un droit fondamental, avait été respecté en ce qui concernait la question de savoir si sa cause avait été entendue dans un délai raisonnable (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Klymenko/Conseil, T‑274/18, EU:T:2019:509, point 87).

94      Il ne saurait donc être conclu, au vu des pièces du dossier, que les éléments dont le Conseil disposait lors de l’adoption des actes attaqués lui ont permis de vérifier si la décision de l’administration judiciaire ukrainienne avait été prise en respectant les droits du requérant à une protection juridictionnelle effective et à voir sa cause entendue dans un délai raisonnable.

95      Par ailleurs, à cet égard, il convient également de relever que la jurisprudence selon laquelle, en cas d’adoption d’une décision de gel des fonds telle que celle concernant le requérant, il appartient au Conseil ou au juge de l’Union de vérifier le bien-fondé non pas des enquêtes dont la personne visée par ces mesures faisait l’objet en Ukraine, mais uniquement de la décision de gel des fonds au regard du ou des documents sur lesquels cette décision a été fondée, ne saurait être interprétée en ce sens que le Conseil n’est pas tenu de vérifier que la décision de l’État tiers sur laquelle il entend fonder l’adoption de mesures restrictives a été prise dans le respect des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Arbuzov/Conseil, T‑284/18, non publié, EU:T:2019:511, point 86 et jurisprudence citée).

96      Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que le Conseil, avant l’adoption des actes attaqués, se soit assuré du respect, par l’administration judiciaire ukrainienne, des droits de la défense et du droit à une protection juridictionnelle effective du requérant dans le cadre des procédures pénales sur lesquelles il s’est fondé. Il s’ensuit que, en décidant de maintenir le nom du requérant sur la liste, le Conseil a commis une erreur d’appréciation.

97      Dans ces circonstances, il y a lieu d’annuler les actes attaqués en tant qu’ils visent le requérant, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres moyens et arguments soulevés par ce dernier.

98      Au regard de la demande présentée par le Conseil à titre subsidiaire (voir point 45, troisième tiret, ci-dessus), tendant, en substance, au maintien des effets de la décision 2019/354 jusqu’à l’expiration du délai prévu pour l’introduction d’un pourvoi et, au cas où un pourvoi serait présenté, jusqu’à la décision statuant sur celui-ci, il suffit de relever que la décision 2019/354 n’a produit d’effets que jusqu’au 6 mars 2020. Par conséquent, l’annulation de celle-ci par le présent arrêt n’a pas de conséquence sur la période postérieure à cette date, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la question du maintien des effets de cette décision (voir, en ce sens, arrêt du 11 juillet 2019, Arbuzov/Conseil, T‑284/18, non publié, EU:T:2019:511, point 89 et jurisprudence citée).

 Sur les dépens

99      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. Le Conseil ayant succombé, il y a lieu de le condamner aux dépens, conformément aux conclusions du requérant.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (cinquième chambre)

déclare et arrête :

1)      La décision (PESC) 2019/354 du Conseil, du 4 mars 2019, modifiant la décision 2014/119/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes au regard de la situation en Ukraine, et le règlement d’exécution (UE) 2019/352 du Conseil, du 4 mars 2019, mettant en œuvre le règlement (UE) no 208/2014 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, de certaines entités et de certains organismes eu égard à la situation en Ukraine, sont annulés dans la mesure où le nom de M. Sergej Arbuzov a été maintenu sur la liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’appliquent ces mesures restrictives.

2)      Le Conseil de l’Union européenne est condamné aux dépens.

Spielmann

Spineanu-Matei

Mastroianni

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 23 septembre 2020.

Signatures


*      Langue de procédure : le tchèque.


1 Données confidentielles occultées.

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