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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> HB v Commission (Judgment) French Text [2021] EUECJ T-795/19 (21 December 2021) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2021/T79519.html Cite as: [2021] EUECJ T-795/19, ECLI:EU:T:2021:917, EU:T:2021:917 |
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ARRÊT DU TRIBUNAL (deuxième chambre)
21 décembre 2021 (*)
« Marchés publics de services – Prestation de services d’assistance technique au Haut Conseil judiciaire – Décision de réduction du montant du marché et de recouvrement des montants déjà versés – Recours en annulation et en indemnité – Acte s’inscrivant dans un cadre purement contractuel dont il est indissociable – Absence de clause compromissoire – Irrecevabilité – Absence de chefs de préjudice détachables du contrat »
Dans l’affaire T‑795/19,
HB, représentée par Me L. Levi, avocate,
partie requérante,
contre
Commission européenne, représentée par MM. J. Baquero Cruz, J. Estrada de Solà et Mme A Katsimerou, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
ayant pour objet, d’une part, une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2019) 7319 final de la Commission, du 15 octobre 2019, relative à la réduction des montants dus au titre du marché CARDS/2008/166-429 et au recouvrement des montants indûment versés, et, d’autre part, une demande fondée sur l’article 340, deuxième alinéa, TFUE et tendant à obtenir, d’abord, le remboursement de tous les montants éventuellement recouvrés par la Commission sur la base de cette décision ainsi que le paiement de la dernière facture émise assortis d’intérêts de retard, ensuite, la libération de la garantie bancaire et la réparation du préjudice que la requérante aurait subi résultant de sa libération tardive et, enfin, la réparation symbolique du préjudice moral que la requérante aurait subi,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre),
composé de Mme V. Tomljenović, présidente, MM. F. Schalin (rapporteur) et I. Nõmm, juges,
greffier : M. L. Ramette, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 12 juillet 2021,
rend le présent
Arrêt
Antécédents du litige
1 Le 24 octobre 2007, l’Union européenne, représentée par l’Agence européenne pour la reconstruction (AER), a lancé un appel d’offres portant la référence EuropeAid/125037/D/SER/YU dans le but de conclure un marché de services pour la fourniture de services d’assistance technique au Haut Conseil judiciaire, en Serbie.
2 Ce marché de services, ainsi que cela était mentionné au paragraphe 3 de l’avis de marché, s’inscrivait dans le cadre du programme d’assistance communautaire pour la reconstruction, le développement et la stabilisation (CARDS) dont l’objet était de fournir une assistance communautaire aux pays de l’Europe du Sud-Est en vue de leur participation au processus de stabilisation et d’association avec l’Union. Le programme CARDS a été institué en vertu du règlement (CE) no 2666/2000 du Conseil, du 5 décembre 2000, relatif à l’aide à l’Albanie, à la Bosnie-et-Herzégovine, à la Croatie, à la République fédérale de Yougoslavie et à l’ancienne République yougoslave de Macédoine et abrogeant le règlement (CE) no 1628/96 ainsi que modifiant les règlements (CEE) no 3906/89 et (CEE) no 1360/90 et les décisions 97/256/CE et 1999/311/CE (JO 2000, L 306, p. 1). L’instrument d’aide de préadhésion (IAP), institué en vertu du règlement (CE) no 1085/2006 du Conseil, du 17 juillet 2006, établissant un IAP (JO 2006, L 210, p. 82), lui a succédé au titre de la période 2007-2013.
3 Le 10 juin 2008, le marché CARDS/2008/166-429 a été attribué au consortium coordonné par la requérante, HB, parmi cinq soumissionnaires ayant déposé des offres. Ce marché (ci-après le « marché CARDS » ou le « contrat litigieux ») a été signé le 30 juillet 2008 pour une valeur maximale de 1 999 125 euros.
4 Le contrat litigieux stipulait notamment que toute question non couverte par ledit contrat était régie par le droit belge (article 9.1 des conditions spéciales), que tout litige découlant de ce même contrat ou relatif à celui-ci qui ne pouvait être réglé à l’amiable était du ressort exclusif des juridictions de Bruxelles (Belgique) (article 11 des conditions spéciales) et que, si le cocontractant de l’Union s’était rendu coupable d’erreurs, d’irrégularités ou d’actes de fraude lors de la procédure de passation du marché, l’Union pouvait refuser d’effectuer les paiements dus ou recouvrer des montants déjà payés proportionnellement à la gravité des erreurs, des irrégularités ou des fraudes (articles 35.1 et 35.2 des conditions générales).
5 Il est à noter que, dès le 17 juin 2006, le consortium coordonné par la requérante s’était déjà vu attribuer par l’Union le marché TACIS/2006/101-510 (ci-après le « marché TACIS »), d’une valeur maximale de 4 410 000 euros, qui s’inscrivait quant à lui dans le cadre du programme d’assistance technique à la Communauté des États indépendants (TACIS) dont l’objet était de favoriser la transition vers une économie de marché et de renforcer la démocratie et l’État de droit dans les États partenaires d’Europe orientale et d’Asie centrale, en apportant une assistance technique aux autorités ukrainiennes.
6 À la suite de la disparition de l’AER en décembre 2008, le marché CARDS a été transféré à la délégation de l’Union en Serbie (ci-après la « délégation »).
7 Le 24 septembre 2008, l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) a reçu une lettre anonyme contenant des allégations selon lesquelles, d’une part, les curriculum vitae d’experts non principaux communiqués par la requérante dans le cadre de l’appel d’offres étaient faux et, d’autre part, le cahier des charges de l’appel d’offres avait été adapté au profit de certains experts.
8 À la suite de ces allégations, l’OLAF a effectué une mission d’enquête. Dans un rapport d’analyse du 7 avril 2009, l’OLAF a relevé l’existence d’irrégularités graves et de possibles faits de corruption.
9 Les premières constatations de l’OLAF, qui concernaient plusieurs marchés publics et impliquaient tant la requérante qu’une société intermédiaire d’intelligence économique (ci-après la « société intermédiaire ») qui avait assisté cette dernière lors de la participation à l’appel d’offres du marché CARDS, moyennant le versement d’une prime de succès, ont donné lieu à une transmission aux autorités judiciaires françaises, le 27 juin 2008, et belges, le 14 septembre 2009.
10 Le 31 mars 2010, l’exécution du contrat litigieux a été suspendue. Par courriers des 1er et 20 avril 2010, la requérante a demandé des informations complémentaires au sujet de cette décision. Le 21 avril 2010, la délégation a informé la requérante que la suspension se fondait sur les informations reçues de l’OLAF selon lesquelles elle aurait eu accès au cahier des charges de l’appel d’offres trois semaines avant la publication dudit appel d’offres.
11 Par lettre du 28 avril 2010, la requérante a contesté la décision de suspension du contrat litigieux. Le 11 mai 2010, la délégation a confirmé la suspension en informant la requérante que l’exécution du contrat litigieux reprendrait si les allégations n’étaient pas confirmées.
12 Le 28 novembre 2011, l’OLAF a transmis à la Commission européenne son rapport d’enquête final, qui a confirmé l’existence d’irrégularités graves et de possibles faits de corruption. L’OLAF a recommandé à la délégation de résilier le contrat litigieux et de procéder à des recouvrements.
13 Le 11 juillet 2014, à la suite d’un échange de lettres, la délégation a informé la requérante de son intention de résilier le contrat litigieux en raison des graves allégations concernant l’attribution irrégulière du marché CARDS.
14 Le 28 juillet 2014, l’OLAF a adopté un rapport d’analyse complémentaire dans lequel il a présenté des éléments de preuve supplémentaires qui confirmaient les conclusions des rapports antérieurs.
15 Par lettre du 14 août 2014, la requérante a contesté la mesure de résiliation envisagée.
16 Par lettre du 8 mai 2015, la délégation a confirmé son intention de résilier le contrat litigieux. La lettre précisait que ledit contrat devait être considéré comme vicié dès l’origine par des irrégularités relatives à l’attribution du marché CARDS et que la Commission procéderait au recouvrement de tous les montants versés.
17 Le 29 mai 2015, la requérante a contesté la résiliation du contrat litigieux. Par lettre du 9 octobre 2015, la délégation a confirmé sa décision de résilier ledit contrat.
18 Le 9 novembre 2015, la délégation a communiqué à la requérante un ordre de recouvrement d’un montant de 1 197 055,86 euros.
19 Par lettre du 23 novembre 2015, la requérante a fait part de son désaccord concernant la résiliation du contrat litigieux et l’ordre de recouvrement qui lui avait été adressé.
20 Le 3 mai 2016, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Versailles (France) a jugé que certains éléments de preuve fournis par l’OLAF contre la requérante et son dirigeant devaient être considérés comme irrecevables dans l’ordre juridique interne, de sorte que ladite juridiction a prononcé « l’annulation » des rapports de l’OLAF qui, dès lors, ne pouvaient plus être utilisés dans les procédures judiciaires nationales. Sur cette base, le juge d’instruction français a rendu le 5 décembre 2017 une ordonnance de non-lieu en ce qui concernait la requérante et son dirigeant, mais une ordonnance de renvoi devant une juridiction pénale en qui concernait la société intermédiaire et ses dirigeants ainsi qu’un membre du personnel de l’Union.
21 Le 26 avril 2017, la délégation a informé la requérante que la garantie bancaire que cette dernière avait constituée ne serait pas libérée et que l’émission de l’ordre de recouvrement serait suspendue dans l’attente de la décision des juridictions pénales belges dans une procédure portant notamment sur l’attribution du marché CARDS.
22 Le 5 octobre 2017, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles (Belgique), statuant sur l’instance concernant notamment l’attribution des marchés CARDS et TACIS, a rendu un jugement par lequel il a déclaré les poursuites pénales engagées, notamment, contre la requérante irrecevables. Le juge belge a estimé que les rapports portés à l’attention de la justice belge par les fonctionnaires de l’OLAF étaient fondés sur des éléments de preuve déclarés nuls par la justice française et donc entachés de cette même nullité.
23 Le 8 janvier 2018, en invoquant le jugement du tribunal de première instance francophone de Bruxelles du 5 octobre 2017, la requérante a demandé à la délégation le paiement de la dernière facture relative au contrat litigieux, la libération de la garantie bancaire et le paiement des frais bancaires engendrés par ladite garantie depuis la suspension dudit contrat.
24 Par lettre du 16 juillet 2018, la délégation a informé la requérante de son intention de poursuivre la procédure de recouvrement.
25 Le 18 octobre 2018, le tribunal de grande instance de Paris (France) a rendu un jugement de condamnation de la société intermédiaire, de ses dirigeants et du membre du personnel de l’Union pour corruption. Un appel a été formé à l’encontre de ce jugement.
26 Le 15 octobre 2019, la Commission a adopté la décision C(2019) 7319 final, relative à la réduction des montants dus au titre du [marché CARDS] et au recouvrement des montants indûment versés (ci-après la « décision attaquée »). La Commission a, en particulier, considéré que la procédure relative à ce marché était entachée d’une irrégularité substantielle au sens de l’article 103 du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1, ci-après le « règlement financier de 2002 »), que ladite irrégularité était imputable au consortium coordonné par la requérante et qu’elle était suffisamment grave pour justifier que le montant dudit marché soit réduit à 0 euro. Tous les paiements effectués, d’un montant total de 1 197 055,86 euros, ont ainsi été considérés comme ayant été indûment versés et comme devant faire l’objet d’un recouvrement. Lors de sa notification à la requérante, la décision attaquée était accompagnée d’une note de débit datée du 16 octobre 2019, portant sur le paiement par la requérante, au plus tard le 15 novembre 2019, de la somme de 1 197 055,86 euros.
27 Le dispositif de la décision attaquée est libellé comme suit :
« Article premier
La procédure d’attribution de l’appel d’offres restreint portant la référence EuropeAid/125037/D/SER/YU a fait l’objet d’une irrégularité au sens de l’article 103 du règlement [financier de 2002] et de l’article 131 du règlement (UE, Euratom) 2018/1046.
Ladite irrégularité est imputable au consortium emmené par [la requérante], qui a signé le marché [CARDS] attribué à l’issue de l’appel d’offres.
Article 2
Le montant du marché [CARDS] est réduit de 1 199 125,00 EUR à 0 (zéro) EUR.
Article 3
Tous les paiements, d’un montant de 1 197 055,86 EUR, effectués au titre dudit marché [CARDS] sont considérés comme indûment versés et font l’objet d’un recouvrement.
Article 4
Le directeur général de la direction générale du voisinage et des négociations d’élargissement émet un ordre de recouvrement à l’encontre d[e la requérante] pour le montant visé à l’article 3.
[La requérante] est destinataire de la présente décision et de la note de débit qui l’accompagne. La présente décision est applicable à compter de sa réception par [la requérante].
Article 5
Conformément à l’article 263 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, la présente décision peut faire l’objet d’un recours en annulation devant la Cour de justice de l’Union européenne dans un délai de deux mois. »
28 Le même jour, la Commission a également adopté la décision C(2019) 7318 final, relative à la réduction des montants dus au titre du marché [TACIS] et au recouvrement des montants indûment versés (ci-après la « décision TACIS »). La Commission a estimé que la procédure d’attribution de ce marché, attribué au consortium coordonné par la requérante, était entachée d’une irrégularité substantielle au sens de l’article 103 du règlement financier de 2002, imputable audit consortium, et a décidé que tous les paiements, d’un montant total de 4 241 507 euros, effectués au titre dudit marché devaient être considérés comme indûment versés et faire l’objet d’un recouvrement.
29 Par courrier du 8 novembre 2019, la requérante a demandé à la Commission de ne prendre aucune mesure d’exécution de la décision attaquée jusqu’à ce que les demandes de mesures provisoires qu’elle entendait présenter aient pu être entendues par les juges. La Commission n’a pas répondu à cette lettre.
Procédure et faits postérieurs à l’introduction du recours
30 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 novembre 2019, la requérante a introduit le présent recours. Le même jour, elle a également déposé au greffe du Tribunal un recours tendant à l’annulation de la décision TACIS et à la condamnation de l’Union au paiement d’indemnités au titre de sa responsabilité extracontractuelle, cette affaire ayant été enregistrée sous le numéro T‑796/19.
31 Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit une demande en référé dans la présente affaire, par laquelle elle demandait au Tribunal de surseoir à l’exécution de la décision attaquée, d’ordonner à la Commission de ne pas procéder au recouvrement de la somme de 1 197 055,86 euros jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours principal et de réserver les dépens.
32 Le 17 décembre 2019, le Tribunal a décidé de faire droit à la demande d’anonymat présentée par la partie requérante en ce qui concernait la mention de son nom dans les documents afférents à la présente affaire auxquels le public avait accès.
33 Le 30 janvier 2020, la Commission a déposé au greffe du Tribunal le mémoire en défense.
34 Le 7 février 2020, la requérante a attrait l’Union, représentée par la Commission, devant le tribunal de première instance francophone de Bruxelles à qui, en substance, elle a demandé, à titre principal, de juger que l’Union n’était pas en droit de résilier le contrat litigieux et de la condamner à payer la dernière facture émise au titre du contrat litigieux, à libérer la garantie bancaire et à rembourser les coûts engendrés par cette dernière. À titre subsidiaire, la requérante a sollicité la condamnation de l’Union au paiement de dommages-intérêts contractuels équivalents à l’intégralité du montant du marché CARDS, au paiement de la dernière facture d’un montant de 437 649,39 euros, à la libération de la garantie bancaire et au paiement des frais de procédure. En ce qui concernait le marché TACIS, la requérante a également formulé des demandes en substance équivalentes à celles relatives au marché CARDS.
35 En réponse, l’Union a demandé au tribunal de première instance francophone de Bruxelles, en substance, à titre principal, de se déclarer incompétent et, en tout état de cause, de déclarer la demande de la requérante irrecevable, à titre subsidiaire, de surseoir à statuer dans l’attente de questions préjudicielles qui seraient posées à la Cour sur la compétence ou dans l’attente de l’arrêt qui serait rendu par la juridiction européenne, en se réservant de statuer sur le surplus et, à titre encore plus subsidiaire, de rejeter la demande comme non fondée.
36 Le 2 mars 2020, la présidente de la deuxième chambre du Tribunal a rejeté la demande de la Commission tendant à la jonction de la présente affaire et de l’affaire T‑796/19.
37 Par ordonnance du 5 mars 2020, HB/Commission (T‑795/19 R, non publiée, EU:T:2020:88), le président du Tribunal a rejeté la demande en référé pour défaut d’urgence et a réservé les dépens.
38 Le 30 avril 2020, la requérante a déposé au greffe du Tribunal la réplique.
39 Le 13 juillet 2020, la Commission a déposé au greffe du Tribunal la duplique.
40 Le 3 décembre 2020, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, les parties ont été invitées à se prononcer sur la compétence du Tribunal pour examiner la légalité des décisions attaquées dans la présente affaire et dans l’affaire T‑796/19, dans la mesure où, au titre de chacun des marchés conclus avec l’Union, à savoir CARDS et TACIS, elles étaient engagées dans le cadre d’une relation de nature contractuelle et où les litiges liés à cette relation relevaient en principe de la compétence exclusive des juridictions de Bruxelles.
41 Les parties ont déposé leurs réponses au greffe du Tribunal le 19 décembre 2020 en ce qui la Commission et le 21 décembre 2020 en ce qui la requérante.
42 Le 19 février 2021, le tribunal de première instance francophone de Bruxelles a rendu un jugement par lequel il a déclaré qu’il disposait du pouvoir de juridiction requis pour connaître de l’action introduite par la requérante contre l’Union, en ce qui concernait tant le marché TACIS que le marché CARDS, et qu’il se réservait de statuer sur le surplus des demandes, dans l’attente du ou des arrêts du Tribunal dans la présente affaire et dans l’affaire T‑796/19. Il a notamment jugé que l’affaire qui avait été portée devant lui et les deux recours que la requérante avait introduits devant le Tribunal semblaient avoir le même objet. Ces derniers auraient certes visé à obtenir l’annulation de la décision attaquée et de la décision TACIS plutôt qu’un jugement disant que la Commission n’était pas en droit de les adopter, mais, hormis cette différence, l’effet concret que la requérante escomptait aurait été identique dans les deux cas.
43 Le 5 mai 2021, la Commission a adopté la décision C(2021) 3340 final, relative au recouvrement[, au titre du marché CARDS,] d’une créance d’un montant de 1 197 055,86 [euros] à la charge de la [requérante]. À la même date, elle a également adopté la décision C(2021) 3339 final, relative au recouvrement[, au titre du marché TACIS,] d’une créance d’un montant de 4 241 507 [euros] à la charge de la [requérante]. Selon les termes de leur article 5, ces deux décisions forment titre exécutoire en vertu de l’article 299 TFUE.
44 Le 1er juin 2021, la deuxième chambre du Tribunal a décidé de joindre la présente affaire à l’affaire T‑796/19 aux fins de la phase orale de la procédure.
45 Le 4 juin 2021, dans le cadre d’une seconde mesure d’organisation de la procédure, la requérante a été invitée à préciser, dans la présente affaire et dans l’affaire T‑796/19, quels étaient les articles des décisions attaquées contre lesquels était dirigé chacun des moyens formulés au soutien des chefs de conclusions en annulation desdites décisions.
46 Le 21 juin 2021, la requérante a déposé sa réponse au greffe du Tribunal.
47 Le 9 juillet 2021, par requête déposée au greffe du Tribunal, la requérante a introduit un recours tendant, notamment, à l’annulation des décisions C(2021) 3340 final et C(2021) 3339 final de la Commission, l’affaire ayant été enregistrée sous le numéro T‑408/21.
48 Par courrier du 16 juillet 2021 adressé au greffe du Tribunal dans l’affaire T‑408/21, la Commission a indiqué qu’elle n’avait pas l’intention d’exécuter la décision C(2021) 3340 final avant la décision du Tribunal dans la présente affaire et dans l’affaire T‑796/19 et qu’elle s’engageait en ce sens si l’affaire T‑408/21 était suspendue jusqu’au prononcé de la décision dans les deux affaires en question.
49 Par décision du 20 juillet 2021, le président du Tribunal a décidé, conformément à l’article 69, sous c), du règlement de procédure du Tribunal, de suspendre la procédure dans l’affaire T‑408/21 jusqu’à la décision ou jusqu’aux décisions mettant fin à l’instance dans la présente affaire et dans l’affaire T‑796/19.
Conclusions des parties
50 La requérante demande à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler la décision attaquée ;
– ordonner le remboursement de tous les montants éventuellement recouvrés par la Commission sur la base de la décision attaquée, augmentés des intérêts de retard au taux appliqué par la Banque centrale européenne (BCE) majoré de sept points ;
– condamner la Commission au paiement de la dernière facture émise, d’un montant de 437 649,39 euros, augmentée des intérêts de retard au taux appliqué par la BCE majoré de sept points ;
– ordonner la libération de la garantie bancaire et la réparation du préjudice matériel subi du fait de sa libération tardive ;
– condamner la Commission au paiement d’un euro symbolique à titre de dommages-intérêts, sous réserve de parfaire ;
– condamner la Commission aux entiers dépens.
51 La Commission conclut, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter la demande d’annulation de la décision attaquée comme non fondée ;
– rejeter les autres demandes de la requérante comme irrecevables ou, en tout état de cause, non fondées ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur la recevabilité du recours, dans la mesure où il tend à l’annulation de la décision attaquée
52 En l’espèce, la question de la recevabilité du recours, dans la mesure où celui-ci comporte un chef de conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée, se pose d’emblée. En effet, il ne saurait être exclu que cette décision s’inscrive dans un cadre exclusivement contractuel dans lequel les litiges relèvent exclusivement de la compétence des tribunaux de Bruxelles en vertu de la clause attributive de juridiction figurant à l’article 11 des conditions spéciales du contrat litigieux.
53 Or, il y a lieu de rappeler que les conditions de recevabilité d’un recours fondé sur l’article 263 TFUE étant d’ordre public, il convient de les examiner d’office (voir arrêt du 8 septembre 2021, Achema et Achema Gas Trade/Commission, T‑193/19, non publié, EU:T:2021:558, point 35 et jurisprudence citée).
54 Il y a également lieu de rappeler que la compétence du juge de l’Union concernant le contrôle de la légalité des actes visés à l’article 263 TFUE ne s’étend pas aux actes adoptés dans le cadre de relations contractuelles dont le régime juridique est régi par la loi nationale désignée par les parties contractantes (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, points 17 et 18).
55 En effet, si le juge de l’Union se reconnaissait compétent pour statuer en annulation sur des actes s’inscrivant dans un cadre purement contractuel, il risquerait non seulement de vider de son sens l’article 272 TFUE, lequel permet d’attribuer la compétence juridictionnelle de l’Union en vertu d’une clause compromissoire, mais encore, dans les cas où le contrat litigieux ne contiendrait pas pareille clause, d’étendre sa compétence juridictionnelle au-delà des limites tracées par l’article 274 TFUE, lequel confie aux juridictions nationales la compétence de droit commun pour connaître des litiges auxquels l’Union est partie (voir arrêt du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, point 19 et jurisprudence citée).
56 Il en découle que, en présence d’un contrat liant une partie requérante à l’une des institutions de l’Union, le juge de l’Union ne peut être saisi d’un recours sur le fondement de l’article 263 TFUE que si l’acte attaqué vise à produire des effets juridiques contraignants qui se situent en dehors de la relation contractuelle liant les parties et qui impliquent l’exercice de prérogatives de puissance publique conférées à l’institution contractante en sa qualité d’autorité administrative (arrêt du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, point 20).
57 Dans l’hypothèse où une institution, et plus particulièrement la Commission, choisirait, pour allouer des contributions financières, la voie contractuelle dans le cadre de l’article 272 TFUE, elle serait tenue de rester à l’intérieur de ce cadre. Ainsi, il lui incomberait, notamment, d’éviter l’utilisation, dans le cadre des relations avec ses cocontractants, de formulations ambiguës susceptibles d’être perçues par ces derniers comme relevant de pouvoirs de décision unilatéraux dépassant les stipulations contractuelles (arrêt du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, point 21).
58 Par analogie, ces considérations doivent trouver à s’appliquer lorsque la Commission procède au versement de sommes d’argent à son cocontractant en exécution d’un contrat dont les stipulations comportent une clause attributive de juridiction en faveur du juge national, ce dernier étant, au demeurant, le juge naturel du contrat en vertu de l’article 274 TFUE. À cet égard, il convient donc de déterminer, préalablement à l’application de la clause attributive de juridiction, si le litige est de nature contractuelle ou non.
59 Dans la réponse à la question qui lui a été posée dans le cadre de la première mesure d’organisation de la procédure, la requérante fait valoir que, le litige étant de nature contractuelle, la Commission n’était pas compétente pour adopter la décision attaquée. En outre, en l’absence de clause compromissoire, dans la mesure où le contrat litigieux comportait une clause attributive de juridiction désignant comme juge compétent non pas le juge de l’Union, mais le juge belge, ce dernier aurait été seul compétent pour connaître de la légalité de la décision attaquée qui se serait inscrite dans le contrat et qui aurait résulté de ce dernier. La requérante n’aurait saisi le juge de l’Union qu’en raison de la mention figurant à l’article 5 de la décision attaquée, selon laquelle ladite décision était susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE. Au demeurant, la requérante expose qu’elle a également saisi le juge belge.
60 Dans la réponse à la question qui lui a été posée dans le cadre de la première mesure d’organisation de la procédure, la Commission fait valoir que la décision attaquée impose à la requérante une mesure administrative entraînant le retrait d’avantages que cette dernière aurait indûment perçus par le biais de l’irrégularité qu’elle aurait commise. Les effets juridiques de la décision attaquée se situeraient en dehors de la relation contractuelle et modifieraient de façon caractérisée la situation de la requérante en lui faisant subir des conséquences défavorables sur le plan financier et sur le plan de sa réputation.
61 La Commission expose par ailleurs que les effets juridiques de la décision attaquée trouvent leur origine dans l’exercice de prérogatives de puissance publique qui découlent des dispositions, d’une part, du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1, ci-après le « règlement financier de 2018 ») et, d’autre part, du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO 1995, L 312, p. 1). L’article 7 de ce dernier règlement permettrait notamment d’imposer des mesures administratives à des personnes qui ne sont pas parties au contrat, ce qui ne serait pas possible si lesdites mesures étaient de nature contractuelle.
62 Selon la Commission, quand bien même le contrat litigieux ferait explicitement référence à l’adoption de mesures telles que celles qui ont été adoptées au titre de la décision attaquée, la nature juridique de ces mesures resterait définie non par ledit contrat ou par le droit national qui lui est applicable, mais par les règlements qui leur servent de base et qui les qualifient, sans ambiguïté, d’administratives.
63 Par ailleurs, l’irrégularité reprochée à la requérante aurait été commise avant la conclusion du contrat et ne serait donc liée ni à celui-ci ni à son exécution. La clause attributive de juridiction, en ce qu’elle serait dépourvue d’effet rétroactif, ne pourrait trouver à s’appliquer à des agissements qui ont précédé la signature du contrat. Les infractions administratives, à l’instar des infractions pénales, ne pourraient pas relever de la compétence du juge du contrat, car cela compromettrait la capacité de l’administration de l’Union à protéger les intérêts financiers de cette dernière.
64 Il convient donc de déterminer en l’espèce si la décision attaquée relevait exclusivement de la relation contractuelle entre les parties ou si elle s’inscrivait, en tout ou partie, en dehors du cadre contractuel et pouvait être détachée du contrat litigieux, dans la mesure où la Commission, qui s’était tout d’abord référée exclusivement aux stipulations contractuelles dans ses échanges avec la requérante (voir points 10, 11, 13 et 16 ci-dessus) et avait ensuite entrepris de présenter ses demandes à l’encontre de la requérante en se constituant partie civile dans le cadre de procédures pénales nationales, prétendait enfin agir en vertu de prérogatives tirées d’actes extérieurs au contrat litigieux.
65 En effet, la nature, contractuelle ou non, de la décision attaquée est susceptible de déterminer s’il s’agit d’un acte dont le Tribunal peut examiner la légalité. À cet égard, il y a lieu de rappeler que, pour déterminer si un acte est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation en vertu de l’article 263 TFUE, il convient de s’attacher à la substance même de cet acte, la forme dans laquelle il a été pris étant, en principe, indifférente à cet égard (voir arrêt du 25 février 2021, VodafoneZiggo Group/Commission, C‑689/19 P, EU:C:2021:142, point 97 et jurisprudence citée).
66 À titre liminaire, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que soutient la requérante dans le recours, la décision attaquée n’a pas été adoptée sur le fondement de l’article 299 TFUE. En effet, outre qu’elle ne comporte pas le visa de cet article, ladite décision, au regard de son contenu, s’inscrit tout au plus dans la démarche de la Commission visant à faire constater le montant de la créance dont elle sollicite le remboursement et correspond, de même que la note de débit qui l’accompagne, à une simple mise en demeure de payer adressée à la requérante (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, point 23). De telles constatations sont, en ce qui concerne la décision attaquée, au demeurant conformes à l’analyse qui figure aux points 53 et 55 de l’ordonnance du 5 mars 2020, HB/Commission (T‑795/19 R, non publiée, EU:T:2020:88).
67 Premièrement, en ce qui concerne l’article 1er de la décision attaquée, son libellé se réfère exclusivement à la procédure d’attribution de l’appel d’offres qui a débouché sur l’attribution du marché CARDS.
68 En vertu de cet article et des motifs sur lesquels il s’appuie dans la décision attaquée, à savoir la description des irrégularités que la Commission impute au consortium, en particulier aux considérants 3 et 4, sous le titre « Irrégularités alléguées », aux considérants 22 à 25, sous le titre « Preuve des irrégularités », et au considérant 26, sous le titre « Les irrégularités sont imputables à [la requérante] », la Commission a entendu constater, de manière définitive, l’existence d’irrégularités au sens de l’article 103 du règlement financier de 2002, selon les conditions procédurales découlant de l’article 131 du règlement financier de 2018 ainsi qu’au sens du règlement no 2988/95.
69 Selon la Commission, ces irrégularités, qui consistent en des violations du principe d’égalité entre soumissionnaires, imputables au consortium coordonné par la requérante, signataire du contrat litigieux, se rapportent à l’attribution du marché CARDS, dans le cadre de la procédure d’appel d’offres, et non au contrat litigieux en tant que tel.
70 Toutefois, si la Commission prétend que l’article 1er de la décision attaquée s’inscrit dans l’exercice des pouvoirs administratifs qui lui ont été conférés aux fins de la protection des intérêts financiers de l’Union, il n’en demeure pas moins que la décision attaquée a été adoptée alors que la procédure d’appel d’offres, de nature administrative, était achevée et que le contrat litigieux avait été signé.
71 Or, si les procédures d’appel d’offres, qui régissent les rapports entre le pouvoir adjudicateur et les soumissionnaires aux marchés publics de l’Union, sont des procédures de nature administrative, qui, de ce fait, ne relèvent pas du cadre contractuel (voir, par analogie, arrêts du 8 octobre 2008, Sogelma/AER, T‑411/06, EU:T:2008:419, point 38, et du 8 juillet 2010, Evropaïki Dynamiki/AEE, T‑331/06, non publié, EU:T:2010:292, point 34), il n’en demeure pas moins que, après la signature du contrat, comme c’était le cas en l’espèce, le pouvoir adjudicateur est engagé contractuellement envers le soumissionnaire choisi.
72 Cela a pour effet que les pouvoirs que le pouvoir adjudicateur tire des dispositions du droit dérivé, comme en l’espèce ceux qui lui sont conférés en vertu de la section 4, chapitre 1, titre V, du règlement financier de 2002, intitulée « Garanties et contrôle », qui regroupe les articles 102 et 103 dudit règlement, s’inscrivent, à compter de la signature du contrat, dans le cadre de relations contractuelles. À cet égard, il convient de relever que le Tribunal a déjà jugé que l’ensemble des dispositions du règlement (CE) no 2519/97 de la Commission, du 16 décembre 1997, portant modalités générales de mobilisation de produits à fournir au titre du règlement (CE) no 1292/96 du Conseil pour l’aide alimentaire communautaire (JO 1997, L 346, p. 23), et, notamment, l’article 22 dudit règlement, qui concernait la mise en œuvre et la libération par la Commission de garanties financières, étaient devenus, à la suite de l’acceptation d’un marché de fourniture par un soumissionnaire, les clauses d’un contrat de fourniture liant désormais la Commission à ce soumissionnaire, devenu son cocontractant (voir, en ce sens, ordonnance du 9 juin 2005, Helm Düngemittel/Commission, T‑265/03, EU:T:2005:213, point 45).
73 L’affirmation de la Commission selon laquelle elle pouvait adopter unilatéralement la décision attaquée en dehors du cadre contractuel ne saurait donc être suivie et il y a lieu, au contraire, de considérer que, dès lors que le contrat litigieux avait été conclu, la relation entre la requérante et l’Union présentait une nature contractuelle, de sorte que, par l’article 1er de la décision attaquée, la Commission entendait, en substance, établir le constat d’un vice affectant la conclusion dudit contrat.
74 Dans la mesure où, en vertu de la clause de droit applicable, la loi belge s’applique au contrat litigieux, le vice susceptible d’affecter la conclusion de ce dernier, ainsi que cela est rappelé au point 18 du jugement du 19 février 2021 du tribunal de première instance francophone de Bruxelles, pouvait correspondre en droit belge des contrats à un « dol », défini comme l’ensemble des manœuvres auxquelles se livre une partie afin d’obtenir le consentement de l’autre partie, sanctionné par la nullité du contrat.
75 En outre, il y a lieu de rejeter l’argument de la Commission selon lequel, en substance, la décision attaquée, du seul fait qu’elle aurait été adoptée sur le fondement de dispositions de droit dérivé, relèverait, en tout ou partie, de la sphère administrative.
76 En effet, à supposer que les règlements financiers de 2002 et de 2018 ainsi que le règlement no 2988/95 autorisent la Commission, sous certaines conditions, à mettre en œuvre des mesures relevant de prérogatives de puissance publique, il résulte de ce qui est énoncé au point 56 ci-dessus que cela ne saurait suffire, dès lors que la mise en œuvre de ces règlements trouve son origine dans des manquements imputés à une partie engagée dans une relation contractuelle avec l’Union, à exclure d’emblée lesdites mesures du cadre contractuel.
77 À cet égard il convient de rappeler que, en vertu de l’article 288, deuxième alinéa, TFUE, le règlement a une portée générale, est obligatoire dans tous ses éléments et est directement applicable dans tout État membre. Les dispositions d’un règlement, comme celles invoquées en l’espèce par la Commission, trouvent donc à s’appliquer directement au contrat litigieux (voir, par analogie, arrêt du 9 février 2017, S., C‑283/16, EU:C:2017:104, points 47 à 50), sans changer la nature de la relation entre l’Union, représentée par la Commission, et la requérante.
78 Il y a donc lieu de considérer que l’article 1er de la décision attaquée s’inscrit dans le cadre contractuel.
79 Deuxièmement, en ce qui concerne, d’une part, l’article 2 de la décision attaquée et les motifs sur lesquels cet article s’appuie, en vertu desquels une réduction à 0 euro du montant du marché CARDS a été décidée et, d’autre part, l’article 3 de la décision attaquée, qui constate le caractère indu des versements effectués au titre dudit marché et décide de leur recouvrement, il convient de relever qu’ils sont la conséquence directe du constat fait par la Commission de l’existence d’irrégularités substantielles commises par la requérante, en sa qualité de cocontractante, qui ont affecté l’attribution du marché CARDS et, partant, la conclusion du contrat litigieux.
80 Si les mesures en question sont mentionnées, en substance, à l’article 103, second alinéa, du règlement financier de 2002, lequel permet au pouvoir adjudicateur, notamment, de « recouvrer les montants déjà versés, proportionnellement à la gravité desdites […] irrégularités ou fraudes », le facteur déterminant à prendre en considération est toutefois le fait qu’elles sont intervenues après l’attribution du marché CARDS, alors que les parties étaient engagées l’une envers l’autre au titre du contrat litigieux et qu’elles avaient déjà exécuté une part substantielle de leurs obligations respectives. Lesdites mesures consistent, en substance, à constater la résiliation du contrat litigieux, c’est-à-dire de sa fin anticipée, avec pour conséquence l’annulation, avec effet rétroactif, des effets obligatoires découlant de celui-ci en raison des irrégularités imputées à la requérante.
81 Or, indépendamment de la question de l’application directe des dispositions de droit dérivé au contrat litigieux, les stipulations de ce dernier permettaient à elles seules la mise en œuvre de telles mesures par la Commission.
82 Tout d’abord, la décision attaquée mentionne expressément et successivement l’article 35.1, l’article 36.3, sous g), et l’article 30.5 des conditions générales du marché qui, en tant qu’annexe 1 du contrat litigieux, font partie intégrante des stipulations contractuelles régissant les relations entre les parties. À cet égard, sous le titre « Suspension du contrat », l’article 35.1 des conditions générales du marché stipule que, « [q]uand la procédure d’attribution ou l’exécution du contrat est entravée par des erreurs substantielles ou des irrégularités ou de la fraude, le pouvoir adjudicateur peut suspendre l’exécution du contrat ».
83 Ensuite, sous le titre « Résiliation par l’autorité contractante », l’article 36.3, sous g), des conditions générales du marché stipule qu’« [e]n complément des motifs de résiliation définis dans les présentes conditions générales, l’autorité contractante est autorisée à résilier le contrat à l’issue d’un préavis de sept jours notifié au consultant [lorsque ce dernier] s’est rendu coupable d’une faute professionnelle grave prouvée par tout moyen dont l’autorité contractante peut justifier ».
84 En outre, sous le titre « Garantie financière », l’article 30.5 des conditions générales du marché stipule quant à lui que « [d]ans les cas de contrats à prix unitaires, la garantie financière éventuelle doit être libérée en une fois, au plus tard au moment où 80 % du contrat ont été payés ».
85 Enfin, le considérant 29 de la décision attaquée mentionne la section 13, sous a), des instructions aux soumissionnaires pour la procédure de passation du marché, intitulée « Clauses déontologiques/Pratiques de corruption ». Or, ces instructions ont une influence directe sur la relation contractuelle entre les parties, dans la mesure où elles visent spécialement les obligations à la charge des soumissionnaires lors de la phase administrative de soumission au marché public précédant la conclusion définitive du contrat, de sorte qu’elles conditionnent les conditions d’engagement des parties dans une relation qui est destinée à s’inscrire dans le cadre contractuel dès l’attribution du marché CARDS et la signature du contrat litigieux. Elles prévoient, en substance, la mise en œuvre de sanctions à l’encontre du soumissionnaire qui, notamment, tente de se procurer des informations confidentielles ou d’influencer l’attribution du marché.
86 Il y a donc lieu de constater que les articles 2 et 3 de la décision attaquée concernent les obligations contractuelles des parties, exécutées postérieurement à l’attribution du marché, et qu’ils relèvent du cadre contractuel.
87 Troisièmement, en ce qui concerne l’article 4 du dispositif de la décision attaquée, ce dernier concerne la communication à la requérante d’une note de débit et l’émission d’un ordre de recouvrement portant sur les paiements déjà effectués en faveur de cette dernière par l’Union dans le cadre du contrat litigieux. Sa mise en œuvre est la conséquence directe des articles 2 et 3 de la décision attaquée. Par conséquent, il doit être considéré comme relevant également du cadre contractuel.
88 Quatrièmement, en ce qui concerne l’article 5 de la décision attaquée, en ce qu’il désigne le juge de l’Union comme étant le juge compétent pour connaître d’une demande en annulation de cette dernière, il relève à l’évidence de la sphère administrative, mais n’est susceptible de produire des effets qu’à l’égard des dispositions de ladite décision ne relevant pas du cadre contractuel. Or, ainsi que cela résulte de l’analyse des articles 1er à 4 de la décision attaquée, ces derniers relèvent du cadre contractuel, de sorte que l’article 5 de la décision attaquée n’est pas susceptible de remettre en cause la nature contractuelle de la relation entre les parties et, partant, la compétence du juge national pour connaître de tout litige lié au contrat litigieux.
89 Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, il apparaît que la décision attaquée est uniquement susceptible de produire des effets relevant du cadre contractuel et qu’elle ne peut pas être détachée du contrat litigieux.
90 Par conséquent, compte tenu de sa nature, la décision attaquée n’appartient pas à la catégorie des actes dont l’annulation peut être demandée au juge de l’Union aux termes de l’article 263 TFUE. Il s’ensuit qu’il y a lieu de déclarer d’office irrecevable le chef de conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée (voir, par analogie, arrêt du 9 juillet 2013, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, T‑552/11, non publié, EU:T:2013:349, points 30 et 31).
Sur le chef de conclusions tendant à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union
91 La requérante fait valoir que la responsabilité extracontractuelle de l’Union sur le fondement de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE est engagée.
92 Dans le cadre de la demande indemnitaire, ainsi que cela ressort des points 168 à 184 de la requête, la requérante a inclus la totalité de ses chefs de conclusions autres que la demande d’annulation de la décision attaquée.
93 À cet égard, la requérante expose que les manquements imputés à la Commission et qui sont invoqués dans le cadre du présent recours constituent des violations suffisamment caractérisées d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. La Commission aurait en effet adopté la décision attaquée en l’absence de base juridique et en méconnaissant une règle supérieure de droit protégeant les particuliers, puisqu’elle a privé la requérante des garanties procédurales contractuelles offertes par la voie judiciaire lorsqu’elle a décidé de recouvrer unilatéralement une créance contractuelle, alors que le contrat litigieux était dépourvu de clause compromissoire. La Commission aurait également violé, d’une part, le principe de sécurité juridique en ne respectant pas les règles régissant le délai de prescription ainsi que, en tout état de cause, le principe du délai raisonnable et, d’autre part, le respect dû à l’autorité de la chose jugée attachée au jugement du tribunal de première instance francophone de Bruxelles du 5 octobre 2017 ainsi que l’adage « le pénal tient l’administratif en l’état ». Les moyens soulevés par la requérante au titre de sa demande d’annulation de la décision attaquée démontreraient également l’existence de telles violations suffisamment caractérisées.
94 La requérante expose par ailleurs que son préjudice est réel et certain, car le recouvrement des sommes qui lui ont déjà été versées au titre du marché, qui sont réclamées par la Commission et qui excèdent ses capacités financières, menace son existence même. Son préjudice matériel résulterait également de l’absence de paiement de la dernière facture, d’un montant de 437 649,39 euros, outre les intérêts, et des coûts liés à la garantie bancaire qu’elle a souscrite en faveur de l’Union au titre du marché CARDS. En outre, sa faillite ou une situation analogue l’exclurait de marchés publics futurs avec l’Union, au regard de l’article 136.1, sous a), du règlement financier de 2018. La requérante invoque enfin un préjudice moral, estimé, sous réserve de parfaire, à la somme de 1 euro, tiré de l’état d’incertitude dans lequel la décision attaquée l’a placée pendant plus de huit années et d’une atteinte à sa réputation.
95 La Commission a soulevé une fin de non-recevoir à l’égard de la demande indemnitaire et des autres chefs de conclusions de la requérante, qui devraient être déclarés irrecevables ou, en tout état de cause, non fondés. Elle conteste en particulier la recevabilité des mesures visant à ce que le Tribunal lui ordonne le paiement de la dernière facture émise par la requérante et la libération de la garantie bancaire au motif que, selon la jurisprudence, le Tribunal ne peut adresser une injonction aux institutions ou se substituer à ces dernières dans le cadre du contrôle de légalité.
96 Sur le fond, la Commission fait en outre valoir qu’aucune des conditions d’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union n’est remplie. Premièrement, elle conteste l’illégalité du comportement qui lui est reproché en renvoyant à cet égard à ses arguments relatifs à la réfutation de la demande d’annulation de la décision attaquée. Deuxièmement, elle expose que la requérante n’a fourni aucun élément de nature à démontrer le lien de causalité entre le manquement reproché et le préjudice invoqué, en violation de l’article 76 du règlement de procédure, ce qui pourrait rendre la requête irrecevable en ce qui concerne son volet indemnitaire. Troisièmement, le préjudice matériel invoqué par la requérante, consistant en les montants éventuellement recouvrés en exécution de la décision attaquée, ne se serait pas encore matérialisé à la date de soumission du mémoire en défense, dans la mesure, en particulier, où la décision attaquée ne constituerait pas un titre exécutoire au sens de l’article 299 TFUE. Ce préjudice présenterait en outre un caractère purement hypothétique, et serait donc dépourvu de caractère certain, en ce qu’il découlerait de l’éventuelle faillite imminente de la requérante ou de son assurance de ne plus remporter de futurs marchés avec l’Union. La requérante n’aurait au surplus apporté aucun élément de preuve du coût allégué de la garantie bancaire. S’agissant enfin du préjudice moral, à le supposer avéré, celui-ci pourrait être suffisamment réparé par l’annulation de la décision attaquée. Enfin, les poursuites pénales conduites par les autorités belges, et non par la Commission, seraient seules à l’origine de cet éventuel préjudice moral.
97 En vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, en matière de responsabilité non contractuelle, l’Union doit réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions.
98 L’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, pour comportement illicite de ses organismes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué (voir arrêt du 2 mars 2010, Arcelor/Parlement et Conseil, T‑16/04, EU:T:2010:54, point 139 et jurisprudence citée).
99 Toutefois, il y a lieu d’observer que la violation d’une disposition contractuelle par une institution ne peut, en elle-même, engager la responsabilité non contractuelle de ladite institution à l’égard de l’une des parties avec lesquelles elle a conclu le contrat contenant ladite disposition. En effet, dans un tel cas, le manquement imputable à cette institution a une origine purement contractuelle et émane de son engagement en raison de sa qualité de partie contractante et non en raison d’une quelconque autre qualité, comme celle d’autorité administrative (voir, en ce sens, arrêt du 3 mai 2018, Sigma Orionis/Commission, T‑48/16, EU:T:2018:245, point 162).
100 En l’espèce, ainsi qu’il résulte de l’examen du chef de conclusions tendant à l’annulation de la décision attaquée, les relations entre les parties s’inscrivent dans le cadre de la conclusion et de l’exécution du contrat litigieux.
101 Or, les manquements imputés par la requérante à la Commission, cette dernière agissant en tant que représentante de l’Union dans le cadre du contrat litigieux, relèvent également du cadre contractuel et émanent de l’engagement de l’Union en tant que partie audit contrat, et non de manquements que la Commission aurait commis en une autre qualité, telle que celle d’autorité administrative, puisque la Commission n’agissait pas en cette qualité, en dépit de ses allégations en ce sens.
102 À cet égard, il convient de constater que les chefs de préjudice invoqués par la requérante trouvent eux-mêmes exclusivement leur origine dans les manquements imputés à la Commission au titre de ses obligations contractuelles, qu’il s’agisse, premièrement, du remboursement des montants éventuellement recouvrés par la Commission sur la base de la décision attaquée, deuxièmement, de la demande de paiement de la dernière facture émise, troisièmement, du défaut de libération de la garantie bancaire, voire de sa libération tardive, ou, quatrièmement, du préjudice découlant tant de l’état d’incertitude dans lequel la décision attaquée aurait placé la requérante que de l’atteinte alléguée à sa réputation, en ce que la décision attaquée aurait été adoptée en méconnaissance des stipulations contractuelles qui renvoyaient tout litige lié au contrat litigieux à la compétence des juridictions de Bruxelles.
103 Au regard des développements qui précèdent, il y a lieu de constater que l’une des conditions nécessaires à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, à savoir l’existence d’une illégalité ne découlant pas uniquement de la relation contractuelle entre les parties, n’est pas remplie. Partant, la demande indemnitaire formée par la requérante doit être rejetée comme non fondée, sans qu’il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par la Commission.
104 Dans ces circonstances, le présent recours doit être rejeté dans son intégralité.
Sur les dépens
105 Aux termes de l’article 135, paragraphe 2, du règlement de procédure, le Tribunal peut condamner une partie, même gagnante, partiellement ou totalement aux dépens, si cela apparaît justifié en raison de son attitude, y compris avant l’introduction de l’instance, en particulier si elle a fait exposer à l’autre partie des frais que le Tribunal reconnaît comme frustratoires ou vexatoires.
106 Selon la jurisprudence, il y a lieu de faire application de cette disposition lorsqu’une institution ou un organisme de l’Union a favorisé, par son comportement, la naissance du litige [voir arrêt du 8 juillet 2015, European Dynamics Luxembourg e.a./Commission, T‑536/11, EU:T:2015:476, point 391 (non publié) et jurisprudence citée].
107 Compte tenu des circonstances de l’espèce, le Tribunal estime que, par son comportement, en particulier par la formulation de l’article 5 de la décision attaquée, la Commission est à l’origine de la saisine du Tribunal dans la présente affaire.
108 Dans ces conditions, quand bien même la requérante a succombé en ses conclusions, le Tribunal estime qu’il sera fait une juste appréciation des circonstances de l’espèce en décidant que la Commission supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par la requérante, y compris ceux afférents à la procédure de référé.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (deuxième chambre)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté comme irrecevable, dans la mesure où il tend à l’annulation de la décision C(2019) 7319 final de la Commission, du 15 octobre 2019, relative à la réduction des montants dus au titre du marché CARDS/2008/166-429 et au recouvrement des montants indûment versés.
2) Le recours est rejeté comme non fondé, dans la mesure où il tend à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union européenne.
3) La Commission européenne est condamnée aux dépens, y compris à ceux afférents à la procédure de référé.
Tomljenović | Schalin | Nõmm |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 21 décembre 2021.
Signatures
* Langue de procédure : le français.
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