Leonardo v Frontex (Judgment) French Text [2022] EUECJ T-849/19 (26 January 2022)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2022/T84919.html
Cite as: ECLI:EU:T:2022:28, [2022] EUECJ T-849/19, EU:T:2022:28

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ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

26 janvier 2022 (*)

« Marchés publics de services – Procédure d’appel d’offres – Services de surveillance aérienne – Recours en annulation – Absence d’intérêt à agir – Irrecevabilité – Responsabilité non contractuelle »

Dans l’affaire T‑849/19,

Leonardo SpA, établie à Rome (Italie), représentée par Mes M. Esposito, F. Caccioppoli et G. Calamo, avocats,

partie requérante,

contre

Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), représentée par MM. H. Caniard, C. Georgiadis, A. Gras et S. Drew, en qualité d’agents, assistés de Mes M. Umbach, F. Biebuyck, V. Ost et M. Clarich, avocats,

partie défenderesse,

ayant pour objet, d’une part, une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de l’avis de marché FRONTEX/OP/888/2019/JL/CG, du 18 octobre 2019, intitulé « Système d’aéronefs télépilotés (RPAS) pour la surveillance aérienne de longue durée à altitude moyenne des zones maritimes », tel que rectifié, des actes qui y sont joints en annexe, des questions-réponses publiées par Frontex, du procès-verbal de la réunion d’information organisée dans les locaux de Frontex le 28 octobre 2019, de la décision d’attribution de ce marché ainsi que de tout autre acte préalable, connexe ou consécutif et, d’autre part, une demande fondée sur l’article 268 TFUE et tendant à obtenir réparation du préjudice que la requérante aurait subi de ce fait,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),

composé de M. S. Papasavvas, président, Mme M. J. Costeira, M. J. Schwarcz, Mmes M. Kancheva et T. Perišin (rapporteure), juges,

greffier : M. J. Palacio González, administrateur principal,

vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 11 juin 2021,

rend le présent

Arrêt

 Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours

1        Le 18 octobre 2019, par avis de marché publié au Supplément au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2019/S 0202‑490010), l’Agence européenne de garde‑frontières et de garde‑côtes (Frontex) a lancé la procédure d’appel d’offres FRONTEX/OP/888/2019/JL/CG intitulé « Système d’aéronefs télépilotés (RPAS) pour la surveillance aérienne de longue durée à altitude moyenne des zones maritimes » (ci‑après l’« avis de marché attaqué »), afin d’acquérir des services de surveillance aérienne du domaine maritime au moyen du système d’aéronef télépiloté de moyenne altitude et de longue endurance européen (« MALE RPAS »). Cet avis a fait l’objet de deux rectifications, les 8 et 22 novembre 2019, qui ont reporté la date limite de soumission et la date d’ouverture des offres.

2        Le terme du délai de dépôt des offres a été fixé, conformément aux rectifications de l’avis de marché intervenues en cours de procédure, au 13 décembre 2019 et la date d’ouverture des offres au 20 décembre 2019. Trois entreprises ont présenté des offres.

3        La requérante, Leonardo SpA, société active dans le secteur aérospatial, n’a pas participé à la procédure d’appel d’offres lancée par l’avis de marché attaqué.

4        Le 31 mai 2020, le comité d’évaluation des offres a présenté son rapport d’évaluation à l’ordonnateur compétent.

5        Le 12 juin 2020, l’ordonnateur compétent a approuvé le rapport d’évaluation des offres et a signé la décision d’attribution du marché (ci-après la « décision d’attribution attaquée ») ainsi que les lettres adressées aux trois soumissionnaires pour les informer de l’état de la procédure. N’ayant pas participé à la procédure, la requérante n’a pas reçu de lettre.

6        Par une demande d’accès aux documents enregistrée le 30 juin 2020, la requérante a demandé à pouvoir obtenir copie de tous les documents relatifs à la procédure de passation du marché en cause, et notamment de la décision d’attribution attaquée, des procès-verbaux de la procédure d’appel d’offres, des documents présentés par le soumissionnaire ayant remporté le marché et de tous les autres documents versés au dossier de la procédure (ci-après la « demande d’accès »). Par lettre du 10 août 2020, Frontex a refusé l’accès aux documents demandés.

 Procédure et conclusions des parties

7        Par requête déposée au greffe du Tribunal le 16 décembre 2019, la requérante a introduit le présent recours.

8        Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le même jour, la requérante a introduit une demande en référé dans laquelle elle conclut, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal de surseoir à l’exécution de l’avis de marché attaqué, tel que rectifié, des actes qui y sont annexés, des questions-réponses publiées par Frontex (ci-après les « questions-réponses »), du procès-verbal de la réunion d’information qui s’est tenue à Varsovie le 28 octobre 2019 (ci-après la « réunion d’information ») ainsi que de tout autre acte préalable, connexe ou consécutif. Le président du Tribunal, par ordonnance du 20 avril 2020, Leonardo/Frontex (T‑849/19 R, non publiée, EU:T:2020:154), a rejeté cette demande et réservé les dépens.

9        Le 18 février 2020, Frontex a déposé le mémoire en défense.

10      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 11 août 2020, la requérante a déposé un nouveau mémoire dans lequel elle a conclu, en substance, à ce qu’il plaise au Tribunal d’annuler également la décision d’attribution attaquée, ainsi que tout autre acte préalable, connexe ou consécutif, et d’ordonner à Frontex de produire les documents sollicités dans la demande d’accès aux documents, conformément à l’article 91 du règlement de procédure du Tribunal.

11      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 12 août 2020, la requérante a introduit une demande en référé, dans laquelle elle a conclu, en substance, à ce qu’il plaise au président du Tribunal de surseoir à l’exécution des actes attaqués visés dans la requête ainsi que de ceux visés dans le mémoire du 11 août 2020. À la même date, la requérante a présenté un complément à la demande en référé. Le président du Tribunal, par ordonnance du 11 novembre 2020, Leonardo/Frontex (T‑849/19 RII, non publiée, EU:T:2020:539), a rejeté cette demande et réservé les dépens.

12      Par acte séparé, déposé au greffe du Tribunal le 1er septembre 2020, la requérante a produit, en vertu de l’article 84 du règlement de procédure, des moyens nouveaux.

13      Par acte déposé au greffe du Tribunal le 4 octobre 2020, Frontex a présenté des observations sur les mémoires des 11 août et 1er septembre 2020.

14      Le 27 janvier 2021, dans le cadre d’une mesure d’organisation de la procédure, le Tribunal a invité les parties à répondre par écrit à plusieurs questions concernant la recevabilité du recours. Les parties ont déféré à cette mesure dans le délai imparti.

15      Sur proposition de la neuvième chambre du Tribunal, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 de son règlement de procédure, de renvoyer l’affaire devant une formation de jugement élargie.

16      Un membre de la neuvième chambre élargie du Tribunal ayant été empêché de siéger, le président du Tribunal a désigné un autre juge pour compléter la chambre.

17      Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal à l’audience du 11 juin 2021.

18      La requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler l’avis de marché attaqué, tel que rectifié, les actes qui y sont annexés, les questions-réponses, le procès-verbal de la réunion d’information, ainsi que tout autre acte préalable, connexe ou consécutif (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués visés dans la requête ») ;

–        annuler la décision d’attribution attaquée, ainsi que tout autre acte préalable, connexe ou consécutif, visé dans le mémoire du 11 août 2020 ;

–        condamner Frontex à la réparation de l’ensemble des dommages subis et à venir, directs et indirects, découlant, à quelque titre que ce soit, du caractère illégal de l’appel d’offres en cause ;

–        ordonner une expertise afin d’établir que les clauses contestées de l’avis de marché attaqué sont déraisonnables, inutiles et non conformes à la législation applicable en la matière, que ces clauses l’ont empêchée de formuler une offre et qu’il existait des raisons appropriées en termes de coûts et de faisabilité technique pour diviser le marché en deux ou plusieurs lots ;

–        ordonner à Frontex de produire les documents sollicités dans la demande d’accès aux documents relative à la procédure de passation du marché en cause ;

–        condamner Frontex aux dépens.

19      Frontex conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        rejeter le recours ;

–        condamner la requérante aux dépens.

 En droit

 Sur les demandes en annulation

20      Il convient, d’abord, d’examiner la recevabilité des demandes en annulation des actes attaqués visés dans la requête et dans le mémoire du 11 août 2020.

21      Dans ses réponses aux questions écrites du Tribunal, mentionnées au point 14 ci-dessus, Frontex fait valoir que la demande en annulation des actes attaqués visés dans la requête est irrecevable dans la mesure où elle ne répond pas aux exigences visées par l’article 263 TFUE. Elle affirme que l’avis de marché attaqué ne constitue pas un acte attaquable, que la requérante n’est ni individuellement ni directement concernée par les actes attaqués visés dans la requête et qu’elle ne peut se prévaloir d’aucun intérêt à agir.

22      La requérante considère que son recours remplit les conditions de recevabilité fixées par l’article 263 TFUE.

23      À cet égard, en premier lieu, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, un recours en annulation intenté par une personne physique ou morale n’est recevable que dans la mesure où cette dernière a un intérêt à voir l’acte attaqué annulé. Un tel intérêt suppose que l’annulation de cet acte soit susceptible, par elle-même, d’avoir des conséquences juridiques et que le recours puisse ainsi, par son résultat, procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir arrêt du 20 décembre 2017, Binca Seafoods/Commission, C‑268/16 P, EU:C:2017:1001, point 44 et jurisprudence citée).

24      En l’espèce, la requérante soutient qu’elle n’a pas participé à la procédure d’appel d’offres en cause, car les prescriptions du cahier des charges l’auraient empêchée de déposer une offre. La question qui se pose est donc celle de savoir si, dans de telles conditions, elle justifie d’un intérêt à agir au sens de l’article 263 TFUE à l’encontre dudit appel d’offres.

25      À cet égard, la Cour a jugé, en réponse à une question préjudicielle visant l’interprétation de l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO 1989, L 395, p. 33), telle que modifiée par la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007 (JO 2007, L 335, p. 31), que la participation à une procédure de passation d’un marché peut, en principe, valablement constituer une condition dont la satisfaction est requise pour établir que la personne concernée justifie d’un intérêt à obtenir le marché en cause ou risque de subir un préjudice du fait du caractère prétendument illégal de la décision d’attribution dudit marché (voir arrêt du 28 novembre 2018, Amt Azienda Trasporti e Mobilità e.a., C‑328/17, EU:C:2018:958, point 46 et jurisprudence citée).

26      Toutefois, la Cour a jugé que, dans l’hypothèse où une entreprise n’a pas présenté une offre en raison de la présence de spécifications prétendument discriminatoires dans les documents relatifs à l’appel d’offres ou dans le cahier des charges, lesquelles l’auraient précisément empêchée d’être en mesure de fournir l’ensemble des prestations demandées, il serait excessif d’exiger d’elle qu’elle présente, avant de pouvoir utiliser les procédures de recours prévues par la directive 89/665 à l’encontre de telles spécifications, une offre dans le cadre de la procédure de passation du marché en cause, alors même que ses chances de se voir attribuer ce marché seraient nulles en raison de l’existence desdites spécifications (voir arrêt du 28 novembre 2018, Amt Azienda Trasporti e Mobilità e.a., C‑328/17, EU:C:2018:958, point 47 et jurisprudence citée).

27      En outre, la Cour a précisé que, dans la mesure où ce n’est qu’à titre exceptionnel qu’un droit de recours peut être reconnu à un opérateur qui n’a pas soumis d’offre, il ne saurait être considéré comme excessif d’exiger de celui-ci qu’il démontre que les clauses de l’appel d’offres rendent impossible la formulation même d’une offre (arrêt du 28 novembre 2018, Amt Azienda Trasporti e Mobilità e.a., C‑328/17, EU:C:2018:958, point 53).

28      Bien que cet arrêt ait été rendu à la suite d’une question préjudicielle relative à l’interprétation de dispositions de la directive 89/665, laquelle ne lie que les États membres, la solution qu’il dégage peut être, mutatis mutandis, appliquée dans un cas comme celui de l’espèce, dans lequel la requérante affirme avoir été empêchée de déposer une offre en raison des spécifications techniques des documents de l’appel d’offres lancé par une agence de l’Union européenne, spécifications techniques qu’elle conteste.

29      Il convient donc de déterminer si la requérante a établi avoir été empêchée de déposer une offre et, partant, si elle justifie d’un intérêt à agir.

30      Afin de démontrer qu’elle a été empêchée de déposer une offre, la requérante fait valoir que l’avis de marché attaqué, tel que rectifié, les actes qui y sont annexés, les questions-réponses et le procès-verbal de la réunion d’information, visés dans la requête, contenaient des clauses discriminatoires rendant impossible la fourniture, par ses soins, de l’ensemble des prestations demandées.

31      À cet égard, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, les principes d’égalité de traitement, de non-discrimination et de transparence revêtent une importance cruciale en ce qui concerne les spécifications techniques, eu égard aux risques de discrimination liés soit au choix de celles-ci, soit à la manière de les formuler [voir, s’agissant de la directive 2004/18/CE du Parlement européen et du Conseil, du 31 mars 2004, relative à la coordination des procédures de passation des marchés publics de travaux, de fournitures et de services (JO 2004, L 134, p. 114), arrêt du 10 mai 2012, Commission/Pays-Bas, C‑368/10, EU:C:2012:284, point 62].

32      Premièrement, il convient de rappeler que la phase d’évaluation et de définition des besoins est, en règle générale, unilatérale dans le cadre de la passation d’un marché public ordinaire. Le pouvoir adjudicateur se contente, en effet, de lancer un appel d’offres mentionnant les spécifications qu’il a lui-même arrêtées (arrêt du 4 juin 2020, Remondis, C‑429/19, EU:C:2020:436, point 33).

33      Or, en l’espèce, la procédure d’appel d’offres en cause a été précédée par la procédure d’appel d’offres FRONTEX/OP/800/2017/JL, lancée en 2017, qui visait la réalisation d’essais de deux types de systèmes RPAS. L’objectif poursuivi par cette procédure était, selon les termes de l’avis de marché, « de permettre à Frontex de continuer son analyse et son évaluation des RPAS capables de procéder à la surveillance de longue durée des frontières maritimes ». En outre, il était indiqué que « cette analyse se concentrerait notamment sur la capacité d’une telle plateforme à fournir des services de surveillance de manière régulière, fiable et rentable ». Ce marché était divisé en deux lots, le premier visant l’essai d’un MALE RPAS de taille standard pour la surveillance aérienne de longue durée de la frontière maritime, pour un maximum de 600 heures de vol dans des zones indiquées de la Méditerranée entre le deuxième et le quatrième trimestre de 2018 et le second visant l’essai d’un MALE RPAS de petite taille pour la surveillance aérienne de longue durée de la frontière maritime, pour un maximum de 300 heures de vol dans des zones indiquées de la Méditerranée entre le deuxième et le quatrième trimestre de 2018. À cet égard, la requérante a remporté, le 29 décembre 2017, le marché pour le second lot.

34      Une fois ces contrats exécutés, Frontex a effectué des évaluations détaillées. L’exécution du premier lot a fait l’objet d’une évaluation positive, ce qui a amené Frontex à recommander l’organisation d’une procédure de passation de marchés afin d’acquérir des services de surveillance aérienne au moyen du MALE RPAS de taille standard. En revanche, l’évaluation du second lot n’était positive que dans une certaine mesure, ce qui a amené Frontex à considérer que des évaluations supplémentaires étaient nécessaires afin de confirmer la fiabilité des RPAS de petite taille et leur capacité à voler au-delà de la ligne de visibilité. C’est ensuite sur le fondement de ces rapports d’évaluation que Frontex a défini les exigences contenues dans l’avis de marché attaqué, tel que rectifié, les actes qui y sont annexés, les questions-réponses et le procès-verbal de la réunion d’information, visés dans la requête, parmi lesquelles figurent celles que la requérante estime discriminatoires. La définition de ces exigences a donc été formulée au terme d’un processus par étapes marqué par un retour d’expérience qui a permis à Frontex d’évaluer de manière détaillée et diligente leur nécessité.

35      Deuxièmement, alors que la requérante affirme que « les règles de l’appel d’offres contiennent des clauses contra legem et injustifiées qui exposent les concurrents potentiels à des prétentions irréalisables d’un point de vue technique », force est de constater que trois entreprises ont présenté une offre et que deux d’entre elles, à tout le moins, remplissaient l’ensemble des spécifications techniques étant donné que le marché leur a été attribué.

36      Troisièmement, la requérante n’établit ni que les spécifications techniques lui auraient été appliquées différemment par rapport aux autres candidats ni, d’une manière plus générale, avoir fait l’objet d’un traitement différent alors qu’elle se trouvait dans une situation analogue à celle des autres candidats.

37      Quatrièmement, la requérante affirme que sa participation a été rendue « impossible » ou qu’elle a été subordonnée « à des charges économiques excessives au point de compromettre la formulation d’une offre concurrentielle ». Or, cette affirmation ne saurait démontrer une quelconque discrimination à son égard. Au contraire, comme le relève à juste titre Frontex, une telle affirmation suggère que l’impossibilité pour la requérante de déposer une offre tenait davantage à une cause qui lui était propre qu’à des prescriptions techniques discriminatoires. À titre surabondant, il convient de relever que, comme elle l’a d’ailleurs annoncé publiquement, la requérante travaille actuellement sur un modèle de RPAS qui se rapproche de la plupart des exigences émises par Frontex dans l’appel d’offres en cause.

38      Dans ces conditions, la requérante n’a pas démontré que les exigences de l’appel d’offres en cause pouvaient être discriminatoires à son égard.

39      Dès lors, la requérante n’a pas établi avoir été empêchée de déposer une offre et ne justifie donc pas d’un intérêt à demander l’annulation de l’avis de marché attaqué, tel que rectifié, des actes qui y sont annexés, des questions-réponses et du procès-verbal de la réunion d’information, visés dans la requête. Les conclusions aux fins d’annulation de ces actes doivent donc être rejetées comme irrecevables ainsi que, par voie de conséquence, celles dirigées contre la décision d’attribution.

40      En second lieu, il convient de rappeler que toute requête introductive d’instance doit indiquer l’objet du litige ainsi que l’exposé sommaire des moyens et que cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au juge de l’Union d’exercer son contrôle. De même, les conclusions de la requête introductive d’instance doivent être formulées de manière non équivoque afin d’éviter que le juge de l’Union ne statue ultra petita ou bien n’omette de statuer sur un grief (voir arrêt du 14 septembre 2017, Università del Salento/Commission, T‑393/15, non publié, EU:T:2017:604, point 75 et jurisprudence citée).

41      Il en découle que des conclusions qui tendent à l’annulation d’actes préalables, connexes ou consécutifs aux autres actes visés par le recours en annulation, sans que ces actes préalables, connexes ou consécutifs aient été identifiés, doivent être considérées comme non conformes à ces exigences, en ce qu’elles manquent de précision quant à leur objet (voir arrêt du 14 septembre 2017, Università del Salento/Commission, T‑393/15, non publié, EU:T:2017:604, point 76 et jurisprudence citée).

42      Il s’ensuit que les demandes en annulation des actes attaqués visés dans la requête et dans le mémoire du 11 août 2020 sont irrecevables pour autant qu’elles visent tout acte préalable, connexe ou consécutif aux autres actes qui y sont visés.

43      Eu égard à ce qui précède, les demandes en annulation des actes attaqués doivent être rejetées comme irrecevables, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les exigences relatives à l’existence d’un acte attaquable et à la qualité pour agir de la requérante, et sans qu’il soit besoin de se prononcer ni sur le caractère utile des mesures d’instruction sollicitées ni sur la recevabilité des mémoires des 11 août et 1er septembre 2020.

 Sur la demande en indemnité

44      La requérante demande réparation pour l’ensemble des dommages subis et à venir, directs et indirects, découlant, à quelque titre que ce soit, du caractère illégal de l’appel d’offres en cause. Les dommages invoqués résulteraient de la perte du marché en cause et le montant du préjudice correspondrait donc à la valeur de ce marché.

45      Frontex conteste ces arguments.

46      Selon une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, en vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, suppose la réunion d’un ensemble de conditions relatives au caractère illégal du comportement reproché à l’institution, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice allégué. En outre, il convient de rappeler que, dès lors que l’une de ces conditions n’est pas remplie, le recours doit être rejeté dans son ensemble sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions de ladite responsabilité (voir arrêt du 14 octobre 1999, Atlanta/Communauté européenne, C‑104/97 P, EU:C:1999:498, point 65 et jurisprudence citée).

47      À cet égard, s’agissant de la condition relative à la réalité du dommage, la responsabilité de l’Union ne saurait être engagée que si la partie requérante a effectivement subi un préjudice « réel et certain ». Il incombe à la partie requérante d’apporter des éléments de preuve au juge de l’Union afin d’établir l’existence et l’ampleur d’un tel préjudice (voir arrêt du 8 novembre 2011, Idromacchine e.a./Commission T‑88/09, EU:T:2011:641, point 25 et jurisprudence citée).

48      En l’espèce, force est de constater que la requérante se contente de demander réparation pour l’ensemble des dommages subis et à venir découlant du caractère illégal de l’appel d’offres en cause, sans apporter d’éléments de preuve afin d’établir l’existence et l’ampleur de ces dommages.

49      La requérante se borne à soutenir que la valeur des dommages invoqués résulterait de la perte du marché en cause et que le montant du préjudice correspondrait donc à la valeur de ce marché.

50      Or, s’agissant des prétendus dommages subis par la requérante résultant d’une perte de chance de se voir attribuer le marché, il convient de rappeler que la perte de chance de se voir attribuer un marché ne constitue un préjudice réel et certain que dans l’hypothèse où, en l’absence de comportement fautif de l’institution, il ne ferait pas de doute que la requérante eût obtenu l’attribution dudit marché (voir, en ce sens, ordonnance du 22 juin 2011, Evropaïki Dynamiki/Commission, T‑409/09, EU:T:2011:299, point 85 et jurisprudence citée). Tel n’est pas le cas en l’espèce. En effet, à supposer même que les documents de marché contenaient des clauses illégales, il est constant que trois entreprises ont participé à la procédure d’appel d’offres lancée par l’avis de marché attaqué et que la requérante n’a pas démontré que, dans l’hypothèse où les documents attaqués n’auraient pas contenu les clauses prétendument illégales, le marché lui aurait, sans aucun doute, été attribué, et non à l’une desdites trois entreprises.

51      Il s’ensuit que la condition relative à la réalité du dommage n’est pas remplie pour engager la responsabilité non contractuelle de l’Union, en vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE.

52      Par ailleurs, étant donné le caractère cumulatif des conditions auxquelles est soumis l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, il n’y a pas lieu d’examiner les autres conditions exigées par la jurisprudence à cet égard.

53      Dans ces conditions, il y a lieu de rejeter la demande en indemnité.

54      À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, le présent recours doit être rejeté dans son intégralité.

 Sur les dépens

55      Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. La requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, y compris ceux exposés pour les procédures en référé, conformément aux conclusions de Frontex.

Par ces motifs,

LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)

déclare et arrête :

1)      Le recours est rejeté.

2)      Leonardo SpA supportera, outre ses propres dépens, ceux exposés par l’Agence européenne de garde-frontières et de garde-côtes (Frontex), y compris ceux des procédures en référé.

Papasavvas

Costeira

Schwarcz

Kancheva

 

      Perišin

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 janvier 2022.

Signatures


*      Langue de procédure : l’italien.

© European Union
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