Banco Santander (Resolution bancaire Banco Popular II) (Resolution of credit institutions and investment firms - Write-down of capital instruments - Judgment) French Text [2024] EUECJ C-775/22 (05 September 2024)


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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions)


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URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/C77522.html
Cite as: ECLI:EU:C:2024:679, EU:C:2024:679, [2024] EUECJ C-775/22

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ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

5 septembre 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Directive 2014/59/UE – Résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement – Principes généraux – Article 34, paragraphe 1, sous a) et sous b) – Renflouement interne – Dépréciation des instruments de fonds propres – Conversion d’obligations subordonnées en actions et transfert forcé sans contrepartie – Effets – Article 38, paragraphe 13 – Article 53, paragraphes 1 et 3 – Article 60, paragraphe 2, premier alinéa, sous b) et c) – Articles 73 à 75 – Protection des droits des actionnaires et des créanciers – Acquisition d’instruments de fonds propres – Informations défectueuses et erronées fournies dans le prospectus – Action en responsabilité – Action tendant à la nullité du contrat d’acquisition des instruments de fonds propres – Actions introduites contre le successeur universel de l’établissement de crédit soumis à une décision de résolution »

Dans les affaires jointes C‑775/22, C‑779/22 et C‑794/22,

ayant pour objet des demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), par décisions du 15 décembre 2022, parvenues à la Cour respectivement les 20, 22 et 23 décembre 2022, dans les procédures

M.S.G.,

N.G.S.,

A.G.S. (C‑775/22),

M.C.S. (C‑779/22),

FSC (C‑794/22)

contre

Banco Santander SA

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev, président de chambre, MM. T. von Danwitz (rapporteur), P. G. Xuereb, A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

–        pour A.G.S., N.G.S. et M.S.G., par Me J. Madrazo Leal, abogado, et Mme V. Montes Guerra, procuradora,

–        pour FSC, par Me J. Concheiro Fernández, abogado,

–        pour Banco Santander SA, par Mes R. R. García-Zarco, J. M. Rodríguez Cárcamo et A. M. Rodríguez Conde, abogados,

–        pour le gouvernement espagnol, par M. L. Aguilera Ruiz, en qualité d’agent,

–        pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. P. Gentili, avvocato dello Stato,

–        pour la Commission européenne, par Mme P. Němečková, MM. A. Nijenhuis et D. Triantafyllou, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1        Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation de l’article 34, paragraphe 1, sous a), de l’article 53, paragraphes 1 et 3, ainsi que de l’article 60, paragraphe 2, premier alinéa, sous b) et c), de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012 (JO 2014, L 173, p. 190).

2        Ces demandes ont été présentées dans le cadre de litiges opposant respectivement les investisseurs M.S.G., N.G.S. et A.G.S., M.C.S. ainsi que FSC à Banco Santander SA, en sa qualité de successeur de Banco Popular Español SA (ci‑après « Banco Popular »), au sujet d’actions en nullité ou en responsabilité introduites par ces investisseurs en raison d’informations défectueuses et erronées qui leur auraient été fournies dans le prospectus d’émission lors de l’acquisition d’instruments de fonds propres, ultérieurement convertis en actions de Banco Popular.

 Le cadre juridique

 Le droit de l’Union

 La directive 2003/71/CE

3        La directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation, et modifiant la directive 2001/34/CE (JO 2003, L 345, p. 64), a été abrogée, avec effet au 21 juillet 2019, par le règlement (UE) 2017/1129 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation sur un marché réglementé, et abrogeant la directive 2003/71/CE (JO 2017, L 168, p. 12). Toutefois, au moment des litiges au principal, les dispositions de la directive 2003/71 étaient toujours en vigueur.

4        L’article 6 de ladite directive, intitulé « Responsabilité concernant le prospectus », prévoyait :

« 1.      Les États membres veillent à ce que la responsabilité des informations fournies dans un prospectus incombe au moins à l’émetteur ou à ses organes d’administration, de direction ou de surveillance, à l’offreur, à la personne qui sollicite l’admission à la négociation sur un marché réglementé ou au garant, selon le cas. Le prospectus identifie clairement les personnes responsables par leur nom et fonction, ou, dans le cas des personnes morales, par leur nom et siège statutaire, et fourni[t] une déclaration de leur part certifiant que, à leur connaissance, les données du prospectus sont conformes à la réalité et ne comportent pas d’omissions de nature à en altérer la portée.

2.      Les États membres veillent à ce que leurs dispositions législatives, réglementaires et administratives en matière de responsabilité civile s’appliquent aux personnes responsables des informations fournies dans les prospectus.

[...] »

 La directive 2014/59

5        Les considérants 45, 49 et 120 de la directive 2014/59 sont ainsi libellés :

« (45)      Afin d’éviter tout aléa moral, les établissements défaillants devraient pouvoir sortir du marché sans entraîner de perturbations systémiques, quelles que soient leur taille et leurs interconnexions. Un établissement défaillant devrait en principe être liquidé selon la procédure normale d’insolvabilité. Il n’en demeure pas moins qu’une liquidation selon cette procédure pourrait compromettre la stabilité financière, interrompre l’exercice de fonctions critiques et nuire à la protection des déposants. Dans ce cas, il est très probable qu’il y ait un intérêt public à soumettre un établissement à une procédure de résolution et à appliquer des instruments de résolution au lieu d’avoir recours à une procédure normale d’insolvabilité. [...]

[...]

(49)      Les restrictions aux droits des actionnaires et des créanciers devraient être conformes aux principes énoncés à l’article 52 de la charte [des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la “Charte”)]. Les instruments de résolution ne devraient donc s’appliquer qu’aux établissements dont la défaillance est avérée ou prévisible et uniquement si cela est nécessaire pour atteindre l’objectif de stabilité financière dans l’intérêt général. Plus précisément, ils devraient s’appliquer lorsque l’établissement ne peut pas être liquidé selon une procédure normale d’insolvabilité sans déstabiliser le système financier et lorsque les mesures envisagées sont nécessaires pour assurer le transfert rapide et la poursuite des fonctions d’importance systémique, et qu’il n’existe aucune perspective raisonnable de trouver une autre solution d’origine privée, fût–ce une augmentation de capital par les actionnaires ou par un tiers, qui permette de redresser complètement l’établissement. [...]

[...]

(120)      Les directives de l’Union en matière de droit des sociétés contiennent des règles obligatoires pour la protection des actionnaires et des créanciers des établissements relevant du champ d’application de ces directives. Dans des cas nécessitant une action rapide des autorités de résolution, ces règles peuvent entraver l’action efficace et l’utilisation d’instruments et de pouvoirs de résolution par les autorités de résolution ; il convient dès lors de prévoir des dérogations appropriées dans la présente directive. Afin de garantir aux intéressés une sécurité juridique maximale, ces dérogations devraient être clairement et strictement définies et ne devraient être utilisées que dans l’intérêt public, et lorsque les conditions de déclenchement d’une procédure de résolution sont remplies. [...] »

6        Aux termes de l’article 1er, paragraphe 1, de cette directive :

« 1.      La présente directive définit des règles et des procédures de redressement et de résolution pour les entités suivantes :

[...]

b)      les établissements financiers qui sont établis dans l’Union [européenne] et qui sont des filiales d’un établissement de crédit, d’une entreprise d’investissement ou d’une compagnie visée aux points c) ou d), [...]

c)      les compagnies financières holdings, les compagnies financières holdings mixtes et les compagnies holdings mixtes qui sont établies dans l’Union ;

d)      les compagnies financières holdings mères dans un État membre, les compagnies financières holdings mères dans l’Union, les compagnies financières holdings mixtes mères dans un État membre, les compagnies financières holdings mixtes mères dans l’Union ;

[...] »

7        L’article 2, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

57.      “instrument de renflouement interne”, le mécanisme permettant l’exercice par une autorité de résolution, conformément à l’article 43, des pouvoirs de dépréciation et de conversion à l’égard d’éléments de passif d’un établissement soumis à une procédure de résolution ;

58.      “instrument de cession des activités”, le mécanisme permettant le transfert par une autorité de résolution à un acquéreur autre qu’un établissement-relais, conformément à l’article 38, des actions ou autres titres de propriété émis par un établissement soumis à une procédure de résolution ou des actifs, droits ou engagements d’un établissement soumis à une procédure de résolution;

[...]

63.      “pouvoirs de transfert”, les pouvoirs, définis à l’article 63, paragraphe 1, point c) ou d), qui permettent de transférer à une entité réceptrice les actions, autres titres de propriété, instruments de dette, actifs, droits et engagements de l’établissement soumis à une procédure de résolution, ou toute combinaison de ces instruments;

[...]

82.      “droit de résiliation”, le droit de résilier un contrat, le droit d’anticiper l’exigibilité, de liquider ou de compenser des obligations, ainsi que toute disposition similaire prévoyant la suspension, la modification ou l’extinction d’une obligation imposée à une partie au contrat ou une disposition empêchant la survenance d’une obligation résultant du contrat qui surviendrait en l’absence de cette disposition ;

[...] »

8        L’article 34 de la même directive, intitulé « Principes généraux régissant la résolution », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres veillent à ce que, lorsque les autorités de résolution ont recours aux instruments et pouvoirs de résolution, elles prennent toute disposition appropriée afin que la mesure de résolution soit prise conformément aux principes suivants :

a)      les actionnaires de l’établissement soumis à la procédure de résolution sont les premiers à supporter les pertes ;

b)      les créanciers de l’établissement soumis à une procédure de résolution supportent les pertes après les actionnaires, conformément à l’ordre de priorité de leurs créances dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité, sauf dispositions contraires expresses de la présente directive ;

[...]

f)      sauf dispositions contraires dans la présente directive, les créanciers de même catégorie sont traités sur un pied d’égalité ;

g)      aucun créancier n’encourt des pertes plus importantes que celles qu’il aurait subies si l’établissement ou l’entité visé à l’article 1er, paragraphe 1, point b), c) ou d), avaient été liquidés selon une procédure normale d’insolvabilité conformément aux mesures de sauvegarde prévues aux articles 73 à 75 ;

[...] »

9        L’article 37 de cette directive, intitulé « Principes généraux régissant les instruments de résolution », est ainsi libellé :

« [...]

3.      Les instruments de résolution visés au paragraphe 1 sont les suivants :

a)      la cession des activités de l’établissement ;

b)      le recours à un établissement-relais ;

c)      la séparation des actifs ;

d)      le renflouement interne.

4.      Sous réserve du paragraphe 5, les autorités de résolution peuvent appliquer les instruments de résolution de manière séparée ou combinée. 

[...]»

10      Aux termes de l’article 38 de ladite directive, intitulé « Instrument de cession des activités » :

« 1.      Les États membres veillent à ce que les autorités de résolution aient le pouvoir de transférer à un acquéreur qui n’est pas un établissement-relais :

a)      les actions ou autres titres de propriété émis par un établissement soumis à une procédure de résolution ;

b)      tous les actifs, droits ou engagements d’un établissement soumis à une procédure de résolution, ou l’un quelconque de ceux-ci.

Sous réserve des paragraphes 8 et 9 du présent article, ainsi que de l’article 85, le transfert visé au premier alinéa n’est pas subordonné à l’approbation des actionnaires de l’établissement soumis à une procédure de résolution ou d’une quelconque tierce partie autre que l’acquéreur, ni au respect de quelconques exigences de procédure en vertu de la législation sur les sociétés ou sur les valeurs mobilières autres que celles prévues à l’article 39.

2.      Un transfert opéré en vertu du paragraphe 1 est effectué à des conditions commerciales, eu égard aux circonstances et conformément au cadre des aides d’État de l’Union.

3.      Conformément au paragraphe 2 du présent article, les autorités de résolution prennent toutes les mesures raisonnables pour obtenir que le transfert ait lieu à des conditions commerciales qui correspondent à la valorisation effectuée en vertu de l’article 36, eu égard aux circonstances de l’espèce.

[...]

6.      Après avoir appliqué l’instrument de cession des activités, les autorités de résolution peuvent, avec le consentement de l’acquéreur, exercer les pouvoirs de transfert à l’égard des actifs, droits ou engagements transférés à l’acquéreur, en vue de retransférer ces actifs, droits ou engagements à l’établissement soumis à une procédure de résolution ou les actions ou autres titres de propriété à leurs propriétaires initiaux, et l’établissement soumis à une procédure de résolution ou les propriétaires initiaux sont obligés de reprendre les actifs, droits ou engagements ou les actions ou autres titres de propriété en question.

[...]

9.      Si l’autorité compétente pour l’établissement concerné n’a pas achevé l’évaluation visée au paragraphe 8 à la date du transfert d’actions ou d’autres titres de propriété dans le cadre de l’application de l’instrument de cession des activités par l’autorité de résolution, les États membres veillent à ce que les dispositions qui suivent s’appliquent :

a)      un tel transfert d’actions ou d’autres titres de propriété à l’acquéreur a un effet juridique immédiat;

[...]

13.      Sans préjudice du chapitre VII du titre IV, les actionnaires ou créanciers de l’établissement soumis à une procédure de résolution et autres tiers dont les actifs, droits ou engagements ne sont pas transférés n’ont aucun droit, direct ou indirect, sur les actifs, droits ou engagements transférés. »

11      L’article 48 de la même directive, intitulé « Ordre de la dépréciation et de la conversion », dispose :

« 1.      Les États membres veillent à ce que, dans l’application de l’instrument de renflouement interne, les autorités de résolution exercent les pouvoirs de dépréciation et de conversion, sous réserve des exclusions visées à l’article 44, paragraphes 2 et 3, en respectant les exigences suivantes :

a)      les instruments de fonds propres de base de catégorie 1 sont réduits conformément à l’article 60, paragraphe 1, point a) ;

b)      si, et seulement si, la réduction totale effectuée en vertu du point a) est inférieure à la somme des montants visés à l’article 47, paragraphe 3, points b) et c), les autorités réduisent le montant en principal des instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1 à ce qui est nécessaire et en fonction de leurs capacités ;

c)      si, et seulement si, la réduction totale effectuée en vertu des points a) et b) est inférieure à la somme des montants visés à l’article 47, paragraphe 3, points b) et c), les autorités réduisent le montant en principal des instruments de fonds propres de catégorie 2 à ce qui est nécessaire et en fonction de leurs capacités ;

[...] »

12      L’article 53 de la directive 2014/59, intitulé « Effet du renflouement interne », prévoit :

« 1.      Les États membres s’assurent que, lorsqu’une autorité de résolution exerce un pouvoir visé à l’article 59, paragraphe 2, et à l’article 63, paragraphe 1, points e) à i), les mesures de réduction du principal ou des sommes dues, de conversion ou d’annulation prennent effet et s’imposent immédiatement à l’établissement soumis à la résolution ainsi qu’aux créanciers et actionnaires affectés.

[...]

3.      Lorsqu’une autorité de résolution réduit à zéro le principal ou les sommes dues au titre d’un élément de passif en vertu du pouvoir visé à l’article 63, paragraphe 1, point e), cet élément de passif, ainsi que toute obligation ou créance en découlant qui n’est pas échue au moment où le pouvoir est exercé, est réputé acquitté à toutes fins, et ne peut être opposable dans quelque procédure ultérieure relative à l’établissement soumis à une procédure de résolution ou à toute entité lui ayant succédé dans le cadre d’une liquidation ultérieure.

4.      Lorsqu’une autorité de résolution réduit en partie, mais non totalement, le principal ou les sommes dues au titre d’un élément de passif au moyen du pouvoir visé à l’article 63, paragraphe 1, point e) :

a)      l’élément de passif est acquitté à proportion du montant réduit ;

b)      l’instrument ou le contrat dont résulte l’engagement initial continue de s’appliquer pour ce qui concerne le montant résiduel du principal ou l’encours exigible de l’engagement, sous réserve d’une éventuelle modification de la charge d’intérêts payable pour tenir compte de la réduction opérée du principal, et de toute autre modification des conditions que l’autorité de résolution peut décider en vertu du pouvoir mentionné à l’article 63, paragraphe 1, point j). »

13      L’article 60 de cette directive, intitulé « Dispositions régissant la dépréciation ou la conversion d’instruments de fonds propres », est ainsi libellé :

« 1.      Lorsqu’elles se conforment à l’exigence définie à l’article 59, les autorités de résolution exercent le pouvoir de dépréciation ou de conversion conformément à l’ordre de priorité des créances dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité, d’une manière qui donne les résultats suivants :

a)      les instruments de fonds propres de base de catégorie 1 sont réduits en premier lieu en proportion des pertes et dans la mesure de leur capacité et l’autorité de résolution prend l’une, ou l’une et l’autre, des mesures prévues à l’article 47, paragraphe 1, à l’égard des détenteurs d’instruments de fonds propres de base de catégorie 1 ;

b)      le montant principal des instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1 est déprécié ou converti en instruments de fonds propres de base de catégorie 1, ou les deux, dans la mesure requise pour atteindre les objectifs de la résolution énoncés à l’article 31 ou dans la mesure de la capacité des instruments de fonds propres pertinents, le montant à retenir étant le plus faible des deux ;

c)      le montant principal des instruments de fonds propres de catégorie 2 est déprécié ou converti en instruments de fonds propres de base de catégorie 1, ou les deux, dans la mesure requise pour atteindre les objectifs de résolution énoncés à l’article 31 ou dans la mesure de la capacité des instruments de fonds propres pertinents, le montant à retenir étant le plus faible des deux.

2.      Lorsque le montant principal des instruments de fonds propres pertinents est déprécié :

[...]

b)      aucune obligation vis‑à‑vis du détenteur de l’instrument de fonds propres pertinent ne subsiste dans le cadre dudit instrument ou en lien avec le montant de celui‑ci qui a été déprécié, excepté les obligations déjà échues et les responsabilités pouvant découler d’un recours introduit contre la légalité de l’exercice du pouvoir de dépréciation ;

c)      aucune indemnisation n’est versée à aucun détenteur des instruments de fonds propres pertinents, sauf dans les cas prévus au paragraphe 3. 

3.      Pour procéder à une conversion des instruments de fonds propres pertinents en vertu du paragraphe 1, point b), du présent article, les autorités de résolution peuvent exiger des établissements et des entités visés à l’article 1er, points b), c) et d), qu’ils émettent des instruments de fonds propres de base de catégorie 1 en faveur des détenteurs des instruments de fonds propres pertinents. [...]

[...] »

14      Aux termes de l’article 63, paragraphe 1, de ladite directive, intitulé « Pouvoirs généraux » :

« Les États membres veillent à ce que les autorités de résolution disposent de tous les pouvoirs nécessaires pour appliquer les instruments de résolution à un établissement et à une entité visés à l’article 1er, paragraphe 1, point b), c) ou d), qui remplissent les conditions de déclenchement d’une procédure de résolution. En particulier, elles possèdent les pouvoirs de résolution suivants, qu’elles peuvent exercer séparément ou simultanément :

[...]

c)      le pouvoir de transférer les actions et autres titres de propriété émis par un établissement soumis à une procédure de résolution ;

d)      le pouvoir de transférer à une autre entité, avec l’accord de celle-ci, des droits, actifs ou engagements d’un établissement soumis à une procédure de résolution ;

e)      le pouvoir de réduire, y compris jusqu’à zéro, le principal ou l’encours exigible des engagements éligibles d’un établissement soumis à une procédure de résolution ;

f)      le pouvoir de convertir les engagements éligibles d’un établissement soumis à une procédure de résolution en actions ordinaires ou autres titres de propriété ordinaires de cet établissement ou d’une entité visé à l’article 1er, paragraphe 1, points b), c) ou d), d’un établissement mère pertinent ou d’un établissement-relais auquel sont transférés les actifs, droits ou engagements d’un établissement ou d’une entité visé à l’article 1er, paragraphe 1, points b), c) ou d), soumis à une procédure de résolution ;

[...] »

15      Conformément à l’article 64, paragraphe 4, sous b), de la même directive, les pouvoirs auxiliaires des  autorités de résolution visés à cette disposition ne portent pas atteinte « sous réserve des articles 69, 70 et 71, au droit d’une partie à un contrat d’exercer les droits prévus par ledit contrat, notamment le droit de résiliation, lorsque le contrat l’y autorise en raison d’un acte ou d’une omission commise soit par l’établissement soumis à une procédure de résolution avant le transfert, soit par l’entité réceptrice après le transfert ».

16      L’article 68 de la directive 2014/59, intitulé « Exclusion de certaines clauses contractuelles dans le cadre de l’intervention précoce et de la résolution », dispose, à ses paragraphes 3 et 4 :

« 3.      À condition que les obligations essentielles au titre du contrat, notamment les obligations de paiement et de livraison, ainsi que la fourniture d’une garantie, continuent d’être assurées, une mesure de prévention de crise ou une mesure de gestion de crise, y compris la survenance de tout événement directement lié à l’application d’une telle mesure, ne permet pas en soi à quiconque :

a)      d’exercer tout droit de résiliation, de suspension, de modification ou de compensation ou de compensation réciproque, y compris en liaison avec des contrats conclus :

i)      par une filiale, lorsque l’exécution des obligations est garantie ou autrement soutenue par une entité du groupe ;

ii)      par une entité du groupe qui comporte des dispositions en matière de défauts croisés ; 

[...]

4.      Le présent article ne porte pas atteinte au droit d’une personne de prendre une mesure visée au paragraphe 3 lorsque cela résulte d’un événement autre que la mesure de prévention des crises, la mesure de gestion des crises ou la survenance de tout événement directement lié à l’application d’une telle mesure.

[...] »

17      L’article 73 de cette directive, intitulé « Traitement des actionnaires et des créanciers en cas de transfert partiel et d’application de l’instrument de renflouement interne », prévoit, à son point b), que, « en particulier, aux fins de l’article 75, les États membres s’assurent que [...], lorsque les autorités de résolution appliquent l’instrument de renflouement interne, les actionnaires et les créanciers dont les titres ou créances ont été dépréciés ou convertis en fonds propres ne subissent pas de pertes plus importantes que celles qu’ils auraient subies si l’établissement soumis à une procédure de résolution avait été liquidé dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité [...] »

18      L’article 74 de ladite directive, intitulé « Valorisation de la différence de traitement », précise, à son paragraphe 1 :

« Afin de déterminer si les actionnaires et les créanciers auraient bénéficié d’un meilleur traitement si l’établissement soumis à la procédure de résolution avait été soumis à une procédure normale d’insolvabilité, notamment mais pas exclusivement aux fins de l’article 73, les États membres veillent à ce qu’une valorisation soit réalisée dans les meilleurs délais par une personne indépendante après l’exécution de la mesure ou des mesures de résolution. [...] »

19      Aux termes de l’article 75 de la même directive, intitulé « Mesure de sauvegarde pour les actionnaires et les créanciers » :

« Les États membres veillent à ce que, lorsqu’il ressort de la valorisation effectuée en vertu de l’article 74 qu’un quelconque actionnaire ou créancier visé à l’article 73 [...] a subi des pertes plus importantes que celles qu’il aurait subies dans une liquidation opérée dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité, il a droit au paiement de la différence de la part du dispositif de financement pour la résolution. »

20      L’article 101, paragraphe 1, sous e), de la directive 2014/59 dispose que l’autorité de résolution peut faire usage des dispositifs de financement uniquement dans la mesure nécessaire pour garantir l’application effective des instruments de résolution, aux fins notamment de verser des indemnités aux actionnaires ou aux créanciers conformément à l’article 75 de cette directive.

 La décision du Conseil de résolution unique

21      Le Conseil de résolution unique a adopté dans sa décision SRB/EES/2017/08, du 7 juin 2017, le dispositif de résolution à l’égard de Banco Popular, approuvé par la Commission européenne dans sa décision (UE) 2017/1246 (JO 2017, L 178, p. 15).

 Le droit espagnol

22      La décision du Conseil de résolution unique SRB/EES/2017/08 a été mise en œuvre par la décision du Fondo de Reestructuración Ordenada Bancaria (Fonds de restructuration ordonnée des établissements bancaires, Espagne) (ci-après le « FROB »), du 7 juin 2017 (BOE no 155, du 30 juin 2017, p. 55470), qui a adopté les mesures suivantes :

« Premièrement. Réduire le capital social actuel de [Banco Popular] par la dépréciation de la totalité des actions actuellement en circulation [...]

Deuxièmement. Simultanément, procéder à une augmentation de capital excluant le droit préférentiel de souscription en vue de la conversion de la totalité des instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1 [...]

Troisièmement. Réduire le capital social à zéro euro (0 euro) par la dépréciation des actions résultant de la conversion des instruments de fonds propres additionnels de catégorie 1 conformément au paragraphe précédent [...]

Quatrièmement. Simultanément, procéder à une augmentation de capital excluant le droit préférentiel de souscription en vue de la conversion de la totalité des instruments de fonds propres de catégorie 2 en nouvelles actions de Banco Popular [...]

[...]

Sixièmement. Transférer la totalité des actions de [Banco Popular], émises en conséquence de la conversion des instruments de fonds propres de catégorie 2 mentionnés dans le troisième fondement juridique de la présente décision à [Banco Santander] »

23      Le troisième fondement juridique de cette décision indique :

« Quant à la portée de la mesure de dépréciation adoptée au moyen de la présente décision, [...], il s’agit d’une dépréciation permanente, aucune indemnisation n’étant versée aux détenteurs [des actions dépréciées]. Aucune obligation ne subsiste vis‑à‑vis du détenteur des actions dépréciées, excepté les obligations déjà échues ou la responsabilité pouvant découler d’un recours introduit contre la légalité de l’exercice du pouvoir de dépréciation. »

 Les litiges au principal et les questions préjudicielles

24      Au cours des années 2010 et 2011, les requérants dans les affaires au principal ont respectivement acquis différents instruments de fonds propres émis par Banco Popular ou par une filiale de celle-ci, à savoir BPE Preference International Ltd.

25      Au cours des années 2012 et 2014, les instruments de fonds propres en cause dans les affaires C-779/22 et C-794/22 ont été convertis en actions de Banco Popular.

26      Le 7 juin 2017, le Conseil de résolution unique a adopté le dispositif de résolution à l’égard de Banco Popular, qui a été approuvé par la Commission le même jour.

27      Ce dispositif de résolution a été mis en œuvre par une décision, également adoptée le 7 juin 2017, du FROB. Par cette décision, celui-ci a, notamment, réduit à zéro le capital social de Banco Popular au moyen de la dépréciation de la totalité des actions en circulation. Par l’effet de cette décision, les requérants au principal dans les affaires C-779/22 et C-794/22 ont cessé d’être les détenteurs des actions de Banco Popular dans lesquelles leurs instruments de fonds propres avaient été convertis au cours des années 2012 et 2014.

28      En outre, le FROB a décidé de procéder à la conversion des instruments de fonds propres de catégorie 2 et de transférer à Banco Santander les nouvelles actions émises à la suite de cette conversion, sans le consentement des anciens détenteurs de ces instruments. En conséquence, les requérants au principal dans l’affaire C-775/22 ont cessé d’être les détenteurs des obligations subordonnées, acquises au cours des années 2010 et 2011, lesquelles ont été converties en actions et transférées à Banco Santander, sans recevoir de contrepartie.

29      Les requérants au principal ont respectivement introduit, d’une part, une action tendant à la nullité de l’acquisition des instruments de fonds propres en cause au principal, au motif que ni Banco Popular ni BPE Preference International ne les avait dûment informés de la nature, des caractéristiques et des risques de ces instruments. D’autre part, ils ont formé un recours visant à obtenir réparation du préjudice causé par le non‑respect par ces banques de leurs obligations d’information légales dans le contexte de la souscription à ces instruments de fonds propres.

30      Ces recours ont été portés, au stade du pourvoi en cassation, devant le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne), à savoir la juridiction de renvoi dans les présentes affaires, étant précisé que les pourvois se limitent respectivement soit à l’action en nullité, en ce qui concerne les affaires C-775/22 et 779/22, soit au recours en réparation, s’agissant de l’affaire C‑794/22.

31      Postérieurement à l’introduction de ces pourvois, la Cour a rendu l’arrêt du 5 mai 2022, Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular) (C‑410/20, EU:C:2022:351) [ci-après l’« arrêt Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular) »]. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que l’article 34, paragraphe 1, sous a), l’article 53, paragraphes 1 et 3, ainsi que l’article 60, paragraphe 2, premier alinéa, sous b) et c), de la directive 2014/59 s’opposent à ce que, postérieurement à la dépréciation totale des actions ordonnée dans le cadre de la résolution d’un établissement bancaire, des actions en responsabilité du fait des informations contenues dans le prospectus et des actions tendant à la nullité du contrat de souscription d’actions puissent être introduites contre cet établissement ou contre son successeur légal.

32      La juridiction de renvoi relève qu’il existe, en Espagne, un nombre élevé de litiges portant sur les différents instruments de fonds propres de Banco Popular, à savoir, entre autres, des actions, des actions privilégiées et des obligations subordonnées. Dans la plupart des cas, les acquéreurs de ces produits financiers auraient intenté des actions tendant à la nullité des contrats d’acquisition de ces produits et à la restitution du prix versé pour cette acquisition et/ou des actions en responsabilité tendant à l’obtention de dommages et intérêts pour les pertes subies du fait de ladite acquisition, au titre de l’article 6 de la directive 2003/71 ou des règles générales régissant les contrats. Tous ces recours auraient été fondés sur un vice de consentement résultant des informations défectueuses et erronées fournies lors de la commercialisation desdits produits financiers.

33      La juridiction de renvoi précise que, si lesdits litiges ont donné lieu à des interprétations divergentes des dispositions de la directive 2014/59 par les juridictions nationales, les parties aux litiges pendants devant elle s’opposent quant au point de savoir si la jurisprudence issue de l’arrêt Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular)  est applicable à la situation en cause dans les affaires au principal.

34      S’agissant, plus particulièrement, des affaires C-779/22 et C-794/22, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si le droit à restitution du fait de la nullité de l’acquisition des instruments de fonds propres en cause au principal, ayant été convertis en actions avant la résolution de Banco Popular, ainsi que l’obligation à réparation constituent une obligation « échue » ou une obligation « non échue », au sens de l’article 53, paragraphe 3, et de l’article 60, paragraphe 2, sous b), de la directive 2014/59.

35      À cet égard, elle relève que, en droit espagnol, le terme « échu » désigne le moment où naît le droit de réclamer l’exécution d’une obligation, tandis que le terme « date d’échéance » désigne la fin de la période fixée pour l’exécution d’une obligation à l’issue de laquelle elle devient exigible. Or, les obligations convertibles en cause au principal seraient arrivées à échéance le jour même de leur conversion en actions, partant, avant l’ouverture de la procédure de résolution de Banco Popular. En outre, la décision de justice reconnaissant la responsabilité pour d’éventuels dommages ne revêtirait pas de caractère constitutif, mais constate l’existence de cette responsabilité et quantifie les dommages et intérêts. Si l’obligation de réparation constituait une « créance éventuelle » jusqu’à sa constatation définitive par voie judiciaire, elle serait quand même considérée, déjà avant cette constatation, comme constituant une créance échue.

36      Quant à l’affaire C-775/22, la juridiction de renvoi indique que les requérants au principal ont, en premier lieu, soutenu devant elle que la jurisprudence issue de l’arrêt Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular) est inapplicable à la conversion d’obligations subordonnées en actions et à leur transfert ultérieur, au motif que l’article 53, paragraphe 3, et l’article 60, paragraphe 2, de la directive 2014/59 s’appliquent uniquement dans le cadre d’une mesure de dépréciation, mais non pas dans celui d’une mesure de conversion avec transfert ultérieur. En outre, les limitations au droit à une protection juridictionnelle effective et au droit de propriété des détenteurs d’instruments de fonds propres d’une société soumise à une procédure de résolution devraient être interprétées de manière restrictive.

37      En deuxième lieu, ils ont invoqué le régime du droit de résiliation contractuelle résultant de l’article 64, paragraphe 4, sous b), de l’article 68, paragraphes 3 et 4, ainsi que de l’article 71 de cette directive. En cas de conversion, aucune règle n’exclurait ou ne limiterait l’exercice d’une action en nullité du contrat d’acquisition d’obligations subordonnées, dans la mesure où cette action ne trouverait pas sa cause dans les mesures de résolution, mais se référerait à la transaction initiale de souscription de ces obligations.

38      En troisième lieu, ils ont fait valoir qu’une privation du droit d’intenter des actions en nullité et en réparation viole le principe d’interdiction du traitement moins favorable que dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité, consacré à l’article 34, paragraphe 1, sous g), et à l’article 73, sous b), de la directive 2014/59.

39      Dans ces conditions, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a, dans l’affaire C-775/22, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Les dispositions de l’article 34, paragraphe 1, sous a) et b), lues en combinaison avec celles de l’article 53, paragraphes 1 et 3, de l’article 60, paragraphe 2, premier alinéa, sous b) et c), ainsi que de l’article 64, paragraphe 4, sous b), de la directive 2014/59 doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce que, à la suite de la conversion en actions et du transfert ultérieur de ces dernières, sans contrepartie réelle, des obligations subordonnées (instruments de fonds propres de catégorie 2) émises par un établissement de crédit soumis à une procédure de résolution et non échues lors de l’adoption de la procédure de résolution, les personnes ayant acquis ces obligations subordonnées avant l’ouverture de cette procédure de résolution exercent, contre cet établissement ou celui qui lui succède, une action tendant à la nullité du contrat de souscription de ces obligations subordonnées, en demandant la restitution du prix payé pour la souscription desdites obligations, majoré des intérêts courus à compter de la date de conclusion de ce contrat ? »

40      Dans les mêmes conditions, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a, dans l’affaire C-779/22, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les dispositions de l’article 34, paragraphe 1, sous a) et b), lues en combinaison avec celles de l’article 53, paragraphes 1 et 3, et de l’article 60, paragraphe 2, premier alinéa, sous b) et c), de la directive [2014/59], doivent-elles être interprétées en ce sens que la créance ou le droit éventuels qui résulteraient d’une condamnation de l’établissement ayant succédé à Banco Popular, en raison de la nullité de l’acquisition d’un instrument de fonds propres (actions privilégiées), qui a été converti en actions avant l’adoption des mesures de résolution de Banco Popular (7 juin 2017), pourraient être considérés comme un passif couvert par la disposition de l’article 53, paragraphe 3, de la directive 2014/59, relative à la dépréciation, en tant qu’obligation ou créance “qui n’est pas échue”, de sorte que ce droit ou cette créance seraient acquittés et ne seraient pas opposables à Banco Santander, en tant que successeur de Banco Popular, lorsque le recours dont découlerait cette obligation a été introduit après la finalisation de la procédure de résolution de la banque ?

2)      Ou bien, au contraire, ces dispositions doivent-elles être interprétées en ce sens que la créance ou le droit précités constitueraient une obligation “échue” (article 53, paragraphe 3, de la directive 2014/59) ou une “obligation déjà échue” au moment de la résolution de la banque [article 60, paragraphe 2, sous b)], qui, en tant que tels, seraient exclus des effets de la libération ou de l’extinction de ces obligations ou créances, quand bien même ces actions auraient été dépréciées et annulées, et seraient dès lors opposables à Banco Santander, en tant que successeur de Banco Popular, y compris lorsque le recours donnant lieu à cette condamnation à réparation a été introduit après la finalisation de la procédure de résolution de la banque ? »

41      Dans les mêmes conditions, également, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a, dans l’affaire C-794/22, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Les dispositions de l’article 34, paragraphe 1, sous a) et b), lues en combinaison avec celles de l’article 53, paragraphes 1 et 3, et de l’article 60, paragraphe 2, premier alinéa, sous b) et c), de la directive 2014/59/UE, doivent-elles être interprétées en ce sens que la créance ou le droit éventuels qui résulteraient d’une condamnation à réparation prononcée [contre] l’établissement ayant succédé à Banco Popular, à l’issue d’une action en responsabilité du fait de la commercialisation d’un produit financier (obligations subordonnées obligatoirement convertibles en actions de la même banque) ne relevant pas des instruments de fonds propres additionnels sur lesquels portent les mesures de résolution de Banco Popular, qui ont été convertis en actions de la banque avant que les mesures de résolution de cette dernière ne soient adoptées (7 juin 2017), pourraient être considérés comme un passif couvert par la disposition de l’article 53, paragraphe 3, de la directive 2014/59, relative à la dépréciation ou à l’annulation, en tant qu’obligation ou créance “ qui n’est pas échue”, de sorte que ce passif serait acquitté et ne serait pas opposable à Banco Santander, en tant que successeur de Banco Popular, lorsque le recours dont découlerait cette condamnation à réparation a été introduit après la finalisation de la procédure de résolution de la banque ?

2)      [La seconde question est libellée en des termes identiques à ceux de la seconde question dans l’affaire C-779/22] ».

42      Par décision du président de la Cour du 7 mars 2023, les affaires C‑775/22, C‑779/22 et C-794/22 ont été jointes aux fins des procédures écrite et orale ainsi que de l’arrêt.

 Sur les questions préjudicielles

 Sur les questions dans les affaires C779/22 et C-794/22

43      Par ses questions dans les affaires C‑779/22 et C-794/22, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les dispositions combinées de l’article 34, paragraphe 1, sous a) et b), de l’article 53, paragraphes 1 et 3, ainsi que de l’article 60, paragraphe 2, premier alinéa, sous b) et c), de la directive 2014/59 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce que, postérieurement à la dépréciation totale des actions du capital social d’un établissement de crédit soumis à une procédure de résolution, les personnes ayant acquis des instruments de fonds propres qui ont été convertis en actions de cet établissement de crédit avant l’adoption des mesures de résolution contre celui-ci introduisent, contre ledit établissement ou contre l’entité lui ayant succédé, une action en responsabilité engagée en raison d’informations défectueuses et erronées fournies dans le prospectus, telle que prévue à l’article 6 de la directive 2003/71, ou une action en nullité du contrat de souscription de ces instruments de fonds propres au titre du droit national, qui, compte tenu de son effet rétroactif, aboutirait à la restitution de la contre-valeur desdits instruments de fonds propres initialement acquis, puis convertis en actions, majorée d’intérêts à compter de la date de la conclusion de ce contrat.

44      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, au point 51 de l’arrêt Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular), la Cour a déjà jugé que les dispositions visées au point précédent du présent arrêt s’opposent à ce que, postérieurement à la dépréciation totale des actions du capital social d’un établissement de crédit ou d’une entreprise d’investissement soumis à une procédure de résolution, les personnes ayant acquis des actions avant l’ouverture de cette procédure puissent introduire de telles actions.

45      Or, la juridiction de renvoi s’interroge sur le point de savoir si la jurisprudence issue de cet arrêt peut être transposée à une action en nullité ou à une action en responsabilité introduites par des personnes qui, initialement, ont acquis non pas des actions d’un établissement ou d’une entreprise soumis à une procédure de résolution, mais d’autres instruments de fonds propres ayant été convertis en de telles actions avant l’ouverture d’une telle procédure de résolution. En particulier, elle se demande si les droits à restitution ou à réparation découlant d’une déclaration de nullité ou d’engagement de responsabilité peuvent être considérés comme étant échus, au sens de l’article 53, paragraphe 3, et de l’article 60, paragraphe 2, premier alinéa, sous b), de la directive 2014/59, avant la date de l’adoption de la décision de résolution, alors même que les actions à l’origine de ces droits seraient introduites après l’exécution de la mesure de résolution.

46      Selon l’article 53, paragraphe 3, de cette directive, lorsqu’une autorité de résolution réduit à zéro le principal ou les sommes dues au titre d’un élément de passif, cet élément de passif, ainsi que toute obligation ou créance en découlant qui n’est pas échue au moment de la résolution, est réputé acquitté à toutes fins et ne peut être opposable à l’établissement de crédit ou à l’entreprise d’investissement soumis à une mesure de résolution ou à toute entité lui ayant succédé, dans le cadre d’une liquidation ultérieure.

47      L’article 60 de ladite directive, portant sur la dépréciation ou la conversion d’instruments de fonds propres, précise, à son paragraphe 2, premier alinéa, sous b), qu’aucune obligation à l’égard du détenteur des instruments de fonds propres dépréciés, en vertu de la décision de résolution, ne subsiste dans le cadre desdits instruments ou en lien avec leur montant qui a été déprécié, excepté les obligations déjà échues et les responsabilités pouvant découler d’un recours contestant la légalité de l’exercice du pouvoir de dépréciation.

48      La juridiction de renvoi ayant indiqué que, en vertu de la législation nationale pertinente, les droits à restitution ou à réparation découlant d’une déclaration de nullité ou d’engagement de responsabilité constituent, dans les circonstances des espèces au principal, des obligations échues avant la date d’adoption de la décision de résolution, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, il découle tant des exigences de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de cette disposition, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [arrêts du 29 avril 2021, X (Mandat d’arrêt européen – Ne bis in idem), C‑665/20 PPU, EU:C:2021:339, point 69, et du 30 avril 2024, M.N. (EncroChat), C‑670/22, EU:C:2024:372, point 109 ainsi que jurisprudence citée].

49      Or, s’agissant des notions d’« obligations échues » ou de « créances échues » utilisées aux dispositions visées aux points 46 et 47 du présent arrêt, la Cour a déjà jugé que les droits découlant d’une action en responsabilité, du fait des informations fournies dans le prospectus de vente de valeurs mobilières, prévue à l’article 6 de la directive 2003/71, ainsi que d’une action en nullité d’un contrat de souscription d’actions ne peuvent pas être considérés comme relevant de la catégorie des obligations ou des créances « échues », au sens de l’article 53, paragraphe 3, et de l’article 60, paragraphe 2, sous b), de la directive 2014//59, lorsque ces actions sont intentées, contre l’établissement de crédit ou l’entreprise d’investissement émetteur du prospectus ou l’entité lui ayant succédé, postérieurement à l’adoption de la décision de résolution sur le fondement de ces dernières dispositions [voir, en ce sens, arrêt Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular), points 41, 42 et 44).

50      Une telle compréhension de ces notions s’impose également lorsque les droits découlent d’une action en responsabilité ou en nullité relative à l’acquisition d’instruments de fonds propres, ultérieurement convertis en actions, eu égard au contexte dans lequel s’insèrent lesdites notions et aux objectifs poursuivis par la directive 2014/59.

51      Premièrement, il convient de rappeler, d’une part, que l’article 34, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2014/59 établit le principe selon lequel ce sont les actionnaires, suivis des créanciers, d’un établissement de crédit ou d’une entreprise d’investissement soumis à la procédure de résolution qui doivent supporter prioritairement les pertes subies du fait de l’application de cette procédure.

52      D’autre part, lorsque la procédure de résolution implique un « renflouement interne », au sens de l’article 2, paragraphe 1, point 57, de la directive 2014/59, l’article 48, paragraphe 1, de celle-ci prévoit que, dans l’exercice des pouvoirs de dépréciation et de conversion, les autorités de résolution réduisent, en premier lieu, les différentes catégories d’instruments de fonds propres. L’article 53, paragraphe 1, de cette directive dispose que les mesures de réduction de capital ou de conversion ou d’annulation permises par ledit renflouement interne s’imposent immédiatement aux actionnaires et aux créanciers affectés. Il apparaît ainsi que, dans le cadre d’un renflouement interne, la dépréciation et la conversion des instruments de fonds propres participent directement à la réalisation des objectifs de la procédure de résolution.

53      Or, une interprétation selon laquelle les personnes ayant acquis des instruments de fonds propres antérieurement à la résolution pourraient, postérieurement à celle-ci, intenter des actions en responsabilité ou en nullité à des fins de réparation ou de restitution à la hauteur des fonds versés pour cette acquisition comporterait précisément le risque que le montant des instruments de fonds propres faisant l’objet d’un renflouement interne soit rétroactivement réduit, ce qui serait susceptible de remettre en cause la réalisation des objectifs poursuivis par la mesure de résolution.

54      Dans une telle perspective, l’article 60, paragraphe 2, premier alinéa, sous c), et paragraphe 3, de la directive 2014/59 prévoit qu’aucune indemnisation n’est versée aux détenteurs des instruments de fonds propres pertinents, sauf dans les cas de conversion de tels instruments visés à ce paragraphe 3, et que, dans ces cas, l’indemnisation prend la forme d’une émission d’instruments de fonds propres en faveur de ces détenteurs. En effet, en limitant l’indemnisation à une telle émission d’instruments de fonds propres, ces dispositions permettent d’éviter que cette indemnisation puisse réduire rétroactivement le montant des fonds propres utilisés aux fins de la résolution.

55      Deuxièmement, en ce qui concerne les objectifs poursuivis par la directive 2014/59, le considérant 49 de celle-ci indique que les instruments de résolution ne devraient s’appliquer, pour faire face à des situations d’extrême urgence, qu’aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement dont la défaillance est avérée ou prévisible et uniquement si cela est nécessaire pour atteindre l’objectif de stabilité financière dans l’intérêt général. Une telle procédure devrait ainsi s’appliquer lorsque l’établissement de crédit ou l’entreprise d’investissement en cause ne peut pas être liquidé selon une procédure normale d’insolvabilité sans déstabiliser le système financier. En outre, ainsi qu’il a été énoncé au considérant 45 de ladite directive, la procédure de résolution vise à réduire l’aléa moral dans le secteur financier en faisant prioritairement supporter les pertes subies du fait de la liquidation d’un établissement de crédit ou d’une entreprise d’investissement aux actionnaires, de manière à éviter que cette liquidation porte atteinte aux ressources de l’État et nuise à la protection des déposants [arrêt Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular), point 35].

56      La directive 2014/59 prévoit donc le recours, dans un contexte économique exceptionnel, à une procédure pouvant affecter notamment les droits des actionnaires et des créanciers d’un établissement de crédit ou d’une entreprise d’investissement, afin de préserver la stabilité financière des États membres, en créant un régime d’insolvabilité dérogatoire au droit commun des procédures d’insolvabilité, dont la mise en œuvre n’est autorisée que dans des circonstances exceptionnelles et doit être justifiée par un intérêt général supérieur. Le caractère dérogatoire de ce régime implique que l’application d’autres dispositions du droit de l’Union peut être écartée lorsque ces dernières sont susceptibles de priver d’effet utile ou d’entraver la mise en œuvre de la procédure de résolution [arrêt Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular), point 37].

57      À cet égard, il est précisé, au considérant 120 de la directive 2014/59, que les dérogations prévues par cette directive aux règles obligatoires pour la protection des actionnaires et des créanciers des établissements relevant du champ d’application des directives de l’Union en matière de droit des sociétés, qui peuvent entraver l’action efficace et l’utilisation d’instruments et de pouvoirs de résolution par les autorités compétentes, doivent être non seulement appropriées, mais aussi clairement et strictement définies, afin de garantir aux intéressés une sécurité juridique maximale [arrêt Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular), point 38].

58      La directive 2003/71, qui avait pour objectif la protection des investisseurs au moment où ils décident de se porter acquéreurs de valeurs mobilières d’un établissement de crédit ou d’une entreprise d’investissement, figure parmi les « directives de l’Union en matière de droit des sociétés » visées au considérant 120 de la directive 2014/59. Partant, cette dernière directive permet de déroger aux dispositions de la directive 2003/71, pour autant que leur application est susceptible de priver d’effet utile ou d’entraver la mise en œuvre d’une procédure de résolution [voir, en ce sens, arrêt Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular), points 39 et 40].

59      En ce qui concerne tant l’action en responsabilité que l’action en nullité, la Cour a relevé que ces actions reviennent à exiger que l’établissement de crédit ou l’entreprise d’investissement soumis à la procédure de résolution, ou le successeur de ces entités, indemnise les actionnaires des pertes subies en conséquence de l’exercice, par une autorité de résolution, du pouvoir de dépréciation et de conversion à l’égard d’éléments de passif de cet établissement ou de cette entreprise, ou à exiger qu’il procède au remboursement total des sommes investies lors de la souscription d’actions qui ont été dépréciées du fait de cette procédure de résolution. De telles actions remettraient en cause toute la valorisation sur laquelle est fondée la décision de résolution, puisque la composition du capital fait partie des données objectives de cette valorisation et, partant, seraient susceptibles de mettre en échec la procédure même de résolution ainsi que les objectifs poursuivis par la directive 2014/59 [arrêt Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular), point 43].

60      Dans ces conditions, la Cour a jugé, au point 44 de l’arrêt Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular), que la mise en œuvre de l’article 34, paragraphe 1, sous a), de l’article 53, paragraphes 1 et 3, ainsi que de l’article 60, paragraphe 2, premier alinéa, sous b) et c), de la directive 2014/59 exclut qu’une action en responsabilité, prévue à l’article 6 de la directive 2003/71, ou qu’une action en nullité du contrat de souscription d’actions, prévue par le droit national, soit intentée, contre l’établissement de crédit ou l’entreprise d’investissement émetteur du prospectus ou l’entité lui ayant succédé, postérieurement à l’adoption de la décision de résolution sur le fondement de ces dispositions.

61      En l’occurrence, si les requérants au principal dans les affaires C-779/22 et C-794/22 ont initialement acquis des instruments de fonds propres autres que des actions de Banco Popular, il ressort des indications fournies dans les demandes de décision préjudicielle que ces instruments avaient déjà été convertis en actions de Banco Popular antérieurement à la résolution de cette banque et que, dans le cadre de la résolution de celle-ci, les actions résultant de cette conversion ont fait l’objet d’une mesure de dépréciation et de conversion aux fins du renflouement interne de ladite banque. Compte tenu des considérations qui précèdent, les dispositions de la directive 2014/59 visées au point précédent du présent arrêt font, dès lors, obstacle à ce que des acquéreurs de tels instruments de fonds propres puissent intenter une telle action en responsabilité ou une telle action en nullité du contrat d’acquisition desdits instruments postérieurement à l’adoption de la décision de résolution.

62      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées dans les affaires C‑779/22 et C-794/22 que les dispositions combinées de l’article 34, paragraphe 1, sous a) et b), de l’article 53, paragraphes 1 et 3, ainsi que de l’article 60, paragraphe 2, premier alinéa, sous b) et c), de la directive 2014/59 doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce que, postérieurement à la dépréciation totale des actions du capital social d’un établissement de crédit soumis à une procédure de résolution, les personnes ayant acquis des instruments de fonds propres qui ont été convertis en actions de cet établissement de crédit avant l’adoption des mesures de résolution contre celui-ci introduisent, contre ledit établissement ou contre l’entité lui ayant succédé, une action en responsabilité engagée en raison d’informations défectueuses et erronées fournies dans le prospectus, telle que prévue à l’article 6 de la directive 2003/71, ou une action en nullité du contrat de souscription de ces instruments de fonds propres au titre du droit national, qui, compte tenu de son effet rétroactif, aboutirait à la restitution de la contre-valeur desdits instruments de fonds propres initialement acquis, puis convertis en actions, majorée d’intérêts à compter de la date de la conclusion de ce contrat.

 Sur la question unique posée dans l’affaire C-775/22

63      À titre liminaire, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. En conséquence, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi a limité sa question à l’interprétation d’une disposition particulière du droit de l’Union, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments dudit droit qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige au principal (voir, en ce sens, arrêts du 18 septembre 2019, VIPA, C‑222/18, EU:C:2019:751, point 50 et jurisprudence citée, ainsi que du 30 juin 2022, Valstybės sienos apsaugos tarnyba e.a., C‑72/22 PPU, EU:C:2022:505, point 51].

64      Si la question posée dans l’affaire C-775/22 porte, notamment, sur l’interprétation de l’article 53, paragraphe 3, et de l’article 60, paragraphe 2, premier alinéa, sous b) et c), de la directive 2014/59, il convient de relever que ces dispositions régissent uniquement les effets d’une mesure de dépréciation sur les droits des actionnaires et des créanciers d’un établissement de crédit soumis à une procédure de résolution. Toutefois, les obligations subordonnées en cause dans cette affaire n’ont été converties en actions de Banco Popular que dans le cadre de la résolution de cette banque et les actions issues de cette conversion ont immédiatement été transférées à Banco Santander, sans avoir fait l’objet d’une dépréciation. Or, les effets d’un tel transfert des actions sont régis, notamment, par les dispositions de l’article 38 de cette directive.

65      Dans ces conditions, il convient de comprendre que, par sa question unique dans l’affaire C-775/22, la juridiction de renvoi cherche, en substance, à savoir si les dispositions de la directive 2014/59, notamment l’article 34, paragraphe 1, sous a) et b), ainsi que l’article 38 de celle-ci, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce que, postérieurement à la dépréciation totale des actions du capital social d’un établissement de crédit soumis à une procédure de résolution, les personnes ayant acquis des instruments de fonds propres qui, dans le cadre de cette procédure, ont été convertis en actions de cet établissement de crédit, lesquelles ont, par la suite, été transférées à un autre établissement de crédit introduisent contre ce dernier établissement une action en nullité du contrat de souscription desdits instruments de fonds propres au titre du droit national, qui, compte tenu de son effet rétroactif, aboutirait à la restitution de la contre-valeur desdits instruments de fonds propres, majorée d’intérêts à compter de la date de la conclusion de ce contrat.

66      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 37, paragraphe 3, sous a) et d), ainsi que paragraphe 4, de la directive 2014/59, les autorités de résolution peuvent combiner l’instrument de renflouement interne avec celui de la cession des activités de l’établissement. Ainsi qu’il ressort de l’article 2, points 57 et 58, de cette directive, si le premier de ces instruments comporte les pouvoirs de dépréciation et de conversion, le second consiste dans le transfert, notamment, des actions ou d’autres titres de propriété émis par un établissement soumis à une procédure de résolution à un acquéreur autre qu’un établissement-relais.

67      Or, il découle des dispositions de l’article 38, paragraphes 1, 4 et 6, de ladite directive que, dans le cadre de ce second instrument, la propriété des actions ou d’autres titres de propriété étant transférée à l’acquéreur, les propriétaires initiaux perdent non seulement la propriété, mais également la qualité d’« actionnaire » ou de « créancier » de l’établissement de crédit soumis à la procédure de résolution. En outre, l’article 38, paragraphe 9, sous a), de la même directive précise qu’un tel transfert d’actions ou d’autres titres de propriété à l’acquéreur a un effet juridique immédiat.

68      Il apparaît ainsi que les anciens actionnaires de l’établissement de crédit soumis à la procédure de résolution dont les actions ont été transférées dans le cadre de la résolution ne sont plus actionnaires, ni de cet établissement de crédit ni de son successeur. Comme le confirme l’article 38, paragraphe 13, de la directive 2014/59, ils perdent tout droit direct ou indirect sur les actifs, les droits ou les engagements transférés.

69      Cette dernière disposition fait, à l’instar de l’article 53, paragraphe 3, et de l’article 60, paragraphe 2, premier alinéa, sous b), de la directive 2014/59, obstacle à ce que les créanciers et les actionnaires puissent, avec un effet rétroactif, mettre en échec la procédure de résolution ainsi que les objectifs poursuivis par celle-ci, en introduisant, postérieurement à la résolution, des actions en nullité du contrat de souscription d’actions ou d’instruments de fonds propres convertis en actions.

70      En outre, une telle action serait susceptible de permettre aux créanciers et aux actionnaires d’éviter rétroactivement les pertes qu’ils doivent supporter prioritairement selon le principe consacré à l’article 34, paragraphe 1, sous a) et b), de cette directive. À cet égard, la circonstance que les instruments de fonds propres en cause au principal ont fait l’objet d’une conversion et d’un transfert dans le cadre de la procédure de résolution n’est pas de nature à les distinguer des actions souscrites dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular), lesquelles ont été dépréciées aux fins de la réalisation des objectifs poursuivis par la même procédure de résolution.

71      L’interprétation selon laquelle les dispositions de la directive 2014/59 s’opposent à l’introduction d’une telle action en nullité n’est pas mise en cause par les arguments des requérants au principal, résumés aux points 36 à 38 du présent arrêt.

72      S’agissant, en premier lieu, du droit de résilier une obligation contractuelle pour des raisons autres qu’une décision de résolution, visé notamment à l’article 64, paragraphe 4, sous b), et à l’article 68, paragraphe 4, de la directive 2014/59, il découle de la définition légale figurant à l’article 2, paragraphe 1, point 82, de cette directive qu’un « droit de résiliation » est susceptible de mettre fin à un contrat ou de le modifier avec un effet ex nunc.

73      En revanche, une action en nullité est susceptible de produire un effet ex tunc, comportant le risque de remettre rétroactivement en cause les relations contractuelles liant l’établissement bancaire soumis à une procédure de résolution à ces actionnaires et, partant, de modifier rétroactivement la composition du capital social sur laquelle est fondée la mesure de résolution. En tout état de cause, tant l’exercice d’un droit de résiliation qu’une action en nullité présupposent l’existence d’un contrat pouvant être annulé ou résilié. Toutefois, ainsi qu’il a été relevé aux points 67 et 68 du présent arrêt, un transfert des actions et d’autres titres de propriété a pour effet de rompre les liens contractuels qui existaient, avant ce transfert, entre l’établissement bancaire soumis à une procédure de résolution et les actionnaires ainsi que les créanciers de celui-ci.

74      En ce qui concerne, en second lieu, l’objectif visé à l’article 34, paragraphe 1, sous g), de la directive 2014/59, il convient de relever que, si cette disposition prévoit qu’aucun créancier n’encourt des pertes plus importantes que celles qu’il aurait subies si l’établissement ayant fait l’objet d’une résolution avait été liquidé selon une procédure normale d’insolvabilité, il découle des termes mêmes de cette disposition que cet objectif doit être assuré « conformément aux mesures de sauvegarde prévues aux articles 73 à 75 [de ladite directive] ».

75      En vertu de l’article 73, sous b), de la directive 2014/59, les actionnaires et les créanciers se voient reconnaître le droit, lors d’une procédure de résolution, à un remboursement ou à une indemnisation de leurs créances qui ne soit pas inférieur à l’estimation de ce qu’ils auraient récupéré si l’ensemble de l’établissement ou de l’entreprise en cause avait été liquidé selon une procédure normale d’insolvabilité. À cet égard, l’article 75 de cette directive précise que les actionnaires ont droit au paiement de la différence entre les pertes subies dans le cadre de la résolution et celles qui auraient été subies dans le cadre d’une liquidation normale [voir, en ce sens, arrêt Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular), points 48 et 50].

76      Selon l’article 74, paragraphe 1, de ladite directive, l’application des mesures de sauvegarde visées au point précédent du présent arrêt est subordonnée à la réalisation d’une valorisation par une personne indépendante procédant, dans les meilleurs délais après l’exécution de la mesure de résolution, à une comparaison a posteriori du traitement effectivement réservé aux actionnaires et aux créanciers ainsi que du traitement qu’ils auraient reçu dans le cadre d’une procédure normale d’insolvabilité.

77      Or, la circonstance que la directive 2014/59 prévoit un tel régime spécifique de sauvegarde des intérêts des actionnaires et des créanciers d’une banque en résolution exclut que ces actionnaires ou ces créanciers puissent introduire, postérieurement à l’exécution de la procédure de résolution, des actions en nullité afin d’obtenir, indépendamment du résultat de la valorisation prévue à cet article 74, la restitution des sommes versées pour l’acquisition des instruments de fonds propres concernés.

78      En l’occurrence, il en va d’autant plus ainsi compte tenu du fait que la restitution en cause au principal est demandée au successeur de l’établissement de crédit soumis à une procédure de résolution, alors que le paiement prévu à l’article 75, lu en combinaison avec l’article 101, paragraphe 1, sous e), de cette directive, est non pas à la charge de ce successeur, mais à celle du dispositif de financement pour la résolution.

79      Par ailleurs, les requérants au principal ont, en substance, invoqué une limitation de leur droit à une protection juridictionnelle effective en ce qui concerne leur droit d’introduire une action en nullité du contrat de souscription d’actions ou d’instruments de fonds propres convertis en actions.

80      À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le droit à la protection juridictionnelle garanti à l’article 47 de la Charte ne constitue pas une prérogative absolue et son exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union. Par conséquent, ainsi qu’il ressort de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, des restrictions peuvent être apportées à ce droit fondamental, à la condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général poursuivis et ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti [arrêts du 19 décembre 2019, Deutsche Umwelthilfe, C752/18EU:C:2019:1114, point 44, et Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular), point 47].

81      En outre, la Cour a déjà jugé que, bien qu’il y ait un intérêt général clair de garantir à travers l’Union une protection forte et cohérente des investisseurs, cet intérêt ne peut pas être considéré comme primant en toutes circonstances l’intérêt général consistant à garantir la stabilité du système financier [voir, en ce sens, arrêts du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C‑526/14, EU:C:2016:570, point 91 ; du 8 novembre 2016, Dowling e.a., C‑41/15, EU:C:2016:836, point 54, ainsi que Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular), point 36].

82      Or, ainsi qu’il a été rappelé au point 55 du présent arrêt, en faisant supporter prioritairement aux actionnaires les pertes subies par un établissement de crédit ou une entreprise d’investissement, la directive 2014/59 vise à assurer la stabilité du système financier de l’Union. En outre, il ressort de l’article 32, paragraphes 1 et 5, de cette directive, lu à la lumière du considérant 49 de celle-ci, qu’une telle procédure ne devrait s’appliquer que dans ces circonstances économiques exceptionnelles et d’extrême urgence, lorsque l’établissement de crédit ou l’entreprise d’investissement en cause ne peut pas être liquidé selon une procédure normale d’insolvabilité sans déstabiliser le système financier de l’Union.

83      Si les dispositions de la directive 2014/59 empêchent les requérants au principal dans l’affaire C-775/22 d’introduire, postérieurement à l’adoption de la décision de résolution, une action en nullité afin d’obtenir une restitution des sommes versées au moment de l’acquisition des instruments de fonds propres en cause au principal, ils peuvent, toutefois, demander un remboursement ou une indemnisation au titre du mécanisme de sauvegarde prévu aux articles 73 à 75 de cette directive et introduire, à cet effet, un recours juridictionnel. Or, la Cour a déjà jugé que la valorisation prévue, à cet effet, à l’article 74 de ladite directive peut être contestée indépendamment de la décision de procéder à une résolution [arrêt Banco Santander (Résolution bancaire Banco Popular), point 49].

84      En outre, la mesure de résolution, telle qu’elle résulte de la décision de la Commission portant approbation d’un dispositif de résolution, est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation au titre de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 18 juin 2024, Commission/CRU, C‑551/22 P, EU:C:2024 :520, point 96). Un tel recours participe à la protection juridictionnelle effective des actionnaires et des créanciers, également en ce qu’une éventuelle annulation de la mesure de résolution permettrait d’introduire une action en nullité du contrat de souscription d’actions ou d’instruments de fonds propres convertis en actions.

85      Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la question unique posée dans l’affaire C-775/22 que les dispositions de la directive 2014/59, notamment l’article 34, paragraphe 1, sous a) et b), ainsi que l’article 38 de celle-ci, doivent être interprétées en ce sens qu’elles s’opposent à ce que, postérieurement à la dépréciation totale des actions du capital social d’un établissement de crédit soumis à une procédure de résolution, les personnes ayant acquis des instruments de fonds propres qui, dans le cadre de cette procédure, ont été convertis en actions de cet établissement de crédit, lesquelles ont, par la suite, été transférées à un autre établissement de crédit introduisent contre ce dernier établissement une action en nullité du contrat de souscription de ces instruments de fonds propres au titre du droit national, qui, compte tenu de son effet rétroactif, aboutirait à la restitution de la contre-valeur desdits instruments de fonds propres, majorée d’intérêts à compter de la date de la conclusion de ce contrat.

 Sur les dépens

86      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1)      Les dispositions combinées de l’article 34, paragraphe 1, sous a) et b), de l’article 53, paragraphes 1 et 3, ainsi que de l’article 60, paragraphe 2, premier alinéa, sous b) et c), de la directive 2014/59/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant un cadre pour le redressement et la résolution des établissements de crédit et des entreprises d’investissement et modifiant la directive 82/891/CEE du Conseil ainsi que les directives du Parlement européen et du Conseil 2001/24/CE, 2002/47/CE, 2004/25/CE, 2005/56/CE, 2007/36/CE, 2011/35/UE, 2012/30/UE et 2013/36/UE et les règlements du Parlement européen et du Conseil (UE) no 1093/2010 et (UE) no 648/2012,

doivent être interprétées en ce sens que :

elles s’opposent à ce que, postérieurement à la dépréciation totale des actions du capital social d’un établissement de crédit soumis à une procédure de résolution, les personnes ayant acquis des instruments de fonds propres qui ont été convertis en actions de cet établissement de crédit avant l’adoption des mesures de résolution contre celui-ci introduisent, contre ledit établissement ou contre l’entité lui ayant succédé, une action en responsabilité engagée en raison d’informations défectueuses et erronées fournies dans le prospectus, telle que prévue à l’article 6 de la directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation, et modifiant la directive 2001/34/CE, ou une action en nullité du contrat de souscription de ces instruments de fonds propres au titre du droit national, qui, compte tenu de son effet rétroactif, aboutirait à la restitution de la contre-valeur desdits instruments de fonds propres initialement acquis, puis convertis en actions, majorée d’intérêts à compter de la date de la conclusion de ce contrat.

2)      Les dispositions de la directive 2014/59, notamment l’article 34, paragraphe 1, sous a) et b), ainsi que l’article 38 de celle-ci,

doivent être interprétées en ce sens que :

elles s’opposent à ce que, postérieurement à la dépréciation totale des actions du capital social d’un établissement de crédit soumis à une procédure de résolution, les personnes ayant acquis des instruments de fonds propres qui, dans le cadre de cette procédure, ont été convertis en actions de cet établissement de crédit, lesquelles ont, par la suite, été transférées à un autre établissement de crédit introduisent contre ce dernier établissement une action en nullité du contrat de souscription de ces instruments de fonds propres au titre du droit national, qui, compte tenu de son effet rétroactif, aboutirait à la restitution de la contre-valeur desdits instruments de fonds propres, majorée d’intérêts à compter de la date de la conclusion de ce contrat.

Signatures


*      Langue de procédure : l’espagnol.

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