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Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) |
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You are here: BAILII >> Databases >> Court of Justice of the European Communities (including Court of First Instance Decisions) >> Mhana v Council (Common foreign and security policy - Restrictive measures taken in view of the situation in Syria - Judgment) French Text [2024] EUECJ T-207/22 (17 July 2024) URL: http://www.bailii.org/eu/cases/EUECJ/2024/T20722.html Cite as: [2024] EUECJ T-207/22 |
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ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)
17 juillet 2024 (*)
« Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives prises en raison de la situation en Syrie – Gel des fonds et des ressources économiques – Restriction en matière d’admission sur le territoire des États membres – Liste des personnes, des entités et des organismes auxquels s’applique le gel des fonds et des ressources économiques ou faisant l’objet de restrictions en matière d’admission sur le territoire des États membres – Inscription et maintien du nom du requérant sur la liste – Héritier d’une personne déjà visée par des mesures restrictives – Droits de la défense – Erreur d’appréciation – Proportionnalité – Droit de propriété – Responsabilité non contractuelle »
Dans l’affaire T‑207/22,
Ghada Mhana, demeurant à Damas (Syrie), représentée par Mes G. Karouni et E. Assogba, avocats,
partie requérante,
contre
Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. A. Limonet et V. Piessevaux, en qualité d’agents,
partie défenderesse,
LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),
composé de MM. L. Truchot, président, H. Kanninen, Mme R. Frendo (rapporteure), M. M. Sampol Pucurull et Mme T. Perišin, juges,
greffier : M. L. Ramette, administrateur,
vu la phase écrite de la procédure,
à la suite de l’audience du 16 juin 2023,
rend le présent
Arrêt
1 Par son recours, la requérante, Mme Ghada Mhana, demande, d’une part, sur le fondement de l’article 263 TFUE, l’annulation, premièrement, de la décision d’exécution (PESC) 2022/242 du Conseil, du 21 février 2022, mettant en œuvre la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2022, L 40, p. 26), et du règlement d’exécution (UE) 2022/237 du Conseil, du 21 février 2022, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2022, L 40, p. 6) (ci-après, pris ensemble, les « actes initiaux »), et, deuxièmement, de la décision (PESC) 2023/1035 du Conseil, du 25 mai 2023, modifiant la décision 2013/255/PESC concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2023, L 139, p. 49), et du règlement d’exécution (UE) 2023/1027 du Conseil, du 25 mai 2023, mettant en œuvre le règlement (UE) no 36/2012 concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2023, L 139, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de maintien »), en tant que ces actes la concernent (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »), et, d’autre part, sur le fondement de l’article 268 TFUE, la réparation du préjudice qu’elle aurait subi en raison de l’adoption des actes attaqués.
Antécédents du litige et faits postérieurs à l’introduction du recours
2 La requérante est l’une des veuves de M. Mohammed Makhlouf, un homme d’affaires de nationalité syrienne.
3 La présente affaire s’inscrit dans le cadre des mesures restrictives adoptées, à compter de l’année 2011, par le Conseil de l’Union européenne à l’encontre de la Syrie et des personnes responsables de la répression violente exercée contre la population civile syrienne.
4 Le 9 mai 2011, le Conseil a adopté la décision 2011/273/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2011, L 121, p. 11), « condamn[ant] fermement la répression violente […] des manifestations pacifiques en divers endroits dans toute la Syrie ». Il a institué, notamment, des restrictions à l’entrée sur le territoire de l’Union européenne ainsi qu’un gel des fonds et des ressources économiques de certaines personnes et entités « responsables de la répression violente exercée contre la population civile syrienne ». Considérant qu’une action réglementaire au niveau de l’Union était nécessaire pour assurer la mise en œuvre de la décision 2011/273/, le Conseil a également adopté le règlement (UE) no 442/2011, du 9 mai 2011, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie (JO 2011, L 121, p. 1).
5 Les noms des personnes « responsables de la répression violente exercée contre la population civile en Syrie » ainsi que ceux des personnes physiques ou morales et des entités qui leur sont liées ont été mentionnés à l’annexe de la décision 2011/273, et à l’annexe II du règlement no 442/2011.
6 Le 1er août 2011, le Conseil a adopté la décision d’exécution 2011/488/PESC, mettant en œuvre la décision 2011/273 (JO 2011, L 199, p. 74), et le règlement d’exécution (UE) no 755/2011, mettant en œuvre le règlement no 442/2011 (JO 2011, L 199, p. 33), afin d’inclure, notamment, le nom de M. Mohammed Makhlouf dans les annexes respectives répertoriant les personnes et les entités visées par les mesures restrictives (voir point 5 ci-dessus).
7 Le 18 janvier 2012, le Conseil a adopté le règlement (UE) no 36/2012, concernant des mesures restrictives en raison de la situation en Syrie et abrogeant le règlement (UE) no 442/2011 (JO 2012, L 16, p 1), et, le 31 mai 2013, la décision 2013/255/PESC, concernant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie (JO 2013, L 147, p. 14) (ci-après, pris ensemble, les « actes de base »), notamment, pour imposer des mesures restrictives aux personnes bénéficiant des politiques menées par le régime syrien ou soutenant celui-ci et les personnes qui leur sont liées. Les noms de celles-ci figurent désormais à l’annexe II du règlement no 36/2012 et à l’annexe de la décision 2013/255 (ci‑après les « listes litigieuses »).
8 Compte tenu de la gravité de la situation en Syrie, ainsi qu’il ressort de son considérant 5, le Conseil a adopté, le 12 octobre 2015, la décision (PESC) 2015/1836, modifiant la décision 2013/255 (JO 2015, L 266, p. 75), et le règlement (UE) 2015/1828, modifiant le règlement no 36/2012 (JO 2015, L 266, p. 1) (ci-après, pris ensemble, les « actes de 2015 »).
9 À cet égard, estimant que les mesures restrictives adoptées initialement par la décision 2011/273 n’avaient pas permis de mettre fin à la répression violente exercée par le régime syrien contre la population civile, le Conseil a décidé, ainsi qu’il ressort du considérant 5 de la décision 2015/1836, « qu’il [était] nécessaire de maintenir les mesures restrictives en vigueur et d’assurer leur efficacité, en les développant tout en maintenant l’approche ciblée et différenciée qui est la sienne et en gardant à l’esprit la situation humanitaire de la population syrienne » estimant que « certaines catégories de personnes et d’entités [revêtaient] une importance particulière pour l’efficacité de ces mesures restrictives, étant donné la situation spécifique qui [régnait] en Syrie ».
10 Par voie de conséquence, la rédaction des articles 27 et 28 de la décision 2013/255 a été modifiée par la décision 2015/1836. Ces articles prévoient désormais des restrictions à l’entrée ou au passage en transit sur le territoire des États membres ainsi que le gel des fonds et des ressources économiques des personnes relevant des catégories de personnes mentionnées au paragraphe 2, sous a) à g), dont la liste figure à l’annexe I, excepté, conformément à leur paragraphe 3, s’il existe des « informations suffisantes indiquant [que ces personnes] ne sont pas, ou ne sont plus, lié[e]s au régime ou qu’[elles] n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’[elles] ne sont pas associé[e]s à un risque réel de contournement ».
11 En particulier, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort du considérant 7 de la décision 2015/1836, « le pouvoir en Syrie s’exerce traditionnellement sur une base familiale et le pouvoir du régime syrien actuel est essentiellement entre les mains des membres influents des familles Assad et Makhlouf », il convenait de prévoir des mesures restrictives à l’encontre de certains membres de ces familles, tant pour influencer directement le régime syrien par le biais des membres de ces familles pour que celui-ci modifie sa politique de répression que pour éviter le risque de contournement des mesures restrictives par des membres desdites familles.
12 Ainsi, à la suite de l’adoption des actes de 2015, l’article 27, paragraphe 2, sous b) et l’article 28, paragraphe 2, sous b), de la décision 2013/255 soumettent désormais également aux mesures restrictives les « membres des familles Assad et Makhlouf » (ci-après le « critère de l’appartenance familiale »). Parallèlement, l’article 15 du règlement no 36/2012 a été complété par un paragraphe 1 bis, sous b), qui prévoit le gel des avoirs des membres de ces familles (ci-après, pris ensemble avec l’article 27, paragraphe 2, sous b), et l’article 28, paragraphe 2, sous b), de la décision 2013/255, les « dispositions érigeant le critère de l’appartenance familiale »).
13 Le 12 septembre 2020, M. Mohammed Makhlouf est décédé (ci-après le « défunt »). À cette date, le nom de celui-ci figurait toujours sur les listes litigieuses.
14 Le 21 février 2022, par les actes initiaux, le Conseil a inséré le nom de la requérante à la ligne 319 des listes litigieuses au motif suivant :
« Veuve de Mohammed Makhlouf. Membre de la famille Makhlouf. »
15 Pour justifier l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses, le Conseil s’est fondé sur la décision d’ouverture de la succession du défunt émanant d’un juge syrien portant la date du 27 septembre 2020 (ci-après la « décision d’ouverture de la succession »).
16 Trois jours après l’adoption des actes initiaux, à savoir le 24 février 2022, le Conseil a adopté la décision (PESC) 2022/306, mettant en œuvre la décision 2013/255 (JO 2022, L 46, p. 95), et le règlement d’exécution (UE) 2022/299, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2022, L 46, p. 1), pour supprimer le nom du défunt des listes litigieuses.
17 Le 14 avril 2022, la requérante a adressé au Conseil une demande visant à retirer son nom des listes litigieuses (ci-après la « demande de réexamen »).
18 Le Conseil a rejeté la demande de réexamen par une lettre du 31 mai suivant (ci‑après la « réponse du Conseil ») au motif qu’il existait des raisons suffisantes pour maintenir l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses en tant que membre de la famille Makhlouf et héritière du défunt. À cette occasion, il a communiqué à cette dernière la décision d’ouverture de la succession venant au soutien du motif d’inscription du nom de celle-ci sur lesdites listes.
19 Dans sa réponse, le Conseil a informé la requérante de l’adoption de la décision (PESC) 2022/849 du Conseil, du 30 mai 2022, modifiant la décision 2013/255 (JO 2022, L 148, p. 52), et du règlement d’exécution (UE) 2022/840 du Conseil, du 31 mai 2022, mettant en œuvre le règlement no 36/2012 (JO 2022, L 148, p. 8), par lesquels il avait maintenu le nom de celle-ci sur les listes litigieuses jusqu’au 1er juin 2023.
20 Le 25 mai 2023, le Conseil a adopté les actes de maintien prorogeant, en substance, l’application des actes de base et des listes litigieuses, notamment à l’encontre de la requérante, jusqu’au 1er juin 2024.
Conclusions des parties
21 À la suite de l’adaptation de la requête en application de l’article 86 du règlement de procédure du Tribunal, la requérante conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– annuler les actes attaqués ;
– condamner le Conseil à lui verser, d’une part, une indemnité de 10 000 euros, au titre du préjudice moral subi en raison de l’adoption des actes initiaux et, d’autre part, une indemnité de 10 000 euros au titre du préjudice moral subi en raison des actes de maintien ;
– condamner le Conseil aux dépens.
22 Le Conseil conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours dans son intégralité ;
– à titre subsidiaire, en cas d’annulation des actes initiaux en ce qu’ils concernent la requérante, maintenir les effets de la décision d’exécution 2022/242 à son égard jusqu’à la prise d’effet de l’annulation du règlement d’exécution 2022/237 ;
– condamner la requérante aux dépens.
En droit
Sur la recevabilité de l’adaptation de la requête
23 Par son mémoire en adaptation, la requérante demande à étendre la portée de son recours, sur le fondement de l’article 86 du règlement de procédure, afin que celui-ci vise l’annulation des actes de maintien en ce qu’ils la concernent.
24 Lors de l’audience, le Conseil a contesté la recevabilité de l’adaptation de la requête en faisant valoir que la requérante n’avait pas contesté la décision 2022/849 ni le règlement d’exécution 2022/840, par lesquels l’inscription du nom de celle-ci sur les listes litigieuses avait été maintenue en vigueur, avant l’adoption des actes de maintien.
25 À cet égard, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure, « [l]orsqu’un acte, dont l’annulation est demandée, est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, le requérant peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure […], adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau ».
26 En l’espèce, premièrement, il convient d’observer que tant les actes initiaux que les actes de maintien, en tant qu’ils concernent la requérante, ont pour objet d’imposer à celle-ci des mesures restrictives individuelles consistant en des restrictions en matière d’admission et un gel de tous ses fonds et ressources économiques.
27 Deuxièmement, dans le cadre du régime instaurant des mesures restrictives à l’encontre de la Syrie, les mesures restrictives individuelles prennent la forme d’une inscription du nom des personnes, des entités ou des organismes ciblés sur les listes litigieuses qui figurent dans les annexes de la décision 2013/255 et du règlement no 36/2012.
28 Dans ce contexte, les actes initiaux ont modifié les annexes de la décision 2013/255 et du règlement no 36/2012 pour inscrire, notamment, le nom de la requérante sur les listes litigieuses. Quant aux actes de maintien, il y a lieu de constater, d’une part, que la décision 2023/1035 qui a prorogé jusqu’au 1er juin 2024 l’applicabilité de la décision 2013/255, dont l’annexe I, telle que modifiée par la décision d’exécution 2022/242, mentionne ledit nom et, d’autre part, que le règlement d’exécution 2023/1027 a modifié l’annexe II du règlement no 36/2012, tout en maintenant, à tout le moins implicitement, l’inscription de ce nom dans cette dernière annexe. Partant, les actes de maintien doivent être vus comme ayant remplacé, au sens de l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure, les actes initiaux.
29 Il s’ensuit que, conformément à l’objectif d’économie de la procédure qui sous-tend l’article 86 du règlement de procédure (voir, en ce sens, arrêt du 13 septembre 2018, Almaz-Antey/Conseil, T‑515/15, non publié, EU:T:2018:545, points 43 et 44), la requérante, ayant demandé l’annulation des actes initiaux dans la requête, était en droit, dans le cadre de la présente procédure, d’adapter la requête afin de demander, également, l’annulation des actes de maintien, et ce quand bien même elle n’avait pas auparavant adapté la requête pour demander l’annulation de la décision 2022/849 et du règlement d’exécution 2022/840.
30 Il y a donc lieu de conclure que l’adaptation de la requête est recevable.
Sur les conclusions en annulation
31 Au soutien de ses conclusions en annulation, la requérante invoque quatre moyens, tirés en substance :
– le premier, de la violation des garanties procédurales ;
– le deuxième, d’une erreur d’appréciation ;
– les troisième et quatrième, d’une limitation illégale du droit fondamental à la propriété de la requérante.
Sur le premier moyen tiré, en substance, de la violation des garanties procédurales
32 Le présent moyen se compose, en substance, de deux branches. Par la première branche, la requérante fait valoir que le Conseil a violé ses droits de la défense en ne l’ayant pas entendue préalablement à l’adoption des actes initiaux. Par la seconde branche, elle reproche au Conseil d’avoir répondu à la demande de réexamen de façon sommaire ce qui démontrerait que ce dernier n’a pas, ainsi qui lui incombe, examiné ladite demande avec soin et impartialité.
– Sur la recevabilité du moyen, tiré, en substance, de la violation des garanties procédurales, avancé dans le mémoire en adaptation
33 Dans le mémoire en adaptation, au soutien de sa demande en annulation des actes de maintien, la requérante avance, à l’appui de son argument relatif à la violation de son droit d’être entendue par le Conseil, les mêmes arguments que ceux avancés au stade de la requête. Aucun nouvel argument, propre au respect des garanties procédurales entourant l’adoption des actes de maintien, n’est avancé.
34 Il en va essentiellement de même en ce qui concerne l’argumentation avancée par la requérante dans le cadre de la seconde branche du présent moyen, soulevée au stade de la réplique, qui se rattache à la demande de réexamen présentée par la requérante à la suite de l’adoption des actes initiaux. Il y a lieu de relever que, dans le mémoire en adaptation, la requérante se borne à répéter les mêmes arguments avancés au sujet de ladite demande, laquelle se rattachait aux actes initiaux.
35 Conformément à l’article 86, paragraphe 1, du règlement de procédure, lorsqu’un acte, dont l’annulation est demandée, est remplacé ou modifié par un autre acte ayant le même objet, le requérant peut, avant la clôture de la phase orale de la procédure ou avant la décision du Tribunal de statuer sans phase orale de la procédure, adapter la requête pour tenir compte de cet élément nouveau. En outre, l’article 86, paragraphe 4, sous b), dudit règlement, dispose que le mémoire en adaptation contient, s’il y a lieu, les moyens et les arguments adaptés.
36 Il ressort de la jurisprudence que lorsqu’un acte ultérieur attaqué par la voie de l’adaptation de la requête est, pour l’essentiel, le même qu’un acte initialement attaqué, ou qu’il ne diffère de celui-ci que par des différences purement formelles, il ne peut être exclu que, en n’assortissant pas sa demande d’adaptation de moyens et d’arguments eux-mêmes adaptés, le requérant ait entendu implicitement mais nécessairement s’en rapporter aux moyens et aux arguments de sa requête introductive d’instance (voir, en ce sens, arrêt du 24 janvier 2019, Haswani/Conseil, C‑313/17 P, EU:C:2019:57, point 37).
37 Dans un tel cas de figure, il appartient au Tribunal, lorsqu’il examine la recevabilité du mémoire en adaptation, de vérifier si l’acte attaqué par la voie de l’adaptation de la requête présente, par rapport à l’acte attaqué par la voie de la requête introductive d’instance, des différences substantielles telles qu’elles rendraient nécessaire une adaptation des moyens et des arguments présentés au soutien de la requête introductive d’instance (arrêt du 24 janvier 2019, Haswani/Conseil, C‑313/17 P, EU:C:2019:57, point 38).
38 Enfin, il y a lieu de relever que, selon la jurisprudence, les moyens et les arguments invoqués à l’encontre de l’acte justifiant l’adaptation de la requête doivent être exposés au sein du mémoire en adaptation de manière suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur cette adaptation (voir arrêt du 28 avril 2021, Sharif/Conseil, T‑540/19, non publié, EU:T:2021:220, point 185 et jurisprudence citée).
39 En outre, il ressort également de la jurisprudence que la partie requérante doit, en principe, expliquer en quoi les moyens et les arguments précédemment invoqués sont transposables à l’acte visé par son adaptation. En effet, en l’absence d’explications apportées par la partie requérante, les moyens que celle-ci a développés dans la requête ne sont recevables à l’égard de l’acte visé par son adaptation que dans la mesure où leur transposition au contexte propre à cet acte ne nécessite aucune explication (voir arrêt du 28 avril 2021, Sharif/Conseil, T‑540/19, non publié, EU:T:2021:220, point 186 et jurisprudence citée).
40 En l’espèce, par les actes initiaux, le Conseil a procédé à la première inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses. À cet égard, il convient de relever que, afin d’atteindre l’objectif poursuivi par les actes litigieux, les mesures restrictives en cause devaient, par leur nature même, bénéficier d’un effet de surprise. Pour cette raison, le Conseil n’était, notamment, pas tenu de procéder à une audition de la requérante préalablement à l’inscription initiale du nom de celle-ci sur les listes litigieuses (voir, en ce sens, arrêt du 15 novembre 2012, Conseil/Bamba, C‑417/11 P, EU:C:2012:718, point 74 et jurisprudence citée).
41 En revanche, l’effet de surprise justifiant la dérogation au droit d’être entendu préalablement à l’adoption des mesures restrictives n’est plus nécessaire au moment de l’adoption des actes de maintien. Il s’ensuit que la procédure qui aboutit à l’adoption des actes de maintien est substantiellement différente de celle qui mène à l’adoption des actes initiaux, rendant ainsi nécessaire une adaptation des moyens et des arguments présentés au soutien de la requête introductive et qui portent sur de prétendues irrégularités entourant la procédure d’adoption des actes initiaux.
42 Or, ainsi que cela a été relevé au point 33 ci-dessus, la requérante se limite à affirmer, dans le mémoire en adaptation, qu’elle « étend sa demande d’annulation » aux actes de maintien et qu’elle « se réfère aux faits et différents moyens exposés dans [l]a requête ». Les arguments tirés des irrégularités procédurales prétendument commises par le Conseil avancés dans la requête, dans le cadre du présent moyen, se rattachaient exclusivement aux actes initiaux et ont été reproduits dans le mémoire en adaptation sans être assortis de la moindre explication permettant de comprendre en quoi ils seraient transposables au contexte propre à la procédure d’adoption des actes de maintien.
43 Dès lors, en l’absence, dans le mémoire en adaptation, d’un quelconque argument propre aux irrégularités procédurales qui entacheraient les actes de maintien d’une éventuelle illégalité, il convient d’écarter le présent moyen avancé dans ledit mémoire en ce qu’il est soulevé au soutien de la demande en annulation des actes de maintien comme irrecevable.
44 Par conséquent, le présent moyen est recevable uniquement en ce qu’il est soulevé au soutien de la demande en annulation des actes initiaux.
– Sur la première branche, tirée de ce que le Conseil n’a pas entendu la requérante avant l’adoption des actes initiaux
45 La requérante soutient que, lors de l’adoption des actes initiaux, le Conseil a violé ses droits de la défense et son droit à un procès équitable, tels que prévus par les articles 6 et 13 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), en ce que le Conseil ne l’a pas entendue préalablement à l’adoption desdits actes. Elle soutient qu’il en va ainsi d’autant plus que les mesures restrictives revêtent un caractère coercitif, voire un caractère pénal, et affectent lourdement et durablement les droits des individus.
46 En premier lieu, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, les mesures restrictives adoptées par l’Union n’entraînent pas une confiscation des avoirs des intéressés en tant que produits du crime, mais un gel à titre conservatoire, de telle sorte qu’elles ne constituent pas une sanction pénale. Elles n’impliquent, par ailleurs, aucune accusation de cette nature [voir arrêt du 21 juillet 2016, Hassan/Conseil, T‑790/14, EU:T:2016:429, point 77 (non publié) et jurisprudence citée].
47 Il s’ensuit que l’argumentation de la requérante tirée du prétendu caractère pénal des mesures restrictives ne saurait prospérer.
48 En deuxième lieu, et toujours à titre liminaire, il convient de relever que si, comme le confirme l’article 6, paragraphe 3, TUE, les droits fondamentaux reconnus par la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux, cette dernière ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union (voir arrêt du 3 septembre 2015, Inuit Tapiriit Kanatami e.a./Commission, C‑398/13 P, EU:C:2015:535, point 45 et jurisprudence citée).
49 Par conséquent, il y a lieu, en l’espèce, de fonder l’examen de la validité des actes initiaux sur les dispositions pertinentes de la Charte.
50 Ainsi, dans la mesure où, en l’espèce, la requérante critique le fait qu’elle n’a pas été entendue préalablement à l’adoption des actes initiaux, la présente branche doit être considérée comme étant tirée de la violation du droit d’être entendu, au titre de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte.
51 L’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, garantit à toute personne la possibilité de faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue au cours d’une procédure administrative et avant qu’une décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts ne soit prise à son égard (voir arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 75 et jurisprudence citée). Cette règle a notamment pour objet que l’intéressé puisse corriger une erreur ou faire valoir de tels éléments relatifs à sa situation personnelle qui militent dans le sens que la décision soit prise, ne soit pas prise ou qu’elle ait tel ou tel contenu (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2011, France/People’s Mojahedin Organization of Iran, C‑27/09 P, EU:C:2011:853, point 65 et jurisprudence citée).
52 Toutefois, comme le fait valoir le Conseil, il est de jurisprudence constante que, s’agissant d’une inscription initiale du nom d’une personne ou d’une entité sur la liste des personnes et des entités faisant l’objet de mesures restrictives, le Conseil n’est pas tenu de communiquer au préalable à l’intéressé les motifs sur lesquels il entend fonder ladite inscription. En effet, une telle mesure, afin de ne pas compromettre son efficacité, doit, par sa nature même, pouvoir bénéficier d’un effet de surprise et s’appliquer immédiatement. Dans un tel cas, il suffit donc, en principe, que l’institution procède à la communication des motifs à la personne ou à l’entité concernée et ouvre le droit à l’audition de celle-ci concomitamment avec ou immédiatement après l’adoption de la décision (voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, points 338 à 341, et du 1er octobre 2020, Makhlouf/Conseil, C‑157/19 P, non publié, EU:C:2020:777, point 43).
53 En l’espèce, il convient de relever, tout d’abord, que, par les actes initiaux, le Conseil a adopté les mesures restrictives à l’encontre de la requérante pour la première fois, de sorte qu’il n’était pas, conformément à la jurisprudence citée au point 52 ci-dessus, tenu d’entendre cette dernière préalablement à leur adoption.
54 Ensuite, il ressort du dossier que, le 22 février 2022, à savoir le jour même de l’adoption des actes initiaux, un avis à l’attention des personnes faisant l’objet des mesures restrictives imposées par lesdits actes a été publié au Journal officiel de l’Union européenne (JO 2022, C 85 I, p. 10). Par cet avis, la requérante a été, notamment, informée du fait qu’elle pouvait soumettre au Conseil une demande de réexamen de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses. Dans ces circonstances, le Conseil a également satisfait à son obligation de porter à la connaissance de la requérante les motifs de l’inscription du nom de cette dernière sur lesdites listes, au sens de la jurisprudence citée au point 52 ci-dessus.
55 Enfin, la requérante a adressé au Conseil la demande de réexamen, par laquelle elle a, notamment, sollicité le retrait de son nom des listes litigieuses. Cette demande a été rejetée par le Conseil au motif qu’il existait des raisons suffisantes pour maintenir l’inscription de ce nom sur lesdites listes.
56 À la lumière de ce qui précède, il doit être considéré que le Conseil a mis la requérante en mesure de faire connaître utilement son point de vue, tel que l’exige la jurisprudence citée aux points 51 et 52 ci-dessus, et, par voie de conséquence, a respecté le droit d’être entendu de celle-ci lors de l’adoption des actes initiaux.
57 La requérante fait néanmoins valoir que l’inscription de son nom sur les listes litigieuses n’était pas motivée par un quelconque fait pouvant lui être reproché, mais exclusivement par le décès de son père afin d’empêcher la transmission du patrimoine successoral. Selon elle, le nom du défunt a été maintenu sur lesdites listes après son décès, de sorte que les avoirs de celui-ci étaient restés gelés au moment de l’adoption des actes initiaux. Ainsi, elle estime que, si elle avait pu exercer son droit d’être étendu préalablement à cette adoption, cela n’aurait pas pu compromettre l’efficacité desdits actes.
58 À cet égard, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été observé au point 52 ci-dessus que, selon une jurisprudence constante, la dérogation à l’exercice du droit d’être entendu de la partie intéressée préalablement à l’inscription initiale de son nom sur la liste des personnes et des entités faisant l’objet de mesures restrictives vise à assurer un effet de surprise, notamment, aux gels de fonds, afin de ne pas compromettre l’efficacité de l’action de l’Union.
59 En l’espèce, ainsi que le fait valoir la requérante, à la date d’adoption des actes initiaux, le nom du défunt figurait toujours sur les listes litigieuses, en dépit de son décès survenu le 12 septembre 2020. Son nom n’a été retiré que par la décision 2022/306 et le règlement d’exécution 2022/299, entrés en vigueur le 25 février 2022, c’est-à-dire quatre jours après l’inscription du nom de la requérante sur lesdites listes.
60 Il est vrai que l’exercice par la requérante de ses droits de la défense avant l’adoption des actes initiaux n’était pas susceptible de compromettre l’efficacité de l’action de l’Union quant aux avoirs successoraux que la requérante était appelée à recueillir et qui étaient restés gelés du fait du maintien du nom du défunt sur les listes litigieuses, plusieurs mois après le décès de ce dernier.
61 Toutefois, il ne saurait être fait abstraction du fait que, par l’adoption des actes initiaux, le Conseil a procédé non seulement au gel des avoirs successoraux formant auparavant le patrimoine du défunt, mais également à un gel de tous les fonds et ressources économiques de la requérante, y compris des actifs faisant partie de son propre patrimoine. Or, en ce qui concerne ces derniers actifs, il est constant qu’il s’agissait d’une inscription initiale, pour laquelle la jurisprudence citée au point 52 ci-dessus reconnaît la nécessité d’assurer un effet de surprise pour en garantir l’efficacité.
62 Dans ces circonstances, le grief de la requérante tiré de ce que, en l’espèce, il n’était pas nécessaire de garantir un effet de surprise dans la mesure où les avoirs du défunt étaient restés gelés au moment de l’adoption des actes initiaux ne saurait prospérer.
63 Il s’ensuit que la présente branche doit être rejetée comme non fondée.
– Sur la seconde branche, tirée du caractère sommaire de la réponse du Conseil
64 La requérante reproche au Conseil d’avoir répondu à la demande de réexamen de manière sommaire, voire « expéditive », sans avoir « discut[é] a minima les mérites des éléments à décharge » qu’elle avait produits. Selon elle, ce faisant, le Conseil a violé l’obligation de procéder à un examen de ladite demande avec soin et impartialité, en méconnaissant ses droits de la défense.
65 En l’espèce, dans sa demande de réexamen, la requérante a fait valoir, en substance, que depuis de nombreuses années elle vivait séparée du défunt, lequel avait refait sa vie avec une nouvelle épouse avec laquelle il avait eu un enfant. À cet égard, elle a précisé que, depuis ladite séparation, elle avait organisé sa vie de manière autonome en rupture totale avec le contexte de sa vie antérieure. Enfin, elle a également déclaré qu’elle n’avait jamais eu aucun rôle politique ou économique et qu’elle menait une vie discrète et paisible correspondant à celle d’une femme de son âge.
66 À cet égard, il convient de rappeler que le droit d’être entendu, au sens de l’article 41, paragraphe 2, sous a) de la Charte implique, notamment, que lorsque des observations sont formulées par la personne concernée au sujet de l’exposé des motifs, l’autorité compétente de l’Union a l’obligation d’examiner, avec soin et impartialité, le bien-fondé des motifs allégués, à la lumière de ces observations et des éventuels éléments à décharge joints à celles-ci (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 114).
67 S’agissant de l’allégation de la requérante selon laquelle le Conseil n’aurait pas examiné les mérites de ses arguments, il doit être relevé que, si le respect des droits de la défense et du droit d’être entendu exige que les institutions de l’Union permettent à la personne visée par un acte faisant grief de faire connaître utilement son point de vue, il ne peut leur imposer d’adhérer à celui-ci (voir, en ce sens, arrêts du 7 juillet 2017, Arbuzov/Conseil, T‑221/15, non publié, EU:T:2017:478, point 84, et du 27 septembre 2018, Ezz e.a./Conseil, T‑288/15, EU:T:2018:619, point 330).
68 Ainsi, le fait que le Conseil n’a pas conclu à l’absence de bien-fondé des actes initiaux ne saurait impliquer qu’il n’a pas pris connaissance des éléments et des arguments produits par la requérante dans le cadre de sa demande de réexamen (voir, en ce sens, arrêt du 27 septembre 2018, Ezz e.a./Conseil, T‑288/15, EU:T:2018:619, points 330 et 331).
69 En outre, dans sa réponse, le Conseil a indiqué qu’il avait examiné les observations de la requérante et avait conclu qu’elles ne remettaient pas en cause son appréciation de sorte qu’il existait des motifs suffisants pour maintenir l’inscription du nom de celle-ci sur les listes litigieuses en tant que membre de la famille Makhlouf et héritière du défunt.
70 À la lumière des considérations qui précèdent, il convient de conclure que le Conseil s’est acquitté de ses obligations en ce qui concernait le respect du droit de la requérante d’être entendue au cours de la procédure qui a abouti à l’adoption des actes initiaux.
71 Partant, il convient de rejeter la présente branche et, par conséquent, le premier moyen dans son intégralité
Sur le deuxième moyen, tiré d’une erreur d’appréciation
72 Dans le cadre du présent moyen, formellement tiré d’une erreur manifeste d’appréciation, la requérante conteste la légalité des actes attaqués et, par voie de conséquence, le bien-fondé de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses. Selon elle, le simple fait d’appartenir à la famille Makhlouf ne saurait justifier l’adoption des mesures restrictives à son égard.
73 Le Conseil conteste les arguments de la requérante.
– Observations liminaires
74 Il importe de relever d’emblée que le présent moyen doit être considéré comme tiré d’une erreur d’appréciation, et non d’une erreur manifeste d’appréciation. En effet, s’il est vrai que le Conseil dispose d’un certain pouvoir d’appréciation pour déterminer au cas par cas si les critères juridiques sur lesquels se fondent les mesures restrictives en cause sont remplis, il n’en reste pas moins que les juridictions de l’Union doivent assurer un contrôle, en principe complet, de la légalité de l’ensemble des actes de l’Union (arrêt du 26 octobre 2022, Ovsyannikov/Conseil, T‑714/20, non publié, EU:T:2022:674, point 61 et jurisprudence citée).
75 L’effectivité du contrôle juridictionnel garanti par l’article 47 de la Charte exige que le juge de l’Union s’assure que la décision par laquelle des mesures restrictives ont été adoptées ou maintenues, qui revêt une portée individuelle pour la personne ou l’entité concernée, repose sur une base factuelle suffisamment solide. Cela implique une vérification des faits allégués dans l’exposé des motifs qui sous-tend ladite décision, de sorte que le contrôle juridictionnel ne soit pas limité à l’appréciation de la vraisemblance abstraite des motifs invoqués, mais porte sur la question de savoir si ces motifs, ou, à tout le moins, l’un d’eux considéré comme suffisant en soi pour soutenir cette même décision, sont étayés (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 119).
76 Il incombe au juge de l’Union de procéder à cet examen en demandant, le cas échéant, à l’autorité compétente de l’Union de produire des informations ou des éléments de preuve, confidentiels ou non, pertinents aux fins d’un tel examen (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 120).
77 C’est à l’autorité compétente de l’Union qu’il appartient, en cas de contestation, d’établir le bien-fondé des motifs retenus à l’encontre de la personne et non à cette dernière d’apporter la preuve négative de l’absence de bien-fondé desdits motifs (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 121).
78 À cette fin, il n’est pas requis que ladite autorité produise devant le juge de l’Union l’ensemble des informations et des éléments de preuve inhérents aux motifs allégués dans l’acte dont il est demandé l’annulation. Il importe toutefois que les informations ou les éléments produits étayent les motifs retenus à l’encontre de la personne ou de l’entité concernée (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 122).
79 Si l’autorité compétente de l’Union fournit des informations ou des éléments de preuve pertinents, le juge de l’Union doit vérifier l’exactitude matérielle des faits allégués au regard de ces informations ou éléments et apprécier la force probante de ces derniers en fonction des circonstances de l’espèce et à la lumière des éventuelles observations présentées, notamment, par la personne ou l’entité concernée à leur sujet (arrêt du 18 juillet 2013, Commission e.a./Kadi, C‑584/10 P, C‑593/10 P et C‑595/10 P, EU:C:2013:518, point 124).
80 L’appréciation du bien-fondé d’une inscription doit être effectuée en examinant les éléments de preuve non pas de manière isolée, mais dans le contexte dans lequel ils s’insèrent (voir arrêt du 16 mars 2022, Sabra/Conseil, T‑249/20, EU:T:2022:140, point 41 et jurisprudence citée).
81 Enfin, dans le cadre de l’appréciation de la gravité de l’enjeu, qui fait partie du contrôle de la proportionnalité des mesures restrictives en cause, il peut être tenu compte du contexte dans lequel s’inscrivent ces mesures, du fait qu’il était urgent d’adopter de telles mesures ayant pour objet de faire pression sur le régime syrien afin qu’il arrête la répression violente dirigée contre la population et de la difficulté d’obtenir des preuves plus précises dans un État en situation de guerre civile doté d’un régime de nature autoritaire (voir arrêt du 16 mars 2022, Sabra/Conseil, T‑249/20, EU:T:2022:140, point 42 et jurisprudence citée).
82 Ainsi, selon la jurisprudence, en l’absence de pouvoirs d’enquête dans des pays tiers, l’appréciation des autorités de l’Union doit, de fait, se fonder sur des sources d’information accessibles au public, des rapports, des articles de presse ou d’autres sources d’information similaires (voir arrêt du 16 décembre 2020, Haswani/Conseil, T‑521/19, non publié, EU:T:2020:608, point 142 et jurisprudence citée).
83 C’est à l’aune de ces principes qu’il convient d’analyser le présent moyen.
– Sur le bien-fondé de l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses
84 Le nom de la requérante a été inscrit sur les listes litigieuses au motif qu’elle était « [v]euve de Mohammed Makhlouf [; m]embre de la famille Makhlouf » (voir point 14 ci-dessus). Ainsi, le Conseil s’est fondé sur le critère de l’appartenance familiale pour justifier l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la requérante dans les actes attaqués, en s’appuyant sur la décision d’ouverture de la succession (voir point 17 ci-dessus) dont il ressort que la requérante était l’une des héritières du défunt.
85 Il y a lieu de relever que, d’une part, la requérante ne conteste ni l’authenticité ni la valeur probante de la décision d’ouverture de la succession. D’autre part, elle ne conteste non plus son lien de filiation avec le défunt et, partant, son appartenance à la famille Makhlouf.
86 Dans ces circonstances, le Conseil pouvait s’appuyer sur la décision d’ouverture de la succession pour étayer le motif d’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses.
87 La requérante fait toutefois valoir que les dispositions érigeant le critère de l’appartenance familiale s’opposent à toute inscription systématique fondée sur le simple fait d’appartenir à la famille Makhlouf. Elle rappelle que, en vertu la décision 2015/1836, seul un membre influent de ladite famille peut faire l’objet de mesures restrictives en raison de la situation en Syrie.
88 À cet égard, il convient de rappeler tout d’abord que le critère d’inscription général d’association avec le régime syrien énoncé à l’article 27, paragraphe 1, et à l’article 28, paragraphe 1, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, correspondant, en ce qui concerne le gel des fonds, à l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement no 36/2012, tel que modifié par la règlement 2015/1828, permet d’inscrire sur les listes litigieuses, une personne ou une entité bénéficiant des politiques menées par le régime syrien ou soutenant celui-ci ainsi que les personnes qui lui sont liées.
89 Ensuite, en 2015, des critères d’inscription spécifiques sont venus compléter le critère général d’association avec le régime syrien. Ils figurent désormais à l’article 27, paragraphe 2, et à l’article 28, paragraphe 2, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et à l’article 15, paragraphe 1bis, sous b), du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828. Selon la jurisprudence, ces dispositions instaurent à l’égard de sept catégories de personnes qui appartiennent à des groupes déterminés une présomption réfragable de lien avec le régime syrien. Parmi ces catégories figurent, notamment, les « membres des familles Assad ou Makhlouf » (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2020, Makhlouf/Conseil, C‑157/19 P, non publié, EU:C:2020:777, point 98).
90 Enfin, il a été jugé que les critères d’inscription spécifiques à l’égard des sept catégories de personnes, visées point 89 ci-dessus, sont autonomes par rapport au critère général d’association avec le régime syrien de sorte que le simple fait d’appartenir à l’une de ces sept catégories de personnes suffit pour permettre de prendre les mesures restrictives prévues à ces articles, sans qu’il soit nécessaire de rapporter la preuve du soutien que les personnes concernées apporteraient au régime syrien en place ou du bénéficie qu’elles en tireraient (voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2020, Makhlouf/Conseil, C‑157/19 P, non publié, EU:C:2020:777, point 83).
91 Il convient d’en déduire que le critère de l’appartenance familiale, introduit par les actes de 2015, pose un critère objectif, autonome et suffisant en soi pour justifier l’adoption de mesures restrictives à l’encontre des « membres de [la] famille […] Makhlouf » par l’inscription de leurs noms sur les listes de personnes faisant l’objet de telles mesures au seul motif que ces derniers appartiennent à ladite famille. Contrairement à ce que fait valoir la requérante au point 87 ci-dessus, le critère n’est pas limité aux membres « influents » de cette famille.
92 Il n’en demeure pas moins que l’article 27, paragraphe 3, et l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, disposent en substance que les personnes visées par les dispositions érigeant les critères d’inscription ne sont pas inscrites sur les listes litigieuses s’il existe des informations suffisantes indiquant qu’elles ne sont pas associées au régime syrien, qu’elles n’exercent aucune influence sur celui-ci ou qu’elles ne sont pas liées à un risque réel de contournement des mesures restrictives.
93 Ainsi, au vu des considérations énoncées aux points 89 à 91 ci‑dessus, le Conseil pouvait a priori, compte tenu de la décision d’ouverture de la succession, inscrire le nom de la requérante sur les listes litigieuses sur le fondement de la présomption réfragable de lien avec le régime syrien découlant du critère de l’appartenance familiale.
94 Il incombait par la suite à la requérante, dans le cadre d’une contestation des actes attaqués, d’apporter des preuves afin de renverser la présomption de lien avec le régime syrien sur laquelle le Conseil s’est fondé.
95 À cet égard, la jurisprudence a retenu, ainsi qu’il a été rappelé au point 77 ci-dessus, que, dans la mesure où la charge de la preuve quant au bien-fondé des motifs soutenant les mesures restrictives incombe en principe au Conseil, il ne saurait être imposé à une partie requérante un niveau de preuve excessif aux fins de renverser la présomption de lien avec le régime syrien (voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2022, Sabra/Conseil, T‑249/20, EU:T:2022:140, points 132 et 133 et jurisprudence citée).
96 Ainsi, une partie requérante doit être considérée comme ayant réussi à renverser la présomption d’un lien avec le régime, instaurée, notamment, par les dispositions érigeant le critère de l’appartenance familiale, si elle fait valoir des arguments ou des éléments susceptibles de remettre sérieusement en cause la fiabilité des éléments de preuve soumis par le Conseil ou leur appréciation, ou si elle produit devant le juge de l’Union un faisceau d’indices concrets, précis et concordants de l’inexistence ou la disparition du lien avec le régime syrien, ou de l’absence d’influence sur ledit régime, ou de l’absence d’association avec un risque réel de contournement des mesures restrictives, conformément à l’article 27, paragraphe 3, et à l’article 28, paragraphe 3, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, et à l’article 15, paragraphe 1 ter, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828 (voir arrêt du 16 mars 2022, Sabra/Conseil, T‑249/20, EU:T:2022:140, point 133 et jurisprudence citée).
97 En l’espèce, pour renverser la présomption de lien avec le régime syrien, la requérante avance en substance deux séries d’arguments se rattachant, la première, à sa situation personnelle actuelle et, la seconde, à la rupture des relations entre la famille Makhlouf et ledit régime.
98 En premier lieu, la requérante fait valoir qu’elle n’a jamais eu un lien individuel direct avec le régime syrien ou avec les pouvoirs publics. Elle fait observer qu’elle était âgée de 74 ans au moment de l’introduction du présent recours, ainsi que l’atteste son passeport, et qu’elle est, depuis de nombreuses années, séparée du défunt qui, entretemps, a refait sa vie avec une nouvelle épouse.
99 La requérante ajoute que, en tant que femme au foyer, elle n’a jamais eu de lien individuel direct avec le régime syrien ou avec les pouvoirs publics. Elle indique également que, s’étant séparée du défunt, elle a organisé sa vie de manière autonome tout en précisant sa vie actuelle a connu une « rupture avec le contexte de sa vie antérieure » et qu’elle « s’est détachée de son contexte familial ».
100 À cet égard, il suffit de rappeler que, selon la jurisprudence, le seul fait d’être une mère au foyer ne constitue pas, en soi, une circonstance suffisante pour constater l’inexistence ou la disparition du lien avec le régime syrien, ou l’absence d’influence sur ledit régime, ou l’absence d’association avec un risque réel de contournement des mesures restrictives (voir, en ce sens et par analogie, arrêts du 12 mars 2014, Al Assad/Conseil, T‑202/12, EU:T:2014:113, point 104, et du 14 avril 2021, Al Tarazi/Conseil, T‑260/19, non publié, EU:T:2021:187, point 149).
101 Ensuite, pour démontrer l’éloignement de la vie de son époux, la requérante produit deux déclarations en arabe, traduites en français, faites par un chauffeur et un garde-corps du défunt.
102 Il ressort des déclarations en cause, dont, au demeurant, ni la véracité ni la valeur probante ne sont contestées par le Conseil, que, à partir de 2016 et jusqu’à son décès, le défunt vivait avec sa nouvelle épouse et leur fils, d’abord à un domicile, et puis à un autre, à Damas (Syrie). Aucune des adresses de ces deux domiciles ne correspond à l’adresse du domicile indiquée par la requérante aux fins du présent recours, conformément à l’article 76, paragraphe 1, sous a), du règlement de procédure. En outre, l’article de presse concernant l’avis de décès relève que le défunt « a épousé [Mme] Hala Al Maghout après son premier mariage avec [la requérante] », élément qui est de nature à corroborer l’allégation de la séparation de la requérante du défunt.
103 Toutefois, si cela permet de conclure que, au moment de l’inscription de son nom sur les listes litigieuses, la requérante n’habitait pas à la même adresse que le défunt depuis un certain nombre d’années, les déclarations en cause ne suffisent pas, à eux seuls, pour constater l’inexistence ou la disparition du lien avec le régime syrien, ou l’absence d’influence sur ledit régime, ou l’absence d’association avec un risque réel de contournement des mesures restrictives.
104 Par ailleurs, si la requérante prétend s’être « détachée de son contexte familial », elle ne fournit aucun élément permettant de considérer que, à la suite de sa séparation avec le défunt, elle s’est également éloignée de ses quatre fils, MM. Rami, Hafez, Iyad, et Ihab Makhlouf, dont les noms sont inscrits sur les listes litigieuses depuis 2011, notamment en tant que membres de la famille Makhlouf. Il s’ensuit que la requérante reste en défaut de fournir des indices à cet égard, qui pris avec d’autres indices concrets, précis et concordants seraient susceptibles de renverser la présomption du lien avec le régime syrien.
105 Enfin, pour ce qui est de l’argument de la requérante selon lequel elle n’a jamais eu de rôle politique ou économique en Syrie, il convient de rappeler que, selon le considérant 7 de la décision 2015/1836, les mesures restrictives prises sur le fondement du critère d’appartenance familiale ne se limitent pas à viser les personnes impliquées dans la vie politique syrienne. En effet, sont ciblées par lesdites mesures, telles que les actes attaqués, certains membres, notamment de la famille Makhlouf, par le biais desquels le Conseil estime, en particulier, pouvoir influencer directement le régime syrien pour que celui-ci change sa politique de répression. Cela est d’autant plus vrai que, conformément au même considérant, le pouvoir en Syrie s’exerce traditionnellement sur une base familiale (voir point 11 ci-dessus).
106 Il s’ensuit que les arguments de la requérante se rattachant à sa situation personnelle actuelle ne sont pas, eux-mêmes, de nature à renverser la présomption de lien avec le régime syrien ou suffisamment étayés pour la renverser et à démontrer que la requérante remplissait les conditions énoncées au point 96 ci-dessus.
107 En second lieu, la requérante fait valoir que, depuis l’année 2018, « la situation de la famille Makhlouf a notoirement évolué » de sorte qu’il existerait, désormais, un conflit opposant ladite famille et le régime syrien. Selon elle, son nom ne devrait pas figurer sur les listes litigieuses, puisqu’elle n’entretient aucun lien avec ledit régime.
108 À l’appui de son argumentation, la requérante fournit les documents suivants :
– un article publié sur le site Internet Freethinker, le 12 septembre 2020, en langue arabe, accompagné d’une traduction libre vers le français, qui analyse l’avis de décès du défunt (ci‑après l’ « article de presse concernant l’avis de décès ») ;
– une communication du 31 décembre 2022 attestant la démission de M. Hafez Makhlouf du poste de général de brigade de l’armée syrienne.
109 Selon la requérante, les éléments figurant dans les documents mentionnés au point 108 ci‑dessus sont de nature à démontrer la rupture des relations entre la famille Makhlouf et le régime syrien.
110 D’une part, en ce qui concerne l’article de presse concernant l’avis de décès, il ressort de celui-ci, d’une part, qu’aucune date de condoléances, « telle qu’on a l’habitude de l’inscrire », ne figure dans ledit avis et, d’autre part, que la cérémonie d’enterrement du défunt a été annulée. Il y est ajouté que, « selon certaines sources[,] cette décision est survenue à la suite des ordres directs d[u] [président syrien] ». Toutefois, cette allégation n’est corroborée par aucun élément figurant dans le dossier et demeure, de ce fait, purement spéculative, d’autant plus qu’il est notoire que le défunt étant décédé en septembre 2020, son décès s’inscrivait dans un contexte de restrictions sanitaires liées à la pandémie de COVID-19.
111 En outre, selon l’article de presse concernant l’avis de décès, cet avis ne mentionne pas les noms des fils de M. Hafez Al-Assad, notamment celui du président syrien, alors qu’il est d’usage que « la famille du défunt mentionne les noms de personnalités connues et influentes », ce qui « prouve l’ampleur du différend familial qui existe entre les deux parties ».
112 Toutefois, il convient de relever que ces observations consistent en une simple interprétation, par l’auteur de l’article de presse concernant l’avis de décès, du contenu de celui-ci, reposant sur des déductions faites à la lumière de certaines pratiques sociales qui seraient habituelles en Syrie ou des allégations qui ne sont pas autrement étayées. Ainsi, ladite analyse ne suffit pas, en tant que telle, à établir la rupture des relations entre la famille Makhlouf et le régime syrien.
113 D’autre part, la requérante produit une communication du 31 décembre 2022 attestant la démission de M. Hafez Makhlouf du poste de général de brigade de l’armée syrienne. À cet égard, il suffit de relever que cette communication se limite à faire état du départ à la retraite de M. Hafez Makhlouf, général de brigade, à compter du 3 janvier 2023, à la demande de l’intéressé. Or, la requérante reste en défaut de préciser la pertinence de cet élément de preuve ou de fournir plus de détails entourant cette démission, en se bornant à indiquer que « la prise en compte [par le Tribunal] de cet élément [lui] paraît importante pour la solution du litige ». Dans ces circonstances, cet élément ne saurait être considéré comme de nature à établir la rupture des relations entre la famille Makhlouf et le régime syrien.
114 Il s’ensuit que les éléments de preuve apportés par la requérante à l’appui de ses séries d’arguments se rattachant, la première, à sa situation personnelle actuelle et, la seconde, à la rupture des relations entre la famille Makhlouf et le régime syrien, ne sont pas de nature à renverser la présomption de lien avec ledit régime au regard de la jurisprudence rappelée au point 96 ci-dessus.
115 Eu égard à tout ce qui précède, il convient de considérer que, la requérante n’ayant pas valablement renversé la présomption de lien avec le régime syrien, les actes attaqués reposent sur une base factuelle suffisamment solide au sens de la jurisprudence citée au point 75 ci‑dessus.
116 Il convient ainsi de conclure que, dans la mesure où les actes attaqués ne sont pas entachés d’erreur d’appréciation, le deuxième moyen doit être rejeté.
Sur les troisième et quatrième moyens, tirés d’une limitation illégale du droit fondamental à la propriété de la requérante
117 La requérante fait valoir que les actes attaqués, par lesquels le Conseil procédé à un gel de tous ses fonds et ressources économiques, restreignent son droit de propriété de manière injustifiée et disproportionnée.
118 À cet égard, la requérante fait observer que, aux termes de l’article 5, paragraphe 4, TUE, « le contenu et la forme de l’action de l’Union n’excèdent pas ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs des traités » et que, en vertu de l’article 28, paragraphe 4, de la décision 2013/255, toutes les décisions d’inscription sur la liste des personnes qui figurent à l’annexe I de cette décision sont prises sur « une base individuelle et au cas par cas en tenant compte de la proportionnalité de la mesure ».
119 Le Conseil conteste les arguments de la requérante.
120 D’emblée, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, « [t]oute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général ».
121 En l’espèce, par les actes attaqués, le Conseil a procédé à un gel de tous les fonds et ressources économiques de la requérante, mesure qui comporte incontestablement une restriction à l’usage du droit de propriété visé à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte (voir, en ce sens, arrêts du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 358, et du 13 septembre 2013, Makhlouf/Conseil, T‑383/11, EU:T:2013:431, point 99).
122 Toutefois, le droit de propriété, tel que protégé par l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, ne constitue pas une prérogative absolue et peut, en conséquence, faire l’objet de limitations, dans les conditions énoncées à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte [voir, en ce sens, arrêts du 27 février 2014, Ezz e.a./Conseil, T‑256/11, EU:T:2014:93, point 195, et du 22 septembre 2021, Al-Imam/Conseil, T‑203/20, EU:T:2021:605, point 254 (non publié) et jurisprudence citée].
123 En effet, l’article 52, paragraphe 1, de la Charte reconnaît des limitations à l’exercice des droits et libertés consacrés par celle-ci. Selon cette disposition, « toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés » et, « [d]ans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui ».
124 Ainsi, pour être conforme au droit de l’Union, une limitation de l’exercice des droits fondamentaux doit répondre à quatre conditions. Premièrement, la limitation en cause doit être « prévue par la loi », en ce sens que l’institution de l’Union adoptant des mesures susceptibles de restreindre le droit ou la liberté d’une personne, physique ou morale, doit disposer d’une base légale à cette fin. Deuxièmement, la limitation en cause doit respecter le contenu essentiel de ces droits. Troisièmement, ladite limitation doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Quatrièmement, la limitation en cause doit être proportionnée (voir, en ce sens, arrêt du 27 juillet 2022, RT France/Conseil, T‑125/22, EU:T:2022:483, point 145).
– Sur le respect de la première condition, relative à ce que la limitation du droit doit être « prévue par la loi »
125 Pour être conforme au droit de l’Union, la limitation de l’exercice du droit fondamental de propriété doit être « prévue par la loi » en ce sens que l’institution de l’Union adoptant une mesure susceptible de restreindre l’exercice de ce droit par une personne doit disposer d’une base légale à cette fin (voir, en ce sens, arrêt du 5 octobre 2017, Ben Ali/Conseil, T‑149/15, non publié, EU:T:2017:693, point 161).
126 Or, les mesures restrictives sont prévues par la loi, dans la mesure où elles se trouvent énoncées dans des actes de base ayant une portée générale et disposant d’une base juridique claire en droit de l’Union et où elles sont formulées dans des termes suffisamment précis en ce qui concerne tant leur portée que les raisons justifiant leur application à la partie requérante (voir arrêt du 5 novembre 2014, Mayaleh/Conseil, T‑307/12 et T‑408/13, EU:T:2014:926, point 176 et jurisprudence citée).
127 À cet égard, il convient de relever que, en l’espèce, les actes attaqués ont été adoptés, en substance, sur la base des dispositions érigeant le critère de l’appartenance familiale figurant dans les actes de base. Ces derniers ont été adoptés sur le fondement des dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC), notamment, l’article 29 TUE et l’article 215 TFUE.
128 Ainsi, la première condition énoncée à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte justifiant une limitation à un droit fondamental est remplie en l’espèce.
– Sur le respect de la deuxième condition, relative à ce que la limitation du droit doit respecter le contenu essentiel de ce droit
129 Pour être conforme au droit de l’Union, la limitation de l’exercice du droit fondamental de propriété doit respecter le contenu essentiel de ce droit.
130 À cet égard, il convient de rappeler, tout d’abord, qu’au regard du droit de l’Union, un gel des fonds et des ressources économiques est une mesure conservatoire et non une confiscation des avoirs de l’intéressé [voir, en ce sens, arrêt du 21 juillet 2016, Hassan/Conseil, T‑790/14, EU:T:2016:429, point 77 (non publié) et jurisprudence citée]. Les actes attaqués ne constituent donc pas une mesure privant la requérante de la substance même de son droit de propriété de manière définitive.
131 D’ailleurs, l’article 28, paragraphe 6, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ainsi que l’article 16 du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation des fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques (voir arrêt du 28 avril 2021, Sharif/Conseil, T‑540/19, non publié, EU:T:2021:220, point 203 et jurisprudence citée).
132 Enfin, il ne saurait être perdu de vue que les mesures restrictives présentent, par nature, un caractère temporaire et réversible, dès lors que le Conseil est appelé à procéder à un réexamen périodique de celles-ci, conformément à l’article 34, deuxième et troisième phrases, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ainsi qu’à l’article 32, paragraphe 4, du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828 (voir arrêt du 24 novembre 2021, Foz/Conseil, T‑258/19, non publié, EU:T:2021:820, point 173 et jurisprudence citée).
133 Il s’ensuit que, compte tenu de la nature et de l’étendue du gel de tous les fonds et ressources économiques de la requérante prévus, les actes attaqués, bien qu’ils limitent l’exercice du droit de propriété de celle-ci, respectent le contenu essentiel de ce droit.
134 Ainsi la deuxième condition énoncée à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte est remplie en l’espèce.
– Sur le respect de la troisième condition, relative à ce que la limitation du droit doit viser un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union
135 Pour être légitime, la limitation d’un droit protégé par la Charte doit poursuivre un objectif d’intérêt général, reconnu comme tel par l’Union. Au nombre de ces objectifs figurent ceux, fondamentaux pour la communauté internationale, de la protection des populations civiles contre une répression violente et de maintien de la paix et de la sécurité internationale [voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2021, Al-Imam/Conseil, T‑203/20, EU:T:2021:605, point 258 (non publié) et jurisprudence citée].
136 Ainsi, l’importance des objectifs poursuivis par les mesures restrictives en cause est de nature à justifier des conséquences négatives, même considérables, pour les personnes ou les entités concernées [voir arrêt du 22 septembre 2021, Al-Imam/Conseil, T‑203/20, EU:T:2021:605, point 254 (non publié) et jurisprudence citée].
137 Il s’ensuit que, dans la mesure où les actes attaqués visent à la protection des populations civiles contre la répression violente ainsi qu’au maintien de la paix et de la sécurité internationale, qui sont des objectifs d’intérêt général reconnus comme tels par l’Union, la troisième condition énoncée à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte est satisfaite en l’espèce.
– Sur le respect de la quatrième condition, relative à ce que la limitation du droit doit être proportionnée
138 L’article 52, paragraphe 1, de la Charte dispose que toute limitation de l’exercice des droits et libertés fondamentaux prévus par celle-ci doit être proportionnée.
139 Le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union et qui est repris à l’article 5, paragraphe 4, TUE, exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs poursuivis par la réglementation en cause et n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre lesdits objectifs. Ainsi, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (voir, en ce sens, arrêts du 4 avril 2019, Sharif/Conseil, T‑5/17, EU:T:2019:216, point 90, et du 24 novembre 2021, Foz/Conseil, T‑258/19, non publié, EU:T:2021:820, point 168 et jurisprudence citée).
140 En l’espèce, ainsi qu’il ressort de l’analyse du deuxième moyen, la requérante n’ayant pas réussi à renverser la présomption de lien avec le régime syrien, les actes attaqués doivent être considérés comme reposant sur une base factuelle suffisamment solide au sens de la jurisprudence citée au point 75 ci-dessus, de sorte que l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses est fondée.
141 Dès lors, l’adoption de mesures restrictives à l’encontre de la requérante, en tant que membre de la famille Makhlouf ayant un lien avec le régime syrien, ne saurait passer pour inadéquate, dans la mesure où celle-ci s’inscrit dans un objectif d’intérêt général aussi fondamental pour la communauté internationale que la protection des populations civiles [voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2021, Al-Imam/Conseil, T‑203/20, EU:T:2021:605, point 258 (non publié) et jurisprudence citée].
142 En outre, il est de jurisprudence constante que les mesures restrictives ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de protection des populations civiles, car des mesures alternatives et moins contraignantes, telles qu’une obligation de justification a posteriori de l’usage des fonds versés, ne permettent pas aussi efficacement d’atteindre l’objectif poursuivi, à savoir influencer directement le régime syrien par le biais des membres de familles Assad et Makhlouf pour que celui-ci modifie sa politique de répression tout en évitant le risque de contournement des mesures restrictives par des membres desdites familles (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 16 janvier 2019, Haswani/Conseil, T‑477/17, non publié, EU:T:2019:7, point 76 et jurisprudence citée).
143 De surcroît, comme le fait observer le Conseil, l’article 28, paragraphe 6, de la décision 2013/255, telle que modifiée par la décision 2015/1836, ainsi que l’article 16 du règlement no 36/2012, tel que modifié par le règlement 2015/1828, prévoient la possibilité, d’une part, d’autoriser l’utilisation de fonds gelés pour faire face à des besoins essentiels ou satisfaire à certains engagements et, d’autre part, d’accorder des autorisations spécifiques permettant de dégeler des fonds, d’autres avoirs financiers ou d’autres ressources économiques (voir arrêt du 24 novembre 2021, Foz/Conseil, T‑258/19, non publié, EU:T:2021:820, point 171 et jurisprudence citée).
144 Il s’ensuit que l’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses ne saurait être considérée comme allant au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de la réglementation en matière de mesures restrictives à l’encontre de la Syrie. Par voie de conséquence, la limitation causée par les actes attaqués à l’exercice par la requérante de son droit de propriété ne saurait être considérée comme étant disproportionnée.
145 Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de la requérante, tiré de la possibilité d’un gel des fonds et des ressources économiques qui serait cantonné aux biens faisant partie de la masse successorale du défunt.
146 En effet, ainsi qu’il ressort de l’analyse du deuxième moyen, la décision d’ouverture de succession est de nature à étayer le motif d’inscription du nom de la requérante sur les listes litigieuses tiré de son appartenance à la famille Makhlouf, qui instaure une présomption de lien avec le régime syrien que la requérante n’a pas réussi à renverser.
147 Dans ces circonstances, la requérante ne saurait valablement soutenir que l’adoption de mesures restrictives à son égard n’était pas susceptible de produire un effet positif afin d’atteindre l’objectif de protection des populations civiles en Syrie, ni que celle-ci serait disproportionnée.
148 Il s’ensuit que la quatrième condition énoncée à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte est remplie en l’espèce.
149 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter les troisième et quatrième moyens et, partant, les conclusions en annulation dans leur intégralité.
Sur les conclusions en indemnité
150 La requérante fait valoir que les actes attaqués nuisent gravement à sa réputation et demande à ce que le Conseil soit condamné à lui verser une indemnité au titre du préjudice moral subi, qu’elle quantifie à 10 000 euros dans la requête et à 10 000 euros dans le mémoire en adaptation.
151 Le Conseil conteste les arguments de la requérante.
152 À cet égard, il suffit de rappeler que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union du fait d’un comportement illicite de ses organes, au sens de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, à savoir l’illégalité du comportement reproché aux institutions, la réalité du dommage et l’existence d’un lien de causalité entre le comportement allégué et le préjudice invoqué. En outre, dans la mesure où ces trois conditions d’engagement de la responsabilité sont cumulatives, l’absence de l’une d’entre elles suffit pour rejeter un recours indemnitaire, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres conditions (arrêt du 22 juin 2022, Haswani/Conseil, T‑479/21, non publié, EU:T:2022:383, point 155).
153 Au soutien de ses conclusions en indemnité, la requérante se prévaut d’un seul chef d’illégalité, en ce que le Conseil ne disposerait pas d’informations ou d’éléments de preuve établissant, à suffisance de droit, le bien-fondé des mesures restrictives adoptées à son égard.
154 Toutefois, ainsi qu’il ressort de l’analyse du deuxième moyen (voir point 115 ci-dessus), la requérante n’étant pas parvenue à renverser la présomption de lien avec le régime syrien, l’inscription de son nom sur les listes litigieuses est fondée au regard du critère de l’appartenance familiale.
155 Ainsi, il ne saurait être reproché au Conseil d’avoir entaché les actes attaqués d’une illégalité.
156 Il s’ensuit que la condition relative à l’illégalité du comportement, au sens de la jurisprudence citée au point 152 ci-dessus, n’est pas satisfaite. Au demeurant, l’ensemble des moyens avancés par la requérante sont également rejetés, de sorte qu’aucune illégalité ne saurait être constatée dans le chef du Conseil.
157 Les conditions d’engagement de responsabilité de l’Union étant cumulatives, il convient de rejeter les conclusions indemnitaires, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres conditions évoquées au point 152 ci-dessus ni, à plus forte raison, la recevabilité desdites conclusions.
158 Eu égard aux considérations qui précèdent, le présent recours doit être rejeté dans son ensemble.
Sur les dépens
159 Aux termes de l’article 134, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
160 En l’espèce, la requérante ayant succombé, il y a lieu de la condamner aux dépens, conformément aux conclusions du Conseil.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) Le recours est rejeté.
2) Mme Ghada Mhana est condamnée aux dépens.
Truchot | Kanninen | Frendo |
Sampol Pucurull | Perišin |
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 17 juillet 2024.
Le greffier | Le président |
V. Di Bucci | S. Papasavvas |
* Langue de procédure : le français.
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